Le raid Vauban : et la montagne gronda…

Par Pierre Pauquay -

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Le raid Vauban : et la montagne gronda…

Les dernières sentinelles du vide se sont tues, mais la montagne a bel et bien grondé lors de cette édition 2019 du Raid Vauban ! Au programme, 70km « seulement », mais du dénivelé à revendre et surtout beaucoup de technique et quelques portages. Vojo y était et a bravé la tempête :

Le Roi Soleil n’avait cure des défis techniques, pourvu que son royaume soit protégé… Il fit construire à ses frontières et dans les Alpes en particulier des fortifications d’altitude face au Royaume de Savoie. En 1692, Vauban dessina la ville forte de Mont-Dauphin sur les à-pics du plateau désertique de Millaures, dominant le Guil et la Durance.

Le Mont-Dauphin a donné son nom au raid Vauban, du nom de l’architecte qui dessina les plans de la fortification

Bâtie pour défier l’ennemi et le temps, la place forte est restée intacte. Quand y entre, le voyage dans le temps peut commencer. Les courtines, remparts et fossés ceinturent les petites maisons : Vauban avait imaginé une vraie ville. Les ruelles des artisans me mènent vers le coeur du Mont-Dauphin, la place de la poudrière où s’est établi le camp du raid Vauban. La chaleur accablante écrase les chapiteaux. J’ignore que la météo virera au noir le lendemain…

Du bleu au noir

Le dimanche 9 juin au matin. Je circule sur la route des gorges du Guil, creusée à flanc des parois verticales : le gris de la roche se marie avec un ciel chargé. L’aube ne prête guère à l’optimisme. A Ceillac, lieu de départ du raid, les sommets se couvrent de moutonnement. La Lombarde, ce retour de vent d’est n’augure rien de bon pour cette journée. Le raid Vauban, long de 70 km, passe par des cols de 2500 m d’altitude.

Pour des raisons de sécurité et de bon sens, les organisateurs n’hésitent pas : le raid sera amputé de 10 km et ne passera pas par le col de Furfande : la montagne impose, les hommes disposent.

Au départ, le peloton des 350 coureurs est joyeusement bariolé de coupe-vent et de vestes de couleurs. Au signal donné, les Alexis Chenevier, Alexandre Barberoux et autres Steeve Renaudier filent et passent en trombe devant les spectateurs : ils partent pour une échappée, rapide et violente à travers les montagnes du Guillestrois et du Queyras. Leur rapidité (moins de 4 heures…) leur permettra même d’éviter les orages de l’après-midi…

Raid enduro

Si les premiers se la jouent « compèt », les autres vont profiter du raid et découvrir ses magnifiques traces. Je me range dans les derniers wagons où seul la barrière horaire de 11h à Bramousse doit m’imposer un certain tempo. Il me faudra tout d’abord franchir la Cime du Mélezet et le col Fromage, situé à 2301 m d’altitude.

Les fines pluies du matin se terminent : une ouverture dans le ciel permet d’admirer le haut plateau de Ceillac et les sommets environnants. J’en viens à espérer des heures heureuses, sous le soleil… Du Mélezet, la petite troupe entre dans le bois de Jalavez.

Du Mélezet, le raid emprunte un premier single où s’impose un premier portage.

Une trace naît et succède aux chemins du départ. J’entre dans le monde de la montagne queyrassine où l’odeur des mélèzes se mêle à celle des pins. Je suis en éveil et aspire à goûter enfin aux grands espaces. Quelle joie que de se retrouver en montagne sur l’un des plus beaux raids ! Débouchant de la forêt, le single plonge sur Ceillac.

Magnifique première descente vers Ceillac.

Les premières courbes, les premières épingles annoncent la couleur et confirment la réputation du Vauban, un raid plutôt orienté enduro.

Au pied de la descente, je traverse le Cristillan, un joli torrent mais qui devint, le 13 juin 1957, un véritable raz-de-marée. Les deux jours de pluie associés à une brusque fonte des neiges déchainèrent le Cristillan qui charria bois, pierres et boues. Il submergea les rives, emporta les ponts et noya le village. J’espère que la région ne va pas connaître un tel sort ce 9 juin…

Le Cristillan si paisible peut se transformer en torrent dévastateur…

Queyras de calcaire, Queyras de schiste

J’enclenche le grand pignon pour attaquer l’ascension du col Fromage. Au hameau du Villard, c’est en terminé du roulage.

Le chemin devient sentier de muletier. Telles des fourmis gravissant une butte, j’aperçois mes compagnons de route gravir le GR 58. Le portage va être long. Traversant quelques alpages, je rejoins les éboulis qui me font penser à la célèbre Casse Déserte du col de l’Izoard. Les chevilles se tordent sur ces agglomérats de calcaire. Au col succède un autre Queyras, chisteux, aéré. Au loin, l’image crénelée des sommets renvoie à celle des citadelles de Vauban.

Peu avant le col Fromage et la vue sur la Font Sancte, les concurrents traversent un pierrier de calcaire.

En arrière-plan, L’imposante muraille dolomitique de la Font Sancte se couvre de gros nuages noirs. Il ne faut pas tarder. Vite, je bascule sur l’autre versant et plonge rapidement dans la forêt qui ne cesse de reconquérir la montagne. D’année en année, elle monte vers l’altitude et recouvre l’alpage. Le sentier que j’emprunte court à travers les mélèzes et les pins. Dans le vallon du Riou Vert, les suspensions talonnent, les flancs des pneus frottent les cailloux. La partie est technique, engagée. A l’approche d’une ravine, un signaleur, heureux soit-il, m’impose de mettre pied à terre. A droite, le vide, à gauche, une main courante : un petit passage qui annonce une belle partie, très rapide où on se concentre sur sa ligne, à travers une des plus anciennes forêts du Queyras.

Le single ne cesse de filer à travers la grande forêt : un régal de pilotage…

A son orée, je traverse quelques champs cultivés qui annoncent le hameau de Bramousse. Au premier ravitaillement, je me délecte de la variété de la nourriture et de l’accueil des habitants.

Un ciel zébré

Au pied du Guil, un dénivelé monstre m’attend, annoncé par les premiers grondements de l’orage. Je n’effectuerai pas la belle boucle vers Arvieux et le col de Furfande : cette partie d’itinéraire roulable est en contraste avec ce qui m’attend là-haut, vers le col de la Lauze. Cette option plus courte, choisie par sécurité, va demander beaucoup plus de portage. Elle va user les articulations et le corps. Au début, l’ascension s’effectue sur une petite route, aux 30 lacets ! Elle grimpe vers le hameau perdu des Escoyères. S’il ne reste plus que quelques bâtisses, il fut pourtant durant plusieurs siècles l’une des plus importantes communautés du Queyras. Au XVIIIe siècle, une avalanche balaya les hameaux… Autrefois, les journées et soirées d’hiver devaient être bien longues. Coupés du monde, la route n’existait pas, les hommes et les bêtes se calfeutraient à huis clos dans leur logis. Je me rappelle de mon passage en hiver il y a quelques mois où son accès était possible uniquement en raquettes de neige…

L’hiver isole les Escoyères : le raid y passe avant de poursuivre vers les chalets de Furfande. 

Jean-Paul, mon ami, hésite à poursuivre l’ascension. L’organisateur de l’Ultra Raid de la Meije voit cependant une éclaircie et s’y risque : je le suis, lui qui connait si bien la haute montagne.

La pluie s’interrompt un moment pour mieux entendre le bruit du tonnerre. Une chance que de ne pas monter vers les 2500 m, à Furfande. Au Col Garnier, culminant tout de même à 2279 m, le ciel se zèbre d’éclairs : l’orage se déchaine.

L’orage éclate au col Garnier : il ne faisait pas bon y rester…

Au sommet, un homme se tient debout sous les hallebardes et il est mon secours : non, je ne suis pas seul dans la montagne hostile. Ce bénévole, parmi les 300 présents lors du raid, est un hymne à l’empathie. Quel courage il a de rester stoïque au milieu des éléments, à attendre les derniers concurrents à franchir la passe… Il m’encourage à filer droit vers le dernier ravitaillement, à l’approche de Gros. Dans une descente que je suppose magnifique, je ne vois rien : les lunettes sont recouvertes de boue, de pluie. La forêt me happe à nouveau. Sombre cette fois, où rien ne filtre à travers les trombes d’eau. Je dégringole de 2200 m à 920 m d’altitude. La fin du parcours est une apothéose avec des passages vertigineux dominant la vallée du Guil. Au Mont-Dauphin, mon compteur affichera 61,9 km pour 2525 m de dénivelé positif et 2781 m de négatif. Le Raid n’a pas failli : outre sa difficulté physique et technique, les conditions météo lui ont donné une autre dimension, engagée où l’on doit faire preuve d’humilité. La haute montagne dictera toujours sa loi.

Tous les résultats, plus d’infos et renseignements en vue de participer à l’édition prochaine sur : www.raid-vauban.com

ParPierre Pauquay