Le Tour des Flandres en gravel : voyage en terre sacrée du cyclisme

Par Pierre Pauquay -

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Le Tour des Flandres en gravel : voyage en terre sacrée du cyclisme

Les grandes courses à vélo sont à l’origine de toutes nos pratiques, que l’on soit crosseur, enduriste ou randonneur. Nées au début du siècle dernier, les Classiques ont gravé les plus belles images de l’histoire du vélo qui ne peuvent laisser indifférent tout passionné. L’une d’elles a gardé son charme et sa ferveur. Vojo est allé à la rencontre de ces routes du Tour des Flandres avant celles de l’Enfer du Nord…

 

L’émotion est toujours palpable quand je rejoins avec Vincent cette terre du cyclisme qu’est la Flandre. Ici, dans quelques jours, se déroulera l’une des plus grandes courses de l’année, le Tour des Flandres. Esprit Vojo oblige, nous allons tâter du pavé sur ces berg et ces routes chargées d’histoire en gravel où se battent, se frottent les plus grands coureurs.

Le Ronde, comme on surnomme aussi le Tour des Flandres, est unique au monde. Le 14 avril, le peuple flamand va magnifier la course: tout un pays va porter les coureurs vers une reconnaissance méritée, et pour le gagnant, vers une gloire éternelle.

La petite cité d’Audenarde est ceinturées de berg, des montagnes à gravir à vélo tout en puissance…

Que l’on vienne de France ou du sud de la Belgique, dès que l’on entre en Flandre, le vélo sort de l’ombre et s’intègre au paysage. Les routes qui nous mènent vers Audenarde (Oudenaarde) se couvrent de pistes cyclables. La petite reine évolue dans son royaume. Et nous découvrons l’élégance même du vélo dans la petite cité flamande, lieu d’arrivée du Tour des Flandres. Dans une ruelle pas plus large qu’un guidon, surgissent des filles habillées de couleurs vives, tandis qu’un homme nous croise en complet veston, plans d’architecte sous un bras et guidon tenu dans l’autre main. En Flandre, le vélo est un style de vie.

Le musée De Ronde plonge le visiteur dans la nostalgie du Tour des Flandres.

Ce matin, la flèche de la cathédrale d’Audenarde perce le ciel lourd, chargé de pluie, tandis que les hallebardes martèlent la vitrine du musée De Ronde. Notre imprégnation de la course se vit en visitant tout d’abord ce haut lieu rassemblant le patrimoine de l’épreuve cycliste.

Les coursiers flamands

En quittant le musée, nous sommes imprégnés de ces images sépia quand nous enfourchons nos gravel sur les routes du Tour des Flandres. Nous cheminons le long des canaux et la tempête a jeté devant nous les branches et les feuilles des arbres. Ce vent devient un adversaire de taille, soufflant de face et déchaînant sa force. Alors que les Flahutes (Flamands, en langue picarde) font face et tiennent le cap dans la pluie, les coureurs du sud baissent la tête et rendent les armes, les corps épuisés. En 1985, Eric Vanderaerden remporta la course sous un déluge de pluie et un froid de Sibérie : seuls 24 coureurs sur 173 ont rallié l’arrivée.

Le coursier flamand reste droit et roule comme un seigneur en son royaume, lui si modeste dans la vie. Nous nous rappelons les visages timides de Tom Boonen, de Rik Van Looy ou de Fred de Bruyne, victorieux à l’arrivée…

Au début du printemps, la terre de Flandre reçoit de pleine face les derniers soubresauts de l’hiver… Le Ronde peut entrer dans la légende. 

Sur nos gravel, les pneus sculptés accrochent les pavés qui n’ont pas l’aspect de champs chaotiques du Paris-Roubaix. Ils sont disposés en voie royale, bien alignés, comme le sont les maisons flamandes, bien proprettes. Pour gravir le premier berg, nous agrippons le guidon mains basses et grimpons en force : le haut du corps est autant sollicité que les jambes. Seuls les rouleurs émergent d’un berg long de 600 m, pas les purs grimpeurs.

 

Terre de vélo

Nous roulons dans le passé. L’anachronisme du Ronde tend à son immortalité. Cadre acier ou carbone, casque à boudin ou profilé, chaussures de cuir ou en composite, la course demeure et demeurera toujours ce haut lieu où se côtoient la passion de tout un peuple et l’affrontement de géants. Le cyclisme, ici, se vit passionnément. Il faut aimer cette atmosphère où la bière coule à flot, où l’odeur du houblon se mêle à celle des frites. Sous les drapeaux jaunes du lion des Flandres se dresse toute la ferveur d’un peuple, jeté sur les à-côtés de la route. Dans ce pays catholique, le jour du Ronde, Dieu se nomme Tom Boonen, Johan Museeuw, Stijn Devolder ou Philippe Gilbert.

Ce triste jour de mars contraste avec ce 24 avril, qui s’annonce passionnant. Nous traversons sans bruit les villages. Aux alentours, les berg sont une incongruité dans le paysage du Plat Pays. Entre chemin et route, la frontière est ténue sur ces pavés : le gravel sillonne à mi-chemin de ces deux mondes.

Aux berg comme le Paterberg succèdent les villages flamands. Dans quelques jours, la fièvre de la course va les emporter dans une ambiance unique au monde…

Face au Paterberg, l’horizontalité se meut en rampe verticale, lisse et brillante. Les roues tapent contre les blocs de granit. Dans la côte, des petites vagues de pluie dévalent devant nos roues. Transpirant sous la veste, nous sommes des machines à vapeur gravissant avec peine le berg.

Des côtes tordues

Le Koppenberg est d’une verticalité monstre.

Nous avançons sous le poids du ciel vers le Koppenberg, une côte improbable, une erreur de la géographie. Cette ascension tordue, tout en pavés, flirte avec les 18% de déclivité : nous sommes heureux d’être sur nos gravel. Nous roulons sur du velours. Rien à voir avec les vélos de course et leur section de pneus étroite. Je revois ces images de Jesper Skibby qui, en 1987, est renversé par une voiture suiveuse et manque d’avoir la jambe écrasée : le Koppenberg quittera la scène jusqu’en 2002, où l’on refit le revêtement.

Dans la côte, nous ne sommes que deux, pliés sur nos cintres. En course, si l’un tombe, toute la progression du peloton est entravée dans un enchevêtrement de roues, de rayons et de cadres. Celui qui parvient à passer en premier et à s’en détacher aura un boulevard devant lui : à lui de tenir seul jusqu’à l’arrivée.

Le Retroronde est une fêté dédiée au vélo. Elle se déroulera cette année les 15 et 16 juin.

Nous tournons autour des berg larvés de pavés, tous situés près l’un de l’autre. Le pays des Ardennes flamandes est petit mais grand par son histoire. Si le cyclisme a vécu ses premières années en France, en Italie et en Belgique, les racines populaires du vélo sont nées autour de ces routes, de ces petites montagnes. En hommage, le « Retroronde » est une joyeuse fête estivale où de vieilles machines ressortent des greniers pour affronter, une nouvelle fois, ce parcours atypique. Au pied du Vieux Kwarmont, une ancienne ferme transformée en café et en b&b accueille avec empathie tout le petit monde du cyclisme : sur ces routes, nous ne craindrons pas la soif…

324 km pour un sacre

Sur la route entre le Vieux Kwarmont et le Paterberg, les noms des vainqueurs de la course sont gravés sur la route et de magnifiques photos balisent notre échappée.

Vincent se rappelle que les couleurs de Peugeot ont brillé quand Tom Simpson remporta leRonde en 1963, l’un des rares coureurs étrangers à remporter l’épreuve parmi les 69 vainqueurs belges.

Dans les villages, la légende ne sombre pas dans l’oubli : à Gramont (Geraardsbergen), nous entrons transis dans le Bar Gidon, tenu par un couple sympathique.

À Grammont, le Bar Gidon est une institution : on vient y boire, bien sûr, une Kwarmont, la bière locale… Et on y retrouve les gloires passées et actuelles.

Dans le bistrot, de jeunes loups sont venus ici s’entraîner, prêts à croquer le pavé sur des prototypes Trek : dans le coin d’une table, nous percevons le sourire carnassier d’un certain Van Petegem, vainqueur en 1999 et 2003. Il est l’un des héritiers de ces coureurs flamands du début du XXe siècle. Ils quittèrent la paysannerie, le fond des mines, pour récolter un peu d’argent en tournant à vélo en rond dans des kermesses sur des chemins non encore revêtus d’asphalte. Ils poussaient leur grand braquet et leur courage en roulant sous le vent glacé. Autant user le corps pour soi et espérer la gloire que de le casser pour un maître de forges. L’un d’eux, Paul Deman, fut le premier vainqueur du Tour des Flandres au bout d’une longue chevauchée de 324 km… De tels exploits ont vite connu un large écho.

La presse et le cyclisme sont nés en même temps, au début du XXe siècle. Ils lieront leur destinée. L’un, L’Auto, organisa en 1905 le Tour de France afin d’augmenter son lectorat, un autre, la Gazzetta dello Sport, lança le Giro en 1909, tandis que Sportwereld créa le Tour des Flandres, en 1913.

Le mur de Grammont (De Muur) est la côte la plus emblématique du Ronde. La chapelle Van Oudenberg balise le sommet de ce chemin de croix.

Malgré un siècle passé, l’esprit demeure au Ronde. Venir sur les routes du Tour des Flandres, c’est humer ce parfum d’épopée qui se retrouve partout, au coin d’une rue, dans un café ou sur ces berg redoutables. Nos gravel furent nos merveilleuses machines à remonter le temps, à rouler sur cette terre du cyclisme.

Carnet pratique

  • Musée de légende

Le Musée De Ronde est situé près de la Grand’Place d’Audenarde. Y venir, c’est déjà se plonger dans la Légende. www.crvv.be

  • Trois circuits autour du Ronde

Terre de cyclisme oblige, toute la région est quadrillée de trois circuits remarquablement bien balisés. Ils partent vers les lieux de la course. Le bleu comptabilise 78 km; le jaune, 103 km; et le rouge 114 km. Départ depuis le musée De Ronde, où vous pourrez vous procurer la très belle carte de ces randonnées.

ParPierre Pauquay