Interview | Jérôme Gilloux, le petit prince de l’e-bike

Par Olivier Béart -

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Interview | Jérôme Gilloux, le petit prince de l’e-bike

Inconnu au-delà de sa région, la Côte d’Azur, il y a encore quelques années, Jérôme Gilloux s’est forgé un palmarès aussi impressionnant qu’éclectique dans un domaine bien particulier : l’e-bike. Discret, humble, c’est un personnage qui gagne à être connu… et à être vu en train de rouler car ce qu’il fait au guidon de son Moustache est parfois à peine croyable. Vojo est allé à sa rencontre, chez lui, dans l’arrière-pays niçois, pour faire un peu mieux connaissance et pour évoquer avec lui les formats de course en VTT à assistance électrique.

Petit par la taille et le gabarit mais grand par le talent : le formule peut paraître éculée, mais elle colle magnifiquement bien à Jérôme Gilloux, qu’on peut qualifier aujourd’hui de véritable référence en matière de VTT à assistance électrique. Aussi à l’aise sur des épreuves longues et très techniques que sur des formats courts, capable également d’aller jouer haut dans le classement en enduro, le pilote Moustache a enfin décroché cette année le grand titre majeur qui se refusait encore à lui : après deux deuxièmes places en 2019 et 2020, il a enfin pu revêtir le maillot arc-en-ciel de champion du monde e-bike.

Ah, justement, la compétition en VTT à assistance électrique, est-ce que cela a vraiment du sens ? Si vous nous lisez régulièrement, vous savez que si nous considérons pleinement les e-bikes comme des VTT, et si nous défendons cette pratique au même titre que celle du VTT classique, nous avons régulièrement été très critiques par rapport aux formats de course proposés. Non que nous sommes contre toute forme de compétition e-bike, mais nous pensons que les VTT à assistance électrique méritent mieux que juste des schémas de course copiés sur les disciplines classiques. Soyons créatifs, voilà le message que nous essayons de faire passer !

Tout en étant sincèrement heureux du titre de Jérôme, et surtout de la reconnaissance amplement méritée qui va avec, c’est justement en ce sens que nous avons une nouvelle fois été très critiques par rapport au dernier championnat du monde e-bike à Val di Sole qui, vu de l’extérieur, ressemblait une nouvelle fois à un XC olympique classique, très court et sans réelle spécificité e-bike. Erreur ! Après lecture de notre article, Jérôme nous a appelés peu après pour faire valoir un point de vue différent. De là est née l’idée de rendre visite à Jérôme pour aller rider ensemble et en parler de vive voix, avec pour résultat une discussion très intéressante et constructive dont nous vous livrons ici les meilleurs moments.

Vojo : Jérôme, tout d’abord, peux-tu nous expliquer d’où tu viens ? Le grand public t’a connu grâce à l’e-bike, mais tu n’as pas fait que cela. On nous a dit que tu avais un solide background route et VTT classique…

Jérôme Gilloux : Comme beaucoup de jeunes du coin, j’ai commencé le VTT avec des copains… et vu le relief de la région, avec beaucoup de cailloux et des chemins bien engagés, j’ai acquis assez vite une bonne technique. Ce n’est pas pour rien qu’on a une densité de champions de VTT assez unique au monde dans le coin (Barel, Vouilloz, etc). J’ai aussi fait beaucoup de vélo trial. On avait un voisin qui en faisait et qui m’a montré les bases. j’ai de suite adoré et je me suis mis à travailler énormément dans mon coin. Mon père, qui est garagiste, m’avait installé quelques modules autour de la maison et de son garage. Je pouvais y passer des heures à essayer, rater et tomber, jusqu’à ce que j’y arrive finalement. Aujourd’hui encore, cette base de trial me sert énormément. J’ai fait de la compétition VTT en XC et j’ai aussi fait de la route à un assez haut niveau, en étant dans la sélection nationale de la Principauté de Monaco. J’ai couru aux côtés de quelques stars actuelles du peloton, qu’on voit très haut dans le classement du Tour de France aujourd’hui. Mais il me manquait un petit quelque chose. Vu mon gabarit, j’étais bon grimpeur, mais avant cela, il fallait arriver en bas des cols en bonne position et ça, ça a toujours été compliqué face à d’autres qui en plus étaient d’excellents rouleurs ou qui avaient déjà une équipe sur qui compter même étant jeunes.

Du coup, tu as laissé tomber l’aspect compétition un moment…

Oui, après les catégories jeunes, c’est le moment des choix, et j’ai choisi celle de la raison : poursuivre ma formation en mécanique pour me spécialiser dans l’entretien des engins de levage. Avec mon père, nous avions énormément de clients dans toute la région. C’est là que j’ai découvert l’e-bike, avec Olivier Giordanengo du shop et du team La Roue Libre. Cela a été une révélation, avec tout le plaisir du vélo, un petit côté moto trial en montée mais sans le bruit et le gabarit de la moto. Bref, j’ai adoré et c’est à ce moment aussi que sont apparues les premières course e-bike, vers 2017/2018.

On en profite pour faire une petite parenthèse dans cette interview, juste pour essayer de vous faire imaginer combien Jérôme est épatant sur son vélo et combien on voit ses aptitudes en trial élevées au rang d’art quand il est au guidon de son VTTAE. Sans un bruit, tel un chat, il grimpe des escaliers, escalade des rochers, se fraye un chemin dans des chaos de pierres… et tout cela a l’air d’une facilité déconcertante. En fait c’est quand on se plante lamentablement après trois mètres en essayant de le suivre qu’on se rend vraiment compte de son niveau. Autre petite anecdote, le lendemain de notre visite chez Jérôme, nous nous sommes retrouvés ensemble au départ de la Transvésubienne. Alors qu’on a eu l’impression de « bien rouler », avec un top10 e-bike à la clé, Jérôme nous a collé tout simplement plus d’une heure dans la vue. Et surtout, il n’a pas mis pied à terre de tout le tracé ! Ce qui reste, croyez-nous, un véritable exploit même en e-bike. Fin de la parenthèse…

Justement, rentrons dans le vif du sujet et parlons de compétition e-bike ! De vive voix, on te le dit : bravo pour ton titre de champion du monde qui est plus que mérité, mais ne penses-tu pas qu’il aurait encore plus de valeur s’il était décerné sur un autre format ? Ici, le type de course choisi par l’UCI pour décerner ce maillot est très court…

C’est vrai que c’est un format court. Mais même si ce n’est pas le seul, c’est pour moi un format qui a une réelle pertinence en e-bike. Du moins si le parcours est adapté. Et c’était le cas cette année à Val di Sole. A Mont-Ste-Anne, pour une première organisation d’un championnat du monde e-bike, c’était pas mal, mais le tracé favorisait tout de même la puissance pure avec une très longue montée raide mais pas technique qui influençait beaucoup la course. A Leogang, n’ayons pas peur des mots, c’était complètement raté et il n’y avait rien à garder. Par contre, cette année à Val di Sole, on avait un parcours de 2,2km, très ramassé, avec assez peu de dénivelé sur le papier mais de la technique tout le long, plein de virages serrés, des descentes où il fallait faire preuve de beaucoup de finesse et des zones en montée intéressantes. Au-delà de son intérêt sur le plan du pilotage, c’était aussi un tracé très égalitaire car très complet. Un gars très fort physiquement ou avec un moteur un peu plus performant ne pouvait pas gagner rien que sur cela. Pour moi, là, on tient vraiment quelque chose. Et c’est pour cela que je n’ai pas trop compris votre article qui critiquait une nouvelle fois le type de course. Par le passé c’était justifié, mais pas cette fois selon moi.

C’est vrai que nous avons peut-être été un peu vite pour dire que c’était comme les autres années et du coup ton feedback est très intéressant. Nous émettons un avis, c’est vrai, mais nous ne prétendons pas détenir la vérité absolue et nous sommes prêts à revoir notre jugement. Tu ne trouvais tout de même pas que c’était un parcours qui restait faisable en VTT classique, et trop court aussi pour mettre en avant un point important sur un e-bike : la gestion de l’autonomie ?

Oui, on pouvait sans doute faire le tracé de Val di Sole en vélo classique, mais il y avait tout de même pas mal de zones spécifiques e-bike et puis, en classique même un très bon pilote roulerait à 10km/h là-dessus. Ce ne serait pas très spectaculaire. Ici ce qui est intéressant, c’est de rouler cela entre 15 et 20km/h. Pour ce qui est de la longueur, oui, on pourrait aussi faire des formats plus longs. Ça existe, il y a déjà plusieurs très belles épreuves e-bikes en format long (Super8 à La Plagne, Transvésubienne, Tour du Mont Blanc,…) et pourquoi pas décerner aussi un maillot de champion du monde e-bike marathon sur ces courses. Mais le format court sur lequel l’arc-en-ciel se joue actuellement a aussi du sens. 50 minutes à fond, où tu n’as pas droit à la moindre erreur de pilotage, c’est très intéressant. Cela gomme beaucoup les différences de batterie et de moteur ! Il faut qu’il y ait aussi un format sans gestion de batterie, spectaculaire. Actuellement les courses e-bike n’ont pas encore de couverture TV, mais pour le public c’est aussi clairement ce qu’il faut.

Tu penses que le parcours bien adapté de cette année est ce qui a permis à un spécialiste comme toi de s’imposer, devant un autre pilote qu’on voit souvent en e-bike, Hugo Pigeon ? Les autres années, tu t’étais fait battre par des « crosseurs ». D’un très haut niveau certes, mais par des gars qui ont mis leurs fesses sur un e-bike pour la première fois la veille de la course et qui ont rangé le vélo le lendemain. Avant que tu le portes, on n’avait d’ailleurs jamais vu le maillot de champion du monde e-bike se montrer au grand jour ou sur une course !

Oui, c’est une des raisons. Mais ce n’est pas la seule, je me suis aussi beaucoup plus et beaucoup mieux entraîné que les autres années. J’étais plus fort que jamais. Après, je ne me prononcerai pas sur les choix des autres pilotes et des autres marques. Cela reste quand même valorisant et de belles lignes sur un palmarès de terminer 2e en 2018 derrière un champion du monde espoir, Alan Hatherly, et derrière le champion Olympique Tom Pidcock en 2019. Mais c’est clair que c’est dommage qu’on ne les ait jamais revus sur un e-bike par la suite pour montrer leur maillot au départ d’autres épreuves.

L’an prochain, le titre se jouera aux Gets. Tu penses que le parcours pourra être bien adapté à l’e-bike ?

Oui, j’ai bon espoir ! Si c’est un parcours adapté comme à Val di Sole, un gars qui ne fait pas d’e-bike ne pourra pas gagner. Il suffit de voir cette année : Blevins était dans la forme de sa vie. Il gagne trois médailles, l’argent en relais, l’or en short-track et il a « seulement » le bronze en e-bike. Physiquement c’était le plus fort, mais à force de mettre des cartouches dans le physique, il s’est crâmé et il était moins lucide dans le technique, ce qui a permis à Hugo et moi de le distancer.

Et l’enduro ?

C’est un format qui me convient moins personnellement, même si j’en fais régulièrement. Au niveau national ça va encore, mais en EWS, cela devient vraiment quasi de la DH/DH marathon. Du coup, même si je suis assez technique, c’est dur de lutter contre des gars qui ont un gros background de descendeurs. N’empêche, comme pour les autres disciplines de l’e-bike, on voit qu’il y a une grande mixité de profils parmi les pilotes. C’est un aspect que j’aime beaucoup : le VTTAE rassemble sur les mêmes épreuves des crosseurs, descendeurs, enduristes, spécialistes e-bike. Pour ce qui est des formats de course en enduro, cela évolue encore, mais vraiment dans le bon sens. On voit arriver des petites portions de montées en spéciales, des spéciales différentes de celles de l’EWS classique. Et puis il y a aussi la Power Stage en montée qui est top. Et où là je m’amuse vraiment bien. (Et où Jérôme est surtout une véritable terreur puisqu’il les gagne quasi systématiquement, NDLR).

Du côté du vélo, tu roules toujours la même machine ? 

Non, j’ai deux vélos, un peu customisés à ma sauce, mais en gros, j’utilise un Moustache Samedi 29 Trail pour les formats XC et marathon, et un Game pour l’enduro. La base du châssis et le moteur restent identique, mais j’ai plus de débattement, 160mm, pour l’enduro. Alors que pour les autres formats, je reste à 140mm. Je joue aussi pas mal avec les batteries, en essayant de rester le plus possible sur la 500Wh. Comme je suis léger, je consomme assez peu d’énergie et je tire aussi vraiment parti d’un vélo plus léger avec la 500. Mais sur des formats longs, la 625Wh est indispensable. Je vois que les 750Wh commencent à sortir mais je n’ai pas encore essayé.

En parlant de batteries, revenons un instant sur l’autonomie et sur les épreuves qui incluent la gestion de ce paramètre. Qu’en penses-tu ?

C’est intéressant et cela doit bien sûr exister aussi. J’aime bien le format de la Tarentaise et du Tour du Mont Blanc, où tu as droit à 2800Wh de batterie chaque jour pour toi et ton équipier. Ensuite, au duo de gérer au mieux. Il y a aussi les épreuves avec un changement de batterie à un endroit précis, comme la Transvé ou le Super8. C’est une gestion différente mais ça marche aussi. Je suis par contre beaucoup plus réservé sur des propositions très compliquées comme un calcul de Wh alloués par rapport au poids du pilote, etc. Restons dans des choses simples, évitons de nous prendre la tête pour rien.

Certains lecteurs/commentateurs évoquent aussi le fait qu’on devrait tirer les moteurs au sort avant le départ pour garantir l’équité…

Je vais être assez direct : je ne vois absolument pas l’intérêt. Le VTT classique est déjà un sport mécanique, où l’optimisation du matériel fait et a toujours fait partie de la recherche de la performance. En VTTAE c’est la même chose. On sait qu’on a des règles, des balises à respecter, mais tout en restant dedans, l’optimisation de la relation homme-machine fait partie intégrante de la discipline. Tirer au sort un moteur voudrait dire aussi tirer au sort un vélo. Or, c’est aussi parce que je roule 5 jours semaine sur mon Moustache et que je le connais par cœur que je suis performant. Parce que j’ai optimisé tous les réglages. Et quand je parle de réglages, je parle plus du choix des pneus, de la pression, des réglages de suspensions, que du moteur.

On reste dans des choses très standardisées au niveau des moteurs utilisés en course ? Il n’y a pas de risques de triche et de bidouilles ?

Franchement, non. En 5 ans de course e-bike, je n’ai jamais vu de triche. Peut-être que cela arrivera une fois un jour, quand cela attirera plus de monde et de convoitises, mais ici on reste encore avec des pionniers qui se connaissent et se respectent tous. Il y a beaucoup trop à perdre en étant pris la main dans le sac. Et toute triche « conséquente » se verrait immédiatement. Il y a des contrôles déjà actuellement, qui sont simples mais rigoureux. Le moteur doit avoir gardé ses réglages d’usine, et on roule tous avec des ensembles moteur/batterie 100% identiques à ceux du grand public. Pour moi c’est un point important. Tout comme la limitation de la vitesse à 25km/h pour la coupure de l’assistance.

Pour terminer, si tu avais un format de course de rêve, une envie pour le futur du développement des épreuves e-bike, ce serait quoi ?

Qu’on continue à étoffer les formats. Pas à l’excès afin de ne pas se perdre, mais je pense que consolider le format court en soignant tout particulièrement les tracés, tout en développant en parallèle aussi le format marathon e-bike en décernant aussi un maillot arc-en-ciel séparé en longue distance, cela aurait du sens et ce serait bon pour notre discipline. Le format long, c’est le format dans lequel les pratiquants se projettent le plus, celui qu’on voit sur les événements de masse, et celui qui valorise aussi la fiabilité des machines.

Un mot de la fin, un souhait ?

Oui : j’aimerais faire essayer tous les sceptiques, et appeler tout le monde à plus d’ouverture d’esprit par rapport à l’e-bike. Je ne dis pas que tout le monde doit en faire ou acheter un e-bike. Non, je pense qu’il n’y a aucun doute sur la survie du VTT classique, qui a encore de très belles années devant lui. Je pense même qu’il est renforcé par l’arrivée de l’e-bike pour toute une série de raisons. Mais pour revenir à l’e-bike : essayez, juste pour voir et savoir, laissez vos aprioris de côté, discutez avec des pratiquants qui ont fait ce choix, roulez avec eux, partagez et respectez. Et ce respect va dans les deux sens car c’est aussi par leur comportement exemplaire et leur respect des pratiquants « classiques » que les « e-bikers » gagneront en crédibilité. C’est vraiment dommage de faire des « clans » dans le VTT alors que même si nous l’abordons par des facettes différentes, nous faisons bien partie de la même grande famille. Nous avons beaucoup plus à gagner à être ensemble qu’à nous diviser, et ce n’est que si chacun y met du sien qu’on peut y arriver…

Plus d’infos sur notre prise de position en matière de courses e-bike (article de 2020, et notre réflexion est toujours en pleine évolution, notamment grâce à des discussions comme celles que nous avons pu avoir avec Jérôme) : https://www.vojomag.com/news/championnat-du-monde-vttae-on-fait-fausse-route/

ParOlivier Béart