Interview | Loana Lecomte : « L’objectif, c’était de faire un top 10 ! » - Interview : « L’objectif, c’était de faire un top 10 ! »

Par Léo Kervran -

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Interview | Loana Lecomte : « L’objectif, c’était de faire un top 10 ! » - Interview : « L’objectif, c’était de faire un top 10 ! »

Si ceux qui suivent de près le XC la connaissent depuis quelques temps, le grand public l’a découverte ces dernières semaines avec sa victoire en coupe du Monde pour sa première course à ce niveau chez les Elites, suivie du titre mondial puis du titre européen chez les Espoirs. De passage pour quelques jours en Haute-Savoie, sa région natale, Loana Lecomte a bien voulu s’arrêter le temps d’une matinée à la rédaction française de Vojo pour discuter de sa progression, de cette folle saison mais aussi de son équipe et de son avenir. Entretien :

Vojo : Tu t’es révélée aux yeux du grand public cette année avec ta victoire à Nove Mesto. Est-ce que tu peux te présenter un peu pour ceux qui ne te connaissent pas ?

Loana : J’ai commencé le vélo au club des Carroz d’Araches (en Haute-Savoie). J’habitais là-bas, je faisais du ski [alpin] l’hiver et mes parents voulaient que je fasse un sport l’été. Vu que mon papi faisait beaucoup de vélo de route, on m’a mis au VTT et j’ai commencé comme ça.

J’ai fait ski l’hiver et vélo l’été pendant 8 ans, jusqu’à l’année cadette 1 et mes 15 ans. Après il fallait faire un choix, les deux saisons commençaient à se chevaucher et ce n’était plus trop possible d’enchaîner les deux. J’ai choisi le vélo parce que je préférais l’ambiance, la montagne l’été et aussi parce que partir en stage en été sur les glaciers et se cailler toute la journée, surtout le matin, c’était pas trop mon truc (rires) !

Vojo : Donc tu te mets à fond sur le vélo en cadette et ça commence toute de suite à très très bien marcher au niveau national ?

Loana : Oui, je suis arrivée en cadette 1, j’ai découvert les coupes de France et j’en ai gagné deux. En cadette 2, je ne m’entraînais pas forcément beaucoup, je découvrais la vie au lycée à Annecy… Je continuais bien sûr les entraînements club mais je profitais aussi de la vie (rires) !

Après je me suis rendu compte que si je voulais continuer dans le vélo il fallait que je sois un peu plus sérieuse, enfin si je voulais faire du haut niveau. Je suis allée au pôle France VTT à Besançon et là je me suis mise un peu plus à fond, un peu plus sérieusement aux entraînements. C’est là que j’ai rencontré mon entraîneur (Philippe Chanteau), avec qui on a évolué jusqu’à aujourd’hui.

Vojo : Petite avance rapide jusqu’à 2019, l’année dernière. C’était ta deuxième année U23 et tu fais déjà une très belle saison avec le titre national, un podium aux championnats du Monde et ton premier podium en coupe du Monde (à Snowshoe). A ce moment-là, tu étais dans quel état d’esprit ?

Loana : Je me disais « ça va être difficile de faire mieux », de faire mieux que 3e sur les championnats du Monde et sur une coupe du Monde, surtout dès ma troisième année dans la catégorie (en XC, la catégorie Espoirs dure de 19 à 22 ans soit 4 ans). J’étais contente et je pensais pas faire ces résultats-là aussi tôt !

Vojo : Pendant l’hiver, tu fais le choix d’être surclassée en Elite pour l’année suivante, alors qu’il te reste encore 2 ans à faire en Espoirs en théorie…

Loana : Oui, normalement il devait y avoir les JO en 2020 et pour être sélectionnée, le critère c’est un podium en coupe du Monde Elite ou en championnat. Pour pouvoir espérer une sélection, il fallait que je me fasse surclasser. Je ne pensais pas à rentrer dans les critères mais juste être dans la courses avec les autres [françaises], si par exemple je faisais 15e et que les autres faisaient 16e et 17e, c’est moi qui avait la place (le classement UCI des nations détermine le nombre d’athlètes aux Jeux Olympiques et la France disposait alors de 2 places). L’idée était aussi de me faire évoluer et de me permettre de passer un cap.

Vojo : Qu’est-ce que ça fait de passer chez les Elites si tôt ? Pas trop de stress ?

Loana : Non, justement j’aimais bien parce que vu qu’en espoirs il n’y avait plus Sina Frei qui gagnait tout, on allait être 3 à être les leaders et ça allait me mettre de la pression, j’étais presque obligée de faire sur le podium ou d’être dans les 5 à chaque coupe du Monde. Alors que là je me suis dit, en Elite je découvre et il n’y a pas de pression.

Vojo : A ce sujet, les Espoirs sont assez impressionnantes ces dernières années : Kate Courtney puis Sina Frei, Evie Richards, Laura Stigger, toi, vous avez eu de très bons résultats très tôt en Elite. Qu’est-ce que tu en penses ?

Loana : Je ne sais pas… Laura je la connais bien et ce n’est pas surprenant, on se tirait déjà la bourre en juniors, quand j’étais Junior 2 elle était Junior 1. Les autres je n’ai pas couru avec dans les petites catégories.

Vojo : Tu fais donc une belle saison 2019, tu fais le choix de passer en Elite pendant l’hiver, le début de saison 2020 se passe bien et un virus passe par là. Comment as-tu géré ça ?

Loana : Moi je l’ai plutôt bien géré, j’ai eu de la chance car j’habite à la montagne donc c’était plutôt tranquille (rires) ! Je me suis pas du tout mis de pression ou quoi, même moralement. Je n’ai plus trop fait de vélo, j’ai fait pas mal de gainage, j’ai un tapis de course chez moi donc je faisais un peu de course à pied, j’allais marcher autour de chez moi… Ça s’est bien passé, j’en garde un bon souvenir du confinement.

Vojo : Le fait de ne pas savoir quand tu vas retourner sur les circuits, ça ne t’a pas perturbée ?

Loana : C’est vrai que j’en connais beaucoup que ça embêtait, ça les stressait et tout mais je ne sais pas, je ne dois pas être normale mais moi pas du tout ! Je me disais de toute façon on verra bien, stressée ou pas on ne peut pas changer les choses donc autant rester tranquille…

Vojo : Quelques courses de reprise et un titre de championne de France Espoirs plus tard, tu arrives à Nove Mesto sur ta première coupe du Monde Elite avec une semaine bien particulière, 4 courses d’un coup. Dans quel état d’esprit tu es arrivé sur place ?

Loana : J’avais fait des bonnes places avec les Elites sur les courses d’avant (coupes de France, coupes de Suisse), j’avais pu me situer un peu mais je me disais « elles se connaissent par coeur, elles savent hyper bien se préparer, elles ne sont pas en forme là mais elles vont arriver à bloc sur les coupes du Monde ». L’objectif c’était de faire un top 10, ça aurait été vraiment la fête ! Comme on allait faire 4 courses en une semaine, j’avais surtout peur de ne pas tenir jusqu’au bout, plus qu’une pression des faire des résultats. J’avais peur de ne pas être capable d’enchaîner les 4 courses et ça m’a épuisée énergétiquement, même encore les deux semaines qui ont suivi.

Vojo : Sur les championnats du Monde et d’Europe, tu le sentais encore ?

Loana : Oui. Physiquement je sentais que ça allait, de toute façon la forme physique ne va pas varier comme ça d’une semaine à l’autre mais nerveusement, mentalement c’était dur à la fin. Les échauffements c’est le pire, répéter toujours la même chose… En fait je ne comptais pas mes courses, je comptais les échauffements qu’il me restait à faire (rires) !

Pendant les 3 semaines, je n’ai même pas vraiment pris le temps d’apprécier en fait, je savais qu’il fallait que je tienne encore, encore… Même après les championnats du monde c’était particulier, sur le coup c’est comme si j’avais gagné une course ordinaire.

Vojo : Avec ta victoire en coupe du Monde arrive aussi Redbull TV et toutes les sollicitations liées à la catégories Elite. Tu t’y étais préparée en Espoirs ?

Loana : Non, je n’étais pas trop sollicitée en Espoirs, même pas du tout. Personne ne me connaissait vraiment. En fait on a l’impression d’exister un peu en Elite, même aux yeux des concurrentes. D’un coup il y a une Kate Courtney qui va me dire bonjour alors qu’avant, jamais elle ne m’aurait calculé. C’est assez bizarre mais on s’y fait.

Juste après la victoire, non, après la 3e place au XCC on me dit « ne t’inquiète pas, tu n’auras pas à parler en anglais, de toute façon ce ne sera pas en direct, on traduira » et là d’un coup la caméra qui arrive, ils ont pu garder l’antenne plus longtemps donc c’est en direct et on me demande à parler en anglais, j’étais pas prête du tout ! Il va falloir que je travaille ça (rires).

Vojo : Aux championnats du Monde puis d’Europe, vu de l’extérieur tu semblais intouchable chez les Espoirs. Est-ce que tu aurais aimé courir avec les Elites sur ces deux courses ?

Loana : Non parce que même en Espoirs, je ne me suis pas dit « c’est bon c’est gagné, c’est sûr ». Un championnat c’est toujours une course spéciale, on ne sait jamais ce qu’il peut se passer. Sur les championnats du Monde, c’est sûr que non je n’aurais pas aimé courir avec les Elites ! De toute façon il n’y aurait pas eu de bataille avec Pauline, elle était au-dessus quand même.

Sur les championnats d’Europe on a eu le même nombre de tours et les mêmes conditions que les Elites, en regardant les temps au tour je me dit que ça aurait été intéressant de faire la course avec Pauline, pour voir comment ça se serait passé. Mais sinon, courir avec les Espoirs c’est bien assez pour le moment sur les championnats.

Après aux championnats d’Europe c’était très dur de tenir toute la semaine mentalement, surtout que les Elites ont couru le samedi et nous les Espoirs Dames on était la dernière course le dimanche. La samedi soir on les voit, ils étaient en déjà coupure, c’était très dur.

Vojo : Avec ton surclassement, tu ne vas beaucoup pouvoir porter ton maillot irisé…

Loana : Oui, je le mettrai à l’entraînement ! De toute façon Pauline est championne du Monde aussi donc même sans être surclassée, je n’aurais pas pu le mettre sur les coupes de France (où Espoirs et Elites courent ensemble) car il ne peut pas y avoir deux fois le même maillot distinctif dans la course. Je pourrais éventuellement mettre celui des championnats d’Europe…

Vojo : L’année prochaine il y a les JO de Tokyo, la raison de ton surclassement. Tu avais terminé 8e l’année dernière sur le Test Event, comment envisages-tu les choses ?

Loana : C’est un circuit que j’aime beaucoup, sans doute mon préféré aujourd’hui. Pas très physique, juste de courtes montées raides et derrière des descentes avec des très gros obstacles mais qui passent très bien.

Après, chaque course est différente, c’est pas parce que j’ai gagné une coupe du Monde là que je vais toutes les gagner l’année prochaine ! A chaque fois je repars de zéro. C’est sûr que je vais être un peu plus observée et si j’y vais ce sera pour faire la meilleure place possible, mais on verra bien.

Vojo : Parlons un peu de ton équipe, Massi. Tu les as rejoints il y a deux ans, pour la saison 2019, comment ça se passe ?

Loana : Très bien, c’est une équipe assez pro mais encore familiale, on s’entend tous assez bien. Les deux teams managers habitent en Espagne mais sont français et chez les athlètes, on est que des Français et un Portugais.

Vojo : Julie Bresset a rejoint l’équipe début 2020, vous échangez beaucoup ? Vous avez un parcours très similaire d’ailleurs.

Loana : Oui, même elle me dit à chaque fois « moi aussi j’avais fait ça, j’avais fait ça » (rires) ! Du coup c’est intéressant de parler avec elle, elle partage beaucoup, elle me dit ce qu’il faut faire, ce qu’il ne faut pas faire… Je pense que c’est une chance de l’avoir dans l’équipe du coup parce qu’elle arrive en fin de carrière, moi je commence seulement. Il n’y a même pas de concurrence en fait entre nous, c’est vraiment un partage. Si elle me bat je suis contente et si je la bats ce n’est pas grave, enfin elle est contente aussi je pense.

Vojo : Les choix matériels, la mécanique, c’est quelque chose sur lequel tu penches beaucoup ?

Loana : Ah non, je fais entièrement confiance à mon mécano ! Enfin si, je m’y intéresse, j’aime bien mais je ne m’y connais pas assez. Je discute souvent avec Thomas Griot pour les pneus ou les trucs comme ça, je ressens les choses mais je ne saurais pas dire je veux ce pneu-là pour ce terrain à l’avance, il faut que je teste.

Vojo : Tu es l’une des rares athlètes chez les filles à rouler sans tige de selle télescopique…

Loana : Oui, je sais que j’ai mes repères avec la selle et je sais aussi que techniquement, ce n’est pas là où j’ai des lacunes. J’ai plus à travailler le physique que le technique donc je préfère gagner du poids de ce côté, quitte à garder la suspension à l’arrière. Aux championnats du Monde par exemple, beaucoup de filles ont couru avec un semi-rigide et une tige de selle télescopique, niveau poids ça revient presque au même qu’un tout-suspendu avec une tige de selle rigide ! Je préfère nettement l’avantage de la suspension.

Vojo : Avec la saison que tu viens de faire, est-ce que tu as reçu des sollicitations, des demandes d’autres équipes ?

Loana : Oui oui, j’en ai reçu pas mal mais je sais que là, pour l’année olympique qui arrive je ne me sens pas encore prête à aller dans une autre équipe, à changer comme ça… Je repars pour encore un an, au moins, avec Massi. Je suis bien avec eux là, et pour l’instant je n’ai pas besoin de plus, en fait je ne vois même pas ce que je peux avoir de plus ailleurs. Tant que je ne ressens pas le besoin de changer je préfère rester avec eux, d’autant plus que ça ne fait que deux ans.

Vojo : Pour finir, une dernière question un peu plus légère. Tu cours maintenant avec les Elites, est-ce que tu avais parmi ces Elites une pilote un peu « modèle », une référence avec qui ça te fait bizarre de courir maintenant ?

Loana : Jolanda Neff, c’est vraiment une pilote que j’admire, c’était un peu mon idole avant. Je voulais absolument courir avec elle pour voir ce que ça faisait, j’appréhendais presque un peu. Du coup elle n’était pas trop là cette année ! Mais même une Kate Courtney, c’est cool de courir avec elle. En France on a l’habitude de courir avec Pauline ou Julie donc courir avec d’autres top pilotes étrangères ça fait bizarre mais c’est bien.

Elle marche dans les traces de Julie Bresset et elle a écrit l’histoire il y a quelques semaines, en devenant la première coureuse à remporter une coupe du Monde Elite de XCO dès sa première participation dans la catégorie. Pourtant, Loana Lecomte garde la tête sur les épaules et ne semble pas vouloir s’arrêter en si bon chemin. Ce matin-là, on a découvert une personnalité attachante, une athlète discrète et naturelle pas encore habituée aux sollicitations médiatiques qui vont l’accompagner un moment, mais toujours disponible et souriante. Grand espoir du VTT français, elle peut compter sur l’expérience de ses aînées, Julie Bresset et Pauline Ferrand-Prévot en tête, pour réussir au mieux sa transition en catégorie Elite et confirmer dans les années à venir son énorme potentiel. Pour la suite, rendez-vous les 8 et 9 mai prochains à Albstadt avec l’ouverture de la saison 2021 de coupe du Monde de XC…

Retrouvez également notre épisode du Lunch Ride avec Loana Lecomte, où elle nous raconte sa semaine de coupe du Monde à Nove Mesto jusqu’à sa victoire pour sa première course en catégorie Elite : Le Lunch Ride #6 | Loana Lecomte – Comment j’ai remporté ma première coupe du Monde Elite

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