Test nouveauté | Canyon K.I.S. : le vélo à direction assistée ?

Par Jeffry Goethals -

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Test nouveauté | Canyon K.I.S. : le vélo à direction assistée ?

Si l’industrie du vélo est en permanente évolution, les technologies réellement nouvelles sont rares et il s’agit plus souvent d’améliorer par petites touches, par étapes. Avec la technologie K.I.S., Canyon apporte cette fois quelque chose de véritablement unique et innovant. Fruit d’une collaboration avec Syntace, ce système de stabilisation du guidon modifie subtilement mais radicalement la façon de conduire un vélo. Le concept nous a fait réfléchir profondément sur le fonctionnement de notre VTT bien-aimé lors de la présentation dans le sud de la France, et sur le terrain, nous avons dû constamment remettre en question des années d’habitudes… Voici tous les détails et nos (premières) conclusions !

C’est une invitation quelque peu étrange que nous avons reçue de Canyon. Un peu vague, il ne s’agit pas vraiment d’un nouveau vélo mais Syntace et Liteville sont également impliqués… Renseignements pris, ce serait au sujet d’un Spectral. Celui-ci vient pourtant tout juste d’être renouvelé (lire Test | Canyon Spectral CF 8 CLLCTV : un (très) bon élève un peu dissipé) et a même pris une dimension supplémentaire avec sa déclinaison Spectral 125… Ceci dit, on ne dit jamais non à deux jours de ride sur les pistes de Fabien Barel à Blausasc, encore moins quand on est déjà dans la région puisque la présentation avait lieu juste après le Roc d’Azur.

Pendant le Roc, de nouvelles informations sont arrivées dans notre boîte mail : il s’agirait apparemment d’une sorte de système de direction assistée et de stabilisation ?! Ce faisant, de nombreuses autres questions ont surgi dans nos esprits. Comment cela pourrait-il fonctionner ? Hydraulique, mécanique ou, suivant la tendance de toutes les nouveautés, électrique avec des batteries ? A-t-on vraiment besoin de ce genre de chose ? Pourquoi sur un Spectral et pourquoi pas, disons, sur un e-bike ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on était maintenant très curieux et que l’on attendait avec impatience cette présentation peu commune !

Étant donné qu’il s’agissait d’une présentation sur un « concept » plutôt qu’un nouveau produit à proprement parler, Canyon avait choisi de nous éloigner de l’agitation de la Côte d’Azur et de prendre du recul. Direction l’intérieur des terres et le pittoresque village de Peillon, via une petite route sur laquelle notre chauffeur a eu toutes les peines du monde à prendre certaines épingles. Heureusement que toutes les voitures modernes ont une direction assistée !

La théorie

Le K.I.S., initiales de « Keep It Stable », a été inventé par le propriétaire de Syntace et Liteville. L’objectif du K.I.S. est, comme sur les voitures ou les motos (et même les avions), de commencer à centrer activement la direction pendant la conduite le pilotage et d’aider en même temps à la force nécessaire pour maintenir l’ensemble stable dans un virage. Contrairement à d’autres concepts, le K.I.S. ne repose pas sur la friction ou l’amortissement. Vous êtes encore avec nous ?

Respirez un bon coup, on entre dans le vif du sujet… qui nous a été révélé lors d’une présentation que nous ne sommes pas près d’oublier. Imaginez un épisode de The Big Bang Theory avec Jo Klieber, de Syntace et Liteville, dans le rôle de Sheldon Cooper, et nous, avec Fabien Barel, dans celui des téléspectateurs. On a même cherché la caméra cachée dans la salle ! Puis nous avons torturé nos neurones pour suivre le fil de ses pensées (souvent improvisées) et enfin nous avons été impressionnés par l’histoire passionnée d’un scientifique qui a développé un système fondé sur la recherche et déjà profondément testé dans la pratique.

Quand on fait du vélo, tout commence par l’angle de direction. Qui, comme vous le savez, n’est pas droit (90°), mais se situe de nos jours quelque part entre 63° et 69°. On trouve les angles les plus ouverts ou droits sur les vélos de XC principalement et les angles les plus aigus ou fermés sur les machines d’enduro/DH. Mais les frontières sont de plus en plus floues.

Le rôle de cet angle est double : d’une part, il assure la stabilité et crée le trail (ou chasse), cette mesure dont on parle tant (voir Petit lexique illustré du VTT – Partie 1 : la géométrie). Il s’agit de la distance entre le prolongement de l’angle de direction et la verticale de l’axe de roue. Le déport de votre fourche l’influence également, puisqu’il déplace plus ou moins l’axe de roue vers l’avant. Un déport important réduira le trail, tandis qu’un déport faible (de plus en plus utilisé), l’augmentera. Quelle importance ? Plus que l’angle de direction, c’est la valeur de trail ou de chasse qui détermine la stabilité de la direction : plus cette distance est longue, plus la direction est stable.

D’autre part, l’angle de direction et la chasse correspondante « tirent » le point de contact avec le sol au-dessus des obstacles. Il suffit de prendre – comme Jo l’a fait pour nous – un balai, de fixer un clou à son extrémité et de percer une balle de tennis. Le manche du balai est votre fourche, son angle, l’angle de direction de la balle, le clou est votre chasse et la balle de tennis le point de contact de la roue avec le sol. La balle de tennis est tirée vers l’avant et peut donc être « tirée » par-dessus les obstacles. Si elle se trouve directement au bout du manche à balai (en d’autres termes, si la chasse était nulle), la balle de tennis tenterait de passer « sous » l’obstacle et vous vous arrêteriez brusquement.

Alors pourquoi pas un angle de direction de plus en plus fermé (aigu) ? Là encore, la réponse comporte deux parties. Il va sans dire qu’un angle de direction plus couché permet d’allonger l’empattement, mais il y a une limite à cela. Après tout, votre vélo a besoin de tourner dans les virages serrés.

L’autre problème c’est que lorsqu’on tourne le guidon, l’axe de roue descend, ce qui signifie que lorsqu’on remet la roue droite, il doit remonter. Faites l’essai sur votre vélo, vous verrez. Or, plus l’angle est couché, plus la variation de hauteur est importante. Ajoutez à cela le poids et la force que vous exercez sur votre guidon pour trouver de l’adhérence avec votre roue avant, et vous comprendrez que cette différence de hauteur, également appelée « wheel flop », coûte de l’énergie et provoque de l’instabilité.

Et si… quelqu’un avait développé un dispositif qui aide au re-centrage et qui donne de la stabilité lorsqu’on tourne ?

Le K.I.S. consiste en des ressorts modifiés, dans ce cas au nombre de deux et placés horizontalement l’un à côté de l’autre. Il y a un point de fixation dans le cadre et, par l’intermédiaire de deux bandes inextensibles (en fibres de polymère), ces deux ressorts sont reliés à un anneau de serrage autour du tube de direction. Cette bague de serrage n’est pas simplement ronde mais plutôt de forme elliptique. De cette façon, on obtient un comportement de direction stable, avec du soutien mais qui n’est jamais « serré » ou limitant, même dans les virages particulièrement étroits avec le guidon tourné à un angle extrême.

La force de centrage est initialement élevée – pour maintenir le guidon droit – mais la force du système semble ensuite quasi constante lorsqu’on tourne le cintre de 15 à 50 degrés. Bon, pour ça il faut faire confiance à Mr Klieber puisque que comme vous pouvez le constater, ce magnifique graphique ne comporte ni unités, ni valeurs.

L’intégration par Canyon

Comme on l’évoquait plus haut, le système K.I.S. a été développé par Jo Klieber, le propriétaire de Syntace et Liteville, et initialement testé de manière approfondie par son équipe sur les vélos Liteville. Puis Canyon est entré en scène et des tests supplémentaires (jusque sur des vélos de DH) puis de la mise au point ont été effectués ensemble pour le Spectral. La résistance des ressorts est particulièrement importante, de même que la forme de l’anneau de serrage. Tout comme une géométrie de cadre, ces éléments sont uniques à chaque modèle de vélo.

L’étape suivante était l’intégration. Il va sans dire qu’un système externe, adapté aux tests et rapide à changer complètement, peut aussi tomber en panne plus facilement, est plus exposé aux diverses projections et n’est tout simplement pas très attrayant visuellement. Ainsi, pour le Spectral, Canyon est allé jusqu’au bout de la démarche et a cherché une intégration totale.

Du point de vue du pilote, tout ce qu’on remarque sur la version finale c’est la vis de réglage sur le tube supérieur, qui permet de régler la tension du ressort en 10 secondes avec une clé hexagonale. En plus de cela, un œil averti repèrera également un petit boulon de fixation couvert en haut à gauche de la douille de direction et une plaque à l’avant du tube de direction, qui ne servent que pour l’installation du système K.I.S..

On ne voit donc pas le système et notre test terrain montrera qu’on ne l’entend pas non plus, et qu’on ne sent pas plus les frottements. Dans sa version actuelle, le K.I.S. ne pèse que 110-120 g et Canyon envisage même la possibilité de descendre à 50-60 g pour une version XC. Mais pour l’instant, ce système n’est disponible que sur un seul modèle de Spectral, le CF 8.

La marque explique que le choix du Spectral s’est rapidement imposé, car il s’agit d’un vélo extrêmement polyvalent, qui peut donc plaire à un public très large. De plus, c’est un vélo déjà performant dans cette version CF 8 (cadre en carbone, groupe complet Shimano Deore XT, suspensions Fox Performance Elite et roues DT Swiss XM 1700) mais encore relativement abordable. Le système K.I.S. lui-même augmente le prix de 500 € par rapport au modèle standard, mais à 4 999 €, ce Spectral CF 8 K.I.S. reste très compétitif par rapport à la concurrence.

Si vous avez trouvé cette partie théorique difficile à suivre (on ne vous en voudra pas), on vous conseille d’y revenir après avoir pris connaissance de notre expérience sur le terrain. Si nous avons bien fait notre travail, cela devrait vous sembler un peu plus clair.

Le test terrain

Il nous a été conseillé de commencer par le réglage intermédiaire (à 50 %) et de rouler avec ce réglage pendant au moins 40 minutes avant d’éventuellement l’ajuster. La première impression sur le parking est subtile. Le vélo semble en effet se recentrer plus rapidement mais il n’y a pas de réelle résistance lorsque l’on tourne brusquement et fermement le guidon.

La sortie commence par une montée sur route et là aussi, les sensations sont limitées et on commence déjà à hésiter à durcir le système K.I.S., mais on suit les directives de Canyon et on ne touche à rien. On remarque tout de même qu’il est beaucoup plus facile de rouler sans les mains. Arrive enfin la première descente, pas très rapide mais où il faut se diriger avec précision pour naviguer en toute sécurité entre les rochers et…

…Maintenant il y a un monde de différence. Les impressions de « conduite » habituelles et le retour terrain du vélo semblent totalement absents. On connaît pourtant le Spectral, la suspension est bien réglée, la pression des pneus est bonne, mais on roule quand même avec une drôle d’impression de flou, incertain et dubitatif. Vers la fin du sentier, des épingles plutôt serrées pointent le bout de leur nez. Vu nos sensations sur ces premières minutes, on ne peut pas dire qu’on les aborde très confiant…

Et pourtant, la première se passe exceptionnellement bien. On braque en haut, on tient le virage de manière stable et on peut facilement pousser le vélo à travers. Et ce, sans avoir un style de pilotage anguleux ou devoir bloquer la roue arrière. « Comment enrouler une épingle, épisode 1 » ! La suivante est encore plus serrée et sur notre mauvais côté qui plus est. Et là aussi, tout se passe très bien ! C’est comme si on pouvait transmettre l’adhérence de la roue avant à la roue arrière et logiquement, on retrouve très vite la confiance.

On prend le temps digérer tout cela autour d’un bon espresso, puis on saute dans la navette pour refaire la même piste mais avec cette fois le K.I.S. complètement désactivé. Dans la première section, pas de problèmes, on retrouve notre pilotage et nos sensation habituelles. Est-ce parce qu’on est maintenant échauffé et qu’on a trouvé la confiance ? Quelques secondes plus tard, retour sur terre. Dans les épingles, on roule de manière beaucoup plus anguleuse et il faut à chaque fois faire glisser la roue arrière pour passer dans les virages les plus serrés.

On constate que cette « stabilisation de la direction » nous oblige à nous diriger beaucoup plus avec nos yeux qu’avec nos mains. C’est logique, non ?

Allez, encore un tour sur cette même piste, mais cette fois avec le système à pleine puissance. D’après les quelques spécialistes expérimentés chez Canyon, c’est beaucoup trop pour quelqu’un qui commence à peine à rouler en K.I.S. mais pour expérimenter, cela vaut vraiment la peine d’essayer. Dans la partie supérieure, on remarque que cette stabilisation « dure » de la direction nous oblige à diriger beaucoup plus avec nos yeux qu’avec nos mains. C’est logique, non ? Dans les épingles cependant, les choses ne s’améliorent pas nécessairement.

Changement de monture, on passe maintenant sur un e-bike Liteville, où le système K.I.S. a été fixé sur le tube supérieur et est réglé par défaut sur quelque chose d’équivalent à 30-40 % sur le Canyon Spectral. Surprise, cela nous convient à merveille ! On n’a pas encore retrouvé toutes nos sensations habituelles sur les sentiers où on roule à vitesse moyenne mais dès que c’est plus lent ou plus rapide… On roule tout simplement mieux que lorsqu’on éteint le système, ce qui pouvait être fait sur ce prototype en une seule action. Ce qui est frappant avec l’e-bike, c’est qu’on peut maintenant beaucoup plus inclure l’arrière du vélo dans nos mouvements de rotation, au lieu de le laisser « traîner derrière » comme c’est souvent le cas avec ces vélos plus lourds.

Dans les montées techniques, le K.I.S. est encore là. Au lieu de vaciller et de devoir engager le vélo ou les jambes pour retrouver la stabilité, on peut maintenant plus facilement tenir la ligne choisie et surmonter les obstacles.

Dans les montées techniques, le K.I.S. est encore là. Au lieu de vaciller et de devoir engager le vélo ou les jambes pour retrouver la stabilité, on peut maintenant plus facilement tenir la ligne choisie et surmonter les obstacles. Cependant, dans ce domaine, les avis semblent diverger un peu plus. Deux de nos confrères ont même trouvé que ces passages techniques étaient bien plus difficiles avec le K.I.S. que sans.

La prise en main s’est terminée au guidon du Spectral, sur une piste technique et difficile. Un tracé typique de cette région de la France, avec des défis techniques derrière chaque virage et des lignes pas toujours évidentes à repérer. Forcément, beaucoup de plaisir et d’excitation où on pourrait presque oublier la présence du système K.I.S.. Presque. Comme lors de notre tout premier run, il s’est parfois rappelé à nous avec cette drôle et surtout inattendue sensation d’incertitude à quelques occasions, mais aussi avec de beaux passages dans des portions où on anticipait un raté.

Conclusion technique

Aucun doute, d’un point de vue technique le K.I.S. est un système simple mais ingénieux. Mieux encore, Canyon a réussi à l’intégrer de façon (presque) invisible dans son Spectral CF 8. Il ne fait aucun bruit, on ne sent aucune résistance, il ne nécessite aucun entretien…

Pour le vététiste débutant qui manque de stabilité par défaut d’expérience, le K.I.S. est un atout indéniable. Au plus haut niveau, on peut également imaginer que les pilotes pourraient y trouver un avantage, même si Dimitri Tordo et Fabien Barel nous ont confié ne pas encore avoir fait de tests poussés (il faudrait déjà adapter le système sur le Strive !). Pour celui ou celle qui se situe entre les deux, pilote expérimenté mais pas expert (la majorité d’entre nous, en fait), il est plus difficile de dire s’il s’agit d’un avantage. Le K.I.S. peut assister celles et ceux qui ont besoin de plus de stabilité de temps en temps, comme nous dans les épingles et les montées techniques, mais parfois les vieilles habitudes ont la peau dure et on ne s’est pas toujours sentis en confiance avec la direction assistée.

Le mot de la fin

Nous n’avons pu utiliser le système que pendant deux jours, ce qui est trop peu pour modifier nos (mauvaises ?) habitudes. Il faudrait probablement plus d’une dizaines de sorties en deux semaines pour commencer à agir dessus. Notre verdict n’est donc certainement pas définitif et sans appel !

D’une certaine manière, le K.I.S.nous rappelle la comparaison entre les roues de 26″ et de 29″. Lorsqu’on a roulé pour la première fois sur un 29″, il y a maintenant 15 ans, on a immédiatement ressenti l’avantage du meilleur rendement mais en même temps, la sensation d’agilité et de précision de notre 26″ nous manquait. Depuis, nos habitudes ont complètement changé et les 29″ ont également évolué, de sorte que le retour sur le 26″ est très mal vécu. Alors, est-ce l’avenir ? Peut-être que oui, peut-être que non… Il se peut que d’ici deux ans, on n’entende plus jamais de K.I.S. et de stabilisation de la direction. Mais il se peut tout aussi bien que d’ici 10 ans, chaque vélo (qu’il s’agisse d’un vélo pour enfants, d’un XC, d’un e-bike… jusqu’à la DH) soit équipé d’une forme de K.I.S. L’avenir le dira !

On notera d’ailleurs que Canyon elle-même est incertaine quant à l’avenir de sa technologie, tant elle rompt avec nos habitudes : la marque n’a prévu que 120 exemplaires de ce Spectral CF 8 K.I.S. pour toute l’Europe. Un test grandeur nature, pour évoluer la réception du système par le grand public avant, peut-être, de le démocratiser… Ou de le jeter aux oubliettes.

Plus d’informations : canyon.com

Photos : Canyon – Rupert Fowler & Boris Beyer

ParJeffry Goethals