Test nouveauté | Specialized Enduro 2020 : retour dans la bataille

Par Paul Humbert -

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Test nouveauté | Specialized Enduro 2020 : retour dans la bataille

Modèle emblématique de la marque californienne, le Specialized Enduro est de retour. Plus long, plus ouvert, plus beaucoup de choses… mais surtout bien différent de tout ce que la marque proposait jusque-là. C’est très nettement un descendant du Demo de descente, un lien de parenté qui en dit long. Présentation et prise en main sur les descentes du bike park de Northstar, en Californie. 

Si ce tout dernier modèle de Specialized Enduro a pointé le bout de son nez pendant l’EWS de Whistler (le modèle « camouflé » est à découvrir ici: www.vojomag.com/news/spyshot-un-nouveau-specialized-enduro-arrive/ ), le premier du nom a fait son apparition dans la gamme Specialized en 1999, bien avant que l’enduro ne prennent sa définition moderne. Du vélo polyvalent ayant un attrait particulier pour la descente, on passe à une machine capable de grimper pour atteindre des performances de vélo de descente. Ce qui change vraiment ? Le chrono compte et les tracés sont toujours plus exigeants. 

 

L’architecture du Specialized Enduro est toujours restée assez proches des grandes lignes déclinée par Specialized dans sa gamme globale. Avec ce nouveau vélo, la firme au grand S fait table rase des vélos « all-mountain » existants et assume sa filiation avec le vélo de descente dévoilé il y a quelques semaines et déjà vainqueur en coupe du Monde (on vous le présente ici : www.vojomag.com/news/specialized-demo-29-le-velo-de-loic-bruni-est-sur-le-marche/)

Ce nouveau Specialized Enduro 2020 développe 170mm de débattement à l’avant comme à l’arrière et s’équipe de roues de 29 pouces. Le Specialized Enduro S-Works est construit à 100% en carbone quand les autres modèles se passeront des basculeurs dans ce matériau. 

 

Sa cinématique reste toutefois fidèle au FSR, qui positionne la roue arrière sur les haubans et la désolidarise ainsi du triangle avant, mais se décline d’une bien différente manière. Le point de pivot principal, positionné jusque-là au dessus du boitier de pédalier, avance considérablement.

L’amortisseur, pris en « sandwich » entre deux basculeurs, est relié à une biellette haute qui assure la connexion avec le triangle avant. Ces « nouveaux » liens permettent ainsi à Specialized d’affiner la courbe de suspension.

D’aspect complexe, cette cinématique est pensée dans le même but que sur le Demo de descente : réduire l’impact des chocs les plus frontaux qui viennent déstabiliser le pilote et freiner le vélo, comme pris dans un trou. C’est tout un travail autour de ce que les ingénieurs appellent « l’axle path » qui est réalisé. Quand la suspension est sollicitée, l’axe de la roue arrière va reculer et le vélo va s’allonger. Pour le rider, c’est un gain de stabilité qui est avancé, ainsi que de confort. La marque annonce avoir mesuré l’impact des chocs au travers de capteurs positionné sur les pédales des testeurs. 

La marque annonce également augmenter la valeur d’anti-squat (de l’ordre de 40% par rapport au précédent Enduro) et l’efficacité globale du vélo au pédalage. La marque annonce maintenir ces performances peu importe l’avancée dans le débattement ou le rapport sélectionné. 

 

Face à ces choix techniques se posent les mêmes question que sur le vélo de descente : pourquoi ne pas encore aller plus loin dans le recul de la roue arrière, ou pourquoi ne pas opter pour un système de renvoi de chaîne pour libérer la suspension ?

 

 

La marque répond avoir cherché le meilleur compromis entre performance et conservation du dynamisme du vélo. Pendant le travail de la suspension, l’axe de roue arrière va reculer dans un premier temps, avant de revenir vers l’avant. Le vélo ne va ainsi pas s’allonger indéfiniment pour ne pas déstabiliser son pilote, sur-solliciter la transmission ou compromettre le pédalage. Specialized décline également toute solution à renvoi de chaîne, jugée trop éprouvante pour la transmission et peu adaptée à l’enduro. 

 

Dans tout ce travail autour de la suspension, Specialized était à la recherche de « subtilité » en début de course puis d’un comportement plus progressif pour arriver à un niveau d’absorption, élevé sans pour autant tomber dans le piège de la suspension « sans fond » qui irait à l’encontre du dynamisme de la machine dans certaines portions. Specialized annonce également avoir développé son propre réglage de suspension, baptisé « Rx Tune ». 

Côté géométrie, Specialized change également progressivement de politique en basculant sur ce que la marque appelle le « S Sizing ». Une bonne idée, même si cette dernière peut laisser place à un débat. En quelques mots, Specialized s’appuie sur les performances et les débattements augmentant des tiges de selle télescopiques pour proposer des cadres avec des tubes de selle assez courts et n’augmentant pas proportionnellement à la taille du cadre. Ce qui augment en revanche, c’est le « reach », la distance reliant l’axe du boitier de pédalier à la douille de direction, voire au cintre. Specialized met ainsi en avant la possibilité de choisir un vélo qui correspond à ses goûts et son style de pilotage, sans compromettre les performances au pédalage. Vous mesurez 1m78 et vous vous trouvez souvent entre deux tailles ? Si vous aimez les vélos courts, nerveux et agressifs, passez sur le S3. Si, au contraîre, vous préférez les vélos longs, stables et sécurisant, passez sur le S4. Les deux pédaleront aussi bien. 

Voilà pour le bon côté. La limite que l’on repère, c’est la difficulté du choix pour le client de la marque qui, sans avoir eu la chance de rouler sur le vélo ou sur un modèle similaire, aura très certainement du mal à faire son choix. Rares sont les personnes ayant l’occasion de monter sur des dizaines de vélos différents pour réellement connaître ses préférences et ses points forts. Décliné dans un premier temps sur des vélos de niche comme le Stumpjumper Evo ou sur le vélo de descente, cela va peut-être poser des problèmes avec ce nouvel Enduro. 

Le reach, sur un vélo en taille S3 (ou équivalent « Medium »), est fixé à 464mm. Les bases mesurent 442mm de long, l’angle de direction est de 63,9 degrés et l’offset de la fourche est de 46mm.

 

 

Côté construction, la marque a dû trouver le fragile équilibre entre légèreté, robustesse et dynamisme. La marque s’est concentrée sur une version carbone qui est déclinée dans toute la gamme. Avec le travail réalisé sur le Stumpjumper Evo carbone (EDIT : distribué en version COMP dans nos contrées), la marque avait déjà quelques belles idées pour optimiser la rigidité du vélo. Comme sur le cadre du Demo, des couches de carbone ont été ajoutées sur des prototypes pour ajuster au mieux la rigidité du vélo. Specialized annonce également adapter le rigidité de chaque vélo proportionnellement à la taille choisie, afin de maintenir un comportement homogène, et ce peu importe la taille. 

Specialized lance ce nouveau vélo en carbone, mais on pourra très certainement s’attendre à un élargissement de la gamme avec un modèle en aluminum.

 

 

Le vélo est conçu pour encaisser les pires atrocités et permet l’installation d’une fourche de 180mm, d’un amortisseur à ressort et de très gros pneus. 

On se pose évidemment la question des tailles de roues et d’une éventuelle différenciation 29-27,5, très en vogue en ce moment. Specialized a fermement considéré cette option, mais manquant de perspective et de recul, a préféré ne pas se lancer immédiatement dans l’aventure. 

 

 

La nouvelle cinématique est un gros changement sur le vélo, et il en entraîne bien d’autres. Le centre de gravité du Specialized Enduro 2020 est abaissé, la rigidité du tube inférieur est augmentée, ce qui permet « d’alléger » le haut du vélo avec plus de flex et des roulements plus étroits.

La marque conserve certains incontournables comme la Swat Door et un poids que Specialized annonce équivalent au précédent modèle (avec du débattement supplémentaire sur cette nouvelle version). Les finitions sont de très haut niveau avec de belles protections de cadre et des courbes taillées pour ne pas gêner le pédalage. 

Les passages des quelques câbles restants sont intégrés au carbone de la plus belle des manières.

Specialized décline le Specialized Enduro en 4 versions aux triangles avant et arrière en carbone. Le S-Works très haut de gamme se distingue par ses biellettes et basculeurs en carbone également (250g plus légers). En alu sur les autres versions, il pourront être achetés séparément. Côté tarif, l’entrée de gamme est fixé à 4999 euros, puis 5999 euros, 6999 euros et 10.999 euros pour le S-Works. Un cadre S-Works est également commercialisé au tarif de 3999 euros. 

Sur ses 4 tailles, des tiges de selle de 150 à 170mm de débattement sont installées. On remarque également l’abandon de la tige de selle « maison » Command Post qui occasionnait trop de retours SAV. 

Prise en main | Specialized Enduro S-Works 2020

C’est dans le cadre du même voyage que pour la présentation de l’Epic HT que nous avons découvert et pris en main ce nouveau Specialized Enduro 2020. Nous grimpons sur la machine au pied des spéciales du « Northstar Resort », une station de ski du nord de la Californie qui accueillera la manche américaine des EWS fin août.

 

 

Le terrain est très sec et fuyant, même si les pluies de l’hiver ont permis d’ajouter une petite touche de verdure aux spéciales. On commence notre prise en main par une montée, et on doit reconnaître qu’au train, le Specialized Enduro ne laisse pas transparaître son augmentation de débattement et son récent « body-buildage ». L’angle de direction, très ouvert, ne permettra évidemment pas de concurrencer les modèles « all-mountain », mais nous sommes face à une grosse machine qui pédale plutôt bien. 

 

 

On apprécie d’ailleurs la tige de selle à grand débattement (170mm) sur notre modèle S4 qui nous permet d’être confortablement installé dans toute situation (hauteur de selle : 79cm). Notre modèle de test S-Works est équipé de la Rockshox Reverb AXS et on doit admettre que son fonctionnement est assez bluffant.

En pédalant, sur ce nouveau Specialized Enduro, il est difficile de ne pas penser au Santa Cruz Megatower présenté ( juste là : www.vojomag.com/test-nouveaute-santa-cruz-megatower-le-bromad-lt/ ) plus tôt cette année. La marque « voisine » s’est également lancée corps et âme vers une vision plus poussée de l’enduro, au contact des compétiteurs et des terrains les plus durs, quitte à perdre quelques pratiquants et amateurs du précédent « Enduro ». 

 

 

On se souvient, au guidon du Megatower, d’un vélo archi-capable, qui pédalait lui aussi très bien mais qui avait tendance à « s’ouvrir » et s’allonger un peu trop dans la compression, nous amenant parfois vers le sous-virage. Nous avions corrigé ça et trouvé notre équilibre en ajoutant des spacers dans l’amortisseur pour arriver à plus de progressivité et de dynamisme. Sur le nouveau Specialized Enduro, on retrouve un vélo très similaire dans son approche, son comportement et ses capacités, mais sans ce petit souci d’adaptation. 

On trouve vite nos marques et, comme la marque l’expliquait, on ne plonge pas excessivement dans le débattement sur les impacts moyens et on garde une machine plutôt vive. 

On se lance rapidement sur de gros drops et des passages bien défoncés et le vélo reste très à l’aise. Il en garde très clairement sous la pédale et il faudra le brusquer sur nos sentiers. On a véritablement affaire à un enduro « nouvelle définition ». Si ses capacités sont grandes, on perd en polyvalence, ou du moins on réduit son spectre d’utilisateurs potentiels. Pour tirer le meilleur parti de ce vélo, il faut charger la machine, ne pas hésiter à la brusquer et à prendre de la vitesse. Dans ce cadre là, le vélo est redoutable. En dehors, un Stumpjumper sera plus à l’aise. 

Le compromis de rigidité semble bien trouvé au niveau du cadre, la machine file droit, on reste bien en contrôle et on ne se fatigue pas excessivement à son guidon. Le terrain très fuyant rendait le grip précaire, mais pas inexistant grâce à une bonne sensibilité sur les petits chocs et un vélo travaillant au contact du terrain. 

 

 

On retrouve également un futur pneu Specialized Butcher avec un renfort au niveau des flancs et crampons latéraux. Les pavés centraux sont également revus et permettront désormais une transition plus délicate vers les flancs. Le pneu sera disponible en carcasse Control, BLCK DMND et dans une nouvelle version intermédiaire baptisée GRID Trail. Le tout sera commercialisé seul début septembre 2019. 

 

 

Côté point négatif, on se fait « brasser » au niveau des mains. L’avant du vélo est très rigide et on perd en force dans les sections les plus rapides. Difficile d’établir d’où cela provient : une fourche non rodée ? Un cintre en 35mm ? Un cintre en carbone trop rigide et (trop) large de 810mm ? Dans tous les cas, pour une prise en main plus longue, nous aurions probablement procédé à de petits ajustements, en commencant notamment par réduire la largeur du cintre. 

Côté composants justement, sans rentrer dans le détail de la fiche technique très haut de gamme, on remarque tout de même l’apparition du logo « Roval » sur le cintre en carbone. Jusque là réservé aux roues « maison », il atteste de l’extension de cette gamme aux composants.

 

 

On quitte ce Specialized Enduro S-Works archi haut de gamme après une prise en main qui en appelle une suivante. Après ce terrain très orienté « bike park », on rêve de lancer cet Enduro dans des sentiers plus naturels et lui faire rencontrer de la bonne terre meuble. Une chose est certaine, nous ne sommes pas montés sur une nouvelle itération du Specialized Enduro, mais bien sur une toute autre machine qui participe à une nouvelle définition de ce qu’est « l’enduro ». Plus radical, et en même temps toujours plus capable, le Specialized Enduro 2020 est une machine à glisser entre des mains averties, qui auront tout le loisir d’en faire bon usage. 

Plus d’infos sur le site de la marque : www.specialized.com/fr/fr/shop/bikes/mountain-bikes/trail-bikes/enduro/c/enduro

Photos d’action : Harookz & Dylan Dunkerton

ParPaul Humbert