Portfolio | Taïwan : la face verte de l’île aux vélos

Par Olivier Béart -

  • Nature

Portfolio | Taïwan : la face verte de l’île aux vélos

Dans le milieu du vélo, le « made in Taïwan » a une place particulièrement importante sur le plan industriel. L’île est aussi connue pour sa position centrale dans de nombreux domaines de haute technologie. Mais, au-delà de ses usines et de ses mégapoles situées principalement à l’ouest, Taïwan a aussi un autre visage, constitué de hautes montagnes, de forêts luxuriantes et de cultures fertiles. Ce sont ces facettes méconnues de l’île que nous avons eu envie de vous faire découvrir avec ce portfolio réalisé en marge du Taipei Cycle Show.

Tout le monde ou presque connaît Taïwan dans le monde du vélo, et vous avez certainement de nombreux équipements de votre vélo, si pas votre vélo lui-même, qui proviennent de cette île, parfois baptisée « l’île aux vélos » tant elle est importante pour notre secteur (et inversement).

Mais peu de personnes savent réellement à quoi ressemble Taïwan, comment on y vit, et comment s’y pratique le vélo. C’est ce que nous avons eu envie de vous montrer ici, avec ce reportage.

A l’occasion du Taipei Cycle Show où nos journalistes Paul Humbert et Olivier Béart se sont rendus (et dont nous vous reparlerons très bientôt), nous avons tenu à prendre quelques jours de plus sur place pour nous échapper et découvrir le reste de l’île, ses autres visages. Pour cela, nous avons pu compter sur l’aide de quelques expatriés et de locaux actifs dans l’industrie du vélo, qui ont eu à cœur de nous faire découvrir les beautés de leur terroir.

Un peu d’histoire et quelques chiffres

Avant de s’évader, quelques infos pour vous aider à situer l’île et à couper court à certains clichés. Taïwan compte 23 millions d’habitants, principalement localisés dans les grandes villes comme Taipei ou Taichung, situées dans le nord-ouest. En matière de PIB par habitant, Taïwan se situe autour de la 20e place mondiale, au niveau de l’Allemagne et largement devant la France ou la Belgique. Bref, si vous pensiez qu’il s’agit d’un pays sous-développé où les industriels se pressent pour bénéficier de travailleurs à bas coût, vous avez tout faux…

L’industrialisation de l’île trouve sa source au début du 19e siècle, alors qu’elle est sous emprise japonaise. Elle prend réellement son envol dans les années 70, en se basant sur une économie fortifiée par une réforme agraire couronnée de succès et qui a permis à de nombreux paysans enrichis de créer des petites et moyennes entreprises.

D’importants investissements publics en infrastructures et dans les technologies de pointe ont permis à Taïwan de s’installer durablement parmi les économies les plus dynamiques de la planète au cours des années 80.

Impossible aussi de ne pas parler des tensions actuelles avec la Chine, qui font régulièrement la une de l’actualité en ce moment.

Ces tensions trouvent leur origine après la fin de la seconde guerre mondiale, quand Tchang Kaï-chek, chef du parti nationaliste chinois, s’est replié avec ses partisans à Taïwan après sa défaite face au parti communiste de Mao pour le contrôle de la Chine. Taïwan est aujourd’hui devenu une démocratie, mais la mémoire de Tchang Kaï-check reste bien présente, avec notamment un énorme mémorial situé dans le centre de Taipei.

La Chine considère pour sa part que Taïwan lui appartient et, si des tensions ont toujours existé autour de cette question, elles sont actuellement fort vives avec de nombreux exercices militaires organisés par la Chine autour de l’île.

Cela ne semble par contre pas réellement affecter la vie des locaux, qui ont pour la plupart toujours connu ce climat et même des exercices pour se préparer à réagir à une invasion de la Chine.

Nous n’avons en tout cas pas du tout ressenti d’anxiété particulière lors de notre visite.

Souvenirs, souvenirs…

Pour nous faire découvrir le nord de l’île, nous retrouvons Pierre-Arnaud Le Magnan. Connu pour avoir pris part à d’innombrables courses d’ultra distance, Pierre-Arnaud est le fondateur de la marque de vélos en titane Chiru. Il a habité plus de 20 ans à Hong-Kong avant de déménager à Taïwan il y a 3 ans.

Ceux qui ont lu notre ouvrage papier « Vojo – Volume 2 » se souviendront que c’était avec Pierre-Arnaud que nous avions fait notre première découverte de Taïwan en 2019. Et, pour la petite histoire, c’est en partie à cause de ce voyage que notre homme est définitivement tombé amoureux de l’île et qu’il a décidé de s’y établir.

Lors de ce premier voyage effectué en 2019 et dont nous n’avons pas résisté à l’envie de vous remettre ici quelques photos souvenirs, nous avions à la base prévu de faire le tour de l’île en bikepacking en 5 jours. Mais il s’est avéré que nos plans étaient trop optimistes et le relief particulièrement marqué de Taïwan, ainsi que sa jungle très dense à certains endroits, nous en ont empêché.

Nous avons néanmoins découvert quelques très beaux coins dont le Yu Shan, la plus haute montagne de l’île avec près de 4000 mètres, que nous avons gravie après nous être enfilés un col de 70km de long.

Au nord, la forêt aux portes des villes

Cette fois, nous avions un programme plus mixte, avec le salon de Taipei qui nous prenait déjà pas mal de temps dans notre séjour. Nous n’avions donc qu’une journée à consacrer à de nouvelles découvertes en compagnie de Pierre-Arnaud.

Heureusement, même si les villes sont grandes, la forêt n’est jamais loin. Pour nous aider dans notre découverte, cette fois, Pierre-Arnaud a voulu nous emmener à la rencontre de son ami Luke, qui est en train de shaper et d’ouvrir des pistes permanentes trail/enduro au nord-est de l’île, près de Yilan.

Après une carrière d’ingénieur bien remplie, Luke est venu s’établir avec sa femme Serena (originaire de l’île), dans une ancienne maison forestière perdue dans les arbres, au sommet d’une colline avec vue sur la mer.

Passionné de VTT et ayant vu en Afrique du Sud ce que de beaux trails VTT permanents peuvent apporter pour le tourisme et pour les riders locaux, il s’est mis en tête de développer ce qui sera probablement le premier vrai « trail center » de l’île d’ici quelques années !

Comme partout, il faut convaincre les propriétaires et le shape en lui-même n’est pas nécessairement la partie la plus compliquée ! Aujourd’hui, il y a déjà trois trails balisés qui sont ouverts.

Le premier qu’il nous montre est basé sur une ancienne voie d’accès pour des installations électriques.

Avec un bon débroussaillage, quelques virages relevés et quelques sauts, Luke en a fait une ligne plus que sympa, qui manque juste encore un peu de roulage pour être parfaite !

Dans la remontée sur route, il nous propose de nous arrêter quelques instants en nous disant juste, avec un grand sourire : « Vous allez voir des compatriotes ici ! » 

Et, en effet, une fois à l’intérieur, on découvre deux Français qui ont lancé un atelier de construction de planches de surf en mode « up cycling » !

Sur base de noyau polystyrène de vieilles planches usagées, ils refont toute la coque… en bois ! Leur travail est absolument magnifique. Et cela montre que l’île n’est pas connue que pour le VTT ou la randonnée en montagne, mais aussi pour les sports marins.

A propos de mer, Luke nous met l’eau à la bouche en nous parlant d’un petit resto de poissons où il veut absolument nous emmener le midi.

Mais avant cela, il faut terminer notre boucle « XC » qui comporte quelques grimpettes bien raides et qui nous emmène découvrir un peu plus profondément l’arrière-pays de Yilan, la principale ville du nord-est de l’île.

La végétation est très luxuriante grâce au climat chaud et humide, et c’est un véritable défi de garder les trails en bon état… voire même tout simplement ouverts !

On en termine avec en tout une bonne trentaine de kilomètres au compteur et un peu plus de 1200m de d+. Et aussi une chaîne cassée, mais c’est une autre histoire…

Place maintenant au fameux resto de poissons, situé à même le port. Franchement, même si on adore les découvertes, on aurait hésité à aller manger des fruits de mer dans ce genre d’endroit, même à Taïwan où nous savons que tout est toujours très propre et où nous n’avons jamais eu le moindre souci de digestion.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce hall en béton avec quelques échoppes ne paie vraiment pas de mine. Mais nous nous sommes laissés guider, et bien nous en a pris car on s’est tout simplement pris une énorme claque culinaire.

Nous avons déjà eu la chance de manger dans des restaurants étoilés (multi étoilés même), et certaines saveurs que nous avons expérimentées ici, dans cette halle du port de Toucheng, assis sur de vieilles chaises en plastique, auraient leur place à la carte des plus grands restaurants !

Définitivement, Taïwan consolide sa place parmi les pays d’Asie, et même du monde, où nous avons le mieux mangé.

Après cette expérience marquante pour nos papilles, on s’offre un retour à Taipei par la route touristique de la côte, avec le coucher de soleil pour nous accompagner et finir de nous mettre des étoiles plein des yeux…

Au centre de l’île, avec l’équipe Kind Shock

Pour la suite de notre périple, nous retrouvons l’équipe KS. Mais oui : les tiges de selle télescopiques, c’est eux ! Avant d’aller visiter l’usine principale de cette entreprise familiale située plus au sud de l’île, dans la région de Tainan, Martin Hsu et son fils Michaël ont prévu un petit arrêt sur le chemin, en plein centre de Taïwan.

Nous sommes en compagnie de quelques distributeurs de la marque, dont ce cher Momo, l’emblématique fondateur de Race Company qui a très tôt fait confiance à KS et qui en a accompagné la croissance avec la distribution en France.

Momo (à l’avant-plan) est comme chez lui ici, et il est devenu bien plus qu’un simple partenaire commercial de KS. C’est un ami de Martin, toujours là pour faire le show ! Il est accompagné sur ce voyage par son nouveau chef produit VTT, pour qui c’était une première à Taïwan.

Pour la première étape, nous sommes à Puli, petite ville située dans l’arrière-pays, à hauteur de Taichung, à 3 heures de route environ de Taipei. Ici, ce sont les hautes montagnes qui nous encerclent, et nous sommes au pied du fameux Yu Shan et des autres sommets de plus de 3000m qui l’entourent.


Pas de longue ascension au programme cette fois, mais une petite sortie VTT comme les Taïwanais en font lorsqu’ils roulent. Soyons clairs : s’il y a une vraie culture du vélo de route, et si le gravel perce de plus en plus fort, c’est compliqué de pratiquer le VTT à Taïwan à cause du relief très marqué et de la difficulté de maintenir en état des chemins de qualité. Mais on va tout de même essayer !

Hélas, la météo n’est pas vraiment de notre côté. Il pleut et la sortie prévue dans le lit d’une rivière ne va peut-être pas pouvoir se faire car le niveau de l’eau pourrait monter rapidement.

Qu’à cela ne tienne, en attendant la confirmation que c’est safe, nous allons prendre un peu de hauteur et nous échauffer avec un petit col sur route qui va nous permettre d’avoir quelques vues incroyables sur la vallée.

Dans l’ascension, Momo active son « radar à singletracks » et nous déniche quelques chemins sympas… qu’il faut souvent mériter !Mais, grâce à cela, nous pouvons faire des incursions pour nous amuser sur quelques kilomètres…

… et prendre quelques photos dans des décors pour le moins dépaysants !

Puis, le feu vert nous est donné pour rouler dans le lit de la rivière.

Cela peut sembler bizarre au premier abord, mais en fait c’est un bon plan qui permet de faire du tout-terrain et de bien s’amuser sans avoir trop de dénivelé à avaler.

Jouer à traverser les gués, à grimper sur des rochers, accélérer dans les petites bosses : c’est très particulier, mais c’est bien du VTT !

Autre temps fort de la boucle, le passage sur un pont suspendu piéton… où il n’est pas facile de garder son équilibre.

Mais la vue et les décors valent le détour !

On en profite encore un peu pour jouer dans l’eau. Grands gamins que nous sommes…

Cette fois, pas de poisson au menu à la fin de la sortie, mais une série de curiosités locales en mode street food. Excellent, comme toujours.

Plus au sud, un parc VTT en devenir

Après une petite transition en voiture en soirée, nous voilà le lendemain arrivés au sud de l’île, non loin de Tainan. Le soleil est revenu et le plan est de faire les 30/40 derniers kilomètres qui nous séparent de l’usine KS en gravel. Mais avant cela, nos hôtes veulent absolument nous présenter les premiers aménagements d’un futur « parc VTT », qui ont été réalisés par un club VTT nouvellement créé.

Parmi les chevilles ouvrières de ce club, on retrouve Mickey Yang, une jeune femme qui a fait une partie de ses études en Colombie-Britannique et qui en est revenue avec l’envie de développer plus le VTT dans son pays. Elle représente bien cette nouvelle scène du VTT locale, qui veut faire bouger les choses et qui est persuadée qu’il y a beaucoup de potentiel dans certains coins de l’île.

Bon, soyons clairs, il y a encore du boulot et les trails du coin sont à l’état d’embryon juste débroussaillé, mais l’enthousiasme de la communauté locale fait plaisir à voir et on a hâte d’y revenir d’ici quelques années.

On se trouve ici sur une grande propriété agricole, où on cultive principalement les mangues.

Mais, sur une partie du domaine qui n’est pas cultivable, près d’un lac, il y a eu un projet (avorté) de base de loisirs. On trouve d’ailleurs encore quelques traces de constructions qui avaient déjà été réalisées, comme un improbable pont situé au milieu de la brousse et des bambous.

Aujourd’hui, il est question d’y faire quelque chose de bien plus sobre et de bien mieux intégré pour le VTT, en profitant de quelques chemins déjà existants comme base et en créant des boucles de rando ludiques. On a hâte d’y revenir d’ici quelques années pour voir le résultat !

Le gravel, en pleine expansion aussi à Taïwan

Pour conclure notre petite découverte des différents visages de la pratique du vélo off-road à Taïwan, comment ne pas parler du gravel ?

Comme partout dans le monde, et peut-être même plus encore à Taïwan, la pratique a le vent en poupe. Le cyclisme sur route a encore de beaux jours devant lui car le réseau goudronné est en excellent état et bien adapté à la pratique, mais pour ceux qui préfèrent sortir des sentiers battus sans pour autant devoir affronter le côté parfois extrême que le VTT peut prendre ici, c’est un bon compromis.

Martin, le patron de KS, est d’ailleurs devenu un véritable mordu de gravel et il est très fier de nous faire découvrir à la fois ses derniers produits pour la pratique (une tige de selle télescopique et suspendue ainsi qu’une fourche suspendue et divers accessoires dont nous vous reparlerons), et surtout les grands chemins qu’il aime arpenter autour de chez lui.

Ici, changement de décor ! Fini les montagnes, place à de vastes champs où on cultive principalement des légumes et des fruits, comme ici des pastèques.

On se rend compte aussi que si le niveau de vie est globalement élevé, voire très élevé à Taïwan, le secteur de l’agriculture reste un peu en retrait, même s’il est important sur l’île.

Difficile aussi de cacher qu’on est proche de zones fortement urbanisées et industrialisées avec la présence d’impressionnants pylônes un peu partout dans le paysage. Mais ces monstres de béton et d’acier peuvent aussi avoir leur charme…

A l’écart de la circulation et du tumulte des grands axes, on comprend encore une fois pourquoi le gravel a tant de succès.

Cette fois, c’en est bien fini de notre petit périple à vélo, qui se conclut en partageant une bière avec l’équipe KS.

On conclut notre panorama de l’île avec une visite au magnifique temple dédié à Mazu, le dieu des mers, qui est un des plus grands de Taïwan.

Mais ce n’est pas fini ! Il ne s’agissait ici que de planter le décor et de vous faire mieux connaître cette belle île de Taïwan.

Nous allons poursuivre notre série d’articles, pour vous expliquer concrètement pourquoi Taïwan est devenu la plaque tournante du monde du vélo, et pour vous proposer quelques visites d’entreprises, comme KS, que nous avons eu l’occasion de voir sur place. A bientôt !

ParOlivier Béart