Test nouveauté | Specialized Epic World Cup : le semi, c’est fini ?

Par Léo Kervran -

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Test nouveauté | Specialized Epic World Cup : le semi, c’est fini ?

Un nouvel Epic ! Mais pas n’importe quel Epic… Avec ce nouvel Epic World Cup, Specialized ne vise rien de moins que de« rendre le semi-rigide obsolète ».  Ambition démesurée ? En tout cas la marque ne se lance pas sans arguments, à commencer par une suspension unique qui va à rebours de tout ce qu’on pensait être les bonnes manières de faire dans le domaine. Nous avons pu découvrir le vélo à l’atelier puis sur le terrain et sans surprise, il y a beaucoup de choses à dire. Découvrez sans attendre la présentation et nos premières sensations :

Est-ce qu’on va commencer cet article par parler d’un autre vélo ? Impossible d’éviter la comparaison, de loin cet Epic World Cup ressemble en effet à un Trek SuperCaliber. Chez Specialized, on en est bien conscient mais Peter Denk, le responsable de l’Innovation Center installé à Freiburg qui a conçu le cadre, nous explique que le projet avait déjà commencé depuis quelques mois quand Trek a présenté son vélo : « Lorsqu’on a découvert le SuperCaliber, on a eu deux réactions : d’un côté ça nous a un peu rassurés qu’une marque comme Trek soit partie dans la même direction, c’était très ambitieux et on n’était pas toujours sûrs de nous. De l’autre, on était verts parce que c’était notre idée ! »

Toutefois, vous le verrez à travers cet article, les deux vélos sont en fait très différents sur le plan technique et ils ne partagent presque rien du tout. Au final, la ressemblance n’inquiète pas plus que ça la marque au S rouge : « Un œil entraîné peut facilement voir la différence », avance Sam Benedict, le responsable de toute la division VTT.

Retour à l’Epic World Cup. Specialized voulait une solution pour le problème du choix entre semi-rigide et tout-suspendu, à la fois pour certains circuits atypiques au plus haut niveau et parce que tout le monde n’a pas le luxe d’avoir deux VTT à la maison.

On sait toutes et tous que le tout-suspendu a des avantages indéniables, même en XC : c’est plus confortable, plus rapide en descente et ça a souvent un meilleur rendement en montée, dès que le sol n’est pas parfaitement lisse la suspension permet de gommer les difficultés pour continuer à pédaler. Le problème, c’est que ce genre de vélo est aussi plus lourd et qu’on perd cette sensation de réactivité, de rendement pur qui séduit tellement à chaque fois qu’on remonte sur un semi-rigide.

Renvoyer le semi-rigide au garage pour les compétitions de XC, ça fait longtemps que la marque s’y essaye puisque c’était l’objectif initial du Brain, le blocage automatique caractéristique des Epic. Aujourd’hui le système est toujours bien installé avec ses aficionados et ses détracteurs mais vous avez vu comme nous qu’il n’a pas remplacé le semi-rigide, même dans la gamme Specialized.

Pour convaincre avec l’Epic World Cup, Specialized devait donc avant tout comprendre ce qui séduit sur les semi-rigides, ce qui leur donne cette fameuse réactivité que les tout-suspendus ne parviennent pas à égaler même avec les meilleurs blocages d’amortisseurs. Sans surprise, la réponse est à aller chercher du côté de la suspension arrière.

Une nouvelle réflexion sur la suspension

Qu’est-ce qui différencie un tout-suspendu d’un semi-rigide ? La suspension arrière, bien sûr. De quoi est-elle composée ? D’un amortisseur et d’au moins un point de pivot. Si on veut s’approcher au maximum d’un semi-rigide, on peut bloquer l’amortisseur. En revanche, on ne peut rien faire pour modifier les points de pivots : ils sont là et par leur simple présence, ils affectent la rigidité du cadre.

Pour retrouver des sensations de semi-rigide on pourrait réfléchir à une nouvelle architecture de suspension, mais Specialized a préféré suivre une autre voie : prendre un système classique et adapté au XC, un monopivot + biellette qui développe ici 75 mm de débattement, et rigidifier au maximum la liaison entre le triangle avant et le triangle arrière. On constate ainsi que la distance entre le point de pivot sur le cadre et le point d’accroche de la biellette est particulièrement importante, plus que sur n’importe quel tout-suspendu de XC en fait.

En revanche, la biellette est minuscule de façon à réduire son bras de levier vis-à-vis des haubans et du triangle arrière de manière générale. Une réflexion qui nous rappelle celle d’Arc8, qui présentait l’année dernière le Evolve FS (lire Nouveauté | ARC8 Evolve FS : vers la fin du downcountry ?) avec des glissières à la place de la biellette dans le même objectif d’avoir la liaison la plus rigide possible.

Ce faisant, Specialized a aussi travaillé sur un autre aspect important pour un vélo destiné à la compétition : comprendre, puis optimiser le comportement du vélo lorsqu’on pilote à la limite. A travers ses tests, la marque s’est aperçue que la relation entre l’avant et l’arrière du vélo était une des clés de l’histoire et que plus la sensation de « connexion » était présente, plus le vélo paraissait sain. Au-delà de la réactivité au pédalage, rigidifier la liaison entre les deux triangles permet d’améliorer le retour d’information et devrait donc, si on suit le raisonnement, offrir un meilleur comportement également en descente. Reste à le vérifier par nous-mêmes !

Une liaison très rigide, ça semble donc intéressant à plus d’un titre mais cela soulève tout de même un problème : une biellette aussi courte, sur le papier ce n’est pas optimal pour le fonctionnement… et en effet, Specialized se retrouve avec une courbe de forces assez atypique, pour peu que les valeurs soient normales. Un pic plus ou moins prononcé en début de course qui paraît aller à contre-courant de la notion de sensibilité, une véritable constance en milieu de course qui risque de faire utiliser beaucoup de débattement pour des chocs modérés et (tout de même) une pointe en fin de course pour contrôler les plus gros chocs.

En termes de performance pure de la suspension pour un tout-suspendu classique, ce serait sûrement problématique. Mais on vous l’a dit, l’Epic World Cup n’est pas un tout-suspendu classique et surtout, il cache un amortisseur unique en son genre…

Un amortisseur unique

L’amortisseur, c’est le cœur de la machine, la pièce sans laquelle tout le concept de cet Epic World Cup tombe à l’eau. Conçu en partenariat avec RockShox, il répond au nom de SID World Cup Integrated et c’est le seul modèle compatible avec ce vélo. Oui, « encore un amortisseur propriétaire », on vous entend d’ici, mais attendez de voir la suite.

Commençons par l’extérieur : comme vous pouvez le constater, ce SID WC Integrated est bien plus long que les amortisseurs qu’on rencontre généralement sur les vélos de XC. Plutôt que de faire court et (un peu) large, Specialized et RockShox ont travaillé sur un corps tout en longueur afin de pouvoir glisser l’amortisseur dans le tube supérieur. Enfin, presque. Contrairement au Trek SuperCaliber où l’amortisseur fait partie intégrante du cadre, ici il vient simplement s’accrocher par en dessous comme n’importe quel amortisseur, mais cette forme si particulière lui permet de s’intégrer mieux et plus discrètement qu’ailleurs.

Au-delà de ça, l’intérêt est aussi sur le plan technique : un amortisseur plus long, ça met plus de distance entre les paliers qui guident le plongeur et ça permet même d’en rajouter un troisième un peu plus haut dans le corps. Trois paliers éloignés au lieu de deux rapprochés, ça donne un amortisseur plus rigide (bon pour la sensation « semi-rigide ») et plus résistant aux efforts latéraux (bon pour le fonctionnement et la fiabilité).

Malgré sa longueur, le SID WC Integrated ne propose que 40 mm de course. Ça peut paraître peu mais c’est dans la moyenne des amortisseurs de XC et souvenez-vous que la suspension ne développe que 75 mm de débattement. Le ratio reste donc assez faible et on utilise des pressions relativement basses dans cet amortisseur, autour des 110 psi pour mes 65 kg par exemple. Au passage, est-ce que vous avez remarqué que 75 mm, c’est comme 100 mm de débattement avec un sag de 25 % ?

Il n’y a pas de blocage d’amortisseur sur cet Epic World Cup. Ni Brain, ni commandé au cintre, ni électronique et automatique.

Si on vous fait cette remarque, vous vous doutez bien que ce n’est pas innocent. En fait, c’est là-dedans que réside toute la particularité de cet amortisseur, donc du vélo en général. Pour gérer l’impact du pédalage sur la suspension, Specialized a décidé de se reposer sur la partie ressort plutôt que sur l’amortissement hydraulique. Autrement dit, il n’y a pas de blocage. Ni Brain, ni commandé au cintre, ni électronique et automatique. Pour supprimer les oscillations au pédalage, les ingénieurs ont bien sûr travaillé sur l’anti-squat mais surtout, ils ont retiré la chambre négative de l’amortisseur.

Un ressort autobloquant ?

La chambre négative, comme on vous l’expliquait dans notre article sur le fonctionnement des amortisseurs (lire MTB Anatomy #4.1 : l’amortisseur, premier volet), c’est en raccourci ce qui permet de donner de la sensibilité à l’amortisseur. Sur l’image ci-dessus, les deux poids ont la même masse et les deux ressorts le même volume mais celui de gauche n’a pas de chambre négative alors que celui de droite en a une.

Une chambre négative « annule » la pression exercée par l’air dans la chambre positive sur le piston. Imaginez que vous mettiez 140 psi, soit 10 bars, dans la chambre positive en gonflant l’amortisseur. Sans chambre négative, la suspension ne bougerait pas tant que le choc n’exerce pas une force encore plus grande ! Avec une chambre négative en revanche, si les pressions sont équilibrées (identiques dans les deux chambres), l’air n’exerce virtuellement plus aucun effort sur le piston et en théorie, on peut comprimer l’amortisseur avec une force quasi-nulle. Bon, dans les faits les frottements induits par les différents joints demandent un peu petit plus de force mais vous avez compris l’idée.

La conséquence de cela, c’est que sans chambre négative, pas de sag : si l’amortisseur est gonflé comme il se doit, le poids du ou de la pilote n’est certainement pas suffisant pour contrer la pression exercée par l’air sur le piston et comprimer l’amortisseur. Petit calcul rapide, 75 mm de débattement et 0 % de sag, ça donne… le même débattement disponible que 100 mm avec 25 % de sag, une valeur courante pour un tout-suspendu classique de XC.

En fait, on retombe sur l’idée du Brain : tant que le choc n’atteint pas une certaine force, l’amortisseur est « bloqué » par défaut. Seule la méthode diffère, et on serait tenté de dire que c’est mieux fait ici puisque ce n’est pas un blocage hydraulique qui vient verrouiller un amortisseur qui ne demande qu’à fonctionner, mais juste l’air qui exerce un peu trop de force pour permettre au système de bouger. C’est toute la différence avec le Trek SuperCaliber qui cache sous ses airs d’ovni un amortisseur tout à fait classique, au fonctionnement calqué sur celui d’un modèle standard.

Notez que le poids de la personne sur le vélo agit tout de même comme une légère pré-contrainte de la suspension, afin de faciliter le déclenchement et lui permettre d’être active un peu plus souvent que sur les réceptions de marche. Toutefois, si vous roulez sur un chemin parfaitement lisse, rien ne bouge.

Enfin ça, c’était l’objectif initial. Cependant, au fil du développement Specialized s’est rendu compte qu’avoir un tout petit peu de sag, ce n’était quand même pas inutile : on gagne en confort mais aussi en grip, puisque la roue suit mieux les imperfections du terrain. Plutôt que de supprimer complètement la chambre négative, la marque a donc décidé d’en laisser une, toute petite et surtout réglable.

Contrairement à un amortisseur classique (exemple ci-dessus), il n’y a pas de fossette sur la paroi du piston pour faire communiquer les chambres positives et négatives sur le SID WC Integrated. A la place, on a une petite valve qui permet d’aller jusqu’à 10 % de sag. Comment ça fonctionne ?

Si vous gonflez l’amortisseur sans rien toucher d’autre, le vélo sera à 0 % de sag. Si vous voulez les 10 % de sag, le maximum possible, il faut dégonfler l’amortisseur, le comprimer à fond et tout en le maintenant dans cette position, appuyer sur la petite valve de la chambre négative. Un peu d’air rentre et quand on gonfle ensuite l’amortisseur à la pression voulue, on aura une petite chambre négative. Entre ces deux positions extrêmes, tous les réglages sont possibles, il suffit de comprimer plus ou moins l’amortisseur avant de toucher à la valve.

Ce réglage, Specialized l’appelle le « gulp », comme l’onomatopée qu’on associe à quelque chose qui déglutit. « No gulp », la chambre négative n’avale rien du tout et on a 0 % de sag. A l’inverse, en « full gulp » la chambre négative avale tout ce qu’elle peut ce qui signifie qu’on a enfoncé l’amortisseur au maximum. On a donc 10 % de sag.

Vu la taille de la chambre négative, cela n’influence que le tout début de course mais comme on le verra sur le terrain, l’effet est réellement sensible. D’ailleurs, Specialized précise que le fine tuning, le fait de prendre du temps pour trouver son réglage optimal entre la pression de la chambre positive et la taille de la chambre négative, est la clé pour exploiter correctement cet Epic World Cup.

Un amortisseur plus fiable que les autres ?

Allez, un dernier point de conception important sur cet amortisseur et vous pourrez respirer. Un amortisseur sans chambre négative, ça a un autre gros défaut en théorie : les butées peuvent être très violentes car il n’y a rien pour faire « tampon » en extension et rien pour aider la chambre positive en fin de compression. Specialized ne cache pas que régler ce problème fut l’un de ses principaux défis, et pour y parvenir la marque a dû faire appel à toute l’expérience de RockShox, acquise notamment lors du développement du dernier Super Deluxe (lire Test nouveauté | RockShox 2023 : on change tout !).

Résultat, en compression le SID WC Integrated a droit un tampon en caoutchouc surdimensionné pour un amortisseur de ce type tandis que pour le retour en extension, la charge est partagée entre une petite butée hydraulique et un autre tampon en caoutchouc.

A côté de ça, le circuit hydraulique de rebond et de compression est très simple… et tant mieux ! Avec toute la place libérée par la (presque) absence de chambre négative et la longueur de l’amortisseur, Specialized et RockShox ont eu tout le loisir de concevoir quelque chose de simple et robuste qui promet une belle fiabilité. Un empilement de clapets pour la compression, un autre pour le rebond et c’est tout. Les réglages (10 clics en rebond, 5 clics en compression) affectent eux la taille de la valve « court-circuit » avec un petit pointeau.

Conséquence de cela, l’amortisseur est facile à entretenir et ne fait appel à aucun procédé particulier. Bien sûr, il vaut mieux avoir un peu d’expérience dans le domaine pour être sûr de ses gestes mais Specialized indique que l’entretien peut être réalisé par n’importe quel atelier Specialized ou RockShox comme pour un amortisseur classique. De quoi adoucir quelques craintes quant au format propriétaire du système.

Quand on prend un peu de recul, on ne peut s’empêcher de trouver un certain point commun entre tout ceci et d’autres développements relativement récents de Specialized, comme la « suspension de cintre » Future Shock 2.0 du Diverge de gravel ou le Diverge STR et son tube de selle suspendu. A chaque fois, la marque n’hésite pas à aller à l’encontre de ce qui est admis comme les « bons principes d’ingénierie » pour suivre un objectif bien précis, dans le cadre d’une pratique bien définie. Coïncidence ou non, Chance Ferro, le responsable de la suspension de l’Epic WC, était aussi dans l’équipe qui a travaillé sur le concept du Diverge STR…

Et la fourche ?

A l’avant, on est en terrain connu ou presque. L’Epic World Cup est en effet équipé d’une SID SL Ultimate Brain en 110 mm de diamètre, conçue « sur mesure » pour le vélo puisqu’avant cela, elle était limitée à 100 mm de débattement. On remarque que le té est un peu plus creusé que sur les modèles qu’on connaît, de quoi préfigurer une évolution du reste de la gamme chez RockShox ?

A l’intérieur, la partie ressort est apparemment identique à celle d’une SID classique mais la cartouche Brain a été revue afin d’améliorer sa fiabilité. Ce sont les seules évolutions notables et sur le terrain, les sensations ne devraient pas être très différentes des modèles qu’on trouve sur les Epic tout-suspendus classiques.

Un cadre en trait d’union

On vous parle de suspension depuis le début de l’article mais le cadre au milieu de tout ça ? D’un côté, il n’a pas grand-chose de particulier en apparence, à part cette découpe pour mieux cacher l’amortisseur. De l’autre, et on le verra notamment avec la géométrie, il est un véritable trait d’union entre le semi-rigide et le tout-suspendu et c’est ce qui vient réellement donner corps au concept imaginé par Specialized.

Avant cela, revenons un peu sur cette fameuse découpe. D’un point de vue structurel, c’est une absurdité sans nom : le tube supérieur est ouvert en deux sur près de la moitié de sa longueur, une catastrophe pour la rigidité. Cependant, Specialized ne voulait pas d’intégration complète de l’amortisseur comme chez Scott car pour eux, le système chauffe trop et les performances se dégradent alors considérablement. Soit dit en passant, on a maintenant une certaine expérience du Spark et on se permet d’émettre quelques doutes sur cette critique…

Quoi qu’il en soit, la marque a dû mobiliser toutes ses connaissances en matière de carbone ainsi que les derniers procédés développés pour l’Aethos de route, notamment, pour trouver une solution. Peter Denk, le responsable de l’Innovation Center de Freiburg, nous confie d’ailleurs : « On revient de loin, les premiers prototypes ont tous échoué. » Une étape comme une autre chez Specialized : « C’était un projet d’innovation avant tout, quand on a commencé en 2019 l’objectif n’était pas de sortir un vélo tout de suite. » Malheureusement, la marque n’a pas voulu nous montrer ces fameux prototypes. Pour protéger d’autres projets en cours ?

Au niveau de la géométrie, l’Epic World Cup est un mélange des genres. D’un côté, on a un angle de direction de 66,5°, soit exactement la même valeur que sur un BMC Fourstroke 01 mais 0,5° de moins qu’un Orbea Oiz et 0,7° de moins qu’un Scott Spark RC. Le reach est lui à mi-chemin entre des valeurs de semi-rigide et de tout-suspendu : 440 mm en taille M, 465 mm en taille L. Enfin, avec 74,5° l’angle de tube de selle est celui d’un semi-rigide mais comme la suspension n’a pas de sag ou presque, ça ne devrait pas être gênant. On retient aussi des bases de 430 mm dans toutes les tailles et un boîtier de pédalier bas, à – 58 mm par rapport à l’axe des roues.

Et sur la balance, ça donne quoi ? Specialized annonce 1765 g pour le cadre Epic World Cup avec amortisseur, peinture et visserie. C’est bien (100 g de moins qu’un Spark RC) mais rien de révolutionnaire puisque ça se situe plus ou moins au niveau de l’Oiz et surtout une centaine de grammes au-dessus d’un Epic Evo. En revanche, le poids du vélo complet a de quoi faire rêver : 9,5 kg pour le S-Works en taille M, avec porte-bidons s’il vous plaît… mais sans tige de selle télescopique !

Oui, contrairement au vélo de nos photos l’Epic World Cup sera vendu avec une tige de selle classique en carbone. Le sujet a fait l’objet de longs débats mais c’est finalement la solution « à l’ancienne » qui a été retenue. Selon la marque c’est plus léger (on est d’accord) et plus joli (ça se défend) mais aussi moins cher et ça permet à chacun de monter la tige de selle télescopique de son choix par la suite, selon ses préférences. Bon, ces deux derniers arguments sont clairement beaucoup moins solides vu les prix affichés au catalogue mais dans un cas comme dans l’autre il y aurait eu des déçus.

Enfin, impossible de passer à côté, l’Epic World Cup est le premier Specialized à profiter du nouveau poste de pilotage en une pièce Roval Control SL : 780 mm de large (recoupable, 8° de backsweep, 1° d’upsweep), 4 longueurs de potence (60, 70, 80 ou 90 mm) et 250g en version 70 mm. Il est posé un sommet d’un jeu de direction à butées propre à Specialized, qui assure que les manettes ne viendront pas abîmer le tube supérieur en cas de chute. Le serrage du jeu de direction est d’ailleurs un peu particulier, avec une bague de serrage cachée sous le capot qui fait office de porte d’entrée pour les gaines et protège le système de la poussière.

Versions et tarifs

Pour Specialized, l’Epic World Cup est un vélo de compétition. Après tout, c’est dans son nom. Si on pousse la réflexion jusqu’au bout, un vélo de compétition se doit d’être équipé de ce qui se fait de mieux… et c’est précisément le cas de cet Epic World Cup. Seulement deux montages complets figurent au catalogue, le S-Works à 12 500 € avec la dernière transmission Sram XX SL Eagle (lire Reportage | Sram Eagle AXS 2023 : entrée dans un nouvel âge) ainsi que des roues et périphériques Roval Control SL, et le Pro à 9000 €, avec un groupe Sram X0 Eagle, des roues Roval Control/DT Swiss 350 et un poste de pilotage classique.

Un vélo de compétition disponible seulement en montage haut de gamme, c’est cohérent, mais les 9000 € demandés pour un vélo doté d’un pédalier en aluminium et de freins milieu de gamme (Level Silver) font un peu plus grincer des dents… Après ça, difficile d’entendre l’argument que « tout le monde n’a pas le luxe d’avoir deux VTT à la maison ». A côté de ça, notez qu’un kit cadre (avec fourche, amortisseur et tige de selle) est aussi proposé au tarif de 6500 €, et notre petit doigt nous dit que la gamme devrait s’élargir vers le bas prochainement.

Contrairement à ce qu’on aurait pu penser dans un premier temps, le semi-rigide Epic HT ne disparaît pas complètement du catalogue. Le semi-rigide reste le moyen le plus accessible de se lancer en compétition de XC et Specialized ne pouvait pas se priver d’un modèle aussi populaire si facilement. Cependant, il ne sera plus proposé en haut de gamme et s’arrêtera désormais au niveau Comp. L’Epic « historique » et l’Epic Evo n’évoluent pas pour le moment mais quelques réponses un peu curieuses durant cette présentation nous laissent penser que quelque chose est déjà en cours autour de ces plateformes…

Specialized Epic World Cup S-Works : le test terrain

Toute cette théorie sur l’amortisseur, c’est beau, mais est-ce que ça fonctionne sur le terrain ? Direction la région de Gérone en Espagne, un endroit bien connu de nombreux athlètes qui en ont fait leur camp de base hivernal, pour découvrir cet Epic World Cup sur le terrain durant plusieurs jours.

Nos premiers tours de roues se font avec le vélo dans sa configuration la plus ferme, à 0 % de sag. Avec ce réglage, on est clairement sur un « semi-rigide + ». Rien ne bouge au pédalage et même en côte, on sent les racines ou les cailloux de la même façon que sur une machine sans suspension. Bien sûr, nous n’avons pas (encore) eu l’occasion de comparer avec un Epic HT sur une même boucle pour voir si les sensations sont exactement les mêmes ou s’il y a une légère différence, mais globalement, on s’approche bien plus du semi-rigide que du tout-suspendu.

Ici, la suspension n’est réellement active qu’en descente, sur les impacts les plus marqués type réception de marche, pierrier ou section de racines. La force du choc est alors suffisante pour mettre en mouvement le ressort et on retrouve d’un coup un comportement de tout-suspendu, c’est-à-dire un vélo qui absorbe le choc et permet de tenir une ligne au lieu de rebondir. Ce n’est pas sous ce visage que l’Epic WC nous a le plus séduit mais ça reste un outil intéressant pour certain terrains bien spécifiques, avec un sol très roulant la majorité du temps et quelques passages techniques en descente.

Un passage par les stands et on bascule dans la configuration la plus souple possible, avec 10 % de sag soit 100 % d’enfoncement de l’amortisseur (« gulp ») au moment d’ouvrir la valve de la chambre négative. Est-ce que ça change vraiment quelque chose ? La réponse est oui, sans aucun doute ! Cette fois, on a l’impression d’être en permanence sur un tout-suspendu classique avec l’amortisseur en position ouverte.

Ça pompe un peu sur le roulant mais le grip est excellent en montée et le confort est au rendez-vous en descente. C’est doux, c’est agréable mais forcément, même si le vélo reste très dynamique on a l’impression de laisser quelques watts dans l’affaire au pédalage. On prend alors réellement la mesure de l’importance de trouver « son » réglage, celui qui convient à ses préférences, à son style de pilotage et au terrain… et on enchaîne les boucles pour trouver le nôtre.

50 %, 75 %, 85 %, 82,5 % d’enfoncement… Les possibilités d’ajustement sont infinies mais l’opération demande un tout petit peu de dextérité et de force. A cet effet, on ne peut s’empêcher de penser que si on alterne fréquemment entre deux réglages, avoir un petit gabarit qui permet de compresser l’amortisseur de la même façon à chaque fois n’est pas inutile. Specialized a déjà prévu un repère à 50 % de course sur le plongeur ce qui est une bonne chose mais ce ne sera pas suffisant pour tout le monde.

Le réglage de la compression est également à ne pas négliger. Chance Ferro, l’homme derrière cette suspension, recommande de laisser le réglage ouvert si on roule à 0 % de sag et d’augmenter éventuellement plus on a de « gulp », c’est-à-dire plus on roule avec l’amortisseur souple. On a ainsi pu l’expérimenter nous-même : à environ 80 % d’enfoncement soit 8 % de sag et les compressions ouvertes, l’Epic World Cup avait parfois des réactions de semi-rigide en descente rapide, avec un train arrière baladeur et trop vif. Fermer d’un ou deux clics le réglage a suffi à régler le problème en donnant au vélo un caractère plus sage, moins joueur certes mais plus efficace et rassurant. On est sur un vélo de course après tout, on ne lui demande pas d’être ludique mais d’aller vite.

Et aller vite, il sait faire ! La sensation de vivacité à laquelle tenait tant Specialized est bien présente et il y a très peu de tout-suspendus qui atteignent le niveau de cet Epic World Cup, et c’est uniquement à condition de bloquer toutes les suspensions. Ici, il suffit d’appuyer sur les pédales et ça part, sans jamais avoir à se poser la question du blocage. On imagine bien qu’il faudra un peu de temps pour passer au-dessus des doutes ou craintes que certains et certaines pourront avoir au début mais on l’a vécu nous aussi et on peut vous assurer qu’une fois qu’on parvient à passer outre, c’est très reposant.

En descente, la géométrie met en confiance et une fois qu’on a trouvé le bon réglage de suspension, on peut lâcher les freins comme sur un tout-suspendu classique. Les sensations sont un peu différentes, tout paraît un peu plus ferme mais on ne se sent pas freiné, c’est juste un peu moins confortable… et encore, cela dépend beaucoup du réglage d’amortisseur. Comme évoqué dans la vidéo qu’on vous proposait au début de cet article, on peut aller fréquemment en butée dans certaines descentes mais le tampon en caoutchouc fait son travail et ça ne sent presque pas, voire pas du tout suivant l’impact.

Au point de remplacer un tout-suspendu ? Le débat est ouvert mais on pense qu’il y a encore de la place pour un vélo à la suspension plus classique dans la gamme. Sur les circuits les plus difficiles, à l’image de Mont-Sainte-Anne en coupe du monde, ou ceux qui alternent sections très roulantes et passages très technique, un vélo avec un peu plus de débattement à l’arrière et un blocage « à l’ancienne » comme l’Epic Evo doit encore pouvoir tirer son épingle du jeu. En revanche, l’Epic et son Brain pourraient avoir du souci à se faire…

On signalera aussi que le vélo nous a déjà agréablement surpris avec la tige de selle classique. Est-ce dû à l’angle du tube de selle plus couché que sur les autres tout-suspendus ? Au travail de la suspension, comparé à un semi-rigide ? Quoi qu’il en soit, l’Epic World Cup fait un bon travail pour l’enlever du chemin et si on va évidemment moins vite qu’avec la selle en bas, on s’est senti moins gêné que prévu. Bon, si vous avez l’occasion d’installer une tige de selle télescopique on vous conseille tout de même de le faire, ça reste plus sympa…

Face à tant de prouesses, l’avant du vélo nous a moins séduit. Le Brain sur la fourche, on aime ou on aime pas et à titre personnel, j’admets que je suis dans le deuxième camp, mais le travail effectué sur la nouvelle cartouche (censée fiabiliser le produit) n’a pas changé grand-chose au fonctionnement et on sent toujours le système s’ouvrir quand on roule dans une des positions intermédiaires.

Qui plus est, le couple avec le cockpit en une pièce (trop rigide ? angles exigeants ?) ne fonctionne pas très bien et on a vite eu mal aux mains, ce qui nous a conduit à rouler Brain tout ouvert ou seulement fermé d’un cran pour essayer d’atténuer la sensation. Ça fonctionne mais le système perd considérablement en intérêt puisque la fourche pompe en montée voire sur le plat, ce qui n’arriverait pas avec une cartouche plus performante et un blocage classique.

Conclusion

« En théorie, cela ne devrait pas fonctionner et, de l’extérieur, j’avais de sérieux doutes à ce sujet », a-t-on entendu de la bouche d’un des responsables Specialized lors de la présentation. Avec cet Epic World Cup, la marque américaine propose un concept unique. Le vélo ne s’adresse clairement pas à tout le monde mais d’après ces premiers tours de roues, il a l’air assez redoutable dans sa cible. C’est une machine qui peut parler aussi bien aux marathoniens, qui pourront le rouler en version ferme et profiter du supplément de sécurité et confort en descente, qu’au reste des pratiquants de XC, qui auront beaucoup des avantages d’un tout-suspendu avec le poids et le dynamisme d’un semi-rigide. Le plaisir de pilotage passe un peu plus au second plan, ce n’est pas comme un Scott Spark RC ou un BMC Fourstroke 01 mais sur la vitesse et le dynamisme, il n’y a rien à redire. Est-ce que les athlètes et les pratiquants suivront ? Aussi bon soit l’Epic World Cup, pour « mettre tout le monde sur un tout-suspendu » il faudra en tout cas développer la gamme et proposer des tarifs plus accessibles car même en compétition, tout le monde ne peut pas s’offrir un vélo à 9000 €… minimum.

Plus d’informations : specialized.com

Photos d’action & Epic World Cup Pro : Etienne Schmidt

ParLéo Kervran