Roc Tandem : l’ E-nattendu cocktail électrique !
Par Paul Humbert -
Vous nous connaissez, nous aimons les surprises. Alors que nous étions tranquillement installés sur le stand Vojo du salon du Roc d’Azur, nous retrouvons Pierre Fluckiger du Giromagny Enduro Team et Morgane Jonnier, la récente championne de France d’enduro. Les deux se connaissent mais n’ont jamais roulé ensemble. De leurs esprits malades naît une idée : prendre part au Roc Tandem et vous le raconter. Petit détail qui a son importance, ni l’un ni l’autre ne s’y est préparé et ils n’ont jamais mis les pieds un tandem, et encore moins sur le Moustache à assistance électrique qui leur servira de monture. Sans hésiter, nous leurs donnons notre aval et le reste, c’est Pierre qui vous le raconte :
Une idée un peu folle
Prenez:
- un tandem, de préférence à assistance électrique ;
- la jeune championne de France d’enduro 2016 et un vieil enduriste master (l’une goofy, et l’autre avec ses freins inversés [détail capital pour la suite de l’histoire], en pédales auto versus pédales plates et n’ayant jamais partagé de séances de ride en commun) ;
- 42 kilomètres d’un parcours totalement inconnu dans la garrigue du Roc d’Azur.
Voilà un cocktail qui pourrait en décourager certains, surtout si vous y ajoutez le fait qu’aucun des deux protagonistes n’était monté une fois dans leur vie sur un tandem…
« Et si on essayait l’année prochaine ? »
« Et pourquoi pas cette année ? Paul, ça t’intéresse un article ? »
Trop tard pour reculer, la machine est en marche.
Première étape : trouver un tandem !
Comme l’aventure s’annonce originale, pourquoi ne pas pousser plus loin le concept ? Direction le stand Moustache : le nouveau tandem Samedi 27 X2 parait le compagnon tout désigné. Après présentation du projet, la sympathique équipe de chez Moustache est motivée et nous donnera la confirmation le lendemain. Reste un problème : Morgane n’a pas de tenue. Qu’importe, direction le stand ION où Julien s’occupera de nous.
On est tout excité par l’aventure, même si on ne sait pas vraiment où on met les pieds. Arrive le temps des plans et stratégies. C’est assez simple voire carrément basique : arriver au bout vivants, ne pas se faire mal, ne pas tout casser, et ne pas se taper dessus ! Va falloir gérer tout ça !
« Enlève ta culotte, c’est moi qui pilote ! » ou le dilemme du qui pilote ? et du qui sera le stocker ?(on découvre un nouveau langage)
L’ancien n’a pas l’intention de laisser cette place à la jeunette. Mais elle ne veut pas lâcher non plus. Alors en vieux renard, je vais utiliser un vil stratagème, je lance un : « on fera moitié moitié », mais mon idée est claire pour verrouiller la situation dans mon sens…
Morgane commence à réaliser petit à petit que l’on s’est certainement mis dans la galère. Elle s’interroge sur ma faculté à piloter de façon saine et raisonnée à mon âge. Elle pose des questions autour d’elle et notamment à mes compagnons du Giromagny Enduro Team qui font tout pour la rassurer sur l’inconscience de sa décision. Ma réponse restera très consensuelle : « mais non tout va bien se passer, on n’est pas là pour se faire mal. » Tu parles ! J’ai une pétoche d’enfer.
Feu vert des gens de chez Moustache. On va faire le Roc Tandem en E-tandem. Une grande première ! Lors d’une visite furtive chez les magiciens de l’électrique, seul, j’en profite pour appliquer mon plan qui me rendra seul maitre du guidon : « pourriez-vous inverser les freins s’ils vous plait ? » Le sort en est scellé, c’est moi qui piloterai.
Le jour J approche à grands pas et de son côté, Morgane en profite pour récupérer les derniers accessoires utiles : des chaussures beaucoup trop grandes (parce qu’à la bonne taille, c’est beaucoup moins drôle) ainsi qu’un sac d’hydratation (il va faire chaud).
Jour-J
Samedi matin 9h00, après avoir partagé un muffin (peut être le dernier ?), nous nous rendons sur le stand Moustache pour récupérer notre monture. En découvrant le stratagème, Morgane fait grise mine… Montage des pédales, hauteur de selle, sag de fourche …etc. : nous voilà bichonnés comme des pros ! Notre équipage est alors informé sur la gestion de la batterie sur 42 km (petit détail que nous avions un peu zappé…) et il nous est proposé d’aller tester un peu la machine avant de prendre le départ. Réponse négative de notre part : on aura bien le temps de la découvrir ! Allez c’est parti pour rejoindre la grille de départ. « Mais c’est quoi ce truc ? Comment font-ils ? » On est mort, mais personne ne moufte.
Les 200 équipages sont déjà en pré grille et on débarque là au milieu d’entre eux avec le sentiment d’être un cheveu au milieu de la soupe.
Très vite les questions fusent : « Ça fait combien de watts ? 1000 ». « C’est lourd ? Environ 30kg ». « Comment ça marche ? On ne sait pas, on découvre, ce sont nos premier tours de roues sur ce type d’engin… ». On fait quelques virages dans l’herbe pour essayer de coordonner nos placements de pieds, avec une décision sage de beaucoup communiquer au travers d’un langage codé que l’on invente 5 minutes avant le départ. On décide de se placer presque en fond de grille pour éviter de « gêner » (d’ailleurs ce sentiment ne nous quittera pas tout au long du parcours).
Mode « Turbo » ON sur le display Bosch intuvia ! La tension monte. La grille de départ tombe (ah non c’est pas du MX…) Gaz ! C’est parti ! Très vite on se retrouve noyés dans un nuage de poussière à largement plus de 25 km/h dans l’herbe, donc sans assistance. Pourtant ça pédale fort et les ondulations sont absorbées dans le plus grand confort. Effet 27.5+ ? Confirmation renforcée dans le cassant plus tard. À grand coups « d’exter » on remonte la procession. Morgane trouve que ça mouline trop. Je suis déjà dans le rouge ; on a fait 3km, on plafonne à 30 km/h. Les montées se font avec une facilité déconcertante, pas besoin de faire attention à sa trajectoire, et à la nature du sol : cette motrice de folie et les watts sont là.
Descente du Fournel. On double quelques équipages sur le dessus. C’est hyper cassant et pentu, pas sûr de réussir à arriver en bas entier. Impossible de se placer en arrière, le poids est tout sur l’avant : grosse peur de l’OTB (pourtant plus que rare sur cet engin) ! Sur une marche hors trajectoire bien engagée, le pneu avant déclipse d’un coup. On pense avoir crevé, on s’arrête. D’un commun accord je finis seul la descente, pensant que ça ira mieux : erreur, c’est pire ! Mais bon j’arrive en bas vivant et j’essaie de reprendre mes esprits en observant Morgane gambader à travers la cambrousse. C’est reparti. Pas le temps de s’arrêter au ravitaillement, le mode race est enclenché. Pourtant on s’excuse de doubler les autres équipages. Morgane lance des « on ne fait pas la course, pardon, merci ». On les encourage même. Globalement l’ensemble des équipages rencontrés sont super cool : « les tricheurs » lancés sympathiquement fusent. Les supporters sont visiblement moins fans mais bon pas le temps de niaiser, il faut rester concentrés !
La gestion du pédalage est super délicate. En effet sur un e-bike quand on s’arrête de pédaler, l’assistance se coupe. Pas sûr de pouvoir arriver avec un bon timing sur les marches en montée. Ca tape de partout car derrière Morgane tourne les jambes et comme je ne lui dis pas d’arrêter, je serre les fesses au moindre rocher en montée. Séance d’usinage de pédales gratuite. Le confort est cependant bien là vu notre pilotage plutôt « pas léger ». Pourtant, le sentiment d’insécurité reste présent dans les descentes truffées de marches et de profondes ornières, même si la rigidité de l’engin est phénoménale, les pneus ont un super grip, et les freins ont un bon mordant (un 4 pistons à l’arrière serait un plus quand même). C’est plus un problème de position lié non pas à une géométrie qui a l’air vraiment saine mais à un réel manque d’habitude, et à ce fameux pied d’appel. En effet on a tendance à se mélanger les pédales et on se retrouve soit l’un soit l’autre sur son mauvais pied d’appel à l’abord des difficultés : juste stressant surtout dans le d- !
On nous lance un « cinq ». Quoi ? Cinquièmes de la course, ce n’est pas possible ! On en rigole, on se dit que l’engin marche de folie. On apprendra plus tard juste avant la montée du Bougnon que c’est cinquième mixte. Faut pas rêver non plus ! Peut-être un petit manque de lucidité qui apparait ? Le pied du Bougnon : on met les watts. Certes il y a une assistance, mais il faut quand même pédaler. Ca grimpe carrément bien et soudain plus rien. On a déraillé en plein milieu de la montée. Morgane joue les mécanos, elle assure ! On repart avec l’aide de la foule nombreuse. Vu notre difficulté à se coordonner sur le plat pour faire partir l’engin, cette aide est plus que précieuse. On adoptera plus tard la stratégie du 1-2-3 pour repartir.
Vue magnifique sur la mer. Morgane est en mode touriste et fait des photos le long de la grande crête, on cruise à 20km/h. Je commence à avoir faim. Pourtant on zappe encore une fois le ravito. La descente d’après est toujours aussi cassante et l’inertie de l’engin commence à se faire sentir. Faut le tenir avec les épaules. Mais il ne bronche pas. Morgane me signale que parfois il serait bon d’élargir un peu plus car elle a tendance a laissé des morceaux de sa personne tout au long des aspérités rencontrées : barrières, roches, épineux. Pas évident, l’engin est long et on a l’impression que le parcours n’est pas toujours adapté à son caractère électrique.
Pourtant après un arrêt photo, la descente aborde un caractère différent, il y a plus de flow, l’engin s’exprime plus facilement, on commence à jouer dans les appuis naturels. Bonheur ! Malheureusement de courte durée…
La fringale s’est installée, un énième portage entame le capital force et Morgane a les orteils qui tapent au fond de ses chaussures à chacun de ses pas. Le pneu arrière a besoin d’air : coup de pompe général, le paquebot prend l’eau ! On nous annonce 12 kilomètres. L’équipage piloté par Damien Oton nous revient dessus comme un avion. Regain d’énergie, on essaie de tenir leur rythme mais ils partent progressivement et inlassablement. Le terrain s’élargit, on dépasse de nouveau les 25 km/h, la mission sera dure. Déjà, la plage nous attend. On exploite les watts et on passe sans encombre le premier passage mou. On garde la vitesse, de retour dans le mou, on perd l’avant et hop tout le monde par terre à goûter le sable. Resté le museau collé dans le sable suite à une crise de crampes, j’aperçois Morgane qui s’enfuit avec le bike. Plus trop lucide, je passe en dessous des banderoles pensant que la jeunette cherchait à me piquer le guidon. J’essuie une nuée de bois vert et me fais copieusement traiter de tricheur.
Le front de mer se fait dans la souffrance, il faut courir, marcher, manœuvrer. La crampe se fera ressentir jusqu’à l’arrivée. Mais on ne lâche rien, pas le temps de s’arrêter au dernier ravito, il faut finir ! La piste cyclable parait interminable, qu’importe on exploite les «aspi » rencontrées par ci par là. Il faut bien ça car le 27.5+ bouffe de l’énergie sur le bitume. La dernière barge, ça sent bon ! On se retourne, personne derrière. On passe la ligne. On a rempli la mission, le Moustache ne nous a pas lâchés. En jouant pendant 42 kilomètres sur les modes (turbo , sport et tour) l’autonomie restante affichée est impressionnante : 51 kilomètres. La crampe, elle non plus, ne m’a pas lâchée !
Certainement un des meilleurs souvenirs de ride pour cette année, une expérience extraordinaire que l’on a partagée dans un milieu totalement inconnu fait de vrais spartiates totalement accros. Il faut avoir un sacré courage : chapeaux les tandémistes !
Nous finissons 21eme au scratch, 4eme équipage mixte, en 2 heures 17 et quelques (on sera bien évidement déclassés). Beer time ! Une bonne bière vosgienne nous attend sur le stand Moustache. On se refera le film de notre exceptionnelle journée devant le superbe Ride Wild West le soir au bar.
Photos : Morgane Jonnier, Paul Humbert/Vojo, ASO. Relecture : Gaëlle Ichtertz