Test | Production Privée Shan 5 : une histoire de choix

Par Léo Kervran -

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Test | Production Privée Shan 5 : une histoire de choix

Les tout-suspendus en carbone, on connaît. Ceux en acier également, même s’ils sont moins courants. Mais un tout-suspendu en acier ET en carbone ? Voilà qui est intrigant. Ce vélo, c’est le Production Privée Shan 5, héritier du fameux et polyvalent Shan n°5 tout en acier de la petite marque andorrane. Nous l’avons eu à nos côtés pendant six mois, voici ce qu’on en a retenu :

Production Privée, c’est avant tout une jolie histoire. Née dans les Pyrénées d’une simple potence, la marque s’est ensuite essayée aux cadres avec un certain succès, comme nous avions pu le constater il y a quelques années (lire Production Privée – À la découverte du OKA et Test | Production Privée Shan GT : le diable vit en Andorre !). Après ces premières expériences en semi-rigide, la petite équipe s’était ensuite attaquée au tout-suspendu avec le Shan n°5, toujours en acier.

Sans dire qu’on avait perdu sa trace, la marque a vécu quelques aventures depuis cette époque à l’image du rachat par Forestal, dont on vous parlait à l’occasion d’une visite chez ces derniers (Visite | Forestal : tourné vers l’avenir) et d’une expérience avec un DH en aluminium composé de tubes usinés dans la masse (Production Privée se lance en DH !).

Aujourd’hui, après avoir travaillé un temps sur les machines Forestal, le cofondateur Damien Nosella nous assure qu’il « a rebasculé sur Production Privée à 95 % », mais la marque a légèrement évolué. Avec plus de moyens qu’à son époque « indépendante », Production Privée ne veut pas renier les petites productions en acier qui ont fait sa réputation mais elle fait aussi, désormais, figure de bureau de recherche et développement. L’ambition ? Défricher de nouvelles manières de construire un vélo en jouant avec les matériaux… et c’est là-dedans que s’inscrit ce Shan 5.

Châssis

L’une des caractéristiques les plus importantes de ce Shan 5, c’est donc ce cadre : triangle avant en acier (série MCS 4130) et triangle arrière en carbone. Le bi-matériau n’a rien d’exceptionnel en soi, on voit souvent des vélos avec l’avant en carbone et l’arrière en aluminium par exemple (pour des questions de coût ou pour du travail sur la rigidité et la tolérance), mais le mélange de ces deux matières en particulier et de cette façon est pour le moins original.

« Au début on était en full acier car ça avait du sens pour les qualités dynamiques et la robustesse. Pour les petites marques l’acier est intéressant, travailler avec des nuances de traitement thermique et de butted c’est beaucoup plus facile qu’ouvrir un moule pour du carbone ou hydroformer pour de l’aluminium », nous explique Damien Nosella, « mais là on voulait passer un cap de performance. A l’avant l’acier a un ratio poids/performance correct mais c’est un matériau très limité à l’arrière, surtout en monopivot. Avec les ressources de Forestal pour le carbone on a essayé et le passage est vraiment bénéfique, c’est très solide et on gagne en poids. »

En effet, le triangle arrière fait partie des masses non suspendues, au même titre que les roues. Les réduire, c’est faciliter le travail des suspensions et ça permet, entre autres, d’avoir plus de sensibilité.

Si le triangle avant est fabriqué sur place, en Andorre, le triangle arrière vient encore d’Asie, mais plus pour longtemps si on en croit Damien. En effet, une usine à cadres en carbone largement automatisée est en train de voir le jour dans les locaux que Production Privée partage avec Forestal. Lorsqu’elle sera finie, les deux marques pourront utiliser ses capacités de production, estimée à 8000 cadres par an.

Pour Damien, la production sur place ne se limite toutefois pas à une étiquette. « On veut une vraie valeur ajoutée » développe le Français, « ça nous donne de la flexibilité sur la finition, on peut être sûr d’utiliser des peintures sans solvants, on maîtrise la production et les quantités. 90 % des soudures sont faites par robot, c’est une soudure « froide » donc moins traumatisante pour le traitement thermique, afin d’avoir une meilleure longévité du produit. Notre but c’est d’avoir le bon équilibre entre la partie technologique à l’échelle industrielle et le côté artisanat. »

Côté standard, le vélo se veut moderne avec des passages internes mais ne cède pas à la (douteuse) tendance des entrées via le jeu de direction. A la place, les gaines et Durits rentrent directement par le haut du tube diagonal, ce qui simplifie considérablement les interventions sur l’avant du vélo sans être moins joli à nos yeux. Dommage en revanche que le positionnement de l’amortisseur ne permette pas le montage d’un porte-bidon dans le triangle avant, mais le vélo propose tout de même un emplacement sous le tube diagonal.

Le boîtier de pédalier est au format PressFit, principalement pour des raisons techniques : ce standard utilise des largeurs plus importantes que le BSA vissé (92 mm contre 68 ou 73 mm) ce qui permet d’avoir des cordons de soudure plus long. Il accueille par ailleurs deux plots ISCG 05, pour le montage d’un bashguard.

Enfin, impossible de parler du cadre d’un Production Privée sans évoquer sa peinture. Cela a toujours été quelque chose d’important aux yeux de la marque, qui ne cache pas son inspiration pour le monde de l’automobile et des courses des années 1960-1970. Notre Shan 5 est ici en Bob Limited Edition couleur Jaune, mais il est également disponible en Rouge, Bleu métallisé et Argenté avec les mêmes décorations. On aime ou on n’aime pas, mais ça ne passe pas inaperçu !

Suspension

Le Shan 5 est peut-être un tout-suspendu mais si les premiers vélos de Production Privée étaient des semi-rigides, ce n’est pas un hasard. La simplicité est quelque chose d’important aux yeux de la marque, une véritable philosophie, et concevoir un système ultra-performant mais nécessitant 3 biellettes, 2 basculeurs et 16 roulements aurait été à contre-courant de cette logique.

Le Shan 5 repose donc sur un monopivot en prise directe, le système de suspension le plus simple qui soit : le triangle arrière pivote tout entier autour d’un point de pivot fixe et pousse directement sur l’amortisseur. Ne nous voilons pas la face : dans l’absolu, ce n’est pas ce qu’il y a de plus performant. Néanmoins, s’il est bien conçu cela peut tout de même fonctionner « suffisamment » bien et sa simplicité peut être un avantage important aux yeux de certains. Comme toujours, tout est une question de choix…

Cette suspension développe 140 mm de débattement, couplée à une fourche en 150 mm. Production Privée a choisi des suspensions Öhlins (dont les détails jaune/or s’accordent très bien au vélo) pour en gérer le comportement, et on a donc un amortisseur TTX2 Air ainsi qu’une fourche RXF36 m.2, démontée à la réception par la marque et relubrifiée avant d’être installée sur le vélo.

Géométrie

« Un débattement de trail/AM avec une géométrie d’enduro », voici comment Damien Nosella nous décrivait sa machine. En effet ! Avec 64,3° d’angle de direction et un reach généreux (468 mm en taille M), le Production Privée Shan 5 n’a rien à envier aux dernières machines de la catégorie. On note aussi un angle de tube de selle bien droit (77,6°) qui devrait donner une bonne position de pédalage ainsi que des bases relativement courtes (437 mm) pour un tout-suspendu de ce débattement et en roues de 29″.

Equipements

Si le Shan n°5 tout en acier pouvait être vendu en vélo complet, ce n’est plus le cas de ce Shan 5 acier/carbone. A la place, Production Privée propose au mieux un « Rolling Chassis », une draisienne en fait : on a les suspensions, le train roulant et les périphériques mais il manque la transmission et les freins, qui sont donc laissés à la charge de l’acheteur. Un choix qui serait difficile à assumer pour une grande marque mais qui a du sens dans ce marché de niche, où chaque vélo est différent et où les montages personnalisés sont presque la norme.

Pour les roues, la marque a choisi des Crankbrothers Synthesis Carbon E7, un modèle qui ne nous a jamais déçus sur les autres vélos où nous les avons rencontrées. Elles sont chaussées de pneus Maxxis DHF/HighRoller en carcasse Exo, qui sont manifestement plus là pour habiller les roues dans le carton que pour être utilisés dans le programme du vélo et qui seront avantageusement remplacés par quelque chose de plus robuste.

La tige de selle est une Crankbrothers Highline 7 qui a fonctionné correctement tout au long du test et la selle une Fizik Alpaca Terra X5. Enfin, le poste de pilotage est évidemment celui de Production Privée, avec la potence R2R par laquelle tout a commencé, le cintre LGB assorti et les poignées CR35 avec deux positions pour ajuster le backsweep (angle vers l’arrière) de l’ensemble cintre + poignées.

Pour compléter le tableau, cette monture a été équipée d’une transmission Sram XX1 Eagle et de freins Formula Cura 4 pistons afin de pouvoir mener à bien le test, mais on ne s’étendra pas plus sur ces composants puisqu’ils ne font pas partie du montage proposé par la marque. Dans cette configuration, nous avons pesé notre Shan 5 taille M à 14,8 kg sans pédales.

Versions et tarifs

Sans modèles complets au catalogue, la gamme est toute simple : le « Rolling Chassis » décrit ci-dessus au tarif de 5 652 € ou le cadre, à 2299 € en version nue ou 2929 € avec l’amortisseur Öhlins TTX2 Air, les deux disponibles en 4 coloris (Yellow, Red, Metal Blue ou Metal Silver). A l’avenir, de nouvelles options de Rolling Chassis devraient venir compléter l’offre.

Le test du Production Privée Shan 5

La prise de contact avec le Shan 5 commence… à l’atelier, ou presque. Avec cette architecture de monopivot en prise directe, la suspension n’est pas la plus sensible ou progressive au premier abord. Il faut donc travailler sur l’amortisseur pour obtenir ce que l’on souhaite et c’est heureusement quelque chose que permet le Öhlins TTX2 Air, entre les deux réglages de compression (HV et BV) et le ressort largement modifiable par le biais des tokens.

Damien nous recommande un sag entre 15 et 16,5 mm, même si le vélo s’accommode assez bien d’une large frange de réglages (de 14,5 mm à 17 mm), ainsi que des compressions et un rebond tous relativement ouverts. Les premières sorties sont donc dédiées à trouver un réglage qui nous convient et dans le processus, on remarque qu’il ne faut pas hésiter à charger le ressort en tokens pour y parvenir, plus que ce dont on a l’habitude. Le rebond paraît également bien freiné même réglé au plus rapide, mais on verra ce qu’il en est en descente.

En montée, le Shan 5 séduit : on est bien installé et la machine affiche un dynamisme agréable. Sans être une arbalète de XC, le Production Privée répond bien aux coups de manivelles et rend les longs pédalages tout à fait plaisants. Son caractère n’est pas fougueux, il ne vous invitera pas à essayer de monter tous les talus qui entourent la piste ou à relancer toutes les trente secondes, mais au train, les kilomètres défilent sans problème.

En descente, il nous a offert deux visages. Sur les sentiers flow sans trop de cailloux ou de racines et avec de beaux appuis, c’est un petit jouet. Il virevolte de virage en virage et prend la direction des airs dès qu’on lui demande, le tout avec une impression de facilité qui donne le sourire. « Une fois que t’as compris le truc de « tu pousses dessus et il te rend » ça marche assez bien et ça donne envie de jouer avec », nous glissait un de nos testeurs.

On peut sentir, dans certains appuis notamment, une rigidité moins importante que des tout-suspendus en carbone de grande production mais la marque ne s’en cache pas. Pour elle, la plupart des cadres sont raides aujourd’hui, voire trop raides pour certains styles ou niveau de pilotage. Malgré l’usage d’un triangle arrière en carbone sur ce Shan 5, Production Privée a voulu garder cette philosophie de vélo tolérant et très accessible tirée de ses premiers semi-rigides.

Lorsqu’on passe sur des traces moins lisses, généreusement pourvues en racines ou cailloux, les choses se compliquent. D’une part, on manque de grip au freinage et on sent clairement les distances s’allonger. De l’autre, et c’est peut-être encore plus important, on a l’impression d’un décalage entre l’avant en acier et l’arrière en carbone.

Lorsqu’on est dans la zone de fonctionnement du triangle avant, l’arrière remonte des vibrations désagréables et paraît « monolithique ». Pour tenter un parallèle avec l’automobile, c’est comme si vous essayiez de conduire une voiture de course type GT3 sur des petites routes : ça passe et vous devinez qu’il y a du potentiel, mais ce n’est certainement pas confortable et vous sentez bien qu’il lui faut plus de vitesse pour s’exprimer.

En roulant plus vite, on arrive à « l’activer » et on trouve alors des réactions en phase avec nos attentes mais c’est le triangle avant qui est maintenant dépassé. Ça n’a rien de surprenant, le Shan 5 n’est pas un vélo conçu pour l’enduro en compétition, mais ce qui est plus étonnant est de ne pas avoir réussi à faire fonctionner l’arrière à un rythme plus tranquille. Nous avons bien sûr fait part de nos retours à la marque, qui nous a répondu qu’elle allait tâcher de comprendre d’où cela pouvait venir.

Il est possible que le rebond un peu lent de l’amortisseur soit une des causes de ce comportement, et Damien Nosella nous a indiqué qu’il allait réfléchir à une solution pour ce problème si des clients lui faisaient la même remarque, mais on ne pense pas que cela puisse tout expliquer. Reste donc un petit air de mystère autour de ce vélo, très joueur sur certains chemins mais avec un drôle de décalage entre les deux triangles sur d’autres terrains.

Verdict

Original sur le papier avec son approche à deux matériaux et sa simplicité plus si courante, le Production Privée Shan 5 nous a laissé une drôle d’impression sur les chemins. Bon pédaleur en toutes circonstances, il est très joueur sur les sentiers ludiques, mais nous n’avons pas réussi à percer le secret de son fonctionnement sur les traces plus naturelles. En attendant une éventuelle évolution ou une explication, on en gardera le souvenir d’un vélo très « spécifique », excellent sur son terrain mais qui n’hésite pas à le faire savoir quand on s’en éloigne ; un peu à l’image du Commencal Tempo testé récemment. Un choix à faire en connaissance de cause !

Production Privée Shan 5 'Rolling Chassis'

5652 €

14,8 kg taille M

  • Comportement plaisant au pédalage
  • Très ludique sur les sentiers
  • Originalité
  • Amortisseur arrière pointilleux à régler et rebond un peu lent
  • Décalage entre les deux triangles dans le technique (racines, cailloux)

Évaluation des testeurs

  • Prix d'excellence
  • Coup de coeur
  • Rapport qualité / prix

Plus d’informations : production-privee.fr

ParLéo Kervran