Voyage | Le fat face au lac !

Par Paul Humbert -

  • Nature

Voyage | Le fat face au lac !

Il y a quelques années, l’industrie du cycle est tombée éperdument amoureuse des fatbikes. Mais cette idylle n’a duré qu’un temps et ces étranges vélos à gros pneus ont rapidement quitté les gammes des constructeurs pour retrouver l’hiver, le vrai, et une certaine solitude. Pourtant, certaines parties du globe font perdurer cette idylle et le climat leur trouve une raison d’être. Nous sommes partis sur ces terres où les fatbikes vivent paisiblement et où la nature leur offre un terrain d’expression hors du commun. Direction le Québec pour la traversée du Lac Saint-Jean ! 

 

 

La Traversée du Lac Saint-Jean s’est imposée en quelques années comme un évènement sportif majeur dans la région du Sagenay-Lac Saint-Jean et, si nous étions déjà sur la ligne de départ de la course il y a quelques années (un grand reportage à retrouver ici : mag.vojomag.com/fatbike-canada ), il était temps d’en faire profiter un lecteur et de retrouver ces terres où le froid extérieur contraste sévèrement avec la chaleur de ses occupants. 

Ce sont ces 32 kilomètres qui ont défilé dans nos têtes pendant des semaines avant notre voyage et encore plus intensément les jours précédant notre traversée. Mais pour les aborder au mieux, toute l’équipe de la traversée nous a mis entre de bonnes mains en la personne de Hugues Ouellet d’Equinox Aventure. 

Après quelques heures de voyage et un trajet reliant Montreal au bord du lac, c’est face au coucher de soleil qu’on retrouve notre équipe et notre guide. Justement, notre petite équipe de quatre se connait sans se connaître puisque tout le monde a pu échanger pendant notre préparation dans une discussion baptisée « l’âge de glace » sur Messenger quelques semaines plus tôt. C’est Hugues qui nous permet d’y voir plus clair dans nos valises : il fait froid au Québec, mais inutile de faire n’importe quoi. 

Il nous informe sur les risques du froid, nous guide dans la manière de nous en protéger et dévoile petit à petit le programme des jours qui vont suivre. Nos fatbikes nous attendront pour de multiples tours sur le lac, mais également au club Tobo-Ski, un petit bikepark hivernal pour fatbikes, sans oublier des randonnées en raquettes et différentes visites on ne peut plus locales. 

Pour nous, le Québec est une découverte. Outre la relative proximité avec les Etats-Unis, l’aspect francophone et le reportage d’Olivier à l’automne dernier ( à retrouver ici : www.vojomag.com/decouverte-couleurs-dautomne-au-quebec-1-st-raymond-et-shannahan ), c’est une découverte. On plonge donc vers l’inconnu, mais bien accompagnés ! D’ailleurs, pour se mettre dans l’ambiance, Pierre suit les conseils de Pierrot et opte pour une petite glace pendant la première pause sur le chemin du lac ! 

Pour Rémi, Pierre et Gaëlle, le mot d’ordre est le même, il est temps de profiter avant d’enfourcher nos vélos ! D’ailleurs, le soir même de notre arrivée, notre petite troupe est partie en pleine nuit pour une reconnaissance sur le lac. L’occasion de vérifier que la glace est bien solide, même si cette dernière a su nous surprendre quand nous l’avons entendu « chanter ». 

Première étape et acclimatation dans les Monts Valins entre le Lac Saint-Jean et l’embouchure du majestueux fleuve Saint-Laurent. Le parc naturel accueille les amoureux de la nature qui viennent déambuler dans la vallée des fantômes.

 

 

Ces épinettes (epicéa dans nos contrées) se courbent sous le poids de la neige et du gel pour former ces surprenantes silhouettes. Dans une atmosphère glaciale malgré un grand soleil, notre petit groupe prend conscience du froid, le vrai ! On frise les -30 degrés et on gèle du bout des cheveux aux poils de nez. Un saut dans la poudreuse plus tard et une rencontre avec les autres promeneurs et nous voilà dans le bain !

 

 

Pierre et Gaëlle sont les premiers de notre groupe à découvrir ce qui nous sauvera pendant notre voyage : les chaufferettes. Ces petits sachets à combustion lente produisent de la chaleur pendant plusieurs heures et se glissent dans nos chaussures comme dans nos poches. Et si nos équipements d’européens sont plutôt réfléchis, ils peuvent envier ceux de nos voisins québécois. Ces chaufferettes ont été d’une belle aide pendant tout notre séjour. 

 

 

Vous l’aurez compris, la météo et le climat ont été au coeur des sujets de discussion pendant notre séjour. Il paraît même, mais peut-être que c’était uniquement pour nous rassurer, qu’elle intéresse particulièrement les québécois en général. 

 

 

Une poutine plus tard (on laissera planer un doute sur l’aspect incontournable de cette spécialité locale), il est temps de retrouver le Lac Saint-Jean pour une autre pratique on ne peut plus locale : la pêche sur glace.

 

 

Le lac compte d’innombrables cabanes de pêche qu’on rejoint en fat bikes (il paraît), ou en motoneige (surtout) pour une expérience paisible en quête de poisson.

Charles, notre guide de pêche, nous présente les différentes techniques, pose ses lignes, patiente et nous devrons retrouver la rive avant d’attraper le moindre spécimen. 

Il fait gris mais froid quand le moment que nous attendions tous arrive : nos premiers tours de roues sur le Lac Saint-Jean ! En guide de luxe, c’est David Lecointre qui ouvre la trace, et quelle trace ! Soufflée, et bien dure, on roule avec une grande facilité pendant une dizaine de kilomètres. On y prendrait d’ailleurs presque goût ! 

 

 

Pendant que Rémi, le gagnant, gambade en tête de notre groupe sur son Rocky Mountain, David nous présente la course dans ses grandes lignes : son point de départ, la logistique qui l’entoure et ce à quoi nous devrons nous attendre. Ce Belge a adopté le Québec comme le Québec l’a adopté. Il s’occupe désormais de la « Véloroute des Bleuets », cet itinéraire cyclable qui encercle le lac en été. Quand vient l’hiver, le temps est au fatbike et à la Traversée du Lac Saint-Jean.

Cette traversée est unique à plus d’un titre, mais c’est surtout le seul moment de l’année où des cyclistes peuvent se lancer sur l’étendue givrée en toute sécurité : loin des crevasses et protégés par des motoneiges en patrouille. 

Sur la neige, on s’habitue à nos vélos et aux sensations nouvelles que procurent les fatbikes. Le rendement est bon, mais attention à ne pas sortir de la trace, sous peine de s’enfoncer et de s’arrêter net. On prend conscience de l’effet du vent sur notre peau comme sur notre matériel. Une bonne heure passée sur le lac et Pierre, Gaëlle et Rémi ont le sourire. 

 

 

En Saguenay-Lac Saint-Jean, on aime la nature qui nous accueille. Et nous avons eu l’occasion de rencontrer Claude Boivin qui travaille à la transmission de la culture Pekuakamiulnuatsh, le peuple autochtone d’origine de sa famille. La culture autochtone est, comme dans une grande partie de l’Amérique du nord, meurtrie et sa reconstruction est lente et fragile.

Grâce à ses ateliers, Claude perpétue certaines traditions et, loin du folklore, transmet les valeurs de sa famille qui a vécu au plein coeur de la nature canadienne que nous découvrons pendant ce voyage. 

Après une petite excursion sur le lac, vient le temps d’une véritable sortie en fatbike afin d’en découvrir le plein potentiel. Petit bémol dans cette affaire : le Québec est en pleine tempête, certaines écoles et routes sont fermées, et cela n’est pas vraiment inhabituel pour cette région qui compose avec des mètres de neige pendant des mois. Notre équipe de guides expérimentés, des pneus clous et quelques poussées à l’arrière de notre van, et nous voilà partis en direction du Tobo Ski ! 

Au Tobo Ski, on y skie un peu, on y « fatbike » beaucoup ! Cette toute petite station de ski diversifie son offre et propose en hiver des tracés de ski de fond mais également des sentiers dédiés aux fat bikes !

Derrière une moto neige, le tracé est formé puis damé. Avec le froid, le sentier se durcit et devient une véritable pumptrack pour fat bikes.

L’ensemble de notre boucle a été damée 45 minutes avant notre arrivée, mais comme la météo a décidé d’ajouter son grain de neige, c’est dans une petite couche de poudreuse supplémentaire que nous nous lançons dans la roue de Nelson.

Patrouilleur, urgentiste et guide d’un jour, Nelson est une des personnalités marquantes de notre visite au Québec. Il nous suivra d’ailleurs sur le lac avec le reste de l’équipe des secouristes. 

 

 

 

Dans la tempête, rien ne nous arrête. Nous étions tout simplement aux anges, survoltés devant ces reliefs, ces forêts et cette ambiance unique. Les VTTistes que nous sommes avons mis un bon moment avant de raccrocher nos sourires (on se demande d’ailleurs s’ils nous ont vraiment quittés). Les sensations sont uniques mais finalement bien proches d’un VTT classique. On ajoute toutefois un pilotage hasardeux qui nous vaut quelques plongeons dans des mètres de neige, mais comme le rappellent très bien les locaux : « C’est l’fun ! »

Dans la balade, nous embarquons notre guide Pierrot qui, s’il connaît la région comme sa poche, découvre le fatbike en hiver. Un petit plongeon dans la neige plus tard, on le retrouve lui aussi aux anges. 

 

 

La journée des découvertes en condition « Québec » continue au Zoo sauvage de Saint-Félicien. Si nous ne sommes pas nécessairement attirés par la contemplations d’animaux en captivité, on est rapidement séduit par le concept de ce parc de la boréalie. Plutôt que d’accueillir des espèces exotiques comme des girafes ou des orang-outans, le zoo s’est recentré sur les animaux de la boréalie, à savoir toutes les régions du monde où le sol gèle plus de trois mois par an et où la moyenne du mois le plus froid est en dessous de – 3°C. C’est dans un parc immense, où on se déplace habituellement dans un petit train, que les animaux vivent en semi-liberté. 

 

 

Dans notre cas, les conditions météo ont ajouté une couche de sucre glace sur une petite surprise : nous sommes partis à 4 avec un guide à bord d’un 4×4 pour traverser le zoo, à notre rythme, en pleine tempête. Une expérience unique où les photographes que nous sommes se laissent rêver à des aventures en compagnie de Vincent Munier. 

 

 

Cerfs de virginie, wapitis, loups et autres boeuf musqués se sont laissés guetter quand certains se sont même laissés approcher. 

 

 

Une bière à la brasserie de la Chouape, l’une des micro-brasseries de la région, et nous voilà au lit avec une chose en tête : le lac.

La traversée des aventuriers

 

 

Des mois à y penser et quelques jours à se préparer, et puis voilà, notre traversée du lac est arrivée ! Après une première sortie « test » et pas mal de conseils (et de questions anxieuses) à notre guide Hugues, nous sommes fin prêts ! 

Le moment d’accrocher nos plaques de cadres est également celui de dégonfler nos pneus ! Et de l’avis de nos camarades québécois, un bon pneu est un pneu presque à plat ! 

Aujourd’hui, pas de chrono, mais devant nous s’étendent 32km de glace et de neige, beaucoup de neige… La tempête des derniers jours, accompagnée d’un peu de vent, a recouvert la trace bien dure pour ne laisser qu’un sentier bien mou passé le huitième kilomètres. On ne choisit pas la météo, et cette dernière est finalement plutôt clémente puisque c’est sous le soleil et une température douce (-10° environ) qu’on s’élance dans ce qu’on pense être une « reconnaissance ». 

 

 

Et si on aurait pu s’imaginer une promenade de santé, il n’en a rien été. 

Passé le 10ème kilomètre, la trace est molle, parfois loin d’être plane et elle nous donne du fil à retordre. Ce qu’on imaginait être un effort linéaire change complètement de face. Il faut désormais piloter, conserver une certaine rigidité pour rester dans sa trace, tout en conservant de la souplesse pour absorber les aspérités de la trace. 

Le pédalage change lui aussi en fonction de la quantité de neige et on joue sur les rapports. 

 

 

On voit défiler (mais c’est un bien grand mot) les kilomètres. Un drapeau est planté tous les kilomètres et ils sont séparés par des piquets qui permettent de suivre la trace sur le lac en cas de tempête. Les organisateurs ont bien en tête une des précédentes éditions où la majorité des participants ont dû être évacués en raison du mauvais temps. 

 

 

Plus qu’un effort physique, c’est une épreuve mentale qui se distingue. On avance péniblement, on bute, on chute, on repart et on avance. La résilience finit par être la qualité principale de tous les aventuriers du jour. 

L’arche des 32 kilomètres est en vue, on pousse encore plus fort sur nos pédales mais le paysage ne défile pas plus vite pour autant. Après près de 4 heures d’effort pour votre serviteur, les 32 kilomètres sont bouclés et on retrouve un sympathique comité d’accueil qui a su nous soutenir à motoneige pendant la traversée : les organisateurs, nos guides Hugues et Pierrot, et Nelson notre secouriste et guide de Fatbike ! 

Nous ne serons que 12 à terminer la traversée cette journée-là, dont les quatre membres de notre équipe. Parti tranquillement, Pierre a su pédaler régulièrement et conserver sa vitesse pour finir parmi les premiers arrivés. Rémi a réussi à reprendre un peu de vitesse après avoir dégonflé une nouvelle fois ses pneus, et termine second, devant votre serviteur. Enfin, Gaëlle, seule femme à boucler la traversée ce jour-là, termine sous les applaudissements à l’arrivée. 

La Traversée du Lac Saint-Jean repose sur une solide organisation et, comme toujours pour les évènements de qualité, une fidèle équipe de bénévoles. Du départ à l’arrivée, on est choyés et les différents clubs de motoneige de la région unissent leurs forces pour assurer la sécurité des participants pendant la traversée. 

Un repas (bien mérité) rapidement avalé, on grimpe sur des motoneiges en direction du kilomètre 16. Etrangement, tout va plus vite et on pose un pied devant la tente d’expédition montée par Hugues et Pierrot pendant notre traversée. On découvre notre maison pour la nuit dans un mélange d’excitation, d’émerveillement et d’appréhension. Le soleil se couche sur le lac, et on le contemple devant une des crevasses (refermées depuis) qui témoignent de l’aspect « vivant » du lac et de sa glace. 

 

 

Pendant que notre appareil photo se réchauffe à coups de déclenchements, le reste de l’équipe est à pied d’oeuvre pour construire nos toilettes pour le campement : une autre bonne manière de se réchauffer ! 

 

 

Nos hôtes ont tout prévu pour nous, et après un repas lyophilisé avalé avec appétit et quelques marshmallow grillés, on file se glisser dans nos gros sacs de couchages. On se serre dans nos sacs de couchage,  habillés, une bouillotte entre les jambes et les chaussons de nos bottes avec nous pour une nuit de Saint Valentin que personne n’est près d’oublier ! 

Le lendemain matin, la tempête se lève et si nous avions prévu de parcourir les 16 kilomètres qui nous séparent de la rive en fatbike, nous avons dû abandonner après 6km, faute de visibilité et d’un terrain propice. Ce jour-là, une autre traversée des aventuriers, dédiée aux challenges d’entreprises a été entamée, mais personne n’a traversé le lac. Les motoneigistes de l’organisation ont une nouvelle fois prouvé leur talent en évacuant tout le monde en sécurité. 

La traversée du Lac Saint-Jean

Samedi, c’est LA traversée du Lac Saint-Jean qui s’élance. Avec des conditions de neige encore plus difficiles que jeudi, notre équipe a décidé de rester spectateurs pour encourager le groupe d’une centaine de coureurs au départ. 

 

 

Le niveau et l’ambiance sont bien différents. Un titre est en jeu et les spécialistes de ce genre d’épreuves sont au rendez-vous, tout comme des coureurs qu’on retrouve sur le circuit XCO de coupe du Monde. On pense à Léandre Bouchard ou à Catherine Fleury en première ligne au départ de la course. 

Le top départ est donné et le rythme n’a plus rien à voir avec celui de jeudi. Il est important pour les leaders de se positionner en tête pour faire sa trace et ne pas être gêné. Un virage, c’est aussi une chance de tomber et de s’enfoncer dans de la neige molle. 

 

 

Quand Léandre Bouchard s’envole en tête, un petit peloton s’accroche en pédalant tandis que le reste des coureurs courent et poussent leurs fatbikes. 

On retrouve un duo en tête de la course menée par Alexandre Gariépy au kilomètre 16.

 

 

Le vent vient soulever la neige du lac et ce ne sont que des silhouettes qu’on distingue au loin. Le rythme est impressionnant vu les conditions et on dirait un jeu d’enfants. 

 

 

Derrière eux, quelques petits groupes roulent roue dans roue avant de laisser place à celles et ceux qui courent à côté de leurs vélos, en attendant l’espoir d’une trace meilleure. 

Enfin, on retrouve ensuite une file à contre-sens, en direction de la ligne de départ. Les barrière horaires sont tombées et il faut faire demi-tour ou abandonner. Le lac est cruel, mais il faut le respecter ! 

 

 

Finalement, ce sont Léandre Bouchard et Laurence Lévesque qui remportent la course. 

On compte 57 finishers à l’arrivée de cette traversée du Lac Saint-Jean. D’apparence calme et paisible, le lac réserve des surprise chaque année aux coureurs comme à l’organisation. On ne décide pas de son tempérament et on l’accepte. Ce défi qu’il nous lance peut paraître complètement anodin mais se révéler de taille. Il est en tout cas une belle manière de faire vivre sa région et les organisations locales. 

Avant de retourner à une vie plus tranquille, on jette un dernier regard, avec une certaine fierté, sur ce lac. Nous avons pu relever le défi qu’il nous a lancé et on gardera à jamais cette expérience unique en tête. Si le froid fut notre compagnon tout au long du voyage, on a su se laisser apprivoiser et c’est lui qui donne son caractère à cette région. Fait de contrastes et de grandes étendues, le Québec n’a pas fini de nous faire rêver. 

Nous souhaiterions remercier David Lecointre et toute l’organisation de la traversée, ainsi que Hugues et Pierrot d’Equinox Aventure de nous avoir aussi bien accueilli pendant tout notre séjour. Du régime motoneigiste aux cascades de glace en passant par le lac, tout n’est que bons souvenirs, alors merci vous autres ! 

La traversée : https://velosurlac.com/ La vidéo de l’édition 2019 : https://www.vojomag.com/news/traversee-du-lac-saint-jean-2019-la-video-de-levenement/

Equinox Aventure : http://equinoxaventure.ca/

ParPaul Humbert