Interview | Pierre De Froidmont : « Désormais, je sais que je peux viser la victoire »

Par Adrien Protano -

  • Sport

Interview | Pierre De Froidmont : « Désormais, je sais que je peux viser la victoire »

Star montante sur la scène internationale du cross-country, le Belge Pierre de Froidmont a été auteur de plusieurs beaux faits d’armes durant la dernière saison de Coupe du monde. Il finit à la 11ème place du classement général avec un podium à la clé. Bref, on peut parler de véritable éclosion ! Nous avons rencontré le pilote belge durant ses dernières semaines de préparation avant l’ouverture de la saison internationale, sur ses terres d’entrainement, à Spa, en Belgique. Rencontre : 

On commence à te voir de plus en plus dans le groupe de tête sur les coupes du monde, mais le grand public ne te connaît pas encore bien. Quand, où, comment est-ce que tu as commencé le vélo ? Est-ce que tu te rappelles de ton premier vélo ?

Je m’en souviens très bien même, de mon premier vélo ! Je l’ai reçu à l’occasion de ma première communion, vers l’âge de 12 ans. Je me suis ensuite inscrit à un stage vélo pas très loin de chez moi, à la Reid (NDLR : dans les Ardennes belges). À la fin de la semaine, j’ai demandé à mes parents de me réinscrire directement tellement j’avais adoré ! Le plaisir d’être dans la nature, avec des copains, c’est dans ces conditions que j’ai découvert le VTT et que j’ai tout de suite accroché.

Junior_Championnat_Belgique_BK_XC_Ottignies_2015_Copyright_OBeart_VojoMag-1

Entre cette première découverte du VTT et ton arrivée au sein de l’équipe Wallonie MTB Team, quel a été ton parcours ?

Assez vite, dans la foulée, je me suis inscrit dans un club VTT de la région qui avait justement cette philosophie « rando et plaisir ». Une fois par an, ils organisaient quand même une manche du Kids Trophy (NDLR : une série belge de courses typées XC destinées aux enfants de 7 à 14 ans). J’ai fait ma première manche à l’âge de 13 ans et cela m’a bien plu. L’année d’après, je faisais la saison complète de Kids Trophy. J’ai ensuite quitté l’Ardennes Moutain Bike Theux, mon premier club, pour en rejoindre un autre situé à Saint-Vith. Ce club était plus axé compétition, ce que je cherchais pour ma dernière année en catégorie Débutant et mes deux années Junior (photo ci-dessus). J’y ai vécu mes premières courses internationales avant de rejoindre le team Merida – Wallonie (ensuite devenu BH – Wallonie) pour ma première année espoir.

Merida_Wallonie_2016_Copyright_OBeart_VojoMag-14

Justement, en arrivant au sein de ce team Merida – Wallonie, est-ce que le Pierre de Froidmont de l’époque s’imaginait devenir coureur professionnel ?

Lorsque je suis arrivé dans l’équipe, Sebastian Carabin était sous contrat professionnel avec l’ADEPS (NDLR : l’administration de l’Éducation physique et du sport en Belgique). Même si je trouvais cela très chouette, et que j’étais fier d’être dans la même équipe que lui, je ne m’imaginais jamais être à sa place ou comme lui tellement cela me paraissait impossible. À vrai dire, même des années après, je continue à le placer en idole.

Tu places Sebastian Carabin comme modèle, est-ce qu’il y a d’autres athlètes avec lesquels tu as partagé et/ou tu partages le peloton aujourd’hui et qui ont été/sont des idoles pour toi ? 

Je me rappelle avoir fait une course par étape à Chypres avec Jaroslav Kulhavý, vice-champion olympique 2016, c’était fou de partager le peloton avec lui. Sinon, c’est directement à Julien Absalon que je pense. Il a toujours été un athlète qui m’a beaucoup impressionné, et j’ai des souvenirs de ses nombreuses batailles avec Nino Schurter. Je me rappelle sur mes premières manches de Coupe du monde, les reconnaissances étant les mêmes pour les Espoirs et les Élites, partager la piste avec lui m’avait beaucoup marqué ! Je dois aussi avouer avoir été honoré quand il m’a envoyé un message l’année dernière pour me proposer d’aller rouler ensemble.

Tu as mené une double vie entre coureur au sein du team Wallonie et étudiant en éducation physique durant plusieurs années, avant d’être diplômé en septembre 2020. Est-ce que tu as observé un avant et un après diplôme dans ta préparation et ton mode de vie ?

Même si c’est clair que les choses sont plus confortables désormais et que je peux me consacrer entièrement à ma préparation, je suis content d’avoir vécu cette période de transition. Vu que je ne pensais pas que devenir pro était une option, j’ai tout fait pour réussir mes études correctement même si je ne suis pas un élève incroyable (rires). Les deux vies cohabitaient, j’envisageais l’entraînement comme un réel plaisir après la journée aux études. C’était mieux comme ça, sinon j’aurais eu la pression quant à ma réussite en course et cela ne m’aurait pas réussi au vu de ma personnalité. Puis cette double vie m’a forcé à être efficace et à réussir à m’organiser correctement. J’ai pris le pli d’être assez ordonné dans mon entrainement et j’en garde les apprentissages aujourd’hui.

Justement, à l’heure actuelle, ça ressemble à quoi la semaine d’un pilote professionnel comme toi ? Comment s’articule ta préparation ?

En hiver, la préparation est fort axée sur la salle ainsi que sur des séances sur la route, et je consacre le temps qu’il me reste aux activités externes ainsi qu’à ma vie privée. Durant la saison, les choses sont un peu différentes. Le rythme est plus élevé, ce qui fait qu’il y a des journées où tu ne fais que rouler. Là par exemple, je suis dans une semaine à 30 heures d’entrainement.

Et durant la saison, à quelle proportion ta préparation se passe sur le VTT et sur la route ?

Je fais beaucoup de route en hiver car c’est évidemment plus facile pour faire des séances qualitatives et précises. Quand la météo commence à s’adoucir, je suis vite en demande de VTT. Il m’arrive parfois de « déroger » à mon programme et d’effectuer un entrainement sur mon Oiz, alors qu’il était normalement prévu sur mon vélo de route.

C’est une vraie chance d’avoir maintenant des trail centers en Wallonie, comme ici à Spa. J’y fais des séances clés avant les manches de Coupe du monde !

C’est une vraie chance d’avoir maintenant des trail centers en Wallonie, comme ici à Spa, car cela me permet d’effectuer certaines séances spécifiques sur le VTT ou simplement de m’amuser entre les séances et de travailler la technique. Je fais aussi des séances clés ici avant les manches de coupes du monde qui me servent de déclic. Je connais très bien le lieu ici à Spa et je peux imprimer un rythme de course, avec de la VO2 max, avec des montées raides et des spéciales qui ont des similitudes avec les descentes des circuits de coupe du monde… Ce sont des séances assez courtes, environ deux heures, mais elles valent bien plus.

On voit de nombreux athlètes partir s’entrainer à l’étranger durant l’hiver, je pense notamment à l’Afrique du Sud, est-ce que toi tu ressens ce besoin de t’expatrier à un moment dans ta préparation ?

Dans un premier temps, je dois dire que c’est quand même à chaque fois vers ici, vers ma région d’origine, que j’ai envie de revenir pour m’entrainer. Je trouve qu’on a un terrain de jeu qui est vraiment bien et qui je pense suffit à ma préparation. Évidemment, la météo est parfois un peu capricieuse mais je préfère cela au terrain cassant du sud de la France. Par contre, j’ai toujours vécu de très bons team-camps en Italie ou en Espagne.

J’ai également eu la chance d’aller un peu plus loin, en Afrique du Sud ou au Rwanda. Je pense que c’est également le côté dépaysement qui est recherché avec ce genre de destination. L’Afrique du Sud, je n’ai connu que le côté très restreint au sein d’un domaine duquel tu ne peux pas sortir, une espèce de cage dorée… C’était donc moins agréable que le Rwanda où les choses sont beaucoup plus naturelles. J’ai eu l’opportunité d’aller deux fois au Rwanda grâce à Simon, mon premier entraineur, à qui je dois beaucoup puisqu’il m’a permis de me lancer, et qui vit désormais à Kigali. Je n’ai jamais roulé en VTT au Rwanda, c’était uniquement sur la route mais j’y ai ressenti un sentiment très agréable de sécurité sur la route. Je suis super intéressé d’y retourner pour y rouler en VTT, et le Rwandan Epic dont Simon est un des organisateurs est définitivement dans mes projets.

L’aspect « pilotage » est devenu très important au sein de la pratique désormais, est-ce que le côté technique rentre dans la préparation avec un travail spécifique ou bien tu te contentes uniquement des bases acquises que tu entretiens ?

Ça a été une discussion très intéressante avec mon entraineur où l’on se demandait ce que l’on pourrait spécifiquement travailler. J’avais justement remarqué lors des courses précédentes que par rapport aux 10 meilleurs en Coupe du monde, j’étais assez bon en franchissement. Par contre, j’avais tendance à perdre du temps sur les passages plus rapides et flows où je n’arrivais pas à lâcher assez les freins. Je ne perdais jamais beaucoup mais je devais à chaque fois fournir un effort derrière ce genre de passage pour me remettre dans la roue de mon concurrent de devant. Ces petits mètres perdus à chaque passage, au bout de 7 tours, ils font vraiment la différence ! C’est frustrant car lorsque tu vois que parfois, sur certaines courses, tu as 10 places dans un écart de 30 secondes, tu te rends compte que ces petites différences sont précieuses.

Je devrai mettre des choses en place pour permettre une réelle amélioration sur ce point. On avait notamment réfléchi avec Pierre Lebreton à l’achat de cellules chrono afin de pouvoir répéter en boucle certains passages et pouvoir objectiver ce qui est le plus rapide. Tout seul, je trouve que c’est difficile de se challenger sur ce genre de choses. Je devrais prendre mon enduro et aller rouler avec Martin Maes ou Gilles Franck (rires).

Je vois entre autres la différence en team-camp entre les premiers et les derniers jours du stage où j’ai passé beaucoup de temps sur le VTT. C’est notamment grâce au team-camp en Italie que j’ai pu m’imposer sur la manche à Albenga. Je me sentais bien dans les descentes rapides du circuit et j’ai pu y creuser l’écart.

Tu as nous as pas mal parlé de ton entraîneur, tu travailles avec qui en ce moment ?

Je travaille avec Pieter Timmermans. Il est originaire du côté flamand du pays et a commencé par encadrer des triathlètes et ensuite des coureurs sur route professionnels. Je lui ai demandé de me suivre, et désormais il est également responsable de la préparation de Jens (NDLR. Schuermans), Emeline (NDRL. Detilleux) ou encore Anne Tauber, Lukas Malezsewski…

Ça fait trois années que l’on bosse ensemble et je ne m’imagine pas changer. J’ai directement eu un bon feeling avec lui et je me rappelle m’être dit « je pense que ce sera mon dernier entraineur ». J’ai eu l’impression de travailler moins dur qu’avec mes précédents entraîneurs, mais de manière plus ciblée. Je ressens moins cette charge mentale de l’entrainement car il nous laisse plus de liberté dans notre planning, je peux permuter certaines séances ou les adapter un peu en fonction de mes envies. Il est beaucoup dans la compréhension et je pense avoir besoin d’une certaine liberté dans ma préparation. Je suis évidemment demandeur d’un certain suivi mais sans être étouffant pour autant. Je pense encore avoir une vraie marge de progression à ses côtés. Certains athlètes orientent leur préparation afin de viser uniquement une épreuve en particulier, moi je veux continuer à passer des étapes.

Tu as fait référence à de la préparation mentale. Quand est-ce que tu en es venu à préparer cela spécifiquement ?

Depuis 2019, je travaille avec une préparatrice mentale. À l’époque, j’avais l’impression que les choses étaient uniquement basées sur les résultats de la course, et durant quelques mois ça n’a plus fonctionné, alors que j’avais eu une progression constante auparavant. Donc je suis arrivé dans son bureau et je lui ai simplement dit « fais-moi remarcher », comme si j’étais chez le kiné (rires).

Sans ce changement de philosophie, je suis persuadé que j’aurais pu finir par arrêter le vélo

Elle m’a beaucoup aidé à changer cette philosophie. Désormais, je me rends compte que ce n’est pas le résultat qui est le plus important, mais bien tout le processus qu’il y a derrière. Si tu réfléchis juste en termes de résultat, tu peux vite te dégouter : tu te prépares pendant des mois pour un week-end, et si tu te loupes, tu as tout perdu… Sans ce changement de philosophie, je suis persuadé que j’aurais pu finir par arrêter le vélo si de bons résultats n’arrivaient pas.

Après plusieurs semaines à travailler là-dessus, je me suis rendu compte que j’avais perdu tout ce pourquoi j’avais commencé le vélo : la nature, la découverte de nouveaux lieux, le partage… J’ai redécouvert des panoramas, des odeurs, des sensations que j’avais déjà connus mais que j’avais oubliés à force de me concentrer sur l’effort et le résultat.

IK_3064-2-1.jpg

Et cette philosophie te permet quand même de performer en Coupe du monde ?

Sur les manches de Coupe du monde, je me sens tellement chanceux d’être là, je profite de toutes ces opportunités et je me régale bien plus qu’avant où je ne me concentrais que sur le résultat. La manche d’ouverture est à chaque fois un moment charnière entre la longue préparation hivernale et le retour des compétitions. C’est le moment où l’on se questionne sur le sens de tout cela, où l’on se demande si les Coupes du monde sont vraiment vectrices de bonheur personnel, même après des mois de préparation minutieuse. Désormais, je sais que je me prépare, non pas pour un éventuel podium en Coupe du monde, mais pour pouvoir profiter de ces différentes courses et des sentiments qu’elles peuvent me procurer.

Un axe de travail avec Julie (NDLR : sa préparatrice mentale) qui m’aide beaucoup également est l’exercice de visualisation. Elle met le circuit en caméra embarquée sur une tablette et je me projette dans ma course installé sur le home trainer. On travaille ainsi tout l’aspect psychologique de la course avec elle et on combat en amont la peur de l’inconnu. C’est fou comme ce travail peut paraitre optionnel et l’intérêt qu’il a pourtant une fois arrivé le jour de la course. Je sais qu’il y a des athlètes très fort à l’entraînement mais qui ont du mal à fonctionner en course à cause du côté mental.

La course est avant tout une bataille personnelle. Un duel n’est pas vraiment une bataille, mais plutôt un plaisir de s’affronter

Cela permet aussi de se rendre compte qu’au-delà de concurrents sur le circuit, la course est avant tout une bataille personnelle. Un duel n’est pas vraiment une bataille, mais plutôt un moment de partage, un plaisir de s’affronter. Le milieu de la course professionnelle n’a pas besoin d’être hostile et de considérer les autres comme des adversaires, il y a de la place pour de la bienveillance.

Tu as passé la saison avec Pierre Lebreton au sein du team KMC – Orbea, et tu as choisi de le suivre dans l’aventure de l’Orbea Factory Team qu’il a lancé cette année. Tu peux nous décrire ton expérience ?

Humainement, c’est quelqu’un d’incroyable. J’ai rarement rencontré une personne aussi correcte dans ce domaine. C’est quelqu’un de profondément intéressé par les autres et de bienveillant. Il a aussi beaucoup d’expérience, il a travaillé avec beaucoup de grands coureurs et donc c’est très facile de bosser avec lui. Je me sens très à l’aise d’aller vers lui pour discuter et il est toujours à l’écoute. Il arrive à me mettre en confiance, parfois même sans que je m’en rende compte.

Quand j’ai des doutes sur certaines courses, que je n’ai pas l’impression de fonctionner, je sais que je peux lui faire confiance. J’ai l’exemple de la manche au Brésil la saison dernière en tête : une semaine avant la Coupe du monde, on a fait une course pour se mettre dans le bain sur un circuit similaire. Tout le monde dans l’équipe a abandonné et moi je finis à plus de 8 minutes de Vidaurre… Le moral de l’équipe était au plus bas le soir-même, chacun voulait rentrer chez lui (rires). Pierre a pris la parole et nous a expliqué qu’il savait que ça allait se passer comme ça, il nous a cité les raisons pour lesquelles ça s’était mal passé (climat, fatigue du voyage…). Il nous a aussi dit qu’à partir de mercredi on verrait la différence et que nous serions prêts pour le week-end de course. Je m’en suis remis à lui et la manche s’est super bien passée !

C’est également quelqu’un d’assez précis dans le choix du matériel, non ?

Oui, exactement ! Il a déjà testé énormément de choses et est capable de bien nous aiguiller dans nos différents choix de matériel. C’est une vraie chance d’avoir ce partage d’expérience.

Est-ce que cette bonne expérience avec lui au sein du team KMC – Orbea a influencé ton choix de rejoindre l’Orbea Factory Team ?

Ça a été super déterminant dans mon choix même ! Je pense que peu importe l’équipe où il allait, j’aurais essayé de le suivre. Je suis certain que pour l’instant c’est avec lui que j’ai envie de travailler.

Je pense que comme une majorité des athlètes dans notre sport, je fonctionne à l’affect. J’ai besoin d’une bonne ambiance au sein du team, que l’humain soit pris en compte. Je sais que certains grands pilotes n’en ont pas besoin et font leurs courses qu’importe l’ambiance autour d’eux, mais moi je n’en suis pas capable.

J’imagine que l’époque des remontadas ne te manque pas trop ? Je veux dire par là partir loin derrière sur la grille de départ et remonter autant de coureurs que possible au fur et à mesure de la course. Aujourd’hui, ça te fait quoi de partir en première ligne ?

Le boulot est vraiment simplifié quand tu démarres dans les premières lignes. La ligne de départ a une influence énorme sur le résultat final. Il faut se rendre compte que certains mecs ont sûrement fait une course bien plus solide que toi mais sont partis dans les dernières lignes. Après voilà, c’est le jeu, on est tous passés par là.

Le short-track est également une bonne opportunité pour se classer correctement sur la grille de départ. C’est une épreuve que j’aime beaucoup, je trouve qu’elle permet de rentrer dans ce week-end de course, comme une transition entre la maison et la manche du dimanche. Le XCC me permet d’évacuer le stress et de me mettre en situation de confiance pour l’épreuve olympique. Puis ce n’est sûrement pas pareil pour tous les pilotes mais physiquement, ce type d’effort me mets en bonne condition pour le dimanche. Entre autres, à Selva, j’ai fait un « faux short-track » de mon côté le vendredi avant. Ce n’était pas aussi intense car c’est impossible de reproduire les conditions de course, de se mettre autant dans le rouge que lorsqu’on est poussé par la course, mais ça a été bénéfique pour moi et ma course du dimanche.

Tu as fini 6ème lors du short-track à Mont-Sainte-Anne, est-ce que c’est plus dur que de faire un top 10 sur une épreuve olympique ? On voit des spécialistes du XCC, qu’est-ce qu’ils ont en plus selon toi ?

J’ai une admiration pour les coureurs comme Koretzky, Avancini et les autres spécialistes du XCC. Terminer un short-track correctement et arriver à se placer pour la course du dimanche, c’est une chose. Mais être devant et changer le rythme de la course, délivrer cette accélération pour décider de prendre la main, décider de gagner c’est vraiment impressionnant. Honnêtement, dans les deux derniers tours, je suis dans un autre monde, je ne suis plus lucide et je passe en mode robot jusque-là fin (rires).

Pour MSA, les choses étaient différentes. On a abordé le dernier tour avec Jens et quatre autres coureurs aux avant-postes et je pense qu’on avait tous la même pensée en tête à ce moment-là : « Aujourd’hui je peux gagner ». On était six à passer la ligne en même temps pour entrer dans ce dernier tour de 2 minutes, tout était possible, c’est vraiment l’âme du short-track je trouve. J’avais de bonnes sensations et le circuit me convenait assez bien.

Au-delà de cette 6ème place sur le XCC, tu as également brillé lors de la course du dimanche où tu finis sur le podium, à la 5ème position. C’est un bon souvenir ce week-end ? Qu’est ce qui t’as marqué ?

Mont-Saint-Anne est un souvenir de dingue ! Au-delà d’un super week-end, c’était surtout une semaine incroyable. J’ai roulé toute la semaine sur les trails autour comme un enfant émerveillé. Les gens ont été super accueillants et l’endroit est bourré d’histoire et transpire le VTT. Pendant la course, j’ai été durant un bon moment en deuxième place et je me suis rendu compte que je roulais par plaisir et non pas pour le résultat, le sentiment que je ressentais était très similaire à la joie que j’ai eue en découvrant la région durant la semaine. C’est cet état de bonheur qui m’a fait fonctionner comme cela durant toute le week-end. J’avais l’impression de rouler car j’aimais l’endroit, j’aimais les gens et je me sentais bien de rouler là, à ce moment précis. J’espère pouvoir reproduire cet état d’esprit à différentes manches cette année.

Est-ce que tu as ressenti une différence dans ta manière de courir entre la fin de la saison 2021 et la saison dernière ?

Oui, sans aucun doute ! J’ai surtout vu que j’avais passé un cap entre Petrópolis et Mont-Sainte-Anne. Au Brésil, je me rappelle que l’on était trois pilotes à jouer la 4ème place lors du dernier tour. J’étais étonné d’être dans cette position dans le dernier tour et j’ai fini très satisfait de ma 6ème place. À mon retour, lors du débriefing avec Julie, elle m’a fait me rendre compte que je n’avais pas tout donné pour finir sur le podium, que j’étais resté trop respectueux et donc pas assez compétitif. Ça a été un gros axe de travail et d’évolution que l’on a beaucoup bossé ensemble. C’est la raison pour laquelle je pense avoir passé un cap à Mont-Sainte-Anne : lorsque je me suis retrouvé face à Schurter, je me suis simplement dit « c’est mon adversaire comme un autre, je veux me battre jusque la ligne d’arrivée« . C’était évidemment un rêve d’être dans cette position face à un tel pilote mais j’ai mis ça de côté et j’ai fais le nécessaire pour monter sur le podium.

Tu t’es imposé en ce début de saison 2023 à Albenga en Italie. Tu peux nous expliquer ce que ça fait de gagner à nouveau ? Parce que malgré tes excellents résultats, tu n’avais plus levé les bras depuis un moment. Comment on gère le fait de se sentir légitime pour monter sur le podium ?

Ma dernière victoire remontait à la Tri Nation Cup en septembre 2020. Même si j’ai signé de beaux résultats depuis, je n’avais plus décroché de victoire. C’était donc très chouette de gagner à Albenga début 2023, même s’il ne s’agissait que d’une course de préparation. J’ai senti que j’avais conservé les acquis et cette confiance des dernières courses de la saison. J’ai vu que physiquement je pouvais aller un peu plus vite donc j’ai décidé de faire le trou assez tôt dans la course. J’ai décidé de jouer ma carte à fond, là où auparavant je me serais dis « pourquoi je suis devant ? » (rires). La transition entre les courses où j’effectuais de jolies remontadas et cette position actuelle où l’on me considère comme légitime à être sur le podium s’est faite assez naturellement et progressivement. Dorénavant, je sais que je peux être sur le podium et jouer la victoire.

Est-ce qu’il y a certaines manches de Coupe du monde que tu attends plus que d’autres ? Ou au contraire, certaines que tu attends avec moins d’enthousiasme ?

Définitivement Mont-Sainte-Anne et Nove Mesto. Je trouve que les premières reconnaissances à Nove Mesto ont toujours un petit truc spécial : à chaque fois durant les entrainements, je m’imagine être bien placé en course et creuser l’écart. Le Brésil et Valkenburg auraient pu être très chouettes aussi. Avoir une coupe du monde aussi proche de la maison aurait été merveilleux, c’était l’occasion de vivre une belle fête avec tout le monde. Les Gets, je ne trouve pas que c’est le plus beau parcours mais l’endroit en lui-même me plait bien. Dans les tracés qui me plaisent moins, je trouve que Albstadt a moins de sens, et je ne suis pas le plus grand fan de Snowshoe même si j’y ai passé un très bon moment avec l’équipe l’année dernière.

À côté de la Coupe du monde, une revanche à prendre sur l’année dernière en championnat d’Europe ? On se rapproche également des Jeux de Paris, comment tu appréhendes cela ?

Les Championnats d’Europe, je trouve cela très dur, c’est un réel défi pour moi. Les parcours sont souvent artificiels et l’environnement est décalé (NDLR. rappelez vous ce circuit autour de la forteresse à Nove Sad). Cette difficulté des championnats d’Europe m’a vraiment fait réfléchir quant aux JO. Si les Jeux étaient à Mont-Sainte-Anne ou dans un lieu du VTT, je serais bien moins questionné mais là je dois avouer ne pas être aussi à l’aise que sur une manche de Coupe du monde. Attention, je sais très bien qu’une fois embarqué dans l’évènement, ça va être juste incroyable mais en revenant aux fondamentaux comme je l’expliquais tout à l’heure, c’est un évènement sur lequel je sais que je risque d’avoir un peu plus de mal.

Les JO 2024 que, on l’espère si tout se passe bien, tu partageras avec Jens Schuermans. Tu vis comment cette sélection qui approche ?

Pour le moment, la Belgique a deux places en VTT pour les Jeux, et une avance confortable niveau points. Il faut toutefois qu’on reste attentif afin de la conserver. Il faut donc arriver à faire de bons résultats jusque-là pour s’assurer de notre place, mais sans être trop focalisé sur les résultats comme je l’expliquais tout à l’heure (rires). Par rapport à Jens, j’avais tendance à le considérer comme une concurrence auparavant, désormais on se tire l’un l’autre vers le haut, je suis super content lorsqu’il fait de bons résultats et on collecte ensemble des points pour Paris.

D’un côté plus matos, quelles sont les évolutions selon toi de ce nouveau Oiz 2023 ? Ressens-tu une différence intéressante en compétition par rapport à la précédente génération ?

Je pense que le modèle précédent pouvait convenir à tout le monde, il était facile à prendre en main et léger. Je trouvais que c’était un excellent grimpeur et qu’il faisait bien le boulot en descente. Il m’a par contre fallu un peu plus de temps pour m’adapter au nouveau. Il est plus efficace mais plus radical et il faut l’apprivoiser. J’ai dû prendre mes marques niveau maniabilité. Maintenant que je connais bien le vélo, je peux dire qu’il est plus bien plus rassurant et efficace.

Cela a également été le cas lors du passage de roues de 25 mm de largeur interne à celles en 30 mm, et des pneus de 2.25 à 2.4. J’ai dû comprendre comment l’ensemble réagissait car j’avais perdu mes points de repères et j’avais l’impression de moins sentir le terrain. Finalement, cette monte est plus stable et permet davantage de passages à haute vitesse. »

On se projette bien plus loin, tu te vois un jour bosser dans le domaine de tes études ? Devenir professeur et donner cours à une classe d’élèves ou bien tu te vois finir tes jours dans le monde du vélo ?

Durant les premières saisons en tant que pro, j’avançais année par année car j’avais l’impression que cette chance qu’on m’avait offerte pouvait basculer aussi vite qu’elle était arrivée. J’étais donc persuadé que j’arriverais à m’adapter le jour où tout cela s’arrêterait et que je trouverais un poste dans l’enseignement. Depuis l’année passée, je dois avouer que j’espère, au fond de moi, avoir l’opportunité de rester dans le monde du vélo car j’y suis attaché. Je pense que l’encadrement des jeunes par exemple est quelque chose qui me botterait vraiment.

Plus qu’une semaine avant l’ouverture de la saison 2023 de Coupe du monde de cross-country à Nove Mesto, manche très attendue par Pierre de Froidmont. Nous souhaitons le meilleur au pilote belge et nous vous donnons rendez-vous le week-end prochain pour suivre ensemble cette première course de la saison !

ParAdrien Protano