Visite | Ortlieb : 40 ans d’histoire, de l’héritage à l’innovation

Par Léo Kervran -

  • Tech

Visite | Ortlieb : 40 ans d’histoire, de l’héritage à l’innovation

Dans le monde en plein essor du bikepacking, une marque détonne au milieu d’acteurs bien plus jeunes : Ortlieb fête cette année ses 40 ans. Fondée par un jeune Allemand passionné de voyage à vélo, la marque est peu à peu devenue une référence pour les sacs ou sacoches à installer sur nos montures. Et pour mieux comprendre cette success story, quoi de mieux que de lui rendre visite ? Direction Heilsbronn et les paysages doucement vallonnés de la Franconie, au cœur de l’Allemagne.

Au risque d’utiliser un lieu commun déjà bien trop fatigué, c’est sur les routes qu’Ortlieb est née. Toutefois, dans le cas présent, difficile de faire autrement : la culture du voyage à vélo est solidement ancrée dans la vie de l’entreprise et va bien au-delà de basses raisons économiques, telles qu’un marché à investir ou un segment à développer parmi d’autres.

Des visites, on a plutôt l’habitude d’en faire chez Vojo. Néanmoins, rares sont celles qui se sont terminées par une nuit dans la forêt en compagnie de quelques employés de la marque hôte, venant de secteur aussi variés que le développement produit, la communication ou les ventes.

Et ce n’est pas qu’une mise en scène pour les besoins du reportage : gravel ou VTT, Alpes, Forêt Noire ou côtes de la Baltique, en solitaire ou à plusieurs, la discussion a longtemps tourné autour des expéditions passées et projets futurs de chacun. Des histoires qui, forcément, donnent envie de partir soi-même à l’aventure… mais nous reviendrons là-dessus un peu plus tard.

En attendant, retour à Heilsbronn, dans les locaux d’Ortlieb, où notre visite a commencé quelques heures plus tôt. Fondée en 1982 à Nuremberg, une vingtaine de kilomètres au nord-est, la marque a vite eu besoin de plus de place et s’est installée ici en 1997, au bout d’une petite rue à peine visible en marge d’une zone d’activité.

On aurait presque du mal à croire que c’est ici qu’Ortlieb, l’un des leader mondiaux de la bagagerie vélo, conçoit, développe et fabrique tous ses produits, mais Peter Wöstmann, directeur de la communication et des relations publiques, nous assure que c’est bien le cas. « Tu verras, ça paraît plus grand à l’intérieur », nous glisse-t-il avec un sourire avant de nous guider dans les couloirs du bâtiment.

Pour commencer, direction… la cafétéria, où trône comme dans un musée une véritable relique : la machine à coudre qu’Harmut Ortlieb, le pionnier, emprunta à sa mère au début des années 1980 pour coudre ses premières sacoches.

Comme pour toute bonne success story, il faut un mythe fondateur et celui d’Ortlieb n’est pas pour nous décevoir. Tout commence au printemps 1981 avec un jeune Hartmut Ortlieb, alors à peine majeur, en vélo dans le sud de l’Angleterre. Comme le dit malicieusement Peter Wöstmann, « là-bas, la pluie était plus la règle que l’exception » et le jeune Hartmut fut profondément déçu par ses sacoches, qui ne parvenaient pas à conserver ses affaires au sec.

Retourné au pays avec quelques idées en tête, il mit bien vite la machine à coudre maternelle à contribution pour se construire des sacoches sur mesure et adaptées à ses besoins, donc imperméables. Intéressés par ses travaux, des amis grimpeurs l’encouragèrent à monter une entreprise et en avril 1982, Ortlieb Sportartikel GmbH voyait le jour dans le garage familial (vraiment, que serait le monde du vélo sans les garages ?).

De cette aventure fondatrice est restée une règle, peut-être la plus importante de la marque : tous les produits doivent être imperméables. Et quand on dit imperméables, c’est vraiment imperméables : les tissus utilisés par Ortlieb sont testés sous une colonne d’eau de 100 000 mm, c’est-à-dire qu’ils résistent à une pression équivalente à 100 m d’eau. Quand on indique la mention « waterproof » jusque dans son logo, on n’a pas le droit à l’erreur…

A titre de comparaison, on estime qu’un vêtement est totalement imperméable s’il résiste à une colonne de 20 000 mm et de nombreux fabricants ne vont même pas jusque-là, tant une imperméabilité à 10 000 mm est déjà suffisante pour la plupart des activités. En d’autres termes, les matériaux qu’Ortlieb utilise sont 5 à 10 fois plus imperméable qu’il ne le serait nécessaire. De quoi partir l’esprit tranquille.

Les tissus c’est une chose, mais si c’est pour percer des milliers de trous dedans avec les coutures, non merci. Trouver une autre façon d’assembler les matériaux est donc devenu une priorité pour Hartmut Ortlieb et c’est ainsi que dès 1984, la marque intégrait à ses procédés de fabrication une technique appelée high frequency welding.

En quelques mots, il s’agit de faire « fondre » les matériaux à l’aide de champs électriques à haute fréquence (plus de 3 MHz) pour les lier de façon définitive. Une technique qui se prête particulièrement bien à la fabrication industrielle puisque les cycles sont rapides (de l’ordre de quelques secondes), facilement répétables et la finition est excellente.

Encore aujourd’hui, c’est ce qui fait la force d’Ortlieb, nous explique Peter Wöstmann. La base théorique n’a en soi rien de secret et la marque allemande est loin d’être la seule à l’utiliser, mais elle l’a perfectionnée à un degré unique.« On dit qu’il est impossible de faire de l’high frequency welding en courbe ou sur des formes complexes mais nous, on y arrive » détaille Peter. On n’en saura pas plus, tant la marque tient à conserver ses secrets jalousement gardés.

D’ailleurs, toute une partie de l’usine nous est interdite. On passe bien dans le bâtiment mais interdiction d’aller au-delà de la ligne jaune qui marque le cheminement « direct » et de s’aventurer du côté des petites mains qui fabriquent vos prochains sacs ou sacoches. Ortlieb tient à produire en Allemagne et ne reviendra pas là-dessus, mais face à une concurrence qui produit le plus souvent en Asie, la marque ne peut que miser sur la technologie de pointe pour rester compétitive.

L’usine dispose même de son propre atelier de machinerie, pour réparer et surtout fabriquer sur place les outils élaborés par les ingénieurs afin de produire mieux, plus fiable et plus rapidement. Pas de risque que les plans fuitent quand vous construisez vous-mêmes vos propres machines.

Le secret va jusqu’à certains contrôles de qualité effectués sur les matériaux en amont de la production. Par souci d’efficacité et de rapidité, ils sont réduits au minimum à la fin de la chaîne mais à l’arrivée sur le site, tous les lots de matériaux sont testés sans aucune exception.

Heureusement, on pourra tout de même assister à quelques évaluations plus simples, telles qu’un test de traction et un test de fatigue. On a plutôt l’habitude de les voir pour des métaux mais vu les charges auxquelles ces tissus sont soumis lorsque nos sacoches sont remplies, c’est une bonne chose qu’ils y aient droit aussi !

D’ailleurs, si la fabrication des sacs à Heilsbronn fait partie de l’identité d’Ortlieb, le Made in Germany s’étend aussi aux matériaux. Plus de 70 % des composants que la marque utilise pour la fabrication de ses produits viennent d’Allemagne et parfois de très près, à l’image des fermetures éclairs (étanches, évidemment) qu’on trouve sur certaines sacoches.

Elles sont développées et confectionnées par Tizip, une compagnie fondée par… Hartmut Ortlieb et basée de l’autre côté de la rue, en face des vestiaires du personnel. Dire que le fondateur aurait quelques principes serait un euphémisme.

En apprenant cela, on ne peut s’empêcher de poser la question de la prise en compte environnementale. Est-ce une des motivations derrière toute cette organisation ? La réponse de Peter est étonnement complète, mais on apprécie : « C’est clairement quelque chose qui compte beaucoup pour nous. Depuis 2017, nos bâtiments fonctionnent uniquement sur des énergies renouvelables, et pour 1/3 grâce aux panneaux solaires que nous avons sur les toits. »

« On travaille aussi avec Fahrer Berlin, ils récupèrent nos chutes de tissus et les réutilisent pour faire d’autres produits. »

« En fait, notre plus gros point noir actuellement c’est le déplacement des employés. La plupart viennent de Nuremberg ou d’Ansbach, à 20-25 km et on a beau les encourager à changer, beaucoup viennent encore en voiture. Ça peut se comprendre quand tu travailles à l’usine, c’est vrai, mais on aimerait changer ça. »

Reste que dans l’entrepôt, on a vu beaucoup de sacs en plastiques en guise d’emballage et assez peu de carton. Incohérent ? « Pas vraiment. Il faut regarder l’ensemble, pas juste le résultat. Regarde, ici on a un beau carton, sur lequel on a d’ailleurs bien réduit l’encre récemment mais ça prend de la place et c’est plus fragile. Un sac dans un sachet plastique, c’est moins encombrant donc on peut en transporter bien plus et on réduit les émissions de ce côté. Mais s’il y a de nouvelles solutions qui se présentent, on pourra toujours changer. »

Parmi ces solutions, il a bien sûr celle de réparer plutôt que de racheter. Un bon SAV, c’est aussi un outil marketing très puissant nous rappelle Peter en nous emmenant vers la zone dévolue de l’usine. Sept personnes sont entièrement dédiées à ce service, pour la gestion des retours et les réparations elles-mêmes.

Ici, une sacoche percée qui repartira (presque) comme neuve, réparée avec une petite pièce thermosoudée. Ne reste plus qu’à remonter les fixations et la sacoche pourra retourner vers son propriétaire. Alles wieder gut !

Fabriquer sur place plutôt qu’à l’autre bout du monde, être réactif, faire attention à son environnement… Aujourd’hui, tout cela paye. Avec plus d’un million de sacs produits par an, Ortlieb grandit vite et a même du mal à suivre le rythme. Entre son arrivée à Heilsbronn en 1997 et aujourd’hui, la marque est passée de 60 à 310 employés et l’évolution récente est encore plus impressionnante : en 2019, il y a 3 ans seulement, on ne comptait « que » 235 personnes sur le site.

Et avec l’engouement actuel pour le vélo sous toutes ses formes, cela ne semble pas près de s’arrêter. Urbain et utilitaire ou sportif et aventureux, l’offre d’Ortlieb se complète un peu plus chaque jour et la marque joue de plus en plus avec les codes de la mode pour sortir de son image utilitaire et séduire ces nouveaux pratiquants. Illustration avec cette série spéciale 40 ans et son ingénieux logo « holographique », qui affiche tantôt 1982 tantôt 2022 selon l’angle sous lequel on le regarde, ou cette « réinvention » d’un des tout premiers modèles.

De petit artisan avec une belle histoire à leader mondial dans son domaine, le parcours d’Ortlieb a de quoi faire rêver. En quarante ans, la marque allemande a bien grandi mais lors de notre visite, c’est pourtant sa simplicité qui nous a séduits. Simplicité de l’approche, simplicité du fonctionnement, simplicité de la communication aussi. Malgré son évolution, Ortlieb est restée attachée à certains beaux principes et cela force le respect. Difficile de prédire où la marque sera pour ses cinquante ans vu le bond effectué ces dix dernières années mais on ne lui souhaite qu’une chose, c’est de garder ce même état d’esprit !

Par ailleurs, si le sujet vous intéresse, voici qui devrait vous plaire : nous sommes repartis avec une bonne partie de la gamme bikepacking d’Ortlieb à tester et à l’heure où vous lisez ces lignes, tout ce petit monde a déjà vu quelques beaux voyages. Rendez-vous dans quelques temps pour les essais complets et ne vous inquiétez pas, on a depuis appris à fermer nos roll-top closure dans le bon sens !

ParLéo Kervran