MTB Anatomy #1 | Le point de pivot haut

Par Theo Charrier -

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MTB Anatomy #1 | Le point de pivot haut

Vous nous connaissez, chez Vojo on aime bien creuser dans les détails techniques et on aime encore plus vous expliquer ce qu’on apprend ou découvre. Après notre lexique pour la vue d’ensemble et le vocabulaire, voici MTB Anatomy, une nouvelle série d’articles pour explorer en profondeur certains sujets bien précis. Au programme, un peu d’histoire, de la didactique, un traitement adapté à tous les niveaux de connaissance et surtout des animations, souvent plus claires et explicites que les mots ! Pour ce premier épisode, on commence avec un sujet particulièrement à la mode ces derniers temps : les suspensions à point de pivot haut.

Le principe n’est pas nouveau, puisqu’on le trouvait déjà dans les années 2000 sur des vélos tels que le Balfa BB7, le Lahar M8, le Honda RN01 ou encore le Zerode G1. Relativement discret dans la décennie suivante, il semble revenir à la mode aujourd’hui car le nombre de vélos utilisant ce système ne cesse d’augmenter depuis quelques années.

La forte présence du Commencal Supreme sur le circuit de la coupe du monde et les très bons résultats du team Commencal/Muc-Off contribuent certainement à mettre en avant ce système si particulier. En descente, les statistiques sont impressionnantes : lors de la dernière étape de la coupe du monde de DH à Snowshoe, 1 pilote sur 4 dans le top 40 Hommes Elites roulait sur un vélo de la marque andorrane.

Autre facteur qui peut expliquer leur (re)développement récent, l’apparition puis la normalisation des transmissions monoplateau, désormais largement dominante sur le marché.

Toutefois, on sait bien que le monde du VTT peut parfois être sujet à des effets de mode qui ne durent qu’un temps. Alors, le pivot haut, simple tendance ou choix technique justifié ? Nous allons essayer de comprendre ce qui rend ce « point de pivot haut » si spécial.

Les bases

En elle-même, l’expression « point de pivot haut » ne signifie pas grand-chose tant elle est vague. Afin de procéder par étape, commençons par voir (ou revoir) ce que l’on appelle un point de pivot.

Le terme “point de pivot” désigne l’axe autour duquel la roue arrière se déplace lorsque l’on comprime l’amortisseur. Exemple avec un Cannondale Jekyll : sur la version 2017-2021 ci-dessus, la roue arrière est directement reliée au triangle avant et pivote autour d’un axe situé au-dessus du boîtier de pédalier. Dans ce cas, le point de pivot est dit fixe et la trajectoire de la roue arrière est un arc de cercle.

Sur le nouveau millésime (test à lire ici), la firme américaine a décidé de passer sur un point de pivot virtuel en optant pour une architecture 4 bar linkage (qu’on vous explique aussi dans notre lexique). Le point de pivot se situe alors à l’intersection des axes des deux biellettes et comme la roue arrière n’est pas directement reliée au triangle avant, sa trajectoire ne représente pas forcément un arc de cercle.

Vous comprenez maintenant qu’une cinématique dite « à point de pivot haut » n’est rien d’autre qu’une cinématique classique où l’on a rehaussé le point de pivot. Il n’existe cependant aucune règle ou standard permettant de jauger la hauteur d’un point de pivot, et de catégoriser les vélos en « point de pivot classique » ou « point de pivot haut ». Heureusement, la trajectoire de la roue arrière permet de les caractériser un peu plus précisément.

En plaçant le point de pivot plus haut qu’à l’accoutumée, la roue arrière s’éloigne de sa position initiale, elle recule à mesure que l’on comprime l’amortisseur. Autrement dit, la longueur des bases du vélo s’allonge.

Afin d’avoir une idée de l’ampleur de ce recul, nous avons recueilli les données constructeur de quelques vélos utilisant un point de pivot haut. Attention, ces valeurs peuvent varier en fonction de la taille de chaque vélo.

Il est intéressant de noter que sur des vélos qui utilisent un point de pivot fixe (monopivot) comme le Deviate Highlander, le Forbidden Druid ou encore le Forbidden Dreadnought, la roue ne cesse de partir vers l’arrière. À contrario, sur des vélos utilisant un point de pivot virtuel comme le Cannondale Jekyll, le GT Force ou le Kavenz VHP 16, la roue repart légèrement vers l’avant en fin de course.

Le mieux aurait été de réaliser ce même graphique avec en sus des vélos utilisant un point de pivot « classique », mais les constructeurs communiquent rarement ces données.

Pourquoi faire reculer la roue ?

Parce qu’une animation vaut mieux qu’un long monologue, on a opposé deux vélos, le premier utilisant un point de pivot « classique » situé au niveau du plateau et l’autre un point de pivot haut. Ces deux vélos rencontrent le même obstacle à la même vitesse. Attention, on ne prend pas en compte la perte de vitesse engendrée par l’obstacle, on se concentre uniquement sur la trajectoire de la roue arrière.

On remarque facilement que la roue arrière du vélo avec le point de pivot haut met plus de temps à monter sur le rocher. C’est cette trajectoire de roue qui recule qui permet cela, et traduit en sensations, cela donne un choc moins brutal puisque la roue ne « bute » pas directement sur l’obstacle. Tout le contraire de celle du vélo au point de pivot classique, qui monte très rapidement. Autre intérêt de cette plus grande « douceur », une meilleure conservation de la vitesse puisque la roue « absorbe » le rocher au lieu de « taper » dedans.

Cette trajectoire vers l’arrière a également un impact sur la géométrie. En effet, la longueur des bases, comprenez la distance entre l’axe de la roue arrière et le boîtier de pédalier, s’allonge. A l’opposé le front center, qui représente la distance entre l’axe de la roue avant et le boîtier de pédalier, diminue à mesure que la fourche consomme son débattement. Plus l’angle de direction est couché, plus le raccourcissement est important.

Pivot haut et géométrie

En VTT, le centre de gravité du pilote se situe globalement au-dessus du boîtier de pédalier, légèrement décalé vers la roue avant. En connaissant la valeur de la longueur des bases et du front center, on peut avoir une idée de la masse soutenue par chaque roue. En règle générale, 65 % de la masse du pilote est soutenue par la roue arrière contre 35 % pour la roue avant.

Sur un vélo utilisant un point de pivot bas, la longueur des bases se raccourcit généralement lorsqu’on prend un choc (même si elle peut commencer par augmenter sur les premiers millimètres de course). Le front center diminue quant à lui de manière constante. Au final, plus on rentre dans le débattement, plus l’empattement du vélo se raccourcit et plus on perd en stabilité.

Qui plus est, si l’amortisseur venait à être comprimé davantage que la fourche (réception sur la roue arrière, petit déséquilibre…), le raccourcissement des bases par rapport au front center augmenterait la masse soutenue par la roue arrière. La roue avant se retrouverait alors déchargée et le pilote risquerait de perdre de l’adhérence.

Si l’on répète le scénario précédent sur un vélo avec un point de pivot haut, l’allongement de la longueur des bases permet de compenser (pas complètement, mais dans une certaine mesure) la réduction du front center et de conserver un minimum l’empattement du vélo, donc la stabilité. Au passage, on réduit aussi le risque de déséquilibrer le centre de gravité vers l’arrière et de perdre le contrôle de la roue avant.

On notera au passage que bon nombre de fabricants proposant un vélo avec un point de pivot haut ajustent la longueur des bases en fonction de la taille du vélo. C’est le cas du Cannondale avec le Jekyll, de Forbidden avec le Druid, de Trek sur le Session, de Deviate sur son Highlander…

Et le galet de renvoi dans tout ça ?

GT RTS-2, extrait du catalogue GT 1993, source @mtb-catalog.de

On serait tenté de dire qu’un vélo utilisant un point de pivot haut est reconnaissable grâce à son galet de renvoi. Évidemment, comme pour toute règle il y a des exceptions. Le GT RTS est l’une d’elle. Commercialisé au début des années 90, ce vélo de XC utilisait un point de pivot haut sans galet de renvoi et GT le présentait de la manière suivante :

“L’anti-squat du GT RTS permet de garder un arrière rigide grâce à la pression appliquée sur les pédales. Que vous soyez en train d’attaquer une côte ou de sprinter jusqu’à la ligne d’arrivée, la suspension est verrouillée […]. Lorsque la roue arrière percute un obstacle avec une force supérieure à celle appliquée sur la chaîne, la suspension est activée et le terrain est absorbé. »  

Reprenons notre vélo avec son point de pivot haut et faisons passer la chaîne directement du plateau à la cassette.

A l’arrêt, lorsque l’on comprime l’amortisseur, la distance entre la cassette et le plateau augmente puisque la roue part vers l’arrière. Cependant, la chaîne n’est pas extensible. Dans ce cas la chaîne tire sur la cassette et celle-ci entraîne le corps de roue libre qui la connecte à la roue. Comme nous sommes à l’arrêt, la cassette ne peut pas tourner davantage donc la chaîne entraîne le plateau et le force à faire une rotation vers l’arrière. C’est ce que l’on appelle le (pedal) kickback.

Lorsque l’on roule, l’histoire est légèrement différente. Pour qu’il y ait du kickback dans une compression, il faut que la rotation de la cassette engendrée par la chaîne soit plus rapide que la rotation de la roue. Si tel est le cas, le plateau effectuera une rotation anti-horaire comme à l’arrêt.

Sur un vélo de DH ou d’enduro, la roue recule bien plus que sur le GT RTS qui ne disposait que de 56 mm de débattement. La rotation du plateau que cela peut engendrer est donc nettement plus importante et le kickback suit la même voie, jusqu’à atteindre des valeurs trop élevées. Un vélo avec beaucoup de kickback, cela signifie beaucoup de retour désagréable dans les pieds du pilote ou, si ce dernier tient le choc, une suspension qui se verrouille car la chaîne ne bouge pas et ne peut pas s’allonger. Pour pallier cela, on vient dévier le brin supérieur de la chaîne avec un galet de renvoi afin d’en augmenter sa longueur.

Quand la suspension se comprime, le trajet du brin supérieur change et se raccourcit légèrement, ce qui compense entièrement (ou presque, selon les vélos) l’allongement des bases. La position du galet de renvoi est cruciale. En plus de réduire la valeur du kickback, elle détermine en partie la valeur de l’anti-squat. En règle générale, le galet est placé proche du point de pivot principal.

Un vélo de XC en pivot haut, ce serait possible aujourd’hui ?

Présent principalement sur les VTT de descente, d’enduro et de trail, le point de pivot haut ne semble pas présenter de réel intérêt pour le cross country.

Actuellement, les vélos de XC possèdent en moyenne 100 mm de débattement. C’est deux fois plus que le GT RTS et l’utilisation d’un galet de renvoi serait presque inévitable. De plus, cette “roulette” et ces quelques maillons supplémentaires ajoutent du poids ainsi que des frottements, ce qui diminue l’efficacité au pédalage. On comprend donc que ce système soit difficilement compatible avec les exigences de la discipline…

Des points faibles ?

Au vu de ces belles paroles, on pourrait penser que les “points de pivot haut” sont parfaits en tout point. Or ils présentent bien quelques zones d’ombre.

Outre le fait que cela alourdit la transmission et la dote d’un galet de renvoi parfois bruyant, ces vélos peuvent demander un certain temps d’adaptation. En effet, l’augmentation de la longueur des bases peut être perturbante au moment de déclencher un manual ou de lancer un bunny hop.

Par ailleurs, si le recul de la roue arrière est un avantage sur les descentes rapides et accidentées, il l’est nettement moins sur les sections lentes et sinueuses. Certains diront que ces vélos manquent de dynamisme et de nervosité à basse vitesse, d’autres y verront une occasion d’adapter leur pilotage.

Enfin, le comportement au pédalage peut aussi être affecté, au-delà des frottements supplémentaires. On peut se retrouver avec des vélos à l’anti-squat assez faible, donc qui pompent facilement comme sur le nouveau Jekyll. Ce n’est cependant pas une règle fixe et d’autres vélos à point de pivot haut ont, à l’inverse, un anti-squat bien plus élevé que la moyenne à l’image du Kavenz VHP 16 ou du Eminent Drive.

Il faut garder à l’esprit que ces vélos sont souvent développés pour performer en descente. Le dynamisme sur les sentiers plus flow, l’efficacité au pédalage ou le côté joueur ne sont pas au centre de leurs préoccupations.

A retenir

Le terme “point de pivot haut” est au final assez vague. En regroupant de nombreux vélos sous une seule appellation, il peut donner l’impression que ces vélos auront des comportements et performances très similaires, alors qu’il peuvent aussi être très différents par le choix de l’architecture de suspension (monopivot ou pivot virtuel). Il est donc important de nuancer le mot “haut” (à partir de combien de millimètres au-dessus du plateau est-il considéré comme haut ?), et de se souvenir que s’ils ont quelques caractéristiques communes, cela ne fait pas tout. De plus, l’utilisation d’un point de pivot virtuel peut permettre de passer d’un point de pivot “haut” en début de course à un point de pivot “bas” en fin de course, rendant l’interprétation d’un design encore plus compliquée. Comme toujours, seul un test terrain et une analyse approfondie de chaque vélo permet de juger réellement de leur comportement. 

ParTheo Charrier