Rancho Webshow au Roc d’Azur – Rencontre avec Enak Gavaggio

Par Elodie Lantelme -

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Rancho Webshow au Roc d’Azur – Rencontre avec Enak Gavaggio

Nico Vouilloz en tutu, Romain Bardet et Isabeau Courdurier aussi ; ACC un chausson aux pommes à la main et des chaussons roses aux pieds ; Jey Clementz en maître sado-maso ; Loïc Bruni en tandem ; CG et Kilian Bron en diables tentateurs, Miguel Martinez épilé de frais, Danny MacAskill en inconnu… Bienvenue dans l’univers vintage, gonzo et décalé de Rancho !

Pour son 15épisode, qui vient tout juste de sortir, la websérie, plus habituée à l’univers du ski dans toute sa largeur, a mis le cap sur le Roc d’Azur 2018. Le résultat est irrésistible d’humour autant que de talent. Rencontre aux Arcs avec Rancho/Enak Gavaggio, septuple médaillé aux X-Games en skicross, qui, avec son acolyte Dino, conçoit et réalise la série dont il incarne le personnage principal.

Un malentendu. C’est comme ça qu’on avait prévu de présenter l’histoire d’Enak Gavaggio. Un malentendu entre un skieur « besogneux », comme il dit, auquel son look de snowboarder et son allergie à l’autorité brute ont collé l’étiquette de « branleur ». Bref, rencontrer Enak Gavaggio, c’est se frotter aux paradoxes, en toute simplicité. 

C’est d’ailleurs cette aptitude à sortir des cases qui a permis au skieur pro qu’il a été de venir sur les terres cyclistes qui ne sont pas les siennes pour le dernier épisode de sa websérie Rancho, lancée en 2014. « Le ski dans toute sa largeur », baseline de la vidéo #1 dédiée au ski de fond et qui prenait ainsi le contrepied de son image de freerider skicrosser (« J’ai un tel ras-le-bol de la segmentation ! », affirme-t-il), s’est transformée en « la glisse dans toute sa largeur » au fil des épisodes, laissant la place au surf ou encore au skeleton, pour devenir aujourd’hui « le sport dans toute sa largeur ». De quoi inclure les 170 mm de débattement de son vélo et sa vision du monde cycliste.

Vous n’avez pas encore vu l’épisode #15 de Rancho Webshow ? Découvrez-le ci-dessous, avant de rencontrer plus avant le personnage, à l’occasion d’une visite que nous lui avons rendue dans son fief des Arcs, en Tarentaise :

Qui est Enak Gavaggio ?

Un jeune quadragénaire de… 17 ans : « Oui, je ne fête plus mon anniversaire depuis cet âge, comme ça, je suis sûr de ne jamais entrer dans le monde des adultes ! » C’était peut-être un peu son destin, amorcé par ce prénom original tiré de la bande-dessinée Alix, dans laquelle le fameux Enak, âgé de 14 ans, campe le meilleur ami du jeune Gallo-Romain : « Mon père était passionné de bandes-dessinées, il a d’ailleurs tenu un magasin de BD un temps… » Afin de voyager dès sa carte d’identité, à son prénom est associé un patronyme aux sonorités italiennes, d’où vient une partie de sa famille.

Il faut dire aussi que les adultes, souvent incarnés par les coachs de ski qu’il côtoie depuis ses 8 ans à Valmorel pour suivre son père, devenu pisteur après être parti y élever des chèvres, ne lui donnent pas forcément envie de grandir. Eux qui, campés sur leurs certitudes, ne lui offrent pas toujours l’écoute et la considération à laquelle il aspire, toute question d’âge mise à part. Comme une sensation d’être “mal entendu”.

Il va donc quitter le monde du ski alpin, dont il est l’un des grands espoirs français, pour basculer dans une discipline qui convient mieux à son esprit libre et émerge tout juste : le freeride.

Puis le skicross, en passe de devenir olympique, l’appelle. Aux X-Games, il va décrocher 7 médailles avant de raccrocher les spatules, et d’ouvrir un nouveau chapitre de sa vie avec Rancho. 

Puisque le ski a marqué la première partie de la vie d’Enak, c’est aussi par là que nous commençons notre journée : un petit tour sur les pistes des Arcs. Sur les lattes, au vu de son passé de sportif de haut niveau, c’est clairement lui qui mène la danse. 

Mais pour le choix des spots photo aussi, le Savoyard s’impose avec talent : avec la prime de sa première médaille aux X-Games, le skicrosser avait d’ailleurs acheté un kit Nikon complet : « Ensuite, j’ai découvert, l’Urssaf, les charges à payer, donc j’ai dû revendre mes objectifs, mais j’ai gardé le boîtier. »

Il reste sur les étagères de la maison, témoin d’une passion autant que d’un malentendu entre une âme d’enfant et la réalité fiscale.

Sa rencontre avec le vélo

Il y a bien eu les sorties de préparation physique au ski-club, mais elles auraient plutôt eu tendance à dégoûter Énak de la petite reine. « En fait, si tu veux parler de ma rencontre avec le vélo, il faut parler de Sophie (Lechasseur-Gavaggio, sa femme, freerideuse) ! C’est elle qui m’a remis sur un VTT », précise-t-il d’emblée. Gravement blessé après une chute en freeride, il s’était refait une santé sur un vélo de route.

« Quand Sophie l’a vu, elle qui a grandi à Whistler et connu le North Shore, m’a dit : “Ça, tu arrêtes tout de suite, et tu vas prendre un vrai vélo : un VTT.” Elle roule mieux que moi ! » La petite histoire raconte même que sa future épouse ne l’a pas loupé quand elle l’a vu freiner avec deux doigts fermement ancrés sur les leviers…

Souvent, ils vont rouler tous les deux, et il n’y a pas loin à faire : il suffit de partir de leur maison et de prendre l’ancienne petite route des Alpes pour retrouver la piste 8 des Arcs, une jolie noire qui serpente entre les résineux et dont le haut était alors encore colonisé par la neige en ce début de printemps.

Lui qui sait ce que sont le haut niveau et la maîtrise technique, puisqu’il les a incarnés sur les skis n’est pas tendre avec son niveau au guidon : « Je ne sais pas rouler, je n’ai pas de technique. Mais sur l’Enduroc, je me suis bien éclaté. Je me vois bien aller avec 4, 5 copains faire une sortie enduro.Tu rencontres du monde, tu te marres pendant les liaisons, tu parcours des kilomètres… et j’aime bien cette idée avec la petite bière à la fin de la journée qui va bien. » 

À midi, pas question de bière pourtant, le gosse Rancho prend un sirop à l’eau durant notre halte au Sanglier qui fume. Une adresse tenue par Olivier, un ami de longue date d’Enak : « J’ai un camp de base dans chaque station des Arcs, et je n’en change pas. Ce sont en général des amis qui les tiennent, alors je ne vois pas pourquoi j’irais ailleurs. » Une fidélité qui se retrouve au niveau professionnel : « Je travaille avec les mêmes personnes depuis 20 ans. » 

Là encore, Rancho prend à contrepied ceux qui le croient superficiel et papillonneur. Très tôt, il a appris à tirer profit de ce contraste qu’il incarne. On le croit agressif sur les pistes de skicross après une manœuvre osée de l’un de ses concurrents ? OK, alors il s’habille de noir et se glisse dans la peau du Dark Lord, qui restera son surnom dans la discipline mais n’est qu’une des facettes de sa personnalité.

Sur le casque de Rancho, un autocollant « DP » rend hommage au skieur David Poisson, qu’Enak connaissait bien car le descendeur tragiquement décédé 2017 parrainait ses épreuves Kids.

En fait, Rancho, c’est une invitation perpétuelle à gratter le vernis, car, avec amusement, il met son interlocuteur face à ses préjugés. Après en avoir souffert (allez expliquer à un coach qui croit dur comme fer que vous étiez bourré la veille, et est persuadé que vous êtes un fêtard qui gâche son talent par manque de sérieux, que vous vomissez parce que vous avez bu à l’eau d’un torrent pas très claire!), il n’en a aujourd’hui plus grand-chose à faire. L’empilement des 17 printemps depuis 26 ans a quand même apporté son lot de sagesse et d’expériences, qui ont permis à Rancho de voir le jour…

Ses influences

Si vous avez visionné l’épisode #15 avant d’arriver jusqu’ici, vous avez dû remarquer que la musique, habilement travaillée par le DJ Thomas Ouf, y joue un rôle important. Comme dans la vie d’Enak. Son père jouait dans un groupe de jazz. Mais ça n’a pas déchaîné le fils qu’il était, qui lui préférait le rock indépendant de Bernard Lenoir et des Inrocks sur France Inter.

Dans l’entrée de la maison trône une batterie. « Je ne sais jouer que deux ou trois trucs pour l’instant, et je casse un peu la tête de Sophie, mais j’aime bien m’y mettre de temps en temps », précise Enak, qui annonce Pearl Jam en groupe de référence, et Beck en artiste phare, s’il doit vraiment en choisir un… Ou Johnny Cash, aussi. Pourquoi devoir toujours choisir, au fond ? Lui a choisi de faire de sa vie une exploration de ses envies, et elles sont éclectiques, à la mesure de sa curiosité : base-jump, hockey, ski alpin, freeride, skicross pour le côté sportif.

Le tableau de famille vu par Thomas Gachet, qui a également signé le logo de Rancho.

Ses influences cinématographiques aussi sont variées, mais leurs racines plongent dans l’univers du western à la Sergio Leone, qui a valu à son personnage Rancho de se doter d’une paire d’éperons. Lui qui aujourd’hui influence notamment Kilian Bron – lequel concède sans ambages son admiration pour le travail d’Enak – cite volontiers Wes Anderson, Emir Kusturica ou encore Tim Burton parmi les réalisateurs dont il apprécie la créativité. 

Des univers oniriques forts, en phase avec ce lien de l’enfance qu’il cultive. Une naïveté façon « oiseau tombé du nid » dont il joue dans les épisodes et que l’on retrouve dans sa maison, parsemée de nains de jardin et de petits ou plus grands tableaux qu’Enak ramène de chacun de ses voyages. « C’est aussi ça que que j’aime bien dans Rancho, c’est qu’on essaie d’avoir trois lectures: pour les enfants (d’ailleurs, l’une des deux grands phrases sur le sport de haut niveau qui guident Enak est que “Les champions sont faits pour faire rêver les enfants” ; l’autre étant “Pour devenir champion, soit il faut être très con, soit il faut être très intelligent et quand tu es un peu au milieu comme moi, le sport de haut niveau, c’est compliqué”), le grand public et les mecs super core. »

La websérie Rancho

Avant de lancer sa websérie, Enak s’était déjà essayé à la vidéo, avec Base Man, dédiée au base-jump : « Pas franchement réussie et à ne surtout pas regarder, parce que je ne suis pas acteur. C’est d’ailleurs ça qui nous a poussés, pour la série Trip Box qu’on a produite après, à utiliser des personnages de fiction dessinés pour nous incarner. » Mélange futuriste audacieux, les trois courts-métrages en animation 3D et images réelles de base-jump de la saga vont marquer les esprits.

Aussi, quand Rossignol cherche un ambassadeur à la personnalité forte, qui pourrait lancer une websérie décalée, la marque se tourne vers Enak Gavaggio : « En matière de websérie dans le ski, il y avait déjà Bon Appétit, qui cartonnait, je ne voyais pas ce qu’on pouvait apporter. Alors, avec Dino (Raffault, réalisateur et producteur, avec lequel il avait éjà sorti les Trip Box), on a réfléchi à tout autre chose » 

Ainsi est né le Rancho Webshow. « On l’a tout de suite pensé comme une marque, avec une identité et des points d’ancrage forts », précise Enak. Le tout incarné par Rancho, un personnage qui n’en est pas vraiment un : « Avec Base Man, on s’était bien aperçu qu’on n’était pas acteurs, donc Rancho, ça devait être moi », explique Enak. Il a alors repris son bonnet difforme, ses lunettes de glacier, son sweat Motobécane, qu’il portait déjà dans sa vie d’athlète freeride et skicross. Y a ajouté des éperons (pour le côté western spaghetti), un caban en référence à Corto Maltese (car Rancho allait explorer des territoires de glisse inconnus), un jean moutarde ou saumon selon les épisodes (pour… la couleur?) et… une moustache.

« La moustache, c’était une idée de Dino, se souvient Enak. Lui voyait plutôt une grosse moustache à l’anglaise, un peu bacchantes, mais comme c’était moi qui allais la porter à l’année, j’en ai choisi une qui me plaisait plus. » Un peu à la Dali, pour l’onirisme créatif toujours. Produire le premier épisode a pris un an, le temps que la moustache pousse et de bien baliser le scénario. « Avec le tournage, le montage… réaliser un épisode représente au moins 25 jours pleins de travail, sans compter les démarches préalables pour participer aux épreuves. Et l’écriture des stories m’en prend une bonne part. »

Dedans, comme dans chacun des épisodes qui suivront, on retrouve en général : un challenge sportif, de la bonne musique, un animal empaillé (un coq de bruyère devenu un blaireau, parce que, comme le dit Enak, « on est toujours le blaireau de quelqu’un »), une chanson adaptée et fredonnée, une scène au passage du panneau de la ville ou du village concerné et… sa vieille Matra Simca Rancho. 

« On souhaitait réaliser une série cross-over, pour sortir des sentiers balisés et ouvrir les horizons, avec le ski dans toute sa largeur, détaille Enak. Un peu comme un SUV… Et quand on a cherché le premier modèle de l’histoire, on est tombés sur la Rancho. Ça évoquait aussi le western, c’était raccord. » Aujourd’hui, la Rancho a rendu l’âme, aussi c’est avec un autre 4×4 Simca poussiéreux qu’il a pris le route du Roc d’Azur, en compagnie de Fils Routin, mécano chez DVélos et personnage pivot de l’épisode 15 dédié au vélo.

L’épisode #15

C’est Fils, qu’Enak connaissait bien, qui l’a mis en contact avec la plupart des athlètes rencontrés, sauf Fabien Barel (dont Enak partage le sponsor lunettes, Julbo), Cédric Gracia (rencontré dans l’univers du ski, par lequel CG a aussi commencé) et Danny MacAskill (un coup de poker, via Sophie, dont un ami proche fait partie de l’équipe Santa Cruz). « Pour moi, le passage avec Danny est la meilleure scène du film », sourit Rancho. L’histoire d’un malentendu, qui nous a fait éclater de rire.

En homme tourmenté par la volonté de bien faire qu’il est aussi, Enak avouait un peu d’appréhension avant la sortie de cet épisode : « C’est le premier vraiment hors ski de la série. Et ça fait une grosse différence pour moi. Car dans le ski, au vu de mon passé, je ne me pose pas la question de ma légitimité. » 

 Mais comme souvent dans la vie d’Enak, les circonstances s’organisaient pour lui ouvrir une porte. Libre à lui ensuite de la pousser ou pas  : « Rossignol a sorti des vélos, donc ça attestait que la communauté du ski faisait du VTT. Il y a des connexions entre le vélo et le ski, alors on se dit qu’avec cet épisode, on ne devrait pas perdre nos fidèles, mais en fait, on ne sait pas si ça va marcher ou non. »

Pourquoi le Roc d’Azur ? Parce que comme la Pierra Menta pour le ski-alpinisme, la Transjurassienne pour le ski de fond, il s’agit d’une épreuve populaire, fédératrice, où les pros côtoient les amateurs sans se prendre la tête : « Ce qui m’a impressionné, c’est la quantité de marques de vélos sur le salon. Il y en a bien moins dans le ski, qui est saisonnier. »

Pour sa première épreuve cycliste, Enak a choisi l’Enduroc : « Je ne savais pas du tout à quoi m’attendre, d’autant qu’il était extrêmement compliqué de trouver des infos sur la course, même pour savoir où filmer. En fait, comme pour les autres épisodes, je ne m’entraîne jamais avant, comme ça, tu arrives et tu vois ce qui se passe, quitte à réécrire si besoin. »

« Je me suis régalé sur l’Enduroc »

 

Les péripéties n’ont pas manqué : « Trompette (Florent Geninatti, qui est également photographe) etle cadreur ont crevé à la première descente, c’était épique, on s’est marré ! Moi, je pensais que j’allais en chier pas possible, mais en fait, c’est passé super crème. J’ai compris qu’une course d’enduro, tu la fais entre potes. Du coup, je me suis éclaté ! » 

À tel point que le seul pilote qu’il ne connaissait pas avant l’épisode et qui n’était autre que Nico Vouilloz est resté ensuite chez lui quelques jours, après le tournage de la séquence d’ouverture : « C’est vraiment quelqu’un avec qui j’ai accroché. » Quelqu’un qui a longtemps eu une image d’athlète ultra rigoureux, très sérieux, qui contrastait avec le milieu fêtard de la DH. Une image pas forcément en phase avec la réalité de la personnalité d’ET, d’ailleurs. Comme un écho au décalage bien connu vécu par Enak dans le milieu du ski.

Prochaine épisode hors ski: l’Étape du Tour

Le Rossignol du #15 est aujourd’hui à vendre (s’il vous intéresse, vous pouvez le contacter via la page Facebook Rancho Webshow), le chapitre Enduroc est clos. Mais Enak a prévu de rester dans le vélo, de route cette fois-ci, avec un autre épisode à tourner sur l’Étape du Tour 2019. 

Un bosseur, sous une image de glandeur. Un multi-talent, qui fait comme s’il n’en avait pas. Un fan de l’autodérision, qu’il cultive avec sérieux. Un maniaque du détail, qui orchestre savamment un univers foutraque. Un sportif de haut niveau éternel néophyte. Toute la complexité d’Enak Gavaggio se touche peut-être du doigt dans ce récit de son échec aux Jeux olympiques, qu’il raconte à nos confrères de Neuf Dixième avec humour et sensibilité aujourd’hui, mais qui, sur le moment, l’a anéanti. Ou l’art de voir que les échecs ne sont, au fond, que des réussites ultérieures mal entendues. À bon entendeur…

En savoir plus : www.ranchowebshow.com

 

ParElodie Lantelme