Test nouveauté | Canyon Strive CFR 2022 : changement d’approche (bis)

Par Léo Kervran -

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Test nouveauté | Canyon Strive CFR 2022 : changement d’approche (bis)

C’est fou comme le temps passe vite en VTT. L’ancien Canyon Strive avait « seulement » 3 ans mais sa refonte était déjà attendue depuis un moment, tant sa géométrie apparaissait dépassée face aux enduros modernes et à l’évolution permanente d’un marché qui ne semble toujours pas avoir trouvé son point d’équilibre. Ne vous fiez pas aux apparences, si les lignes de cette 4e génération de Strive restent fidèles à l’histoire du modèle, il y a de très gros changement techniques et sur le terrain, le nouveau Strive n’a plus grand chose à voir avec ses prédécesseurs. Voici toutes les informations et nos premières impressions :

Présentée en 2019, la 3e génération de Strive était déjà une étape importante chez Canyon : c’était celle du passage aux roues de 29″, une première pour le modèle d’enduro depuis son apparition au catalogue de la marque allemande en 2014. Nous l’avions découverte à l’époque en version haut de gamme avant de passer du temps sur une déclinaison plus accessible (lire Test | Canyon Strive CF 6.0 : l’enduro pour tous) et elle nous avait fait l’effet d’une machine abordable, idéale pour découvrir l’enduro avec un potentiel intéressant en compétition à condition de choisir un montage plus haut de gamme.

Jack Moir l’a prouvé par la suite en remportant le titre mondial en Enduro World Series en 2021 mais impossible de ne pas remarquer que son Strive était généreusement modifié : fourche en 180 mm, entretoises partout où c’est possible… Dans le même temps, le Strive se retrouvait chahuté à l’intérieur même de l’offre Canyon par son petit frère le Spectral, sérieusement remanié entre l’hiver 2020 et l’automne 2021 (lire Nouveauté 2021 | Canyon : le Spectral passe au 29″ ! ainsi que Nouveauté | Canyon Spectral : la famille s’agrandit) et qui propose lui une vraie plateforme de petit enduro.

Il était donc plus que temps pour Canyon de prendre les choses en main et la marque n’a pas fait dans la demi-mesure, c’est le moins qu’on puisse dire ! Pour ce Strive 4e du nom, la décision a ainsi été prise de se recentrer sur l’ADN compétition de Canyon. En effet, on l’oublie parfois mais comme on nous l’a rappelé à juste titre lors de la présentation, c’est bien en enduro que la marque a lancé son tout premier Factory Team de VTT, bien avant les équipes de XC ou de DH. Canyon a donc une certaine légitimité à défendre dans ce domaine et c’est pourquoi le nouveau Strive se veut taillé avant tout pour la compétition au plus haut niveau… Quitte à perdre quelques éléments en route.

Hasard du calendrier, ce lancement fait drôlement écho au nouveau Santa Cruz Megatower dévoilé hier, et pour lequel la marque californienne a fait le chemin inverse : partir d’un vélo plutôt exigeant pour le rendre plus accessible et facile à piloter. Deux changements d’approche opposés pour deux vélos aux débattements identiques qui montrent bien à quel point l’enduro peut revêtir différents costumes.

Toutefois, vous aurez remarqué qu’à l’œil, on serait bien en peine de deviner que c’est bien à un tout nouveau vélo qu’on à affaire et pas simplement à un jeu de couleurs différent. Et pour cause, plutôt que de partir d’une feuille blanche Canyon avait à cœur de conserver certains éléments du précédent Strive : ainsi en est-il de la suspension arrière, dont les grandes lignes restent, et surtout du ShapeShifter qui est parfaitement identique à l’ancien.

Le ShapeShifter, kézako ? Introduit en 2015 et indissociable du Strive depuis, ce système permet de changer le débattement de l’amortisseur, sa courbe de compression et la géométrie du vélo d’une simple pression sur un levier au cintre. Ce nouveau Strive reprend la version 2.0 inaugurée par la précédente génération et qui fonctionne sur la base d’un tout petit amortisseur Fox conçu spécialement pour le vélo.

Lorsque la commande est en position Shred, l’amortisseur est verrouillé en position compressée et on profite du Strive « complet », avec les 160 mm de débattement de la suspension arrière. Lorsqu’on pousse sur le levier pour passer en mode Pedal, le petit amortisseur se détend naturellement et se bloque ensuite en position détendue, ce qui déplace la tête de l’amortisseur du vélo ainsi que le basculeur.

Le débattement se voit alors réduit à 140 mm et la courbe de suspension se fait moins progressive tandis les angles se redressent de 1,5° et le boîtier de pédalier remonte de 15 mm. On obtient ainsi un vélo plus pédaleur et aussi plus vif, plus poppy d’après Canyon. Pour revenir en position Shred, une pression sur le levier prévu et le petit amortisseur retourne se bloquer en position compressée en un ou deux chocs tout au plus, sans autre action nécessaire de la part du pilote.

Sur la suspension de manière plus générale, le débattement passe à 160 mm à l’arrière et 170 mm à l’avant sur tous les modèles, là où certains étaient en 150/160 et d’autres en 150/170 sur la génération précédente. Une augmentation mesurée que Fabien Barel, très impliqué dans le développement de ce vélo (on rappelle que le Strive était son premier projet après son arrivée chez Canyon en 2012), nous explique par la recherche de compromis inhérente à l’enduro.

En effet, un débattement plus important à l’arrière aurait son intérêt dans certaines situations mais ferait perdre trop de dynamisme sur le plat pour que ce soit réellement utile à l’aune d’une saison complète d’EWS et des différents terrains traversés.

Enfin, son comportement a été revu pour offrir un peu plus de sensibilité en début de course sans que cela n’affecte la fin du débattement (grâce aux 10 mm supplémentaires) et surtout un anti-squat mieux adapté à la situation : plus haut en position Pedal pour le dynamisme et la stabilité au pédalage, plus bas en position Shred pour limiter le kickback et optimiser l’absorption des chocs.

Pour la géométrie en revanche, c’est de révolution qu’il faut parler et pas simplement d’évolution. C’est simple, la comparaison avec le précédent Strive n’a même pas de sens tant le changement est important : la taille S est, à peu de choses près, l’équivalent de l’ancienne taille L !

En taille M, le vélo affiche désormais un reach de 480 ± 5 mm (oui, des coupelles dans le jeu de direction permettent d’ajuster le reach), un angle de direction de 63°, un angle de tube de selle de 76°, des bases de 435 mm ou encore un stack de 632 mm. C’est un fait, le nouveau Strive est long, très long, particulièrement de l’avant, et même bien plus que beaucoup d’autres vélos. De quoi être surpris et on se tourne à nouveau vers Fabien Barel, qui nous explique que pour Canyon, c’est tout simplement ainsi qu’un vélo d’enduro race doit être.

Autrement dit, aucun compromis n’a été fait pour rendre ce Strive plus accessible. La marque estime qu’un compétiteur mesurant 1m78 a besoin d’un reach de 480 mm pour être performant et tant pis si c’est trop long pour les autres, pour celles et ceux qui roulent plus tranquillement et ne cherchent pas la vitesse à tout prix. Un élitisme assumé auquel Canyon ne nous avait pas habitués jusque-là mais qui se justifie aussi par la « poussée de croissance » du Spectral, moins all-mountain et plus enduro que par le passé.

Un vélo long… et rigide ! Canyon a en effet retravaillé la forme de tous les tubes du triangle avant, ainsi que le layout du carbone (ici en version haut de gamme CFR) dans l’optique d’augmenter sa rigidité de façon conséquente. Résultat, un triangle avant 25 % plus rigide que l’ancien, donc plus stable et plus précis, notamment dans le défoncé à haute vitesse. Néanmoins, on nous promet qu’il n’y aura pas d’effet « bout de bois » ou « catapulte », les deux cas de figures désagréables voire dangereux qui peuvent vite se présenter si la rigidité est mal dosée : le triangle arrière est plus souple précisément pour éviter cela, en plus d’offrir du grip et un peu de tolérance.

Le cadre est annoncé à 2,7 kg avec le ShapeShifter, qui pèse à lui seul environ 200 g. Un poids qui reste honnête dans l’absolu pour un enduro en carbone mais c’est tout de même 300 g de plus que l’ancien. L’allongement du vélo et la rigidité accrue ont forcément des conséquences, encore plus quand on ajoute à cela la solidité nécessaire pour un cadre d’enduro en compétition.

On note par ailleurs que Canyon est allé à l’essentiel pour ce cadre : les gaines et Durits circulent dans des liner en mousse plutôt que des tubes intégrés aux parois du cadre et il n’y a pas (encore) de boîte à gants dans le tube diagonal, alors que toutes les marques semblent s’y mettre une par une. Heureusement, on bénéficie toutefois d’inserts sous le tube supérieur pour fixer un support d’accessoires, ce qui n’était pas le cas avant.

Seuls deux modèles sont prévus pour l’instant dans la gamme, le Strive CFR Underdog (4 999 €, à gauche) et le Strive CFR (6 299 €, à droite). Ce n’est pas dans les habitudes de Canyon d’avoir une gamme aussi restreinte et comme on remarque que ces deux machines ne sont équipées qu’en Shimano/Fox, on peut supposer que des montages Sram/RockShox arriveront plus tard dans l’année.

Le Canyon Strive CFR sur le terrain

Autant vous le dire tout de suite, nous n’avons pas beaucoup pédalé lors de cette découverte du nouveau Canyon Strive. La marque nous avait invités à Finale Ligure en compagnie de quelques autres journalistes et ici, les remontées en navettes sont reines lorsqu’il s’agit d’enchaîner les runs pour prendre en main un vélo.

On ne pourra donc pas se prononcer réellement sur les évolutions dans ce domaine, la seule chose que nous ayons eu le temps de ressentir étant la nette amélioration de la position. Un tube de selle droit, c’est beaucoup plus confortable et cela améliore considérablement l’équilibre du vélo lorsqu’on est assis sur la selle.

Le bon côté de la chose, c’est que nous avons pu enchaîner de nombreuses descentes rapidement pour apprendre à connaître la bête et travailler sur les réglages. Il faut dire qu’en partant avec l’ancien Strive en tête, on est complètement dépaysé et la première descente est compliquée. Sur une piste particulièrement exigeante et sans connaître toutes les bonnes trajectoires, on ne trouve pas le bon rythme et le vélo ne vient clairement pas nous aider.

En bas, retour par la case atelier et les réglages de suspensions. On oublie nos réglages habituels adaptés à des trails plus lents et sinueux et on bascule sur une philosophie beaucoup plus « course », beaucoup plus portée sur l’efficacité : rebond moins vif, plus de fermeté et de maintien. De toute façon, ce Strive n’est pas fait pour être joueur.

On remonte, on redescend, on ajuste légèrement, on remonte, on redescend… Vous avez compris l’idée, on enchaîne les passages et après trois descentes ponctuées de quelques échanges avec l’équipe Canyon, on finit par trouver un bon réglage en plus de commencer à bien connaître la piste.

Là, les choses deviennent d’un coup bien plus amusantes. Sur notre test de l’ancien Strive, nous écrivions « On n’est pas sur une machine qui a besoin d’être roulée à fond pour donner tout son potentiel. Non, le Strive se dévoile facilement et permet à n’importe qui, ou presque, de rouler à bon rythme, sans fatiguer le pilote. » Ici, c’est exactement l’inverse.

Ce Strive est fait pour rouler vite et fort, il faut lui rentrer dedans pour qu’il fonctionne. Littéralement : à basse vitesse, on se fait secouer et on s’enterre dans les appuis ou les virages étroits mais plus on arrive fort et fait l’effort d’engager la machine, plus le vélo encaisse et plus on ressort vite si le freinage était bien placé. On peut même basculer sur une autre piste, une fois qu’on a compris comment le vélo fonctionne et qu’il est bien réglé le pilotage à l’aveugle devient beaucoup moins problématique.

Les limites du vélo sont loin, très loin, au point que nous n’avons même pas eu la sensation de nous en approcher lors de cette prise en main. Grip sur l’angle, stabilité, équilibre, plus on attaque et plus le Strive dévoile son potentiel. On a l’impression qu’on peut lui en demander toujours plus et qu’il répondra présent quoi qu’il arrive. Grisant dans une optique performance ou compétition, à condition d’avoir le niveau technique pour aller le chercher et le niveau physique pour le tenir dans la durée.

La géométrie paraît longue et impressionne sur le papier mais lorsqu’on met le niveau d’engagement nécessaire et avec la vitesse qui vient derrière, c’est très vite beaucoup moins le cas. D’autant plus qu’on dispose d’une certaine marge de manœuvre avec l’ajustement du reach. A titre personnel et du haut de mes 1m79, je me suis senti bien sur la taille M.

Verdict

C’est peu dire que ce nouveau visage offert par le Strive nous a surpris. Le modèle devait évoluer, tant sous la pression du marché que des autres modèles de la gamme (Spectral et Torque) mais on ne s’attendait certainement pas à ce qu’il le fasse dans cette direction. En termes de comportement, ce nouveau Strive a tellement peu de rapports avec son prédécesseur qu’un changement de nom n’aurait même pas été choquant.Cette 4e génération de Strive est exigeante, exclusive et requiert un pilotage très actif, mais si on a le niveau pour l’exploiter, c’est très très efficace. Un petit jeu très addictif se met en place au fur et à mesure qu’on découvre son potentiel, celui de « qui craquera le premier, lui ou moi ? ».  Ce Strive, c’est comme une nouvelle saveur qu’on apprend à aimer : ça surprend au début, ça demande du temps, mais si on parvient à la comprendre on a qu’une envie, c’est d’y goûter à nouveau pour explorer toutes ses possibilités.

Plus d’informations : canyon.com

Photos Boris Beyer / Canyon

ParLéo Kervran