Moteur e-bike : faut-il changer la législation ? Les CEO de DJI et Bosch e-bike nous livrent leur vision
Par Olivier Béart -

Les vélos à assistance électrique sont déjà soumis à certaines règles, notamment une limitation à 25 km/h de la vitesse jusqu’à laquelle l’assistance est active, et de la puissance « nominale » du moteur. Mais faudrait-il aller plus loin, notamment pour ce qui concerne les valeurs de couple, de puissance crête ou encore de pourcentage maximal d’assistance ? Vu les performances des moteurs les plus récents, plusieurs acteurs du monde du vélo se posent la question et ont amené ce débat sur la table… avec des visions parfois assez divergentes. C’est le cas des patrons des divisions e-bike de chez Bosch et DJI. Vojo les a interviewés.
Aux yeux de la loi, au niveau européen, un vélo ne doit pas nécessairement être mis en mouvement que par l’énergie humaine. Il peut aussi recevoir l’aide d’une assistance motorisée, mais avec une limitation de la puissance « nominale » à 250 W et une coupure de l’assistance quand le cycliste arrête de pédaler et dans tous les cas au-delà de 25km/h. Moyennant le respect de ces conditions, un vélo même assisté reste un vélo aux yeux de la loi.
Cela a bien entendu de nombreux avantages, puisqu’au titre de vélo, les VAE qui remplissent ces conditions ne nécessitent pas d’assurance, de plaque d’immatriculation ou de permis pour circuler à leur guidon. Au niveau accessibilité, cela permet, outre les pistes cyclables, d’avoir également les mêmes accès qu’un vélo classique en forêt. Nous ne parlerons pas ici des questions de débridage ou de reprogrammation illicite, mais les progrès techniques réalisés par les principales marques permettent aujourd’hui une augmentation de la puissance maximale ou « crête » délivrée et du couple maximal des moteurs.
Jusqu’à présent, de notre expérience, cela reste surtout profitable en matière de plaisir de pilotage et d’agrément global de l’assistance, mais il est de plus en plus légitime de se poser la question : « où cela va-t-il s’arrêter ? » Les fabricants eux-mêmes se posent la question et, récemment, le ZIV (association allemande des acteurs du monde du vélo) et un de ses acteurs majeurs, Bosch e-Bike Systems, ont fait une sortie sur le sujet afin d’attirer l’attention des consommateurs.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette prise de position a fait réagir et, même si tout le monde semble s’accorder sur le fond et sur la nécessité de règles, tous ne sont pas forcément d’accord sur la manière de procéder. Afin d’y voir plus clair et de vous permettre de vous forger une opinion plus éclairée, nous nous sommes entretenus avec le patron de Bosch e-Bike Systems, Claus Fleischer (à gauche), et son homologue de chez DJI, Ferdinand Wolf (à droite), Product Experience Director – DJI Avinox.
Claus Fleischer, Bosch : « Nous ne voulons pas brider, nous voulons protéger »
Nous avons rencontré le directeur de la branche e-bike de Bosch à l’occasion de la présentation de la mise à jour de leur moteur Performance CX-R (voir ici : Test nouveauté | Bosch Performance CX-R : plus léger, 100 Nm, 750 W, le moteur Race est de retour !) qui, justement, recevait plus de puissance et de couple. Mais, dans le même temps, il pense qu’on touche doucement aux limites.
Vojo : Selon vous, à 750 W de puissance et 100 Nm de couple, on s’approche des limites de ce qui est acceptable pour qu’un vélo à assistance électrique soit encore considéré comme un vélo ?
Claus Fleischer : Oui, en effet. plus les performances sont élevées, plus la frontière entre vélos et véhicules motorisés devient floue aux yeux des autorités. Avec la menace d’une reclassification, des exigences d’assurance et d’immatriculation qui pourraient suivre, avec des conséquences considérables pour les utilisateurs comme pour les fabricants. C’est ce que nous voulons éviter et nous avons voulu attirer l’attention du public par rapport à ce risque. Nous nous battons pour que les VTT à assistance électrique puissent continuer à circuler en forêt avec la même liberté que les vélos classiques, sans être perçus comme de petites motos. C’est déjà parfois la perception que certaines personnes ont, à tort selon nous, mais il faut éviter de passer la ligne rouge et de leur donner raison.
Concrètement, que proposez-vous ?
Nous pensons qu’une limitation de la puissance « crête » à 750 W / 1 cheval vapeur et du pourcentage d’assistance à 400% serait une bonne chose. Pourquoi ? Car aux USA, il existe déjà une limitation à 750 W et cela permettrait d’harmoniser les choses à l’échelle de plusieurs grands marchés, et pour les 400 %, cela correspond déjà à un ratio en vigueur pour les speed-pedelecs. Ce serait assez absurde que des vélos à assistance restent considérés comme des vélos alors que leur moteur est capable de délivrer plus de quatre fois la puissance délivrée par le pilote, et donc plus qu’un S-P qu’il faut immatriculer et assurer. Sans compter que, plus ce ratio est élevé, moins il faut pédaler pour avoir une assistance forte, et donc plus on se rapproche d’une moto.
Vous pensez que le risque d’un changement de législation est réel ?
Oui, même si les règles actuelles – et surtout la coupure de l’assistance à 25 km/h – sont déjà des mesures importantes et efficaces que nous soutenons activement (notamment avec des systèmes de lutte contre le débridage de plus en plus poussés), l’évolution pousse à se poser des questions. Et autant que les acteurs du secteurs se les posent eux-mêmes car si on laisse ce débat uniquement à des personnes extérieures, pas nécessairement toujours bien informées, il y a un risque bien réel de se faire imposer des règles trop strictes ou qui n’ont pas de sens. Même si ce n’est pas rationnel, il faut prendre en compte la perception que le public a de nous et des vélos que nous roulons. J’ajoute aussi par exemple qu’il y a déjà eu une limitation de la puissance à 600 W en Autriche, qui a sauté, et heureusement car là c’était trop restrictif selon nous et selon beaucoup d’acteurs.
Certains disent que vous voulez avant tout vous préserver et que vous voulez museler la concurrence. Que leur répondez-vous ?
Ce n’est absolument pas cela. Nous savons faire des moteurs très puissants, ce n’est pas la question. C’est même assez facile à faire. Ici la question n’est pas de préserver notre part du gâteau, mais de préserver le gâteau tout simplement, et qu’il ne finisse pas à la poubelle en causant la chute de tout le monde. Si on ne se met pas de limites, c’est ce qui risque d’arriver. Et c’est ce que nous voulons éviter. Nous pensons qu’avec des limites définies intelligemment, il restera encore beaucoup de marge pour l’innovation. De bonnes contraintes sont même source d’innovation ! On pourra aller encore plus loin dans le rapport poids/puissance, dans l’efficacité énergétique, la personnalisation, et surtout l’expérience utilisateur.
Justement, pour définir des limites de manière pertinente, vous êtes ouverts à la discussion ?
Bien sûr ! Nous avons juste tiré la sonnette d’alarme en sortant du bois sur ce sujet. Mais le changement législatif est un processus qui prend du temps et il reste encore de la place pour discuter avec les autres motoristes et tous les acteurs qui veulent contribuer de manière active et constructive au débat.
Ferdinand Wolf, DJI : « Des règles, oui, mais sans brider l’innovation »
DJI, bien connu dans le monde du drone, a fait une entrée fracassante dans le monde de l’e-bike avec son moteur Avinox, à la fois très compact et très puissant, puisqu’il peut dépasser les 1000 W en crête. Certains voient le géant chinois comme pointé du doigt par les volontés de certains acteurs d’avoir une législation plus précise et complète. Le responsable de la division e-bike de DJI a d’ailleurs, sans surprise, une vision un peu différente de celle de son homologue de chez Bosch. Voici ce qu’il nous a expliqué :
Pensez-vous, chez DJI, qu’il faut des règles et des limitations concernant les motorisations e-bike ?
Oui, bien sûr ! C’est important, et même si DJI est un nouvel acteur dans le monde du vélo, le secteur des drones dans lequel nous sommes leader est aussi très réglementé, car cela touche à l’aviation. C’est donc quelque chose qui nous est familier et nous ne plaidons absolument pas pour une absence totale de règle. Par contre, il nous semble important de mettre le curseur au bon endroit et qu’il y ait une concertation entre les acteurs pour arriver à des règles compréhensibles par tous et efficaces.
La règle la plus simple et la plus importante à nos yeux existe d’ailleurs déjà : c’est la coupure de l’assistance à 25 km/h. Nous sommes tout à fait en phase avec cette limitation et nous avons d’emblée mis en place des sécurités très fortes sur nos moteurs pour éviter tout débridage.
D’autres règles sont-elles nécessaires selon-vous, en plus de la limitation à 25 km/h ?
Si nous sommes tout à fait en phase avec la limitation à 25 km/h, nous pensons qu’au niveau de la manière dont l’assistance va agir en dessous de cette vitesse, il est bon de laisser une certaine liberté aux motoristes et de ne pas oublier que performance et plaisir sont intimement liés dans notre sport. Je ne parle pas que de puissance pure. La puissance est importante et DJI a montré dès son premier moteur que nous étions capables de proposer une puissance et un couple élevés dans un package particulièrement compact et léger. Mais je pense surtout au contrôle, à la manière dont cette puissance et ce couple sont délivrés.
Vous voulez dire que, bien plus que les chiffres, c’est la gestion du moteur qui importe ?
Oui, mais pas que. En premier lieu, il ne faut pas oublier que le moteur d’un e-bike est et reste une assistance, qui ne délivrera une puissance élevée que si le cycliste lui-même appuie fort sur les pédales. Cela reste un mode actif de déplacement et de loisir. Ensuite, le software est évidemment très important dans cette maîtrise de l’assistance et dans la manière dont elle est délivrée. Là aussi, clairement, nous avons beaucoup investi et nous ne voulons pas avoir cette image de DJI qui ne serait liée qu’à la puissance. Dans notre dernière mise à jour, non seulement les valeurs de puissance et le couple sont encore améliorées mais surtout nous avons un calcul de l’angle qui va couper l’assistance si on remarque que la roue avant se lève excessivement. On a aussi un « traction control » qui évite à la roue arrière de déraper car si on n’est pas capable de la faire passer au sol, la puissance n’a pas de sens. Si rien n’est contrôlé ou avec un software mal calibré, on peut faire déraper les roues même avec un niveau d’assistance très faible.
Revenons à la législation, certains avancent une possible limitation de la puissance « crête » à 750 W. Qu’en pensez-vous ?
Nous n’avons pas de chiffre en tête. Un vététiste moyen peut sortir un peu plus de 1000 W en sprint, donc pourquoi ne pas permettre au moteur de délivrer la même chose. On reste dans des valeurs de puissance très mesurées, on est très loin d’une moto ou d’autres engins automoteurs. Nous ne voyons pas très bien pourquoi se limiter à 750 W, ni ce que cela peut changer en matière de sécurité. La plupart des risques sont pris en descente… quand l’assistance n’agit que très peu voire pas du tout. La recherche de la performance fait partie du sport et du plaisir. Laisser de la marge aux constructeurs dans ce domaine, c’est aussi laisser la place à l’innovation et permettre de construire des vélos qui procurent beaucoup de plaisir au plus grand nombre. Les nombreux awards et les retours du public à propos de notre moteur le montrent : il y a une réelle attente de produits différents, innovants. Et puis, nous voulons laisser le choix aux utilisateurs, qui disposent aussi de la possibilité de personnaliser leur assistance (puissance, couple maxi, réponse à l’accélération, etc) via l’application et aussi directement sur l’écran tactile de leur vélo, selon ce qu’ils préfèrent privilégier : plus de pêche dans le moteur, l’autonomie, etc. Cela permet aussi de s’adapter à des pilotes qui ont des morphologies différentes. Une personne de 50 kg pourra pleinement se satisfaire d’une assistance plus faible, quand une personne de plus de 100 kg aura logiquement besoin de plus pour aller à la même allure. Sans oublier aussi les possibilités de personnalisation offertes aux marques de vélo avec lesquelles nous collaborons et qui peuvent adapter la puissance et le couple du moteur selon le type de vélo sur lequel ils montent nos moteurs.
Cette limitation à 750 W est déjà d’application aux USA semble-t-il, et cela permettrait une uniformisation…
Nous avons examiné la législation américaine, et nous ne sommes pas arrivés aux mêmes conclusions. Il y a, là aussi, une zone grise. Et nous pensons que notre moteur DJI Avinox est, en l’état, totalement conforme à la législation américaine. Les vélos AMFlow commencent d’ailleurs à y être vendus et on pourra aussi bientôt retrouver notre moteur sur des vélos de marques américaines. Mais si on nous montre où cela est clairement indiqué, nous nous mettrons bien évidemment en conformité.
S’il y a bien une volonté de la part de l’Europe de mettre en place des règles plus complètes concernant les vélos à assistance électrique, notamment en matière de couple et de puissance, voulez-vous participer aux discussions ?
Bien sûr ! C’est effectivement important de se préparer et d’être un acteur du changement plutôt que d’y assister de manière passive. Nous savons qu’il y a déjà eu des discussions, en Allemagne au sein de l’association ZIVZEV notamment, mais nous n’en faisions pas partie. Nous sommes nouveaux sur le marché, sans doute est-ce pour cela que nous n’avons pas été conviés dès le départ, mais nous avons clairement entamé les démarches pour rejoindre la table des discussions avec les autres acteurs du secteur. Nous sommes vraiment ouverts. De ce que nous savons, les premières communications qui ont été faites sur une limitation de la puissance à 750 W l’ont été sur base d’un draft. Il reste encore de la place pour la discussion. Et cela va encore prendre du temps, 2 ou 3 ans au moins. Attention aussi toutefois à ne pas créer un problème qui en fait n’existait pas et dont personne ne se préoccupait. Il faut jongler habilement entre cela et éviter de se faire imposer des règles arbitraires par des personnes ne connaissant rien au secteur. En tout cas, nous sommes clairement ouverts à la discussion afin de joindre nos forces avec les autres acteurs pour agir dans l’intérêt de notre secteur et des consommateurs.