Test | Yeti 160e : Veni, vidi, vici

Par Léo Kervran -

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Test | Yeti 160e : Veni, vidi, vici

Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion d’essayer un Yeti, alors un e-bike Yeti… Lancé il y a un peu moins d’un an, le 160e est la première machine à assistance électrique de la légendaire marque du Colorado. Le vélo a depuis attiré les regards, aussi bien pour le simple fait d’exister que pour sa suspension arrière très particulière, et nous avons pu passer les derniers mois à son guidon. Voici notre essai complet :

Lorsque Yeti a présenté le 160e en septembre 2021, la marque en a surpris plus d’un. Certains l’auront vu « céder » à la pression de ce marché en plein essor, quand d’autres se seront demandé pourquoi il aura fallu autant de temps, pour une marque habituellement peu frileuse lorsqu’il s’agit d’explorer de nouvelles choses.

Basé sur des roues de 29″ et développant 160 mm de débattement à l’arrière pour 170 mm à l’avant, le 160e coche sur le papier toutes les cases de l’e-bike d’enduro. Toutefois, en arrivant sur le marché en 2021, Yeti n’avait pas le droit à l’erreur et elle le savait. Des premières idées jusqu’au vélo final, ce 160e aura demandé pas moins de 5 ans de travail. Une période inhabituellement longue dans le milieu qui nous fait penser que Yeti n’est pas là par opportunisme mais a bien une idée en tête…

Châssis

Yeti oblige, le cadre est intégralement en carbone ou presque : seuls quelques éléments de suspension sont en aluminium. Si le vélo est décliné en deux niveaux de gamme (et de tarif), le cadre est strictement identique et tous les modèles sont en carbone haut de gamme, celui que Yeti appelle Turq Series. A ce jour, aucune version « accessible » en carbone C/Series, au comportement similaire mais plus lourd, n’existe au catalogue. Notons au passage que, comme tous les cadres Yeti, il est garanti à vie.

Mis à part la suspension, sur laquelle on reviendra plus tard, c’est surtout la finition qui attire l’œil sur ce 160e. En effet, les lignes du vélo sont relativement classiques, elles donnent presque l’impression que Yeti a cherché à faire « au plus simple » pour revenir à ce qui fait, visuellement au moins, l’essence d’un vélo.

Les angles semblent arrondis juste ce qu’il faut, les arêtes présentes mais pas obscènes et les volumes équilibrés, encore plus dans ce coloris gris-bleu Rhino qui adoucit le tout (pour les aficionados de la marque, l’iconique Turquoise est également proposé). Ni exagérément agressif ni randonneur placide, le Yeti 160e paraît juste neutre. Une façon d’évoquer la polyvalence et de promettre une aisance sur tous les terrains ?

Quand on regarde de plus près toutefois, le vélo fourmille de bonnes idées qui rappellent qu’on est en présence d’une machine de luxe. Bien sûr, le badge sur la douille de direction fait toujours son petit effet, mais on pense plutôt à d’autres choses comme la qualité de la peinture et des liaisons entre les différents éléments. Tout s’intègre parfaitement et naturellement, il n’y a pas un seul cache mal ajusté, pas une seule pièce mal finie ou avec un angle laissé un peu trop brut…

Le passage de câbles vaut à lui seul son pesant d’or : regardez notamment ces guides autour du moteur pour la Durit de frein arrière et le capteur de rotation de la roue ! On retrouve la même chose devant, avec en prime un cintre spécialement dessiné par Yeti pour faire courir le câble de la commande sous la poignée puis en interne avant de ressortir juste à côté de l’ordinateur de bord. Preuve qu’il n’y a pas besoin de passage dans le jeu de direction pour faire quelque chose de beau et propre !

On note aussi un guide-chaîne conçu sur mesure par OneUp Components, partenaire de l’équipe engagée en Enduro World Series, ou encore de généreuses protections aussi bien sur le tube diagonal que tout autour de la chaîne.

Assistance

Au niveau de l’assistance, Yeti a choisi le système Shimano et contrairement à d’autres marques qui sont allées chercher une batterie ailleurs (on pense notamment à Canyon, Norco ou Santa Cruz), la marque californienne a pris l’ensemble au complet.

On a donc le désormais bien connu moteur EP8 avec sa petite commande habituelle, l’écran de contrôle repris du Di2 et une batterie de 630 Wh, la plus grande capacité actuellement au catalogue de Shimano. Pas de construction particulière du cadre ou quoi que ce soit qui limiterait son accès, elle est amovible par le dessous du tube diagonal de la façon la plus simple qui soit. Impossible, en revanche, de la compléter par un Range Extender ou de monter le 160e en double batterie.

Suspension

Côté suspension, c’est là où les choses deviennent intéressantes… ou complexes, à vous de voir. On vous parlait de simplicité esthétique dans la partie sur le châssis mais techniquement, c’est une autre histoire. Une toute autre histoire, même.

Vous le savez, Yeti est coutumier des suspensions originales : à la fin des années 2000, l’amortisseur du 303 DH était ainsi monté sur un rail puis a suivi le Switch, un point de pivot sur excentrique qui a, à son tour, donné naissance au Switch Infinity, un point de pivot coulissant qui équipe depuis plusieurs années l’essentiel des vélos de la marque.

Le Switch Infinity sur un SB5c en 2014

Le problème, c’est que le Switch Infinity est un peu encombrant et à ce titre difficilement compatible avec l’architecture d’un e-bike, qui a besoin de place pour loger le moteur et la batterie. Yeti a donc dû réfléchir à une façon d’arriver à ses fins et c’est ainsi qu’est né le Sixfinity. Comme le nom peut le laisser imaginer, il s’agit d’un système six bar linkage qui se veut proche, en termes de courbes et de ressenti sur le terrain, de ce qu’offre le Switch Infinity. On est bien avancé avec ça…

Reprenons : le six bar linkage, c’est une architecture avec 6 liaisons plutôt que 4 comme dans les 4 bar linkage dont on a l’habitude. Imaginez un 4 bar linkage avec point de pivot sur les bases, rajoutez un basculeur entre les bases et le cadre, reliez-le au basculeur de l’amortisseur et vous aurez l’idée générale. Au passage, pour vous éviter une migraine, n’hésitez pas à aller vous rafraîchir la mémoire sur tous ces termes avec notre lexique des suspensions !

Et ce qu’offre le Switch Infinity ? Ce système se distingue notamment par deux particularités : un anti-squat assez constant pendant une partie du débattement avant de plonger brusquement et la possibilité d’ajuster indépendamment du reste le ratio de la suspension.

Avec le Sixfinity, Yeti a donc cherché a retrouver cette flexibilité, tout en s’adaptant aux contraintes de l’e-bike. La clé du système, ce sont les trois biellettes : la Rocker Link en haut, la Timing Link en diagonale et la Switch Link en bas. Poussée par la roue arrière, la Rocker Link est le maître du dispositif.

Elle vient actionner l’amortisseur mais en se déplaçant, elle « commande » aussi la Timing Link qui est reliée à la Switch Link. Comme son nom l’indique, cette dernière change de sens de rotation au cours du débattement : elle tourne d’abord vers l’avant car poussée par les bases puis repart en arrière au « point d’inflexion », sous l’action de la Timing Link. Prenez le temps de regarder l’animation ci-dessus, une image animée vaut encore mieux que des mots et au final, c’est plutôt clair !

Côté chiffres, cette architecture développe 160 mm de débattement tandis qu’une fourche de 170 mm est montée à l’avant. On remarque que l’anti-squat n’est pas exagérément haut, de façon à préserver du grip au pédalage : il n’excède pas 109 % au sag sur le plus grand pignon. Comme expliqué un peu plus haut, il plonge ensuite au point d’inflexion lorsque la Switch Link change de sens, de façon à libérer la suspension sur les plus gros impacts.

Par ailleurs, le Sixfinity permet au 160e d’offrir une belle constance à travers toute la cassette : il n’y a pas plus de 9 % de variation d’anti-squat entre tous les pignons au sag, ce qui signifie que la suspension offrira un comportement très similaire au pédalage sur tous les rapports.

Enfin, et parce que c’était encore trop simple, cette suspension est ajustable grâce à un petit flipchip. Enfin, deux flipchips plutôt. D’origine, le vélo est monté avec l’amortisseur en position neutre, au centre, et offre 30 % de progressivité. Cependant, on peut aussi passer à 25 % (position avant) ou 35 % (position arrière) de progressivité en remplaçant cette pièce par un autre modèle, réversible.

On le voit sur les courbes ci-dessus, cela influence surtout le ratio de départ et si on aura l’occasion de vous en reparler un peu plus bas, sachez déjà que cela a une grande influence sur le comportement du vélo.

Géométrie

Retour sur des sujets plus simples avec la géométrie. Pour le 160e, Yeti a opté pour des cotes équilibrées, propre à faire du vélo un (très) bon descendeur sans le rendre inaccessible ou encombrant pour autant. On a donc un angle de direction de 64,5°, un reach de 460 mm en taille M ou 480 mm en taille L et des bases de 446 mm, relativement courtes pour un e-bike. Côté pédalage, l’angle du tube de selle de 78° devrait assurer une excellente position tandis que le boîtier de pédalier assez haut (350 mm) préviendra des chocs entre les manivelles et les obstacles.

Equipements

Nous avons reçu ce Yeti 160e dans son montage le plus haut de gamme, baptisé T1. Comme de coutume, Yeti fait confiance à Fox pour les suspensions et dans cette version, on a logiquement ce qui se fait de mieux : une 38 Factory Grip2 en 170 mm de débattement à l’avant et un Float X2 Factory à l’arrière, pour contrôler les 160 mm de la suspension 6Finity.

Côté freinage, on passe sur Sram avec des Code RSC, en disque de 220 mm devant et 200 mm derrière. Rien que ça ! Par contre, ce sont encore les anciens disques Centerline et pas les nouveaux HS2, plus performants. Ces derniers venaient en effet de sortir quand Yeti a annoncé le 160e et on imagine qu’ils n’étaient pas encore disponibles.

Surprise, ce n’est pas du Sram pour la transmission mais du Shimano ! Yeti s’est ici accordé avec le moteur et a retenu un groupe Deore XT, avec la cassette 10-51.

Le train roulant est composé de roues DT Swiss EX 1700 en aluminium et de pneus Maxxis, modèle Assegai en carcasse Exo+ à l’avant et DHR II en version DoubleDown, plus lourde mais plus solide, à l’arrière.

Pour finir, les périphériques sont assez éclectiques : on a une tige de selle RockShox Reverb AXS sur laquelle est montée une selle WTB, un cintre Yeti en carbone et au standard 35 mm, une potence Burgtec en 50 mm (et non une RaceFace comme sur notre vélo) et des poignées Odi.

Comme d’habitude chez Yeti, le tarif pique… beaucoup. Comptez 13 599 € pour ce modèle au montage cohérent et haut de gamme mais très loin d’être exceptionnel compte tenu de la somme demandée. Sur la balance, notre vélo d’essai en taille L affichait 23,6 kg sans pédales.

Versions et tarifs

Yeti est distribué par Tribe Sport Group en France et la société a retenu les deux modèles de la gamme dans son catalogue. Si le 160e T1 est trop cher pour vous, vous pouvez donc vous rabattre sur le 160e C1, affiché à « seulement » 11 288 €. Une affaire, quand on met ce prix en rapport avec l’équipement : fourche Fox 38 Performance, amortisseur Fox Float X, transmission Shimano SLX, freins Sram Code R et roues DT Swiss E 1900.

Le Yeti 160e sur le terrain

Assez de blabla, place à l’action ! Sur les sentiers, le 160e n’a cessé de nous surprendre, en bien. Au pédalage d’abord, car on ne l’attendait pas forcément sur ce terrain vu son débattement ainsi que l’image et l’identité de Yeti.

Pourtant, le vélo s’est révélé un très bon grimpeur, accompagnant fidèlement son pilote sur tous les terrains. L’assistance Shimano EP8 n’est bien sûr pas pour rien là-dedans, on apprécie toujours son ergonomie, son naturel et sa douceur mais sans un bon cadre, elle ne pourrait pas s’exprimer.

Sur le 160e, la position est excellente, le cabrage maîtrisé et la suspension bien dosée pour offrir de l’adhérence sans s’affaisser. Difficile de croire que ce n’est que le premier e-bike de Yeti !

En descente, la relation fut plus compliquée, jusqu’à que nous comprenions le secret de ce 160e. Nos premières sorties se sont faites sur des sentiers plutôt flow, tracés pour le vélo et entretenus. Le Yeti s’est révélé surprenant sur ce terrain, dynamique et presque joueur même dans des enchaînements serrés.

Par la suite, nous avons basculé sur des traces plus naturelles et ce fut une immense déception. La machine offrait un tout autre visage, lourde et littéralement plantée de la roue arrière, difficile à bouger, peu confortable sur les chocs… Les ingénieurs de Yeti auraient-ils conçus un e-bike de bikepark ?

Il nous restait cependant à tester les différentes positions d’ancrage de l’amortisseur, puisque nous étions restés jusque-là dans la position neutre d’origine, soit 30 % de progressivité. Sans rien vous cacher, nous étions certes curieux de voir si cela allait avoir un effet mais nous n’en attendions pas grand-chose non plus… Erreur. Grosse erreur, et surtout grosse révélation derrière.

Comme vous avez pu le voir dans la partie Suspension, le passage à 35 % de progressivité augmente légèrement le ratio de départ (de 2.9 à environ 3.05), ce qui se traduit normalement par plus de sensibilité. Ces chiffres, nous ne les avons découverts qu’à la fin du test mais sur le terrain, la sensation fut immédiate.

Sans rien changer aux réglages de l’amortisseur en lui-même, on a découvert un vélo beaucoup plus vivant sur les sentiers tordus et piégeux de nos montagnes, avec une suspension qui fonctionne et qui absorbe les chocs en douceur, une roue arrière qui décolle plus facilement pour effacer une racine ou un caillou… Un vélo enfin équilibré, à la fois efficace, performant et confortable et même parmi les meilleurs du marché. Sacré changement d’ambiance !

En bikepark en revanche, le Yeti devient plus commun. Pas mauvais comme il pouvait l’être avec la position 30 % sur les sentiers techniques mais simplement confortable et passe-partout, sans rien pour le distinguer vraiment de la concurrence. Toutefois, on commençait à bien comprendre l’idée à ce moment et on a donc rapidement inversé l’ancrage pour passer sur 25 % de progressivité.

Au passage, félicitations à Yeti pour avoir réussi à développer un flipchip à la fois utile et très facile à changer sur le terrain. L’ensemble n’est composé que d’une vis et deux grandes pièces visibles qui tiennent bien en main, donc difficiles à perdre. Le changement peut se faire sur le terrain sans aucun problème (merci de penser aux journalistes et à leurs tests !) et prend à peine une minute pour quelqu’un qui l’a déjà fait.

Retour sur les virages relevés et les sauts avec le 160e en position 25 % qui descend le ratio de départ autour de 2,75. Comme on s’y attendait, c’est un régal : on a encore plus de dynamisme et de soutien que dans la position neutre et le vélo virevolte d’appui en appui comme peu d’e-bikes en sont capables. Une réussite !

Par la suite, nous avons vite cessé d’utiliser la position neutre, pour alterner seulement entre 25 % et 35 % selon le programme du jour. D’après notre expérience, c’est ce qui convient le mieux au vélo, ce qui lui permet réellement de s’exprimer et de dévoiler tout son (énorme) potentiel.

Verdict

Pour une première, Yeti a fait fort. Quand on pense à la vision qu’il a fallu, il y a 6 ans maintenant soit en 2016, pour orienter le projet dans cette direction, développer cette suspension, retenir cette géométrie, à une époque où un vélo de 18 mois peut presque être considéré comme de la génération précédente, on ne peut qu’être admiratif. Ce 160e, c’est tout simplement un des meilleurs e-bikes que nous ayons jamais essayés, capable d’être à l’aise et mieux encore, performant, sur tous les terrains. D’une certaine façon, il redéfinit la notion de polyvalence pour un vélo à assistance électrique grâce à ce petit flipchip magique. A part peut-être un peu d’autonomie supplémentaire pour se mettre à la hauteur de la concurrence, on ne changerait rien sur ce vélo. Seul défaut, mais de taille, le tarif est complètement absurde au regard des équipements. Rien de nouveau avec Yeti et on pourra dire que c’est le prix du luxe, mais nous ne pouvions pas ne pas le mentionner. Au final, impossible de lui donner cinq étoiles car il est bien trop cher mais pour tout le reste, que ce soit la cohérence de l’équipement, la finition ou le comportement, c’est un coup de cœur largement mérité.

Yeti 160e

13 599 €

23,6 kg(taille L, sans pédales)

  • Facilité de prise en main
  • Performances sur tous les terrains
  • Flipchip
  • Equipement cohérent pour la pratique
  • Pas de support d'accessoires sous le tube supérieur
  • Prix !

Évaluation des testeurs

  • Prix d'excellence
  • Coup de coeur
  • Rapport qualité / prix

Plus d’informations : yeticycles.com

ParLéo Kervran