Prise en main | Motion E18, la fourche revisitée

Par Christophe Bortels -

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Prise en main | Motion E18, la fourche revisitée

Avec sa E18, Motion casse résolument les codes de la suspension avant, esthétiquement bien sûr, mais aussi en termes de technologies mises en oeuvres. Anti-plongée, efficacité, facilité de réglage… Les promesses sont-elles tenues ? Nous avons pu mettre cette fourche conçue en France à l’épreuve sur nos traces favorites lors d’une première prise en main !

C’est en 2013 que Matthieu Alfano, ingénieur de formation, s’attaque à la fourche de VTT traditionnelle et à ce qu’il estime être son principal défaut : la plongée au freinage. Après des journées – et des nuits – de recherches mathématiques, il met au point une équation déterminant le placement des points de pivots pour obtenir un châssis anti-plongée. 5 ans plus tard, après de multiples prototypes, des essais, un financement participatif et le dépôt de plusieurs brevets, Motion est devenue une entreprise de 7 salariés s’apprêtant à livrer à ses clients sa première fourche de VTT, la E18 !

Cette E18 (E pour Enduro et 18 pour… 2018) fait office de vitrine du savoir-faire de Motion. Et c’est donc par l’enduro que Matthieu Alfano et sa bande ont décidé de commencer, estimant que ce secteur est le plus exigeant en termes de sensibilité, de poids, de rigidité, de pompage, etc. Et que si Motion fait ses preuves dans ce segment, le pari sera gagné ! Matthieu nous confie d’ailleurs qu’il y a bien des fourches Motion pour le XC et la DH en cours de développement, voire même pour le trail…

Pour autant, Motion n’a pas pour unique vocation d’être un fabricant de fourche. Il s’agit avant tout d’un bureau d’études dont le but est de proposer des solutions novatrices, de déposer des brevets et de mettre son savoir-faire au service d’autres entreprises du secteur. Mais le développement d’un produit maison comme la E18 était un passage quasi obligé pour faire de Motion Ride, marque qui se veut exclusive et haut de gamme, la vitrine technologique de l’entreprise. Et si cette fourche se distingue avant tout par son châssis anti-plongée, ce n’est pas l’unique prouesse technique mise en oeuvre puisque pas moins de trois brevets ont été déposés. Voyons ça point par point avant de passer à notre prise en main !

Le châssis anti-plongée

Les moins jeunes se souviendront des fourches à parallélogramme déformable comme les Look-Fournalès, Girvin Pro-Flex, Vorace ou encore AMP Research de Horst Leitner (oui, le Horst Link c’est lui !) qui ont marqué les années 90 avec leur esthétique si particulière. Mais si le but était d’obtenir une fourche rigide et légère, il n’était pas encore vraiment question d’anti-plongée. C’est ici qu’intervient la magie de l’équation mise au point par Matthieu Alfano, qui impose la position des quatre axes et explique pourquoi la fourche semble “partir en arrière”, sous le tube diagonal du vélo. Pour que le concept anti-plongée fonctionne, ces points doivent en effet être là, et pas ailleurs, c’est aussi simple que ça, et tant pis si ça casse les codes esthétiques des fourches téléscopiques traditionnelles… C’est d’ailleurs ce qui fait et fera encore débat : la E18 est-elle futuriste, différente, audacieuse… ou juste pas belle ? On vous laisse juger !

Mais au fait, pourquoi tant d’efforts pour lutter contre la plongée lors du freinage ? Tout simplement parce que lorsque la fourche se comprime lors d’un freinage, elle perd une bonne partie de son débattement utile et donc, a priori, de l’efficacité, du grip et du confort. La géométrie du vélo s’en retrouve aussi modifiée. Le châssis spécifique de la E18 lui permet d’être très peu sensible au poids du pilote et aux transferts de masse lors des freinages. Pour autant, et un rapide test parking permet de s’en rendre compte, la fourche Motion plonge quand même un peu (mais nettement moins qu’une fourche traditionnelle, c’est flagrant). Un choix parfaitement assumé, des tests ayant montré qu’une absence totale de plongée donnait un feeling bien trop radical sur les gros freinages. Précisons enfin qu’après avoir étudié différentes trajectoires pour l’axe de la roue avant (vers l’arrière dans un premier temps, puis vertical, etc, comme sur certaines cinématiques de suspension arrière), Motion a finalement opté pour une courbe plus classique, ou presque : identique à une fourche téléscopique sur la première moitié du débattement, autrement dit “dans l’axe”, puis un mouvement vertical en deuxième partie de course.

C’était l’un des défauts des fourches à parallélogramme des 90’s, et une crainte qui vient rapidement à l’esprit en voyant la Motion E18 : qu’en est-il de la fiabilité et de l’entretien avec une fourche qui présente pas moins de quatre points de pivot ? Grâce à l’utilisation de paliers composites, ajustés avec une extrême précision aux axes pressés dans la grande pièce en X (le véritable coeur du châssis), Motion annonce tout simplement… zéro maintenance ! Il semblerait en effet que toute usure de ces paliers est impossible, et l’ensemble ne nécessite ni huile, ni graisse, ni vis, ni même réglage de jeu. Si ses promesses se vérifient sur le long terme, Motion marquerait de gros points. Et on le verra un peu plus bas, le concept zéro maintenant a même été poussé plus loin encore…

Une autre question importante au vu du châssis nettement plus “complexe” – pour ne pas dire torturé – qu’une fourche téléscopique traditionnelle : ça pèse combien ? Car si la Motion E18 tient ses promesses en termes de fonctionnement mais qu’elle pèse 3kg, à quoi bon ? Eh bien bonne nouvelle ! Nous avons pu peser notre exemplaire de test, une E18 27.5 de 160mm de débattement avec un pivot de 20cm, qui affichait fièrement 2.14kg sur notre balance, axe compris, soit à peine plus que les stars du segment que sont les Fox 36 et RockShox Lyrik.

The Wave, la lame carbone tirée

Ce n’est pas la première fois qu’une fourche Motion passe entre nos mains. Fin 2016 nous vous avions en effet proposé le test d’un des premiers exemplaires roulables. Le châssis anti-plongée était évidemment déjà bien là, tandis que la partie ressort était assurée par deux lames en carbone et qu’une cartouche hydraulique se cachait dans le pivot. Cette fois, sur la version définitive, une seule lame carbone baptisée “The Wave” subsiste tandis que l’hydraulique a pris la place de l’autre lame. Quand on parle de lame carbone, il faudrait d’ailleurs plutôt dire fibres de verre et carbone, du carbone seul étant trop rigide pour ce genre d’utilisation. Autre différence, et pas des moindres, alors qu’il fallait jadis choisir entre six lames d’épaisseurs – et donc de duretés – différentes pour adapter la fourche à son poids et à ses préférences, tout se fait dorénavant avec une seule lame !

Voilà qui nous laisse a priori un peu circonspect, on l’avoue. Et puis on comprend mieux quand Matthieu Alfano nous explique que la lame en question s’allonge (car oui, la fourche vient tirer et non fléchir la lame lorsqu’elle travaille) de maximum 35mm. Du coup, une vis actionnable à l’aide d’une simple clé allen de 6 au bas de la fourche permet de venir jouer sur la tension de la lame et d’ajuster sa raideur en fonction du poids du pilote, entre 50kg et 100kg. Le réglage se fait sur à peine 5mm de traction au total, un tour complet de vis rallonge la lame de 1mm et correspond à un pilote de 10kg de plus. Vous suivez toujours ? L’opération est faisable très facilement sur le terrain et la phase de réglage est facilitée par la présence d’un témoin qui se déplace le long d’un marquage allant de 50 à 100kg. Côté amortisseur, un o-ring placé sur un petit plongeur permet quant à lui de vérifier le sag ou si on est allé en butée par exemple.

Précisons aussi que le choix de la lame carbone, qui pèse 150g, n’est pas anodin : celle-ci permet en effet de combiner la sensibilité du ressort hélicoïdal à la progressivité de l’air, tout en restant insensible à la température, en profitant de l’absence totale de friction et en ne nécessitant là encore aucun entretien. Nous voilà bien curieux de tester ça sur le terrain !

The Flow, l’amortisseur autrement

Avec le châssis anti-plongée et la lame composite, la troisième technologie brevetée par Motion concerne l’amortisseur chargé de gérer le rebond et, dans une certaine mesure, les compressions. Il s’agit d’un amortisseur de type Thru Shaft, c’est-à-dire à tige traversante et sans piston flottant, dont nous vous expliquions les grands principes ici. Jusque là, rien de révolutionnaire. Mais Motion a poussé les choses un peu plus plus loin en se passant tout simplement de joints d’étanchéité aux extrémités grâce à l’ajout de deux chambres à pression atmosphérique. Résultat : moins de frottements, pas d’usure et aucun risque de fuite, seul un joint racleur est nécessaire. En plus de l’huile destinée au laminage hydraulique, un autre circuit d’huile en mouvement a aussi été ajouté autour afin de dissiper la chaleur et éviter les surchauffes lors des longues descentes. Vous devinez la suite… Eh oui, du coup, on nous annonce un amortisseur sans aucun entretien !

Côté réglages, Motion a souhaité garder les choses relativement simples. Une unique molette permet, à partir d’une position centrale, d’aller soit d’un côté (mode Trail) afin de régler le rebond sur 6 crans, soit vers l’autre côté pour régler le mode Firm sur 4 niveaux de compression basse vitesse et d’obtenir une fourche plus ou moins “bloquée”. C’est un peu particulier puisque, au-delà de l’accessibilité toute relative de la molette en roulant, si on décide de revenir en mode Trail après être passé en Firm, il faut à nouveau choisir son bon cran de rebond… si on s’en souvient.

Bon point enfin, avec la possibilité de très facilement démonter l’amortisseur pour le remplacer en cas d’upgrade, puisque Motion annonce qu’elle proposera à la vente (à moindre coût nous confie-t-on) d’éventuelles évolutions de son The Flow.

Versions et prix

1000 exemplaires de la Motion seront fabriqués, 500 en châssis 27.5” (E18) et 500 en 29”/27.5” Plus (E18+). Parmi les caractéristiques communes à toutes les versions, on retrouve l’incontournable pivot conique, l’axe boost 15×110 et la fixation d’étrier de frein en Posmount 180.

Le châssis 27.5”, appelé E18, est disponible en trois débattements, allant de 150 à 170mm, avec un offset (déport) de respectivement 44, 45 et 46mm et une hauteur A/C de 545, 555 et 565mm, soit des valeurs très standards. Cette version accepte les pneus jusqu’à 2.5” de section.

La Motion E18+ est quant à elle aussi bien compatible 29” (section de 2.6” maximum) que 27.5 Plus (max 3”). Les déports sont identiques à ceux de la 27.5” (44, 45 et 46mm) tandis que les débattements vont de 140 à 160mm, et la hauteur A/C de 555mm pour la 140 à 575 pour la E18+ de 160mm.

E18 comme E18 + sont proposées au prix de 1590€. Un tarif plus élevé que la concurrence qui s’explique, nous précise-t-on chez Motion, par les matériaux choisis, les technologies mises en oeuvre et, bien entendu, par le nombre réduit d’exemplaires produits. La fabrication à Taïwan est assumée et justifiée par des questions de savoir-faire mais aussi de délais à tenir. Comptez un supplément de 100€ pour l’une des trois autres couleurs que le vert de base, à savoir bleu, noir et rouge.
Pour adoucir la facture, Motion a mis en place un programme ambassadeur qui permet de bénéficier d’une réduction de 20% (soit 1272€) en s’engageant à, notamment, poster des photos sur les réseaux sociaux, etc. Ne tardez pas, cette campagner se termine ce mardi 31 juillet.

Les premiers vététistes à avoir commandé leur fourche Motion la recevront dans le courant du mois de septembre

Motion E18 : première prise en main

C’est sur des traces que l’on connaît bien, celles de l’enduro de la Semoy, que l’on a retrouvé Matthieu Alfano pour une petite journée de ride avec la Motion E18. On l’a dit plus haut, la fourche essayée pour l’occasion est une 27.5” en 160mm de débattement et, s’il s’agit d’une version bien avancée, quelques petites choses diffèrent de la Motion qui sera produite pour le grand public : certains stickers seront remplacés par du gravage laser, des stries prendront la place du grip façon planche de skateboard que l’on retrouve sur la molette de l’amortisseur de notre exemplaire et, surtout, la plage de réglage du rebond sera étendue du côté lent du spectre. Matthieu nous prévient d’ailleurs, ça risque peut-être d’être un peu trop rapide. On verra à l’usage.

Pivot conique, Postmount 180mm, roue boost… Il n’y a aucune problème particulier à monter la Motion sur le vélo qui nous sert souvent de test pour les suspensions chez Vojo, à ce niveau là on a vraiment affaire à une fourche comme les autres. Vu notre poids plume de 62 ou 63kg tout équipé, un seul tour de clé est nécessaire pour légèrement tirer sur la lame carbone. Le rebond est quant à lui directement réglé au plus lent. Voilà, il est temps de partir sur les traces !

Soyons francs, on ne s’attend pas à avoir fait le tour de la fourche en quelques heures et 5 ou 6 descentes, mais les spéciales bien variées de la Semoy nous permettront de nous faire une première idée et, surtout, de voir si la Motion E18 tient la route malgré – ou grâce – à ses technologies très particulières mises en oeuvre.

Nos doutes quant à cette fameuse lame carbone unique valable pour des pilotes de 50 comme de 100kg sont bien vite dissipés dès les premiers tours de roues et la fourche se montre d’emblée très sensible sur les petits chocs. En danseuse, on n’ira pas jusqu’à dire que la fourche ne bouge pas, mais l’oscillation est très limitée et l’eficacité au rendez-vous. Mais inversons la pente, c’est évidemment en descente qu’on attend la E18 au tournant !

Les premières dizaines de mètres sur une trace rapide et chahutée (la Goulayante, pour ceux qui connaissent) nous confirment deux choses : tout d’abord, on n’est pas déboussolé avec cette Motion E18 sur le vélo, le feeling est déjà bon et finalement très proche d’une fourche traditionnelle. Ensuite, le rebond est effectivement un peu trop rapide. Ca se joue à pas grand chose et il nous manque sans doute un ou deux crans pour ne pas se faire balader. On s’arrête, on relâche un peu de tension sur la lame en espérant y gagner un peu au niveau de la détente, et c’est reparti. Ce n’est pas encore parfait, mais c’est déjà mieux, et à partir de là on ne touchera plus à rien pour se concentrer sur ce qui importe le plus finalement : l’anti-plongée.

Les avantages du châssis spécifique ne se font pas ressentir partout et tout le temps. Encore une fois, on a souvent simplement l’impression d’être sur une fourche “normale”, et finalement c’est plutôt bon signe. Et puis, une fois chauffés, arrivent certains appuis dans lesquels on se lancent franchement… et dont on ressort plutôt vite ! Il ne faut pas particulièrement se concentrer pour effectivement sentir que là, clairement, il y a quelque chose de différent : l’avant reste plus haut et nous place plus sainement sur nos appuis, on s’écrase moins et on ressort plus vite.

C’est l’adjectif qui nous viendra le plus souvent à l’esprit durant ces quelques heures : la Motion E18 est une fourche saine. Elle est rigide, offre du grip sur les petits chocs, reste efficace sur les moyens et ne claque pas lorsqu’elle talonne, grâce notamment à ses bumpers intégrés au châssis et visiblement très efficaces. Sur la réception pas très propre d’une belle marche, malgré tout conclue dans une certaine douceur, on s’est dit : “Tiens, j’ai sans doute été au fond, mais je ne l’ai pas senti…”. Ce que confirmera le petit témoin sur le plongeur de l’amortisseur : on avait bien talonné.

Mais si le châssis spécifique s’est tout d’abord manifesté dans les appuis, c’est sur des traces rapides et sinueuses où il est possible de retarder ses freinages au maximum que la fourche se démarque. On garde alors, comme promis, une réserve de débattement qui nous permet de bénéficier d’un bon grip, d’un surplus de confort et d’un avant qui ne s’affaisse pas outre mesure. Idem dans les compressions rapides où on semble moins basculer sur l’avant sous son propre poids.

Verdict

Au-delà de son esthétique particulière qui peut diviser, la Motion E18 arrive avec des technologies novatrices qui ont du sens. Pour autant, elle ne déroute pas à l’usage et cette première prise en main permet déjà de dire qu’il s’agit d’une bonne fourche, efficace et dont les bénéfices se font sentir à certains moments cruciaux. Il nous tarde évidemment de pouvoir mettre à l’épreuve la E18 plus longtemps, sur des traces différentes, bénéficier d’une meilleure plage de rebond, la mettre entre les mains de pilotes plus lourd et évidemment la confronter directement à des fourches “traditionnelles” pour pouvoir mettre en évidence le caractère de chaque type de châssis ! Rendez-vous dans quelques mois…

Infos sur www.motion-ride.com

ParChristophe Bortels