Visite | Santa Cruz Bicycles : statuettes, rencontres et déambulations californiennes

Par Paul Humbert -

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Visite | Santa Cruz Bicycles : statuettes, rencontres et déambulations californiennes

Aaah la Californie. Quand on y met les pieds, impossible de nier l’impact et l’influence qu’elle a sur notre vie en Europe, et jusque dans le petit monde du vélo. Avec des pionniers qui y sont toujours installés, des marques locales devenues multinationales et des athlètes et autres piliers influents de l’industrie, la côte Ouest des Etat-Unis ne quitte pas son statut de « hot-spot ». Au fil de différents articles, nous vous avons déjà amené dans les coulisses de Specialized ou sur les traces des pionniers, mais nous n’avions encore jamais vraiment marqué de stop chez Santa Cruz.

 

 

Santa Cruz, à Santa Cruz, c’est une opportunité que nous n’allions pas laisser passer. De la marque de vélo, vous connaissez certainement sa gamme et ses pilotes, mais sachez que son histoire commence chez Santa Cruz Skateboard, quand le skater Rob Roskopp lance, dans le giron de l’entreprise, une marque de vélo. On est au milieu des années 90 et Santa Cruz bicycles ne tardera pas à prendre son indépendance.

 

 

Aujourd’hui, Rob Roskopp a quitté l’entreprise, mais l’histoire reste entretenue puisqu’un Tazmon, premier VTT devenu culte, trône dans l’entrée du siège de l’entreprise. Il n’y a pas que des vieux bouts de tubes qui cultivent l’histoire de la marque et on a eu la chance de rencontrer certains des piliers de l’entreprise qui font aujourd’hui avancer la marque californienne.

 

 

On vous propose de les rencontrer au fil des déambulations dans les allées de l’usine et des bureaux. Mais on vous emmène également sur les trails, dans les entrepôts voisins où dans les bars d’after ride qui entourent une marque qui a su garder une partie de l’esprit qui l’a vue naître.

 

 

Difficile de rester fidèle à ses valeurs quand on grandit et qu’on quitte l’artisanat pour devenir une entreprise internationale. Il pourrait être facile de faire table rase du passé pour plaire à ses actionnaires et proposer une esthétique blanche et presque clinique comme le voit (et on l’apprécie) parfois chez d’autres marques de l’industrie. Après tout, Santa Cruz appartient aujourd’hui au groupe Pon et pourrait s’intégrer dans cette esthétique. Une fois le showroom d’entrée dépassé, on comprend vite que Santa Cruz souhaite jouer sur les deux tableaux : celui de l’exigence quand il est question de ses produits, tout en restant fidèle à ses valeurs.

 

 

Dans le bâtiment de la marque, on peut croiser jusqu’à 200 personnes. On y retrouve des bureaux assez standards, mais également les ingénieurs en charge du développement, un atelier de prototypage, la direction et surtout une ligne d’assemblage de vélos et de roues.

 

 

Si on commence la visite devant le bâtiment principal pour passer la porte d’entrée, on quitte le climat du bord de l’océan et le parking recouvert de panneaux solaires pour rentrer dans un showroom qui présente la gamme de la marque. On retrouve toutes les infos clés pour comprendre les différentes technologies (le carbone, le VPP, les valves Fillmore…) mais également les initiatives de Santa Cruz au-delà du développement. Coïncidence, au moment de notre voyage se déroulait le premier « sommet » Paydirt, le fonds dédié aux initiatives de trailbuilding. La marque avait rassemblé pour l’occasion tous les récipiendaires nord-américains de ce fonds pour échanger sur les problématiques rencontrées, mais surtout sur les succès liés à leurs actions.

 

 

En se glissant plus loin dans l’usine, on retrouve ce qui fait une partie du charme de la Californie : tout le monde ne se ressemble pas et on découvre des petites excentricités et des singularités musicales comme vestimentaires dans un cadre bien établi. Les Etats-Unis quoi.

 

 

Dans un dédale de cartons qui représente deux jours de travail à l’assemblage, on rencontre la main d’oeuvre qui assemble jusqu’à 250 vélos par jour sur ce site de production. On sent bien qu’on a poussé les murs et que la marque doit mettre les bouchées doubles pour répondre aux attentes de livraison.

 

 

Chacune et chacun équipé d’un chariot, on vient piocher les pièces nécessaires à l’assemblage en suivant sa feuille de route. Le vélo, dont le cadre a été fabriqué en Asie dans un site dédié à Santa Cruz, est ensuite monté à la main avec les différents composants : transmission, freins, etc. Les cadres sortent de containers sans visserie ni protection et tout doit être installé à ce moment-là.

 

 

Du côté des stickers de fourche, ces derniers sont posés à l’usine pour « matcher » avec la couleur du vélo.

 

 

Même si tout semble bien maîtrisé, on est presque surpris de retrouver une chaîne de montage aussi « souple » et que tout oppose aux chaînes semi-automatisées où les couples de serrage sont contrôlés via des outils connectés qu’on a pu découvrir lors d’autres visites. Il n’empêche que nous n’avons jamais eu de mauvaise surprise sur les vélos avec lesquels nous avons roulés et que visiblement, plusieurs réalités peuvent cohabiter.

 

 

Un peu plus loin, on a créé un nouvel espace depuis quelques années pour accueillir plusieurs lignes de production de roues. Avec la marque Reserve, Santa Cruz produit et assemble des roues en carbone, et depuis peu en aluminium. Au-delà du savoir faire de conception derrière un ordinateur, il y a l’industrialisation et la conservation d’une qualité attendue pour un produit de série. Ici, c’est jusqu’à 500 roues qui sont assemblées chaque jour selon un process qui s’est affiné depuis quelques années.

 

 

Les roues sont pré-assemblées en machine, avant d’être finies à la main par un employé qui glissera sur la roue une étiquette à son effigie. On en retrouve d’ailleurs un peu partout dans l’entrepôt.

 

 

Dans les couloirs, on observe les tableaux qui tracent la productivité des équipes et les règles du contrôle qualité, mais on repère également les cases réservées aux « dig days », les jours pour aller creuser sur les sentiers et les fêtes de l’entreprise. On se souvient d’ailleurs de celle qui avait donné lieu au tournage de la pub du dernier Chameleon.

 

 

Autre nouveauté pour la marque de roue née au plus proche de Santa Cruz : cette dernière part à la conquête d’autres horizons avec les différentes marques du groupe Pon et notamment de Cervélo. Il faut donc équiper, et concevoir, des roues de route et de gravel. Un savoir-faire qui se cultive et qui nous invite à passer la porte du « carbon lab ».

 

 

Là-bas, on rencontre Fernando Hernandez qui nous guide entre les machines et les salles de test. On retrouve des tables de découpe et des moules de conception carbone comme nous en avons vu chez Mavic. Ici, on travaille main dans la main avec les usines asiatiques qui sont également équipées de scanner. Dans l’atelier à Santa Cruz, on retrouve des machines de test d’impact et de fatigue, une imprimante 3D et une chambre froide pour les lames de carbone imprégnées.

 

 

L’explication en accéléré du processus serait : découpez le carbone pré-imprégné de résine en lamelles adaptées à la taille de votre moule, positionnez les contre ce dernier. Glissez des vessies à l’intérieur puis enfournez le tout 60 minutes thermostat 6, et le tour est joué ! Vous vous en doutez, la réalité est plus complexe, et il faut évidemment prendre en compte bien d’autres paramètres pour arriver à la roue haut de gamme que vous installez sur votre vélo. Cet atelier installé à Santa Cruz permet ainsi  à la marque d’accélérer son processus de développement.

 

 

Le développement, on ne l’avait que peu évoqué jusque-là, mais c’est ici que se trouve un des véritables savoir-faire de la marque. Sans ce dernier, le « lifestyle » qui l’entoure est vain. Le saint des saints pourrait être le disque dur des ingénieurs, mais le coeur du savoir-faire se retrouve dans l’atelier de conception.

 

 

Quand on y rentre, on est accueillis par l’odeur de la graisse et des machines chaudes. Des blocs d’aluminium bruts côtoient des pièces usinées et des séries de cadres prototypes pendent au plafond. Pas de doute, on est au bon endroit. Toute l’équipe du département peut aller expérimenter et explorer des pistes en utilisant les machines. Ici, « we make stuff and we brake stuff » nous dit-on.

 

 

Plus l’usine s’équipe, plus il est possible d’aller loin dans les tests afin de se rapprocher de ce que la marque souhaite produire : des VTT solides et durables.

 

 

Il y avait tellement de choses à dire sur la conception des vélos qu’on vous prépare un article dédié à notre discussion avec les ingénieurs.

 

 

À cet atelier s’ajoute une salle de peinture pour continuer d’explorer : « freedom to share and express ideas ». On s’arrête justement sur ce poste crucial pour cette marque qui cherche à manier avec la même habileté le développement de machines de haute qualité et le développement d’une image moderne et créative.

 

 

Dans le choix des couleurs d’un vélo, tout est encore une question de timing : il faut savoir être en avance sur son temps, mais pas trop. C’est une des raisons pour lesquelles les retours des commerciaux sur les gammes actuelles de la concurrence sont assez peu écoutés. Sur un même vélo, la marque va chercher à proposer un coloris « ambitieux » et un coloris «  sage », mais l’ambition est toujours de surprendre. Pour arriver à cela, les designers se penchent sur leurs sources influences, qu’ils ne dévoilent d’ailleurs pas facilement et jouent avec la limite : qu’est-ce qui sera accepté par leur boss, Joe Graney ?

 

 

La mode, l’art et des sports comme le snowboard sont au coeur de toutes les attentions pour eux, mais ils échangent également avec les designers de marques partenaires comme les constructeurs de suspensions pour connaître les pistes à explorer. Par dépit, certains éléments sont mis de côté car trop difficiles à travailler en accord avec les autres composants.

 

 

On nous glisse également que tous les vélos n’autorisent pas la même prise de risque, un Chameleon devra plaire à tout le monde, et un Blur devra durer dans le temps, mais d’autres vélos laissent plus de place à l’expérimentation. Pour les designers, le graal existe toutefois : les vélos du Santa Cruz Syndicate qui permettent de s’exprimer sans vraiment se fixer de limites.

 

 

À force de parler de conception de vélo, on oublierait presque d’en faire. Quand on sort de l’entrepôt où les camions viennent récupérer les vélos fraîchement montés, on file à la pédale vers les bois de Santa Cruz. On est au bout de la Silicon Valley et Santa Cruz est une petite ville portuaire qui a grandi au carrefour des influences des cultures hippies, outdoor et de la tech plus récemment. Comprenez par là que la vie y est chère, mais qu’il fait bon y flâner quand on est un touriste de passage.

 

 

Dans les bois, peu de sentiers sont véritablement officiels et balisés, mais ça grouille dans tous les sens. N’oublions pas que Santa Cruz n’est pas la seule marque à officier dans les environs. On peut facilement croiser les équipes de Specialized ou même d’Ibis qui ne sont jamais très loin.

 

 

Au coeur des forêts mêlant eucalyptus et « red woods », on se laisse emporter sur des sentiers particulièrement « flowy » et subtilement travaillés. On peut trouver de la pente comme des boucles de XC et on doit dire qu’on s’est régalé à chaque boucle de fin de journée. L’esprit de Santa Cruz, on le retrouve dans l’usine, mais également dans ces bois et dans les bars qui vous servent une IPA locale sous des guirlandes lumineuses entre deux « food trucks ».

 

 

Pour pousser le cliché un peu plus loin et prendre le pouls de la marque, on affronte au bowling, dans un duel qui ne restera pas dans les annales, Joe Graney, le CEO de l’entreprise. Pas de chichi, quand il est question de bosser, ça file droit, mais quand la cloche a sonné tout le monde s’amuse.

 

 

On aurait du s’en douter depuis le début mais un détail a failli nous échapper : on s’arrête devant deux petites statuettes qu’on retrouve sur plusieurs bureaux. Deux statuettes à la tête montée sur ressort qu’on retrouve au showroom de Morzine, dans l’atelier du parc test ou dans le bureau du boss. Les statuettes de Scotty et de Willie.

 

 

Pourquoi eux ? Tout simplement parce qu’ils sont deux des plus anciens employés de la marque et qu’ils représentent à eux seuls une partie de son histoire et de son identité.

 

 

Quand on croise Scotty, Scott Turner de son vrai nom, on se laisse guider dans les rues de Santa Cruz comme dans celles de San Francisco, au point où on oublie de le prendre en photo d’ailleurs. Il incarne l’histoire de la marque, mais il fédère pourtant les designers autour de lui et il a à sa charge les réseaux sociaux de l’entreprise. Vous imaginiez un « cool kid » sorti d’école ? C’est raté. Il nous guide dans des ateliers d’artistes au coeur de San Francisco chez son ami Chris Mcnally qui peint, dessine et gravite autour de l’univers du vélo en étant pratiquant lui-même. Entre le skatepark du quartier et une bonne adresse de restaurant mexicain, Scott se déplace en Santa Cruz Stigmata et nous prouve que la machine est surtout un vecteur de découverte, de quelque nature que ce soit.

 

 

De retour à proximité de l’usine Santa Cruz, on s’arrête à hauteur d’un grand atelier et du pickup rouge de Willy. À l’instar de Scott, Willy Bulian est fidèle à sa statuette, à moins que ça ne soit l’inverse. Il toque d’abord chez ses voisins de la marque artisanale de vélos Rock Lobster avant de nous ouvrir les portes de son « workshop » qu’il partage avec un autre fan de belles machines.

 

 

Il nous a fallu un petit moment pour comprendre que dans ce garage et cette mezzanine se rassemblent des morceaux d’histoire du vélo et de la moto, liés à des expérimentations, des bricolages et un atelier d’artiste.

 

 

Chez Santa Cruz et Juliana, Willy s’occupe de la garantie qui court à vie sur les cadres et les roulements, et c’est avec le même niveau d’exigence qu’il vient travailler sur ses projets, peu importe leur nature – artistique, mécanique ou les deux. Arrivé il y a 22 ans dans l’entreprise, il était le second employé de la chaîne d’assemblage. Il a ainsi vu passer tous les vélos de la marque et il se démène régulièrement pour aller piocher une pièce détachée vieille de dizaines d’années dans certains de ses stocks. Aujourd’hui, son coeur balance entre le Highball, le Heckler et son « Ducati problem ».

 

 

Quand on se glisse à nouveau dans les bureaux, on croise Kiran MacKinnon qui s’occupe des cinématiques des vélos. Après avoir grandi dans l’atelier, il officie aujourd’hui en tant que « geek » en chef quand il est question de suspensions. On l’avait rencontré dans les Pyrénées et on le retrouve en Californie. Le tableau est complet.

C’est au détour d’un énième grand café et d’un cinnamon roll que s’arrête notre découverte de la marque. C’est finalement la rencontre avec nos deux statuettes qui nous a permis de fixer un peu mieux ce qu’est Santa Cruz Bicycles. En Europe, on connaît ses vélos haut de gamme et toute l’histoire moderne de la marque, et aux Etats-Unis, on réalise ce sur quoi la marque repose. On a découvert une entreprise qui ressemble à l’endroit où elle est née : punk et libre à son fondement, rêveuse et créative dans son développement et aujourd’hui à la pointe des attentions et des développement technologiques. Chaque période semble affecter les autres et on a hâte de voir comment la marque va continuer de grandir. 

Retrouvez bientôt notre discussion avec les ingénieurs et chefs produits de la marque. 

Retrouvez nos récents articles liés aux vélos de la gamme Santa Cruz : Hightower, 5010, Megatower, Heckler, Bullit, Tallboy, Bronson

Pour aller plus loin, et si notre visite guidée ne vous suffit pas, Santa Cruz a récemment mis en ligne une série de 4 vidéos où votre guide dans l’atelier ne sera autre que…Greg Minnaar. C’est par là : https://www.youtube.com/watch?v=gNKkCXU0gh0&list=PLhMaYMphRgBFeKnA3puat3f3av8CAP4qM 

ParPaul Humbert