Réflexion | L’aéro, prochaine grande tendance en compétition XC marathon ?

Par Olivier Béart -

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Réflexion | L’aéro, prochaine grande tendance en compétition XC marathon ?

La Leadville 100 est une des courses, si pas LA course marathon la plus relevée et réputée aux USA. Avec son parcours roulant mais cassant, elle est un laboratoire d’essai intéressant pour des vélos hybrides et, depuis quelques années, pour la recherche d’aérodynamisme en VTT. Est-ce une particularité isolée ou le début d’une tendance de fond vouée à se développer ? Vojo vous explique !

Commençons par une mise en contexte : la Leadville 100 est une course VTT longue distance qui se déroule chaque année depuis 1994 dans le Colorado. Avec ses 100 miles, ou 160 km, elle est devenue un mythe, d’autant qu’elle se déroule en altitude, entre 2800 et quasiment 4000 m, pour un dénivelé positif total de plus de 3000 m.

Son parcours est aussi assez particulier, puisqu’il est à la fois rapide, roulant et technique. Le gravel n’est donc pas une option et la grande majorité des top pilotes roulent en tout-suspendu. Par contre, depuis quelques années, on assiste à une véritable recherche d’aérodynamisme. Elle s’exprime à différents niveaux, que nous allons détailler.

Cintre gravel/route sur un VTT : et pourquoi pas ?

Le premier accessoire sur lequel les pilotes ont travaillé, c’est le cintre. Avec des dérailleurs mécaniques et à l’époque des freins sur jantes, ce genre de montage était plus complexe car le tirage de câble des dérailleurs et des freins était différent en route et en VTT. Avec l’arrivée des dérailleurs électroniques sans fil et des freins à disques, compatibles route et VTT tant chez Sram que chez Shimano, cela a ouvert beaucoup de possibilités de mixage entre des ensembles leviers de freins/shifters route pour « drop bar » et des transmissions VTT à grande amplitude de rapports, nécessaires pour ce type de courses à grand dénivelé et où les côtes sont parfois très raides.

"oui mais John Tomac le faisait déjà il y a plus de 30 ans"... C'est vrai, mais c'est un peu court comme raisonnement

On vous voit venir avec le commentaire « oui mais John Tomac le faisait déjà il y a plus de 30 ans« … C’est vrai, mais c’est un peu court comme raisonnement car le VTT et même le vélo « off road » en général (en incluant le gravel) a énormément évolué depuis cette époque. Donc, oui, rendons à Tomac ce qui appartient à Tomac car il utilisait bien un cintre courbé sur son VTT à une époque (lointaine), mais la comparaison avec l’époque actuelle reste limitée, car la démarche des pilotes qui courent la Leadville 100 et/ou le développement du gravel s’inscrivent dans un contexte qui est le résultat de nombreuses avancées techniques.

Les courses ont beaucoup évolué aussi : si cela a du sens d’utiliser un « drop bar » en gravel ou sur certaines courses VTT marathon rapides, on n’est pas près d’en revoir en cross-country en format olympique car les tracés sont bien trop techniques (et beaucoup, beaucoup plus techniques que ceux sur lesquels Tomac roulait à son époque). En Short Track, cela pourrait éventuellement avoir du sens, mais le règlement impose de rouler avec le même vélo qu’en XCO, sauf les pneus, ce qui limite les expérimentations.

Sur des tracés roulants comme la Leadville 100, on a tout de même assisté à une augmentation de la vitesse moyenne de l’ordre de 1 à 1,5 mile/heure chez les pilotes du top 20 qui ont adopté les cintres courbés ces dernières années sur leur VTT (source : https://velo.outsideonline.com/gravel/gravel-gear/rockshox-aero-suspension-fork-prototype-leadville-trail-100-mtb/)

A l’opposé, la pilote de coupe du monde XCO Kate Courtney est venue faire la Leadville 100 cette année et a explosé le record féminin sur le vélo qu’elle roule habituellement en coupe du monde XC, quasiment sans modifications. Elle roulait en cintre plat…

… mais elle mettait tout de même régulièrement ses mains sur le sommet de sa fourche, où elle avait même fait placer des petits « Blips » Sram pour commander son dérailleur ! Bref, un choix d’apparence plus conventionnel que le cintre courbé mais qui est en réalité encore plus radical (voire même un peu dangereux à nos yeux). Néanmoins, cela montre aussi que c’est l’athlète avant tout qui fait la performance, plus que sa machine.

Prochaine étape, la fourche ?

RockShox a créé la surprise cette année en équipant deux des favoris, Sofia Gomez Villafane (2e cette année chez les Dames) et Keegan Swenson (vainqueur chez les Hommes pour la 5e fois d’affilée) d’une fourche SID SL Blackbox équipée d’ailerons aérodynamiques sur l’arrière.

Il s’agissait simplement d’inserts imprimés 3D en plastique, collés sur l’arrière de la fourche. Leur utilité réelle est encore à démontrer mais cela montre en tout cas que les grandes marques s’intéressent à la question et mènent des recherches en la matière !

Quid du cadre et des roues ?

En vélo de route, jusqu’il y a peu, l’aéro était réservée aux seuls vélos de contre-la-montre. Mais, depuis quelques années, on voit que la pénétration dans l’air est une préoccupation sur quasiment tous les modèles destinés à la compétition. Même pour les étapes de montagne !  Même si ce ne sera pas un axe de développement aussi important qu’en route ou même en gravel, il ne serait donc pas surprenant que, d’ici quelques années, on voit apparaître des VTT XC haut de gamme destinés à la compétition, avec une certaine préoccupation pour l’aéro au moment de la conception.

Nous avons été surpris que la plupart des pilotes sur la Leadville 100 restent sur des roues VTT conventionnelles. Car des jantes hautes permettent un gain aéro significatif. Peut-être est-ce parce que la course présente un dénivelé important qui rend l’usage de roues légères intéressant ? Mais l’explication est peut-être aussi à chercher du côté des sponsors et des marques de roues qui ne sont pas toujours prêtes à laisser mixer leurs jantes gravel et des moyeux VTT Boost (les standards de moyeux VTT et gravel restent différents). On ne serait pas étonnés qu’à l’avenir certains pilotes et certaines marques expérimentent le montage de jantes aéro sur des VTT, en tout cas pour certaines courses bien spécifiques et roulantes (pas en XCO où la capacité de déformation verticale de la jante reste prépondérante).

Et l’équipement du pilote ?

C’est sans doute moins visible que sur un vélo, mais l’équipement d’un pilote est aussi important en matière d’aéro, et de nombreux vététistes utilisent déjà des casques profilés, des maillots taillés au plus près du corps et des couvre-chaussures, tant en XCM qu’en XCC et en XCO. A titre d’exemple, un casque aéro permet de gagner jusqu’à 15 W à 40 km/h, ce qui est absolument énorme. Bref, moins spectaculaire mais tout de même diablement efficace !

Uniquement sur la Leadville 100 ou bientôt sur toutes les courses marathon ?

Pour répondre à cette question, nous avons demandé au marathonien de l’équipe, Remi Groslambert, ce qu’il en pense. Vu son expérience sur les marathons à travers l’Europe, il peut porter un regard assez large sur la question. « Je n’ai jamais participé à la Leadville 100 mais c’est une course assez particulière, très longue mais tout de même roulante, avec des moyennes plus élevées que ce que nous rencontrons sur la plupart des courses eu Europe. Mis à part en Allemagne ou dans les pays de l’Est où on peut avoir des moyennes très élevées et où un travail en profondeur sur l’aéro pourrait faire la différence, je ne pense pas qu’on verra des choses aussi poussées en France, en Italie ou en Espagne où il y a soit plus de dénivelé, soit beaucoup plus de technique, ou les deux. Dans ces cas-là, un cintre plat reste plus adéquat et plus efficace en pilotage. 

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Par contre, Rémi poursuit : « Je pense tout de même que c’est une piste d’évolution des vélos pour l’avenir, y compris les VTT XC. Sans arriver nécessairement à des choses aussi extrêmes que pour Leadville, c’est un paramètre qui n’a pas encore beaucoup été pris en compte dans le monde du VTT et qui peut apporter des gains dans certaines circonstances. Pour le marathon en tout cas, c’est un terrain à explorer. »

Pourquoi pas en descente ?

Par le passé, on a déjà vu des appendices aérodynamiques fleurir sur des vélos de descente, pour des courses très rapides, comme la Kamikaze où les pilotes flirtaient avec les 100km/h dans les années 90.

HED, spécialiste des composites à l’époque, avait réalisé des appendices aéro qui se mettaient à l’arrière de la fourche RockShox Judy DH. On a aussi vu des jantes hautes fleurir, avant de disparaître.

La descente étant un domaine de la course VTT extrêmement pointu au niveau du matériel, on ne serait pas surpris de voir revenir un jour ce type d’appendices. Bien entendu, ils devront être modernisés et adaptés aux contraintes des pistes actuelles, bien plus techniques et cassantes que dans les années 90. Mais s’ils n’impactent pas négativement d’autres paramètres importants (comme la capacité de déformation des jantes pour garantir un grip optimal), cela aurait du sens vu les vitesses moyennes et de pointe très importantes sur certaines pistes (pointes à plus de 80km/h dans le « Motorway » de Leogang par exemple).

Photos copyright : RockShox, Allied & Leadville 100

Par  Olivier Béart