Championnats du monde de VTT sur neige : à contre-pente

Par Léo Kervran -

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Championnats du monde de VTT sur neige : à contre-pente

Les 9, 10 et 11 février prochains auront lieu à Châtel les premiers championnats du monde de VTT sur neige, ou « snow bike » dans leur dénomination officielle. Une épreuve qui pose question, surtout dans le contexte actuel où d’autres disciplines nettement plus populaires auraient bien besoin d’attention et de soutien de la part de l’UCI. Explications :

Photo Alpine Snow Bike

Avant d’aller plus loin, entendons-nous bien sur le sujet : nous n’avons aucun problème avec le VTT sur neige et ses pratiquants ou pratiquantes. C’est une façon de faire du vélo qui doit offrir des sensations bien différentes de celles qu’on a sur des sentiers en terre ou en cailloux, et si ça plaît, tant mieux ! Ce qui nous dérange, c’est l’investissement de l’UCI dans une discipline presque inexistante et encore plus dans le contexte actuel.

De quoi parle-t-on ?

Du 9 au 11 février, Châtel accueillera les premiers championnats du monde de snow bike. Le guide technique récemment publié par l’UCI indique que l’épreuve est ouverte aux pilotes de 17 ans et plus avec un maximum de 15 femmes et 15 hommes par nation.

Photo Alpine Snow Bike

Le week-end de compétition comporte deux épreuves, une descente de 200 à 400 m de dénivelé type Super G avec des portes séparées d’au moins 25 m (sauf enchaînement spécifique qui peut les rapprocher à 15 m) et un Dual Slalom composé au minimum de 15 virages et 50 m de dénivelé négatif.

Chaque pilote doit participer aux deux épreuves et les deux vainqueurs (homme et femme) à l’issue du week-end seront récompensés avec le titre de « champion du monde de snow bike »… et 100 points pour le classement UCI DH. On reviendra sur ce dernier point un peu plus bas.

L’histoire du snow bike

Photo Alpine Snow Bike

Difficile, en réalité, de parler d’histoire du snow bike. Faire du VTT sur la neige, ça n’a rien de nouveau et ça se fait certainement depuis les débuts du VTT. C’est même ce qui a élevé certaines courses au rang d’icône, à l’image des départs sur glacier de la Mégavalanche et de sa voisine la Mountain of Hell.

Le sujet de ce jour n’a quant à lui pas vraiment d’histoire. Le « snow bike », tel qu’il est appelé par l’UCI, a fait son apparition dans les règlements de la fédération internationale le 1er janvier 2019. Une petite page, pour dire en résumé que la discipline est rattachée à la DH et qu’il est possible de lui organiser des évènements dédiés sous l’égide de l’UCI.

L’idée vient du français Eric Barone, qui s’est fait connaître par ses records de vitesse en VTT sur terre et surtout sur neige (227,72 km/h à Vars en 2017). Avec son équipe, il a imaginé un format et même conçu un circuit d’épreuves, qui s’est tenu pour la première fois en 2019 avec trois étapes : Châtel, Vars et Isola 2000. Jusque-là, il n’y avait pas vraiment d’implication des instances nationales et internationales en dehors de la reconnaissance officielle évoquée dans le paragraphe précédent.

Photo Alpine Snow Bike

Les premiers championnats de France de la discipline ont eu lieu en 2022 à Pra Loup. Sabrina Jonnier et Pierre Thévenard s’étaient imposés. L’édition 2023, prévue au même endroit, n’a jamais eu lieu et l’édition 2024 doit se tenir aux Gets une semaine avant les championnats du monde.

Qu’est-ce qui pose problème ?

Photo Alpine Snow Bike

L’Alpine Snow Bike d’Eric Barone (qui travaille toujours avec la FFC pour les championnats de France mais ne semble pas lié aux championnats du monde) version 2019, un circuit pour faire découvrir le VTT sur neige et éventuellement animer les stations partenaires, ça ne nous pose aucun problème. Ça a l’air plutôt ludique, c’est original, libre à chacun de s’y intéresser ou non.

L’organisation de championnats de France en 2022 prêtait à sourire, dans la mesure où la discipline n’avait même pas eu le temps de s’établir réellement. D’ailleurs, la liste de départ était bien représentative de la situation : seulement 2 femmes et 26 hommes étaient présents. Toutefois, on pouvait encore décider de ne pas y accorder trop de crédit.

Aujourd’hui, c’est la tenue de championnats du monde qui nous dérange. On pourrait même parler de farce, pour plusieurs raisons. D’abord, on parle d’une épreuve sans pratiquants. Le XC, l’enduro, la DH, même la pumptrack, toutes ces disciplines sont reliées à une véritable pratique. Le format en compétition a pu évoluer et s’éloigner un peu de la pratique de base mais le lien est encore évident. Pour le VTT sur neige, en revanche… Si on peut trouver quelques évènements ici et là en Europe, on ne peut pas vraiment parler de pratique établie.

Ceci dit, on a compris depuis un moment que l’UCI n’a pas grand-chose à faire de cet argument comme l’illustre l’existence des championnats du monde de XC e-bike (voire du XCE et du XCC mais leur histoire est différente et a un peu plus de sens).

Pourtant, ces championnats du monde de snow bike donneront bien des points UCI aux participants et l’offre est plutôt « alléchante » au regard de l’état de la discipline : de 100 points pour la 1ère position à 1 point pour la 25e. En comparaison, une victoire sur les championnats du monde de DH donne 300 points tandis qu’en coupe du monde, c’est 250 points. Surtout, puisque le snow bike est rattaché à la DH, les pilotes qui y récoltent suffisamment de points pourront s’inscrire en coupe du monde de DH. Mais avec quelle légitimité ?

D’ailleurs, ce serait dommage de s’arrêter en si bon chemin. Après l’épreuve sans pratiquants, découvrez les championnats du monde… sans « monde ». En effet, la France est le seul pays à avoir déjà organisé des championnats nationaux de snow bike. Même chez nos voisins alpins, où on pourrait imaginer que l’activité s’exporte facilement, on ne trouve aucune trace de la discipline. Des évènements de vélo sur neige ont existé, comme le Snow Bike Festival de Gstaad en Suisse mais une épreuve originale ici ou là ne suffit pas pour donner à une activité le caractère international normalement nécessaire à l’organisation de championnats du monde.

 

On passera rapidement sur le fait d’essayer de développer une discipline sur neige à l’heure où les effets du changement climatique se font largement sentir chaque hiver dans les massifs montagneux (entre autres) et que la plupart des stations alpines pourraient être contraintes à la fermeture d’ici la fin du siècle, voire dès 2050 pour les plus petites (bien que datant de 2019, cet article résume bien la situation et il est bien documenté : Skiera-t-on encore à la fin du siècle ? En complément, une autre analyse : Le ski, c’est fini ? Comment les stations françaises s’entêtent… ou se réinventent).

Enfin, tout ceci sonne encore plus faux avec les difficultés que rencontrent actuellement deux autres disciplines bien mieux établies : l’enduro et le marathon. Elevés l’année dernière au statut de coupe du monde à la faveur du « grand remaniement » entre l’UCI et Warner Bros. Discovery (lire Coupes du monde 2023 : vague de nouveautés sur toutes les disciplines ! et Le XC Marathon également dans l’accord UCI – Discovery), les deux disciplines semblent avoir été aussitôt abandonnées.

L’enduro connaît peut-être la pire intersaison de son histoire avec la disparition de nombreuses équipes et autant de pilotes sans guidon pour 2024 (voir Transferts XC, DH, EDR 2024 : le grand résumé) tandis que le marathon ne sait toujours pas à quoi s’attendre cette saison : aucune annonce n’a été faite au sujet de la coupe du monde, alors que le calendrier des autres disciplines est connu depuis octobre dernier (Coupe du monde 2024 : le calendrier).

Avec deux disciplines aussi populaires en difficulté, la décision de l’UCI de consacrer de l’énergie, du temps et des ressources à l’organisation d’une épreuve sans pratiquants et vouée à disparaître au lieu de diriger ses efforts vers celles qui en ont besoin apparaît peu judicieuse… pour le dire poliment.

Encore une fois, nous n’avons aucun grief ou a priori envers le VTT sur neige en tant que tel. Dans d’autres circonstances, nous aurions pu nous intéresser de bonne foi à cette nouvelle activité, tout en tenant compte du volet environnemental. Cependant, le contexte sportif et certains choix de l’UCI comme le rattachement à la DH et ses implications font qu’aujourd’hui, nous ne pouvons pas encourager cette épreuve.

 

ParLéo Kervran