France | 50€ pour l’entretien d’un vélo : les pros entre espoirs et craintes

Par Olivier Béart -

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France | 50€ pour l’entretien d’un vélo : les pros entre espoirs et craintes

Le gouvernement français vient d’annoncer un plan de 20 millions d’euros en faveur du vélo. Dans le secteur, la nouvelle est accueillie avec un certain espoir, mais aussi avec de nombreuses craintes tant les contours restent flous. Et quand on prend un peu de recul par rapport aux chiffres, ceux-ci apparaissent tout à coup bien faibles. Vojo a sondé quelques professionnels du secteur pour recueillir leurs impressions.

Voilà assurément une annonce qui va dans le bon sens, le vélo apparaissant clairement comme un moyen de déplacement très adapté dans le contexte actuel, principalement pour désengorger les transports en commun dans les zones urbaines et éviter des embouteillages monstres à cause d’un report modal trop important vers la voiture. De nombreux pays et villes en Europe se sont d’ailleurs engagés dans cette direction. Cela ne touche certes pas directement le VTT, notre passion commune, mais cela touche par contre directement les professionnels du cycle avec lesquels nous sommes tous en contact et qui, même s’ils n’ont pas dû fermer complètement et s’ils restent optimistes pour la reprise dans le secteur, ont tout de même connu une période difficile ces derniers mois.

Après le moment de plaisir de voir que les pouvoirs publics semblent enfin se rendre compte des avantages du vélo comme moyen de transport (dommage qu’il ait fallu une telle crise pour cela, mais soit), vient le temps de l’analyse. Qu’y a-t-il réellement derrière cette annonce ? Afin de mieux comprendre, nous avons fait un petit coup de sonde auprès des premiers concernés : les magasins de cycles.

Les magasins de cycles s’interrogent

Premier appel chez Yoda Bikes, à Metz, pour entendre le son de cloche du fameux Riton, qu’on connaît aussi pour son rôle dans l’organisation des 24h des Crapauds, et qui est aussi connu pour ne pas avoir sa langue dans sa poche. Il commence par le côté optimisme : « Tout ce qui est fait en faveur du vélo est bon à prendre. Si cela incite des personnes à ressortir leur deux roues et à le faire entretenir pour être sûrs de ne pas rouler sur des machines devenues potentiellement dangereuses avec le temps, c’est bien. »

Par contre, il s’interroge sur les modalités pratiques : « On nous dit qu’il faut s’inscrire via un formulaire pour être référencé sur cette plateforme, mais il n’est pas encore accessible. On ne sait donc rien des conditions, et j’espère qu’elles ne seront pas de nature telle qu’elles ne permettraient qu’aux géants du secteur et aux chaînes de magasins de répondre. Je m’interroge aussi quant à l’annonce du chiffre de 3000 magasins car il me semble que nous sommes un peu plus de professionnels du cycles que cela en France. »

De son côté, la FUB (Fédération française des Usagers de la Bicyclette), qui sera chargée de gérer la fameuse plateforme, demande encore un peu de temps : « La FUB travaille actuellement à la mise en place d’outils. Nous vous tiendrons informés de la disponibilité des outils sur notre site et nos réseaux sociaux. » Et Riton de poursuivre : « Pour les 50€, c’est bien sur le principe pour les clients, mais j’ai l’impression que pour les boutiques, cela va être compliqué à gérer. » 

Florian Lecuyer, de chez Bike & Tests, situé près de Paris, va dans le même sens : « Des premières infos que nous avons eues, il semblerait que les magasins devraient avancer ces 50€ puis ensuite se faire rembourser par l’état. Dans la période actuelle, où toutes les entreprises sont déjà sur le fil au niveau trésorerie, ce n’est pas possible. On ne peut pas faire tourner l’atelier dans ces conditions-là, avec un afflux de personnes voulant (à juste titre), profiter de cette mesure, et des mécanos à payer, mais un trou dans la trésorerie parce qu’on retranche 50€ de toutes les interventions. »

Même son de cloche auprès des Cycles Lekeuss à Barbizon, pour lesquels Rémy Lesacq nous explique : « Je n’ai pas encore vu tous les détails, mais j’ai l’impression qu’on a mis la charrue avant les bœufs en faisant une annonce avant de connaître les modalités pratiques. J’espère qu’elles apaiseront les craintes du secteur, et c’est sans doute le moment de nous faire entendre pour espérer que le plan soit bien ficelé. Parce que s’il l’est, cela peut être efficace, comme la prime de 500€ qui existe ici en Île de France. On peut regretter qu’elle ne concerne que les vélos électriques, mais au sein du magasin, on voit qu’elle a boosté l’activité et surtout qu’elle a permis à des personnes qui n’en avaient pas forcément les moyens de sauter le pas du VAE. »

20 millions d’euros, c’est beaucoup… mais surtout très peu

Au-delà du ressenti des professionnels du secteur, l’analyse froide des chiffres amène aussi pas mal de questions et fait hélas un peu retomber le soufflé. Faisons quelques calculs :

  • 20 millions d’euros, divisés par 50€, cela représente 400 000 interventions en atelier. Sur un pays de 67 millions d’habitants, dont près de 30 millions considérés comme « actifs », c’est… peu.
  • Dans ces 20 millions d’euros, il faut aussi inclure les autres mesures du plan, à savoir le financement de places de stationnement temporaires, le financement de formations pour apprendre ou réapprendre à rouler à vélo et l’accélération de l’instauration dans le secteur privé du forfait mobilités durables. Autant dire que l’enveloppe va vite se vider.
  • Enfin, comment ne pas s’interroger quand on compare ce chiffre, qui a l’air important dans l’absolu, avec le montant de 7 milliards d’euros qui est prévu pour Air France. 7 milliards pour une seule entreprise du secteur aérien, et 0,02 milliard pour le deux roues.
  • Autre comparaison éclairante : 20 millions d’euros, c’est l’équivalent du prix de 3km d’autoroute.

Bref, même si on sent un frémissement, il y a encore beaucoup de travail à faire pour que le vélo prenne réellement sa place comme moyen de transport.

Plus d’infos : https://www.fub.fr/fub/actualites/plan-gouvernemental-20-millions-euros-encourager-pratique-velo-deconfinement

ParOlivier Béart