Les Grisons en Gravel : la Suisse éternelle

Par Pierre Pauquay -

  • Nature

Les Grisons en Gravel : la Suisse éternelle

Dans les Grisons, le décor est là, immuable. Les alpages verts lisses comme la main sont ponctués de magnifiques chalets brun et blanc où passe paisiblement un train rouge… Notre périple en gravel dans les Grisons sera l’occasion de découvrir cette Suisse éternelle.

Quand nous arrivons dans le canton des Grisons, il se dégage dans ce pays une belle harmonie entre la force de la nature et la main de l’homme. S’il a pu modifier le paysage de la basse altitude, il a laissé vierge la montagne karstique. Et le contraste se voit partout. En toile de fond, une montagne hostile, de l’autre, une montagne idyllique et riante où les villages s’intègrent parfaitement à l’environnement.

A Chur, nous rejoignons la vallée du Rhin Antérieur. Sculptée par l’eau et la glace, elle représente, sur une longueur de plus de 50 kilomètres, tout ce qui définit la Suisse en image : villages mignons à croquer, glaciers, neiges éternelles, roches, lacs, torrents, cascades et flore abondante. Les paysages que nous allons aborder en gravel vont nous offrir ce charme incomparable.

En Suisse, les vallées de l’autre côté d’un col peuvent vous porter vers des collines douces fleurant un air d’Italie ou vers des faces nord de granit évoquant des sommets himalayens. La Confédération helvétique est une mosaïque de paysages et de cultures. Et dans les Grisons, demeure la fierté d’une langue unique, le romanche. Mâtinée de français, d’italien et d’accent alémanique, elle est l’une des quatre langues officielles du pays : le canton des Grisons comme la Suisse est une petite Europe en soi.

Paysage culturel

Le matin du premier jour, le temps est à l’orage : la profusion des lacs et des glaciers doit sans doute imposer au pays un climat local, imprévisible. Notre guide, Alain Rumpf, nous montre la route à suivre. Au départ de Llans, l’itinéraire s’attaque de plein front à une pente sévère : on n’y vient pas en tant que néophyte en gravel… La route nous immerge dans ce décor des Grisons.

Face à ces paysages de carte postale, l’ascension de la matinée nous donne des ailes. Les paliers succèdent à de courtes épingles entre mélèzes. La côte dans la forêt est longue, typique de celle que l’on rencontre dans les étages subalpins. A la petite route menant aux champs succèdent de superbes chemins, mais sans gros cailloux infranchissables pour les gravel. La suite de l’itinéraire ne se montre pas ingrat et profite de l’altitude pour nous proposer un parcours en balcon. Les Grisons, ce sont aussi ces villages incroyablement perchés et accrochés à des flancs raides où les paysans ont pu exploiter la terre en construisant des champs en terrasse : la vallée se donne des airs népalais.

Les larges horizons d’un petit pays

Les hautes montagnes enserrent les villages et les couvents : nous roulons dans un havre, un refuge ouaté qui nous met à l’abri de la fureur du monde. Le décor est d’une perfection géométrique : des à-pics de 3500 m d’altitude surplombent de douces collines. Et les petites routes semblent posées dessus, sans les agresser. Dans les Grisons, la pratique du Gravel est engagée physiquement, mais elle permet de s’élever haut. La région fourmille de petites routes, de pistes carrossables. Alain ne cesse de tournicoter pour nous faire découvrir le plus bel itinéraire à travers ce dédale de voies.

Contrairement à d’autres régions montagneuses aux dénivelés trop importants où les sentiers trop caillouteux peuvent transformer une sortie gravel en enfer, cette région des Alpes suisses propose un relief plus adapté. Les chemins que nous arpentons sont certes physiques, montagne oblige, mais demeurent agréables. A la sortie du village de Ruschein, nous retrouvons nos vieux réflexes de crosseur quand débute la très longue ascension vers le lac de Stausee, la destination du jour. Nous grimpons au train, à l’économie et profitons de ces remarquables chemins des Grisons où il est possible de grimper sur son gravel vers des altitudes conséquentes. Cette montagne semble toute tracée pour lui. Tour à tour, les forêts de conifères s’éclaircissent quand nous passons au milieu des champs d’altitude et de ses petits hameaux de bois, avec toujours, en toile de fond, le Hausstock (3150 m) et le Piz Russein, culminant à 3614 m d’altitude.

Les Alpes sourire

Quelques kilomètres plus loin, les jambes nous redonnent des ailes quand le chemin longe les couleurs émeraude du lac de Stausee.

Taillé dans la falaise, il demeure le coup de coeur de cette journée. Autour du lac, nous retrouvons cet esprit des pionniers du VTT, avec ce gravel nous rappelant ces anciennes sensations enfouies dans nos mémoires. Cela tabasse et nous passons du chemin de terre à la route.

La descente vers le village de Disentis est une autre partie de plaisir : les virages en épingles nous mènent vers le versant ensoleillé. A Andiast, nous nous restaurons à midi dans l’un de ces chalets d’altitude, où il fait bon vivre la Suisse. Un assortiment de fromages servi sur une planche de bois aspire à ces bonheurs simples que l’on oublie trop souvent. Après ces moments agréables, le plaisir se poursuit avec la longue descente vers Breil et Turn où nous attend le train de retour vers Llans.

Un matin du monde

Le lendemain, nous embarquons dans « le train rapide le plus lent du monde ». Tel se définit le Glacier express reliant deux stations huppées, Saint-Moritz et Zermatt. Et il passe, tous les jours, dans la vallée. Nous en profitons pour monter dedans, gravel Peugeot avec. En Suisse, vélo et train vont de pair pour le plus grand plaisir des cyclistes.

Ce vaillant train rouge avale 291 ponts et 91 tunnels ! La fenêtre du train est un écran de cinéma où défile un film qui pourrait s’intituler, « vol au-dessus des nuages ». Il nous porte à l’Oberalppass.

Des 30 degrés de la veille, nous grelottons au col. Avec une température d’à peine 4° degrés, la pluie est à la frontière de la neige. Sous le déluge, le mordant des freins à disque rassure et reporte à des souvenirs pas si lointains où descendre sur route détrempée en vélo doté de freins sur jante faisait figure d’exploit…

Le gravel, c’est aussi le plaisir d’aller chercher la pente, la descente du col routier. Si elle est magnifique, dans une épingle, nous la quittons néanmoins et sommes heureux de retrouver l’esprit du chemin. C’est ça l’effet Gravel.

Vincent en tête, nous empruntons la piste carrossable menant vers les alpages d’estive de Tgatlems. Nous sommes entre deux climats. A l’ouest, l’Oberalppass tente d’arrêter le front des précipitations tandis qu’à l’est, sur notre gauche, la vallée du Rhin Antérieur est inondée de lumière. La piste nous fait pénétrer au cœur de la haute montagne, les pics nous ceinturant. Le canton des Grisons est le pays de l’eau. Elle couvre tout le territoire sous différentes formes, en neige éternelle, en glacier, en lac de cristal, en rivières, formant un véritable labyrinthe de réseau hydrologique.

Dans l’ascension, nous suivons un impressionnant torrent, crachant toujours les précipitations de l’orage de la veille. Plus loin, il est amusant de voir la curiosité des randonneurs à pied qui nous voient gravir la montagne avec ces pneus étroits, une incongruité dans le paysage, comme une fille marchant avec ses hauts talons en altitude… Et pourtant, le Peugeot R02 passe les contreforts sans sourciller. Les Hutchinson Overide accrochent et offrent un bon rendement quand le terrain devient plus lisse.

Pour accéder à la cabane de Maighels, nous devons nous faire violence. Cela grimpe, près de 1.000 mètres de dénivelé en un peu moins de six kilomètres ! Par chance, l’itinéraire emprunte des chemins de grenailles, offrant une bonne adhérence aux pneus du gravel.

En toile de fond, le Pizzo Centrale nous donne l’envie de l’observer de plus près. Nous roulons en direction du Tomasee, un lac au pied de ce sommet de près de 3.000 mètres d’altitude.

Nous avons l’impression de rouler au matin du monde, tant ces montagnes dominant le lac sont parmi les plus anciennes des Alpes, de l’ère géologique du trias. Et tous ces pics qui nous entourent pointent leurs lames de couteau vers le ciel.

Les ondées ne peuvent nous arrêter. La neige semble proche à 2310 m où une cabane du CAS nous accueille. A celle de Maighels, nous nous réchauffons. On entre dans une cabane comme on entre dans cette Suisse, douillette et charmeuse. Si l’altitude est le domaine de la caillasse et des torrents, plus bas, les collines que nous rejoignons à l’approche de Disentis sont contrastées avec leurs versants très verts. Les forêts se perdent à l’infini sur ces flancs extrêmement pentus.

 

Rien d’étonnant donc que de découvrir en basse altitude des parcours en sous-bois plus techniques : vététistes dans l’âme, on s’y jette avec plaisir… A 1100 mètres, les langues fines de bitume courent dans la campagne : nous explorons des territoires différents sans changer de monture. Le gravel est étonnant de polyvalence. Nous ouvrons l’esprit de la route, au-delà du bitume, et roulons libre, shorts au vent.

Vers l’Alp Nova

Depuis Llans, nous roulons sur les terres d’entraînement de Nino Schurter, lui qui est né à Chur, la ville d’entrée de la vallée. De Saint-Martin, quelle longue ascension ! Le versant ne cesse de s’élever. Nous ne voyons pas la crête sommitale. De route en chemin carrossable, de piste en sente sur l’alpage, ces voies font figure d’étage alpin pour le gravel. Au bout du cirque, voilà qu’apparaît le hameau de Wali, qui se mue en hiver en petite station de ski.

Nous traversons l’Alp Nova, via cette fois, ni un chemin, ni un sentier mais un single à travers l’alpage. Sur l’autre versant, la descente est fabuleuse en gravel. Que ce soit sur grenaille ou bitume, les deux Peugeot et le 3T filent sur la pente.

Les réflexes du vététiste ne sont pas oubliés. Appuis et basculement sur la machine permettent à Vincent de distancer Alain, exceptionnel routier au long cours (il fera, la semaine d’après, la magnifique itinérance entre Turin et Nice en gravel) mais pas enduriste dans l’âme. En contrebas, apparaît le village de Vella, blotti dans la vallée cul-de-sac de Valsertal.

Aux sources du Rhin

Les derniers kilomètres permettent de nous rapprocher de la vallée du Rhin Antérieur. Si nous quittons le domaine de la haute montagne, des gorges profondes nous imposent de terribles côtes, à nous faire exploser les genoux.

Des gorges, nous nous élevons vers Flims. Le Gravel rejoint le terrain qui est le sien : de larges chemins carrossables. Au bout des grenailles, deux lacs bleus gravent une dernière fois dans nos mémoire les images d’une région préservée, belle par nature.

Le canton des Grisons est un exemple exceptionnel de paysage culturel, renfermant les témoignages d’une activité économique humaine fondamentale : l’élevage et l’agriculture, le tout s’intégrant dans l’univers de la haute montagne. Et le gravel demeure sans conteste un des plus beaux moyens pour découvrir ce joyau.

Carnet pratique

  • Le canton des Grisons propose des itinéraires spécifiques au gravel, à notre avis, une des premières initiatives dans les Alpes. Ce reportage s’est inspiré des 6 traces vorderrhein (Rhin Antérieur), en format GPX que l’on peut télécharger sur le site officiel de tourisme des Grisons ; www.graubuenden.ch
  • Pour toute info à partir de la France ou de la Belgique : www.myswitzerland.com
  • Pour être accompagné dans les Grisons, Alain Rumpf, francophone, vous donnera tous les bons tuyaux d’un région encore peu connue pour la pratique du gravel : http://aswisswithapulse.com

ParPierre Pauquay