Rencontre : Yannick Granieri, l’e-slopestyler

Par Elodie Lantelme -

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Rencontre : Yannick Granieri, l’e-slopestyler

La petite communauté du slopestyle est en émoi. Après Sam Pilgrim, c’est au tour de son « best friend français », Yannick Granieri, de passer au vélo électrique, avec sa signature chez Haibike. Sacrilège ? L’occasion, surtout, de connaître un peu mieux le Français, que la langue de bois ne caractérise pas.

Vous connaissez l’expression « le mariage de la carpe et du lapin », qui désignait les unions entre un noble et une roturière, conçues comme contre nature et vouées à l’échec pour les esprits moyenâgeux ? Eh bien, c’est celle qui nous est venue à l’esprit lorsque l’on a appris, au printemps, la signature chez Haibike de Yannick Granieri.

Improbable de voir la marque allemande du groupe Accell à l’image plutôt lisse et sage pour nous compter dans ses rangs l’un des bad boys du slopestyle plutôt en fin de carrière qu’à l’aube d’une nouvelle vie.

Et pourtant, c’est ce qu’en retient Yannick Granieri, vainqueur au général du World Ride Tour en 2008, qui met la langue de bois de côté :« Certains penseront sans doute que j’ai juste signé pour l’argent, mais la vérité, c’est que depuis que je suis passé chez Haibike et que je roule en électrique, j’ai retrouvé quelque chose que j’avais perdu : le goût du vélo. J’ai repris du plaisir au guidon, et au final, je n’ai jamais autant roulé que maintenant ! »

Il faut dire qu’après une douzaine d’années de carrière à haut niveau dans une discipline aujourd’hui plus confidentielle qu’à ses débuts, Yannick avait un peu la sensation d’avoir fait le tour du slopestyle : « Je tournais en rond, avec les mêmes contests, la même organisation… » 

S’ajoutaient aussi l’impression d’avoir vécu les belles années, et celle que le meilleur n’était pas forcément à venir :« Le slopestyle aujourd’hui devient de plus en plus “core”, il est de moins en moins médiatisé auprès du grand public. Et il faut le dire, vivre la fin d’une carrière quand on a fait partie du haut niveau n’est pas facile. J’en ai parlé avec CG (Cédric Gracia) et Nico Vouilloz, on est tous pareils… C’est un moment compliqué à aborder. D’autant qu’on y est rarement préparés. »

Pas préparé à voir les résultats baisser, l’envie se tasser, les sponsors devenir moins généreux… « Redbull voulait renégocier mon contrat. J’ai préféré décliner. Et l’offre Haibike est arrivée juste à ce moment-là, ça tombait à point. »

Dans le garage de la maison qu’il partage en colocation avec notamment Léo Nobile, qui intervient aussi dans les shows de Ride the world, l’agence événementielle spécialisée que Yannick a montée avec le trialiste moto Julien Dupont, on trouve quelques traces de l’enseigne au taureau rouge çà et là, entre les vélos du moment.

L’endroit est rangé, chaque outil à sa place: « Je tiens ça de mon grand-père. Il travaillait déjà dans le vélo, c’est lui qui a lancé la marque Follis, en 1930. » À l’époque, le bassin stéphanois et la région lyonnaise, dont Yannick Granieri est originaire, abritaient une industrie du cycle en pleine effervescence.

Suspendu aux murs du garage de celui qui fut, en 2009, le seul Français à participer au White Style de Leogang (un contest sur neige), on s’étonne de trouver un modèle de dirt Haibike et un autre de descente, non-électriques.

Thomas Meï, responsable de la marque en Europe du Sud, pose les choses : « Au sein de Winora (qui comprend donc Haibike et Winora et fait aujourd’hui partie du groupe Accell, avec notamment Lapierre et Ghost, NDLR), Haibike est la marque à l’identité plus fun, plus agressive, tandis que Winora, elle, est plus sage. Mais c’est vrai que c’est une image que l’on n’a pas en France. »

Une image déjà cultivée aussi avec Sam Pilgrim, meilleur ami de Yannick, star de l’époque dorée du slopestyle, qui a également trouvé une voie maligne de suite de carrière avec la marque à l’aileron de requin. Opportunisme ? Si les bénéfices sont partagés, où est le problème ?

D’où l’utilité de ce contrat de deux ans avec Yannick Granieri. D’un côté, le slopestyler reprend de la motivation en allant explorer de nouveaux territoires et en resignant un contrat quand la situation se compliquait de ce côté ; de l’autre, Haibike renoue avec son ADN gravity, la donne à voir avec des images toujours interloquantes d’un ebike en backflip réalisé par un rider tatoué.

À propos de tatouages, on se pose quelques instants sur la question, que Yannick a déjà pas mal évoquée. Au point de répondre à la question du pourquoi par un tattoo « C’est de l’art ». Mais quand même, il s’est fait son premier à 20 ans, par un Autrichien qui s’est, plus tard, retrouvé à tatouer les Hell’s Angels. Il lui avait donné pour thème… la nature : «Je ne sais pas ce qui lui est passé par la tête, le résultat est plutôt loin de ça

D’autres l’ont rejoint : son chat, un clin d’oeil à Pilgrim…

Yannick a d’ailleurs gardé un skate de Sam chez lui, ils vont en faire ensemble quand le Britannique vient. C’est l’autre passion du Français : « J’en fais tous les jours. »

Son premier backflip sur le Haibike, Yannick l’a sorti en Utah, à l’occasion de son voyage de roulage annuel, durant l’hiver. Comme en slopestyle “classique”, ses douze ans de compétition en trampoline l’ont aidé à mettre le NDuro à l’envers.

Lors de notre venue chez lui, le Français venait tout juste de récupérer son trampo. Une petite remise en état, et il était déjà dessus: « Le trampoline oblige à être précis, c’est une excellente école pour plaquer les figures en slopestyle. »

Un allié qui a permis de donner une forme visuelle à ce mariage de la carpe et du lapin.

 

3 questions à Yannick Granieri

Le slopestyle en ebike, c’est comment ?

Marrant! Je ne m’attendais pas à ce que j’arrive à rouler comme ça avec, parce que le poids est quand même le double de celui de mon vélo de slopestyle. Après, dire qu’on fait du pur slopestyle avec, ce serait mentir, car ce sont juste des flips… Mais j’arrive à être à l’aise en l’air avec. J’avais peur que le vélo soit trop lourd de l’avant ou de l’arrière, et non, pas du tout, il est très bien équilibré, très stable en l’air, et tu t’habitues très vite. En même temps, ça fait 15 ans que je fais des backflips, alors je n’ai pas eu besoin de me préparer spécialement, j’y suis allé en mode turbo, en me disant qu’il allait falloir tirer un peu plus, comme le vélo était un peu plus lourd, et c’est tout.

Quels retours du milieu as-tu eus de l’annonce de ton passage chez Haibike ?

Il y a eu de tout. Beaucoup de « Super, on est contents pour toi, c’est l’avenir, tu as senti le vent venir » et aussi, de la part des fans qui me suivent – surtout les plus jeunes, qui ont entre 12 et 18 ans –, un peu moins de compréhension, ils se demandent pourquoi je ne vais plus faire beaucoup de figures. Il y a donc un peu les deux sons de cloche, mais au global, les retours sont plutôt positifs, parce qu’un mec comme moi, on ne s’attend pas forcément à le voir sur un ebike, ça veut donc dire que c’est ouvert à tout le monde, et on voit que c’est hyper maniable.

« Je serais bien chaud pour organiser une Jam spéciale VTTAE »


Bientôt des contests en VTTAE, alors?

Je ne suis pas sûr qu’il y en ait tout de suite ! Mais je serais bien chaud pour organiser une Jam spéciale VTTAE. PEF (Pierre-Edouard Ferry, freerider français qui a également été juge sur la Rampage en 2017) a mis en place une Jam à Lyon en juin, et il n’y avait que des remontées à la pédale. Alors avec mon électrique, j’aurais été royal, tu peux faire bien plus de lignes!

Je verrais bien l’event sur le terrain de Cazan, à côté de chez moi, celui sur lequel je m’entraîne depuis longtemps et où j’ai réalisé les photos.  Mais il faudrait l’adapter. Les bosses sont conçues pour des modèles de slope classiques. Là, il faut des bosses plus grosses, plus longues, parce que tu arrives plus vite dessus et que le vélo est plus lourd. Ou alors développer une petite ligne spéciale ebike à Eguilles, autour de chez moi toujours. Bien sûr, pour l’instant, on est peu à rouler comme en électrique, mais petit à petit, ça peut venir.

© Photos Elodie Lantelme et Piers Spencer-Phillips/HDCM

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