Face-à-face | BMC Kaius et Urs LT : une question d’approche

Par Léo Kervran -

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Face-à-face | BMC Kaius et Urs LT : une question d’approche

Si BMC s’est lancé tôt dans le gravel avec le surprenant Urs, la marque suisse a mis du temps à développer réellement son offre. En 2021 puis en 2022, elle a cependant sorti deux nouveaux modèles pour s’adresser à toutes les pratiques : l’Urs LT puis le Kaius. Sur le papier, tout les oppose. Enfin, c’est ce qu’on croyait. Sur le terrain, ces vélos nous ont réservé de sacrées surprises jusqu’à remettre en question notre approche du gravel. Et briser quelques clichés ?

Urs LT à gauche, Kaius à droite : s’ils portent tous deux l’étiquette « gravel », même un œil peu entraîné ne met pas longtemps à comprendre qu’on a affaire à deux vélos bien différents.

Le Kaius, c’est le gravel « performance » de BMC, celui taillé pour rouler vite et affronter les parcours des compétitions UCI (quoi qu’on pense de ce format). Rien qu’à le regarder, on a envie d’appuyer sur les pédales ! D’ailleurs, il paraîtrait presque incongru de vouloir le sortir des routes goudronnées tant il ressemble à un vélo de course. Pourtant, on vous assure qu’il s’en sort très bien et il nous a même surpris plus d’une fois.

En face, l’Urs LT c’est… quoi exactement ? Une fourche qui contraste avec la couleur du cadre comme pour rappeler un VTT (ce qui n’est pas innocent), un grand disque de frein à l’avant, des pneus généreusement cramponnés et une allure générale qui invite plus à jouer qu’à faire la course, mais aussi des roues hautes et toujours un cintre recourbé. Un gravel « aventure » d’après la marque, qui veut repousser les limites des capacités en tout-terrain pour un gravel sans perdre ce qui caractérise cette catégorie, à savoir un comportement bien meilleur qu’un VTT sur la route et les grands chemins roulants.

Au passage, nous avons choisi de mettre ces deux modèles face à face aujourd’hui mais sachez que la gamme gravel de BMC ne s’arrête pas là. L’Urs existe également en version non LT, sans cette fourche si particulière dont on va vous reparler, et aussi en aluminium dans un esprit plus « vélo de voyage ». Plus simple, cette déclinaison reprend la géométrie des Urs en carbone et profite de plus de points de fixation mais se passe de tous leurs artifices de confort, que ce soit à l’avant ou à l’arrière.

Retour à nos moutons. Loin d’être identiques, le Kaius et l’Urs LT partagent toutefois une certaine philosophie et plusieurs tendances, en ce qui concerne la géométrie notamment. Ce qu’il y a bien avec la géométrie en gravel, c’est qu’on peut faire beaucoup de choses. Aux deux extrémités du spectre, les vélos de route et les VTT sont relativement fixés, avec des valeurs de référence connues. En gravel en revanche, ce n’est pas encore le cas et les marques expérimentent encore, avec des résultats parfois intéressants.

Prenez le Kaius : ses angles se situent dans la moyenne des vélos de sa catégorie (Orbea Terra, Cervélo Aspero, Specialized Crux, Scott Addict Gravel…) mais le cadre est bas et surtout long. Douille de direction et stack sont a minima 10 mm moins hauts qu’ailleurs tandis que le tube supérieur de 469 mm en taille M correspond à du L chez les concurrents précités. C’est encore plus flagrant pour le reach puisque les 401 mm en taille M du Kaius se retrouvent sur du… XL ailleurs !

En face, l’Urs LT est encore plus long. Le reach de 415 mm en M est celui d’un Kaius en XXL, lui-même déjà relativement grand ! Heureusement, le tube supérieur n’évolue pas de façon aussi extrême et a « seulement » une taille d’avance. Tout cela avec un angle de direction de 70°, certes assez couché pour un gravel (la moyenne est à 71,5-72°) mais déjà plus courant. Sur le papier, le mélange peut surprendre.

2021 pour l’Urs LT, 2022 pour le Kaius : BMC a pris son temps pour sortir ces deux vélos, surtout pour une marque historiquement très présente en route et XC. Néanmoins, ces géométries le montrent : BMC n’a rien d’une marque « traditionnelle » et sage comme on pourrait l’imaginer. Si elle ne fait plus d’enduro sous son nom (c’est Scor qui a repris le flambeau dans le groupe), elle n’hésite pas aller prendre ce qui se fait dans les segments d’au-dessus pour l’adapter à ses domaines de prédilection.

On pense par exemple à la tige de selle intégrée RAD présente dès 2017 sur le Speedfox (arrivée l’année suivante sur le Fourstroke de XC) et sur ces gravel, la géométrie l’illustre bien. A ce titre, on n’est finalement pas si surpris de trouver des… suspensions sur l’Urs LT. Mais des suspensions à la sauce BMC, c’est-à-dire développées en interne et spécifiquement pour cette pratique, plutôt que d’utiliser des composants d’autres fournisseurs.

Dans les faits, qu’est-ce que ça donne ? A l’arrière, on a 10 mm de débattement contrôlés par un élastomère. Rien de très nouveau puisqu’on l’avait déjà sur l’Urs « classique » et qu’il s’agit d’une version simplifiée du MTT qui équipait le semi-rigide TeamElite de 2015 à 2020. A l’avant, c’est autre chose : on a 20 mm de débattement avec une vraie fourche à ressort hélicoïdal, dans l’esprit de la fameuse Headshock Fatty qui équipait certains Cannondale il y a une ou deux décennies. On vous passe tous les détails, vous pouvez les retrouver dans l’article que nous avions publié lors de la sortie du vélo (lire Test nouveauté | BMC Urs LT : à peine domestiqué) mais retenez qu’elle est réglable en changeant le ressort et qu’on peut la bloquer via une molette au sommet du pivot de fourche.

Sur le Kaius, rien de tout ça bien sûr. Conçu pour la vitesse sur les chemins roulants, le vélo ne peut compter que sur le travail réalisé autour du cadre et sur le carbone pour offrir un peu de confort. Cependant, on verra sur le terrain qu’il a des arguments intéressants en la matière…

Enfin, côté équipement les deux vélos partagent un certain nombre de choses. La transmission par exemple, en 1×12 sur le Kaius et l’Urs LT. Le premier a toutefois droit à un groupe « gravel » Sram XPLR avec plateau 40 dents et cassette 10-44 tandis que le second utilise un groupe Sram Eagle de VTT avec des rapports qu’on a déjà vus en coupe du monde de XC : plateau 38 dents et cassette 10-52.

Le train roulant est également similaire, avec dans les deux cas des roues hautes de 40 mm en carbone chaussées de pneus de 40 mm de section. Une approche logique pour le Kaius mais plus surprenante pour l’Urs LT : d’un côté le vélo veut offrir du confort et du grip avec des suspensions, de l’autre ses roues gardent un côté performance bien présent. On retrouve la même dualité que sur la géométrie, reste à voir si le mélange prend ou pas… Pour l’anecdote, le Kaius est même celui qui accepte les plus gros pneus puisque son dégagement est donné pour 44 mm, contre 42 mm sur l’Urs LT.

En revanche, le poste de pilotage ne laisse aucune place au doute. Sur le Kaius, c’est intégré, étroit et aérodynamique. Très joli mais aussi exigeant en termes de pilotage, voire de position si on n’a pas l’habitude. Sur l’Urs LT c’est bien plus large et confortable, au point qu’on a littéralement l’impression de monter sur un VTT lorsqu’on passe d’un vélo à l’autre sans temps mort.

Reste la question du poids et du tarif. Bien que les équipements diffèrent, ces deux modèles représentent tous deux le sommet de leur gamme, ce qui rend la comparaison possible. Plus simple et plus sportif, le Kaius est sans surprise plus léger… mais il est aussi beaucoup plus cher : 7,4 kg en taille M et 11 499 €, contre 9,35 kg (selon la marque) et 8 499 € pour l’Urs LT, soit 3000 € de moins malgré le travail autour des suspensions. Oui, on parle bien de prix de VTT (très) haut de gamme pour des gravels mais au fond, ce n’est qu’une demi-surprise : BMC est connue pour être l’une des marques les plus chères du marché.

Le test face-à-face des BMC Kaius et Urs LT

C’est toujours intéressant d’alterner entre deux vélos pendant un moment mais dans un face-à-face comme celui-ci, ce qu’on attend tous c’est le moment de vérité : une boucle test et un tour dessus avec chaque vélo, sans temps mort entre les deux afin de faire ressortir les différences et les points communs les plus subtils, ceux qui ne ressortiraient pas forcément dans d’autres situations.

Ici, notre boucle test fait un peu moins de 20 km pour environ 350 m de dénivelé positif et comprend tout ce qu’il faut pour comparer correctement deux gravels : de la route et du chemin blanc, de la piste 4×4 et du (presque) singletrack, du lisse et du caillouteux, du raide et du roulant, du rapide… Varié, vous avez dit ?

Le Kaius est le premier à passer et sur le bitume du début de parcours, il nous donne tout de suite le sourire : ça va vite ! On file sans effort et la première montée est effacée en un clin d’œil. Au-delà de la vitesse, ce sont surtout les sensations qui séduisent. C’est rigide, dynamique, l’effort est bien retransmis et le vélo fait bien sentir qu’il est prêt à accélérer quand on le souhaite.

Faire le parallèle avec un vélo de route est malgré tout difficile car ça ne ressemble à rien de courant : on a un confort digne d’une route endurance voire meilleur mais une position plus sportive et un comportement dynamique, sans pour autant être au niveau d’un pur vélo de course haut de gamme. En descente le Kaius apparaît aussi plus stable, plus « planté » dans les grandes courbes que n’importe quel vélo à petit pneu. Il est moins vif dans les changements de direction, mais si le revêtement est mauvais, le confort et le grip des pneus mettent en confiance comme aucun vélo de route n’en est capable.

En fond de descente, on s’engage plein gaz sur le premier sentier sans savoir à quelle sauce on va être mangé et… tout se passe bien ! C’est la grosse surprise de ce tour en Kaius, le vélo est presque confortable lorsqu’on s’aventure dans la forêt et fait mieux qu’un Scott Addict Gravel par exemple. Pour les avoir longtemps roulées sur un Lauf True Grit (lire Test nouveauté | Sram XPLR : une certaine vision du gravel), on sait que les roues Zipp 303 Firecrest ne sont pas un modèle de tolérance ou de confort, mais le Kaius parvient réellement à épargner son pilote et on se fait pas tasser les poignets ou les vertèbres à chaque racine. L’effet de la carcasse des pneus ? De la légèreté du vélo ?

On trouve même du grip en montée, alors qu’on s’attendait à devoir pousser le vélo dans chaque section un peu raide ou humide vu le profil des pneus Pirelli. Attention, le vélo reste exigeant et il faut bien contrôler son poids ainsi que ses coups de pédales mais avec un peu de motivation, on passe sans trop de mal… tant que ce n’est pas trop raide. Avec un 40-44 pour plus petit rapport, on est encore loin du VTT et il faut une certaine condition physique lorsque le sentier s’incline vraiment. En revanche, sur les chemins blancs du retour, c’est un régal.

L’Urs LT, c’est l’exact inverse. Vu les sensations à l’arrêt, les mini-suspensions et la position beaucoup plus détendue on s’attendait à souffrir dans le début de parcours sur route mais le vélo ne se débrouille finalement pas si mal. Bien sûr, on n’a pas le dynamisme du Kaius mais l’Urs LT n’est pas non plus un poids mort qui n’attend que de quitter le bitume. On a un peu de répondant sous les pédales, les suspensions ne gênent pas et au final, on se surprend à apprécier ces passages comme avec n’importe quel bon gravel.

Cependant, c’est évidemment sur les pistes difficiles et les sentiers que l’Urs LT se révèle. On vous en avait déjà parlé lors de notre découverte de la machine et pour reprendre les mots qu’on avait utilisés à l’époque, « le Urs LT est sans aucun doute la machine à cintre recourbé la plus capable en tout-terrain que nous ayons roulée à ce jour« . Le vélo a une capacité à mettre en confiance digne d’un VTT, c’est un modèle de grip et de stabilité dans le monde des gravel. C’est déjà agréable sur le plat mais quand on vient du VTT, c’est en descente qu’on l’apprécie le plus puisqu’on peut réellement piloter et jouer avec la machine. C’est toute la différence avec le Kaius qui, s’il n’est pas inconfortable, oblige tout de même à choisir les trajectoires les plus lisses et à faire preuve d’une certaine retenue.

La transmission est aussi un gros changement. Avec le plateau de 38 dents et la cassette 10-52, on grimpe (presque) aux arbres et c’est sans parler du grip apporté par les pneus plus cramponnés ainsi que les suspensions. Les murs qui étaient à la limite de l’impossible avec le Kaius deviennent maintenant beaucoup plus abordables et si le défi reste présent, ils demandent tout de même moins d’engagement physique et mental.

Malgré la section de pneu plutôt modeste (40 mm), le confort est de bon aloi grâce au travail des suspensions. Un monster gravel fera sûrement encore mieux mais ce sera au prix d’un comportement routier beaucoup plus « VTT », donc moins flatteur que celui de cet Urs LT. D’ailleurs, on parle de grip et de confort mais il ne faut pas oublier que l’Urs LT est équipé de roues en carbone relativement hautes. Il est donc tout à fait possible d’aller chercher quelque chose de plus souple et tolérant… mais encore une fois, ça se fera au détriment du comportement routier.

Verdict

A l’origine, cet article devait balayer tout le spectre de ce qu’on appelle le gravel, du « vélo de route à gros pneus » au « VTT des années 90 à cintre recourbé » pour reprendre les clichés. Finalement, on s’est fait prendre à notre propre jeu et ces deux BMC nous ont surpris en se révélant tous deux plus polyvalents qu’ils n’en ont l’air sur le papier. Comme à chaque fois, la marque suisse fait mouche ! Entre un Kaius finalement confortable et un Urs LT qui pédale bien, on s’est rendu compte qu’à la différence du VTT, en gravel l’approche compte autant que la pratique. Si on met de côté les pratiques les plus extrêmes, on roule la plupart du temps sur les mêmes sentiers avec des vélos bien différents et c’est la sensibilité de chacun ou chacune qui fera choisir une machine plutôt qu’une autre. D’où l’intérêt de bien savoir ce qu’on veut ! Pour nous, le choix ne fut pas facile et nous a tenu occupés un moment mais si on ne devait en garder qu’un, ce serait l’Urs LT. Le Kaius est une vraie réussite et on a adoré nos sorties à son guidon mais en bon vététiste, le plaisir que l’Urs LT nous a offert en descente tout-terrain reste au-dessus… sans parler des 3000 € de moins.

Et l’Urs là-dedans ?

Dans le catalogue BMC, entre le Kaius et l’Urs LT il y a l’Urs. Suspension MTT à l’arrière mais fourche rigide, géométrie similaire à celle du Urs LT, il apparaît comme un bon entre-deux pour qui n’arriverait vraiment pas à choisir. Il devait lui aussi faire partie de ce face-à-face mais après avoir roulé avec, nous avons décidé de ne pas l’inclure. Notre modèle d’essai, l’Urs 01 One, disposait d’un montage différent du reste de la gamme avec une potence suspendue Redshift (qu’on peut trouver sur d’autres modèles) et des roues Zipp 101 XPLR. Moins dynamique que l’Urs LT sur route et moins confortable sur les chemins mais bien plus cher, ce montage nous a déçus sur tous les plans.

Cependant, nous avons estimé que la faute en incombait principalement à ces composants si particuliers et qu’il serait injuste d’émettre un avis général sur la plateforme sur la seule base de cette expérience alors que les autres modèles sont équipés de façon plus classique. Partie remise ? On vous reparlera toutefois du vélo dans quelques temps pour un dossier sur le confort en gravel, ou comment l’améliorer selon son budget. Avec ses roues et surtout sa potence, l’Urs 01 One nous a offert certains éléments de réponse intéressants.

Plus d’informations : bmc-switzerland.com

ParLéo Kervran