Rampage : non, tu ne me fais plus rêver
Par Olivier Béart -
Ce week-end, c’était la Red Bull Rampage. Beaucoup de bikers étaient devant leur ordinateur ou leur tablette pour assister à la 10e édition du grand show… Mais pas moi. Pourquoi ? Tout simplement parce que cette course m’inspire un profond malaise, qui est devenu si fort que j’ai décidé de ne pas regarder l’épreuve. Nous avons également fait le choix de ne pas en parler sur Vojo. Par contre, nous avions envie de partager cette réflexion avec vous et d’entendre vos avis :
Par Olivier Béart, co-fondateur de Vojo
J’ai hésité longtemps avant d’écrire ce billet d’humeur, qui est d’ailleurs le premier du genre depuis la création de Vojo il y a un an. C’est la première fois aussi que je m’adresse à vous, chers lecteurs, en parlant à la première personne car la réflexion qui va suivre est très subjective même si je la sais partagée dans les grandes lignes par mes collègues chez Vojo. Si j’ai décidé d’écrire ces lignes, c’est que, cette fois, le besoin de partager directement avec vous le sentiment, le malaise que j’éprouve, était trop fort.
Avant même le déroulement de l’épreuve, lorsque les riders « shapent » leur ligne avec leur équipe, j’ai ressenti un premier sentiment de tristesse en voyant tous ces gars balafrer un site aussi exceptionnel pour juste quelques runs. Vous me direz, les pistes vtt en station et de nombreux chemins ont aussi nécessité des aménagements, parfois lourds. C’est vrai. Peut-être suis-je atteint du syndrome d’Idefix qui pleure au moindre arbre arraché sous ses yeux, mais dans ma conception, le vtt doit se pratiquer dans un minimum d’harmonie avec la nature. Si un chemin est créé, qu’il le soit de façon respectueuse, durable, intégrée, et qu’il puisse profiter au plus grand nombre. Ici, je me demande s’il est bien raisonnable de creuser et aménager ainsi un pan de montagne aux portes de Zion National Park pour quelques runs dont la finalité n’est autre que de faire la promotion d’une boisson gazeuse.
Je ne nie pas l’apport de Red Bull pour notre sport. Leurs « lives » de la Coupe du Monde permettent de vivre aujourd’hui mieux que jamais tous les rendez-vous mondiaux depuis son salon. Même si ce n’est pas que pour la « beauté du sport », les budgets injectés par la firme dans le vtt contribuent aussi à faire vivre la discipline et nombre de ses athlètes. La Rampage elle-même a contribué à faire connaître le vtt freeride, et le vtt tout court, bien au-delà du cercle des seuls passionnés. Mais lors de la Rampage, la question des risques pris par les pilotes – ou qu’on leur fait courir de manière consentante – mérite aussi d’être posée.
Ici aussi, il faut faire preuve de nuance : le risque est partout. Un rider a perdu la vie lors d’un Enduro World Series cette année. Un autre encore plus récemment lors d’une simple randonnée en Belgique, en descendant un terril. L’an dernier, c’était une jeune compétitrice lors des entraînements d’une Coupe du Monde XCE. La fatalité peut frapper à tout instant. Elle n’a pas – encore – frappé lors de la Rampage. Mais doit-on vraiment tirer ainsi le diable par la queue ? Des risques, il y en a partout, tout le temps. Ils font partie de notre vie. Ils sont notre vie. Les riders invités à participer à la Rampage, et qui répondent présent (tous n’acceptent pas), connaissent ces risques et ils les acceptent. Je ne juge pas leur choix. Je le respecte même profondément car chacun est libre. Par contre, en tant que spectateur, je pense que nous devons nous poser la question de savoir s’il est nécessaire, utile, raisonnable, irresponsable de regarder ce spectacle devant notre petit écran (biffer la/les mentions inutiles – ou pas).
Car c’est pour nous que tout cela est organisé, pour nous divertir. Reste à savoir si notre divertissement mérite qu’on organise un événement dont la prise de risque extrême est la raison d’être. Chaque année, il faut sauter encore plus haut, faire un trick encore plus fou, pour des primes promises à l’arrivée sans cesse plus élevées : de 8000$ en 2001 lors de la première Rampage, on est passé à 20 000$ en 2008 pour la renaissance, puis 40 000, 55 000 et 75 000$ ces dernières années, pour arriver à la barre symbolique des 100 000 $ en 2015 pour la 10e édition. Notons au passage que la Rampage n’a pas été organisée tous les ans depuis sa création. De 2004 à 2008, elle a marqué une pause « à cause des risques trop élevés pris par les compétiteurs ». Il est aussi important de noter que derrière ces chiffres qui s’envolent (tout en restant loin de ceux d’autres « grands sports » qu’il n’est pas nécessaire de citer), beaucoup de riders invités à la Rampage peinent à joindre les deux bouts et à payer ne fut-ce que leur séjour sur place.
L’édition 2015 a, une fois encore, été marquée par de très nombreux crashes. Le plus spectaculaire, celui de Nicholi Rogatkin, a heureusement été sans conséquences. Vous l’avez certainement vu, il a terminé son run. Moi aussi je l’ai vu : voyant mon fil d’actualité Facebook envahi par son coup de chance miraculeux, j’ai craqué et j’ai fini par le regarder. Pendant cette vidéo, j’ai tremblé, j’ai frissonné, et j’ai été heureux de le voir se relever. Mais je n’ai pas éprouvé de plaisir et je n’ai pas eu envie de la partager sur Vojo alors que nous aurions certainement pu prendre une petite part du « gâteau buzz » pour gonfler nos audiences.
Lors de la finale aussi, j’ai craqué et j’ai fini par me connecter à la fin du live de la Rampage en apprenant que Thomas Genon, que j’ai la chance de connaître et que j’admire, venait de remporter le général du FMB World Tour. Alors qu’un drapeau bleu flottant dans le ciel annonçait que la compétition était suspendue pour cause de vent, je me suis mis à lire les archives du fil d’actu et à regarder quelques passages en replay et, là aussi, j’ai juste eu peur. Au lendemain de l’événement, on apprend que si des gars comme Nico Vink, Yannick Granieri, Antoine Bizet, Jeff Herbertson, Nichol Rogatkin, Aaron Chase et d’autres s’en sortent miraculeusement avec de « petits » bobos (jambe ou bras en vrac et autres joyeusetés tout de même), Paul Basagoitia ne va par contre pas si bien que ce qui avait été annoncé dans un premier temps. Après 9h d’opération pour tenter de remettre en place une vertèbre T12, il n’a toujours aucune sensation dans les jambes.
Bien sûr, comme toute la toile, nous tentons de lui envoyer des ondes positives. Mais on se pose aussi une question : Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Même si le risque est partout, une compétition où près de 20% des participants terminent avec des blessures conséquentes ne devrait-elle pas se remettre en question ? Aujourd’hui, Rampage, je ne reconnais plus en toi l’esprit du vtt. Tu ne me fais plus rêver, tu me fais juste peur.
PS : Après avoir écrit ce billet dimanche soir, j’ai découvert ce lundi matin un excellent billet sur Vital MTB qui complète la réflexion. Je vous invite à le lire ici : www.vitalmtb.com/features/Opinion-When-Does-Risk-Outweigh-the-Reward-How-Red-Bull-Rampage-Changed-Our-Perspective
Un autre billet a été publié, également en Anglais, par nos confrères de MTBR : http://reviews.mtbr.com/the-angry-singlespeeder-red-bull-rampage-must-change-or-die
Enfin, voici une réponse à Steve Romaniuk publiée par nos confrères de NSMB à propos de la pertinence ou non de se poser des questions à propos de la Rampage : http://nsmb.com/open-letter-steve-romaniuk/
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