World Cup XC #3 – Hommes | Quand Nove Mesto dévoile son côté obscur

Par Olivier Béart -

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World Cup XC #3 – Hommes | Quand Nove Mesto dévoile son côté obscur

Nove Mesto est un de circuits les plus réputés de la coupe du Monde XC. Un des plus appréciés. Mais aussi un des plus craints car il peut se montrer implacable. Son décor : une épaisse forêt de pins aux pentes raides. Le relief est naturel, les racines aussi, mais la main de l’homme est venue y ajouter des pierriers aussi spectaculaires que complexes à négocier, même pour les meilleurs. Chaque année depuis la création du magazine, Vojo est présent sur place pour vous faire vivre l’événement. Cette édition 2018, intense, dramatique, indécise, c’est au moyen de noirs et blancs profonds que nous avons voulu vous la montrer. Car sans couleurs, une autre histoire se dévoile.

Tapis sur le sol à la fin de la dernière longue bosse chargée d’étirer le peloton, les premiers coureurs apparaissent dans l’objectif. Mathieu van der Poel passe en tête. Une histoire bien différente de celle de 2017 !

Parti du fond de grille, il avait réalisé une remontée d’anthologie qui lui avait permis de finir dans le top 10. Ici, il est déjà en tête dès le start-loop. Voilà une situation intéressante, qui risque de donner un fameux spectacle. Stéphane Tempier, pour une fois, a réussi un bon départ, lui qui est habitué à galérer pour remonter.

Juste derrière, Nino Schurter et Sam Gaze sont bien là. Il reste quelques mètres avant de basculer dans les premières portions techniques.

Sam Gaze, vainqueur à Stellenbosch et surtout briseur de l’invincibilité du dieu Schurter, plante une première accélération. La réponse ne se fait pas attendre.

Le public tchèque est une fois de plus chauffé à blanc. On peut savoir rien qu’à l’oreille où se trouvent les coureurs. Vous entendez cette clameur ?

Sam Gaze et Nino Schurter prennent quelques mètres d’avance. Va-t-on revivre un Stellenbosch bis ? D’autant que Gaze est en confiance après sa victoire sur le Short-Track le vendredi.

A leur suite, on regarde défiler le peloton, débouler entre les arbres et dans un nuage de poussière de plus en plus épais. Les principaux favoris passent, mais quelques têtes manquent à l’appel. En voyant Jordan Sarrou, n°7, passer loin, on se dit juste qu’il a pris un mauvais départ. Mais en apercevant Mathias Flückiger largement dernier, avec son numéro 5 au milieu des dossards à trois chiffres, et surtout le visage en sang, on sait que quelque chose s’est passé.

Flash-back.

Au départ, le ruban de bitume est large. Pourtant, quand vous mettez les 145 meilleurs coureurs de la planète sur la ligne, et que chacun rêve d’aller aux avant-postes, il devient tout à coup bien plus étroit. Après quelques centaines de mètres seulement, c’est le crash.

Le Russe Sintsov se déporte, Mathias Flückiger est projeté contre les barrières et part « embrasser » violemment un spectateur avant de finir au sol. Que s’est-il passé ? Difficile à dire. Sans citer de noms, Maxime Marotte évoque tout de même le comportement « cow-boy » de certains. « Un gars est arrivé de derrière avec son cintre au milieu de mon vélo. Désolé mais ce n’était pas à moi de freiner. Qu’il prenne ses responsabilités. » 

Flückiger en appelait aussi à plus de respect après la course, qu’il n’a pas terminée. « On pourrait appeler ça la course, mais quand je vois comment certains roulent ces deux dernières semaines, ce n’est plus une coïncidence. » Après avoir immédiatement disculpé Sintsov et visé Avancini, le Suisse a compris que les causes de sa chute étaient ailleurs. Mais le résultat est de toute façon un beau gâchis.

Et les conséquences auraient pu être bien plus importantes encore. C’est grâce à sa dextérité – et à un brin de baraka – que Jordan Sarrou a échappé au pire… en sautant au-dessus de la scène de chaos.

Retour en piste.

Cette fois, c’est Nino Schurter qui mène le train, emmenant Mathieu van der Poel dans son sillage.

Au Vertical Drop, Nino survole, MVDP suit, Maxime Marotte remonte… et la roue arrière de Stéphane Tempier fait un drôle de bruit !

Normal : son pneu est à plat. « Chaque fois il faut qu’il y ait quelque chose. Pour une fois que j’avais pris un bon départ, il faut que je crève. Clairement, j’étais venu pour gagner. Quand je vois que je fais 2 à Albstadt avec des sensations juste correctes et un départ moyen, j’étais persuadé que je pouvais le faire. Et puis il y a ça. Des gars comme Nino, ça ne leur arrive jamais… » nous dit-il un peu dépité, mais toujours avec le sourire et son éternelle gentillesse une fois la course terminée.

Un autre qui fait un drôle de bruit, c’est Sam Gaze. Une contraction intense, un cri qui s’échappe de sa bouche… Après son début tonitruant, il a crevé et il est tombé sur son coude. Il tente de poursuivre, mais la douleur est trop intense. Rideau.

On pense alors que l’explication va avoir lieu entre ces quatre là : Schurter et MVDP bien sûr, mais aussi les enfants terribles du team BMC, Lars Forster et Titouan Carod.

Les mollets et les cuisses se bandent, les cailloux et la poussière volent, projetés par toute cette puissance brute qui déferle… Mais les jeux sont loin d’être faits et, derrière, les écarts restent minimes.

Les crevaisons continuent de s’enchaîner et les déconvenues sont nombreuses. Pourquoi ? Au fil des épreuves, le circuit s’est creusé, défoncé. Très sec, le sol se transforme en poussière au passage des coureurs et cache des pierres saillantes sous son aspect de douce poudre.

Des quatre hommes de tête aperçus un peu plus tôt, il n’en reste désormais plus que trois. Titouan Carod manque à l’appel. Devinez… oui, il a crevé en sortant de la trajectoire pour éviter une chute devant lui. Florian Vogel reste au contact. Mais d’autres reviennent de l’arrière !

Parmi eux, Maxime Marotte qui enchaîne les tours canons et signe le meilleur chrono en course en à peine plus de 12 minutes. Après son départ chaotique, le réacteur est allumé.

Forster attaque extrêmement fort en descente, au point de réussir à coller quelques mètres à un Schurter très concentré et visiblement un peu surpris de cette situation. Un peu plus loin, Mathieu van der Poel tire une drôle de tête. On devine des dents serrées.

Usante, brutale, la piste de Nove Mesto fait souffrir les hommes et les machines. Jaroslav Kulhavy n’est pas tout devant, mais son public le porte. Tout juste dans le top 10, il reste acclamé comme nul autre.

Mais soudain, coup de théâtre : un autre cri envahit le public rivé sur les écrans géants. Mathieu van der Poel a chuté ! « Les jambes étaient bonnes, mais ma blessure au poignet m’a lâché. Depuis le début, je sentais que j’avais du mal à tenir le cintre, ce qui a fini par causer cette stupide chute dans une portion sans réelle difficulté. Je n’avais plus d’autre choix que d’abandonner », explique-t-il ensuite.

Pendant un demi-tour encore, Mathieu van der Poel a bien essayé de continuer. Mais il a bien fallu se rendre à l’évidence : son poignet meurtri dit stop. Depuis sa chute lors d’une course par étapes en Espagne, il ne lui a pas vraiment laissé de repos. A Albstadt, c’est passé, mais pas à Nove Mesto, où on le retrouve, penaud, ralliant l’arrivée par une voie de secours…

Le spectacle en prend un coup, c’est sûr. Mais Lars Forster est là pour se charger de préserver le suspense. Il sait que Schurter n’est pas invincible. Et que « qui n’essaie rien, n’a rien ».

Mais le vrai danger, le voici. Anton Cooper, le Néo-Zélandais, ne remonte pas d’aussi loin que Maxime Marotte, mais les deux gars sont en passe de recoller avec le duo de tête.

La battle suisse se poursuit, avec toujours Forster qui parvient à faire un petit trou dans le technique, sans avoir l’air de vraiment y toucher. Epatante cette nouvelle génération…

Mais les choses évoluent vite. Très vite. En l’espace d’un demi-tour, Fortser a craqué et c’est maintenant Anton Cooper qui colle aux basques de Nino Schurter.

La course est réellement passionnante et, au-delà des bords du circuit, les yeux de dizaines de milliers de téléspectateurs sont rivés sur leur écran.

Dans le dernier pierrier, les photographes sont à l’affût.

Aucun des trois ne semble lâcher le moindre centimètre… sauf Nino Schurter. Est-il en train de contrôler calmement la situation. Oui, mais on sent tout de même que par rapport à 2017, l’écart s’est resserré avec ses rivaux.

Nous voilà dans le dernier tour. Nino Schurter se présente-t-il seul cette fois ?

Non. Au-milieu des arbres, ses poursuivants étaient cachés de notre regard. Anton Cooper et Maxime Marotte sont toujours là.

La longue côte va une fois encore jouer le rôle de juge de paix. Le champion de France tente sa chance, mais la tentative est vaine. « J’ai tout donné mais en haut, j’avais les grosses jambes et ils étaient toujours là. Quand Cooper et Schurter ont remis une couche, je n’ai pas pu suivre, » explique Maxime Marotte.

Ce dernier tour est aussi l’occasion de faire un petit récapitulatif des performances de nos compatriotes belges et français. La première belle surprise vient de Hugo Drechou, pour lequel il s’agit d’une véritable renaissance après une saison 2015 riche en belles performances, mais aussi une campagne 2016 très compliquée et 2017 encore un peu en retrait. Il termine trois places devant Titouan Carod, dont nous reparlerons un peu plus loin.

La joie était grande aussi du côté de Jens Schuermans, le très sympathique champion de Belgique qui roule pour le team français Creuse-Oxygène. Véritable terreur chez les jeunes, il a ensuite vu sa progression ralentie suite à des soucis de santé. Quel bonheur de voir enfin son énorme potentiel s’exprimer à nouveau avec cette 17e place pleine de promesses.

31e et 38e, les deux compères du team BH-Suntour ont connu des fortunes diverses. Victor Koretzky était heureux à l’arrivée car pendant une bonne partie de l’épreuve, il est venu jouer avec les top 10, et cela faisait longtemps que ce n’était plus arrivé. Jordan Sarrou, après ses cabrioles au départ, n’a pas réussi à remonter aux avant-postes. Un jour difficile pour lui.

Parmi les autres Belges et Français dans le top 100, Raphaël Gay est 41e après une belle course, Ruben Scheire est 46e, Florian Trigo 56e après une énorme remontée à l’occasion de son retour après blessure. Benot Jeanniard est 60e, lui aussi après avoir pas mal doublé pendant l’épreuve. Il devance de peu Maxime Loret, 61e. Erno McRae pointe en 75e position, Harols Flandre à la 94e place, Joseph Emelien De Poortere 99e.

Tout va donc se jouer entre Anton Cooper et Nino Schurter. Excellent au sprint, le Suisse ne va malgré tout pas réussir à décrocher l’impressionnant Cooper, un petit format aux jambes massives qui excelle aussi dans l’exercice. Ils arrivent sur la ligne en même temps et la photo finish est nécessaire pour les départager.

Nino Schurter s’effondre : une image rarement vue, même à l’issue de ses plus grands duels avec Julien Absalon. Couché, assis et encore plié en deux après s’être relevé, il apprend qu’il a gagné d’un cheveu !

C’est passé tout près, se dit Anton Cooper, qui a bien failli être le deuxième après Gaze à battre le maître. En 2017, Schurter se serait certainement envolé à la moitié du dernier tour pour lâcher ses concurrents. En 2018, les choses sont différentes, et c’est tout bénéfice pour le spectacle !

Jaroslav Kulhavy a tout donné, il est remonté jusqu’à la 5e place avant de retomber 9e. Juste derrière, Carlos Coloma se prend pour Superman et Titouan Carod, très déçu, part chercher un peu de réconfort auprès de sa compagne Lucie Urruty. « J’avais le top 5 dans les jambes sans souci. Ca peut paraître prétentieux de dire ça, mais sans ce gars qui tombe devant moi et cette crevaison ensuite, je suis sûr que je l’aurais fait. Je finis 13 ou 14 je pense, je sauve les meubles mais c’est vraiment ch… »

Le team Cannondale célèbre sa victoire au classement des teams avec Marotte, Fumic et Avancini tous trois dans le top 10 !

Bye bye World Cup ! Rendez-vous dans un petit mois à Val di Sole pour la suite de cette saison déjà passionnante !

Résultats complets : www.vojomag.com/news/https-www-vojomag-com-news-wc-xc-3-schurter-vainqueur-dune-course-folle-nove-mesto
Le portfolio de la course Dames : www.vojomag.com/world-cup-xc-3-nove-mesto-dames-langvad-quand-la-puissance-parle-portfolio/

ParOlivier Béart