Le Raid des 5 Lacs : comme une envie d’aventure

Par Pierre Pauquay -

  • Nature

Le Raid des 5 Lacs : comme une envie d’aventure

Comme toute l’Europe, la Belgique a connu un début d’été caniculaire. Sur les chemins et sentiers des Fagnes, les bikers ont soulevé la poussière, mais le Raid des 5 Lacs avait lui ce parfum de fraicheur qui caractérise toute nouvelle épreuve. Vojo y était pour découvrir ce raid sans prise de tête qui se déroule en itinérance et en duo dans l’Est du pays.

Fraicheur dans cette première édition où l’enthousiasme des organisateurs a balayé d’une main les petites imperfections inhérentes à un nouveau raid de grande envergure. Et fraicheur de ce parcours qui rejoignait les cinq lacs de l’Est de la Belgique.

Le raid va sillonner la région des Cantons de l’Est, une des plus belles de Belgique.

Ces lacs s’intègrent au paysage de l’Ardenne, fait de forêt et de rivières. Relier ces cinq joyaux en VTT ne pouvait que conquérir les amateurs des grands espaces. Patrice Collette, l’organisateur, ne voulait pas d’une course. « Je souhaitais que chacun puisse apprécier la région des lacs, de rouler par équipe de deux. » Et la trace sera belle, avec 120 km à parcourir par équipe de deux bikers. Au bout de la journée, un campement installé le long des rives du lac de Robertville allait rassembler les 300 concurrents pour une soirée conviviale, entre pasta party et concert au bord de l’eau. Une originalité qui allait souder des amitiés durant ces deux jours de voyage à travers la région germanophone de la Belgique, les Cantons de l’Est.

Un raid à deux vers des paysages somptueux : quelle belle manière d’entrer en vacance !

Le départ groupé pouvait prêter à confusion. Rien à faire, on se la joue un peu sur un mode « compèt ». Sur l’assise de l’ancienne voie de chemin de fer reliant Spa à Stavelot, le rythme est élevé. A Sart-Station, la partie devient plus joueuse : les quelques singles dévalent vers la rivière la Hoëgne. Un premier passage à gué s’impose, ce qui n’est pas pour nous déplaire, au vu de la température frôlant ce samedi les 35 degrés…

A chacun d’aborder à sa façon le gué de la Hoëgne…

Le sentier est par endroit escarpé, à flanc de colline ; on se croirait dans un site alpestre. En roulant, nous pouvons admirer en contrebas la belle rivière. Un autre passage à gué et c’est l’ascension vers Solwaster. Pour y accéder, nous grimpons sur le promontoire où est juché ce village de pierres brunes. Un virage à droite et nous plongeons une nouvelle fois le long des rives de la Hoëgne : on ne se lasse pas de la suivre, de rouler sur cette trace, parfois en équilibre sur une crête, parfois en dévers sur le flanc de la colline.

Le lac des lainiers

Le premier lac, celui de la Gileppe, se distingue à travers la futaie. A la fin du XIXe siècle, la demande d’eau pure des lainiers de la ville de Verviers ne cessait de croître : par jour, les manufactures engloutissaient plus de 40 milliers de m3 d’eau ! Des travaux gigantesques sont dès lors entrepris de 1867 à 1875.

 

Ravitaillement près du lac : les raiders pouvaient compter dessus tous les 20, 25 km..

Le barrage, construit en moellons de grès et de mortier de chaux, est sans doute l’un des deniers grands ouvrages de pierre avant l’apparition du béton… Au ravitaillement, nous nous désaltérons : en une petite vingtaine de kilomètres, la poche d’eau est déjà vide. Nous nous remplissons comme des chameaux pour aller au bout des 100 km restants.

Au cœur de l’Hertogenwald

Single et chemins à perte de vue : une assurance de changement de rythme. Le raid n’avait rien de monotone…

Quittant les rives du lac, nous entrons dans l’Hertogenwald, la plus grande forêt domaniale de Belgique et lieu des grandes chasses d’un certain Charlemagne… De nos jours, elle constitue l’un des derniers refuges de la grande faune. Cette forêt est un havre de paix que l’on parcourt toujours avec plaisir à VTT. Et il est vrai que c’est le silence qui se remarque le plus… Sur les larges chemins, nous filons tout droit vers le deuxième lac, celui d’Eupen.

Troisième réservoir d’eau potable de Belgique, il est alimenté par les ruisseaux de la Vesdre, du Getzbach et de la Helle. Le parcours le long de ses rives apporte un peu de répit. La retenue a formé ici de multiples criques, découpant à la serpe les collines de la forêt de l’Hertogenwald : nous avons l’impression d’être sur les rives d’un de ces lacs du Canada. Et pourtant il n’est en rien naturel… Dans les années d’après-guerre, en France comme en Belgique, le paysage des régions vallonnées se modifia considérablement. Des barrages noyèrent nombre de vallées pour créer des lacs artificiels et apporter une grande réserve d’eau douce et une quantité non négligeable d’énergie électrique.

Plus loin, l’itinéraire longe le Getzbach qui alimente le lac d’Eupen en aval. Le vallon est encaissé et très sauvage. Au fur et à mesure de la montée, la forêt devient chétive, éparse. Après une très belle descente, l’itinéraire rejoint la Helle, là où elle a creusé une vallée profonde et s’est laissée envahir par les herbes hautes et les joncs pour se perdre dans le tapis de sphaigne. Aux abords de ses reflets d’argent, une petite halte s’impose. Nous en profitons pour sortir de notre besace banane, gaufre et biscuits secs que nous avons pris au ravitaillement. Après cette pause bienvenue, nous suivons le cours capricieux de la rivière le long de ce chemin qui ne cesse de serpenter. Il va d’ailleurs présenter un beau panorama sur la vallée.

L’entrée dans les Fagnes

Peu après les Drossart et une interminable longue ligne droite, nous entrons dans un sentier secret qui sillonne la lande. À l’est de la fagne wallonne, entre celle de Cléfaye et la frontière allemande, nous avons l’impression d’être dans un de ces espaces infinis qui hantent les rêves des randonneurs.

 

Des paysages rares en Belgique avec ces horizons infinis de la fagne.

Pourtant, il ne s’agit ni de l’Écosse ni du plateau de l’Aubrac, mais bel et bien d’un des derniers espaces sauvages de la Belgique. Il y a 1.000 ans, la fagne était recouverte d’une forêt primaire, hostile, que les hommes ont commencé à défricher pour se chauffer puis à ouvrir pour établir des pâturages. Le haut plateau sera pâturé ainsi durant des siècles. Et puis ce monde immuable bascula au XIXe siècle. Les petits bergers, loi oblige, quittèrent les pâtures pour se rendre à l’école. Ces terres, devenues incultes, n’avaient guère de valeur pour les communes. Vendues aux plus offrants, elles tombèrent dans les mains des forestiers qui virent là l’opportunité d’exploiter la sylviculture de l’épicéa, un bois en forte demande pour la Révolution industrielle. Près du pont du Grand Bongard, nous nous cachons un peu du soleil et nous nous reposons sous l’un de ces arbres, comme les bergers d’autrefois. Nous rêvons de revoir un jour cette lande aux horizons infinis et débarrassée de ces épicéas.

Des horizons infinis

Après la belle descente depuis les fagnes, c’est la rencontre avec la Helle, charriant son eau brune et son acidité. Au passage à gué, la végétation luxuriante recouvre les rives, comme si son temps était compté. Ici, en fagne, la belle saison est courte et éphémère. Tout comme les moustiques qui farandolent autour de nous.

Le beau chemin sur son chaume rejoint la vallée de la Helle.

La vue est magnifique. La forêt de l’Hertogenwald se morcelle, se substitue aux herbes hautes. Ce paysage ressemble furieusement à celui des steppes, quel dépaysement et quelle joie de le parcourir à VTT ! Dans ce dédale de forêts et de lac, ces 100 kilomètres nous comblent : sourire aux lèvres, nous traversons d’ailleurs le ruisseau du Petit Bonheur… Sur la droite du chemin, la réserve jaune et or de la fagne wallonne semble s’étendre à l’infini. Peu après avoir traversé la Rur, nous progressons sur du velours, sur ce sentier herbeux. A Sourdbrodt, la trace entre dans une forêt tapie de myrtilliers. Elle se perd un peu. Heureusement, nos compagnons de route possèdent un GPS : nous les suivons jusqu’à Bütgenbach. Le village n’aurait sans doute pas connu sa renommée sans son lac, devenu un des pôles touristiques les plus importants des Cantons de l’Est. Le barrage, haut de 23 mètres et long de 140 mètres, retient 11 millions de mètres cubes d’eau. Construit dans les années 1930 pour subvenir aux besoins électriques, le lac est devenu un lieu idyllique pour les randonneurs. Avec le ciel azur se reflétant sur l’étendue miroir de Bütgenbach, la lumière est magnifique.

Des haies d’honneur nous mènent vers la région bucolique de Robertville. Les sentiers sous la canopée d’églantiers et d’aubépines traversent la campagne. Nous avons le sentiment de rouler ailleurs, tant les paysages rencontrés ne correspondent guère à l’image que l’on se fait de l’Ardenne recouverte de forêts : ici, tout n’est que foisonnement de baies et de champs fleuris. En fin de journée, l’itinéraire nous gratifie d’un beau tronçon en longeant, via un sentier escarpé, les rives de la Warche. Il sera le prolongement de celui parcourant cette fois les rives du lac. Au loin, le soleil de cette fin de journée éclaire l’étendue bleue et révèle le paysage que nous allons apprécier tous ensemble au campement.

Plaisir partagé de tous les raiders en se retrouvant au camp, constitué d’une centaine de tentes…

Les vététistes arrivent au compte-gouttes, mais tous heureux d’arriver en si bon port. Les tentes vertes, serrées les unes contre les autres, ressemblent à un petit village de lutins. On s’installe, on raconte sa journée passée.

Vers 18h, les touristes partis, la plage est pour nous : on en profite pour se baigner dans les eaux du lacs. Avant l’extinction des feux à 11h30, la tribu se berce en écoutant le groupe « Hit the Switch ».

Dernier baroud

Lever à l’aube pour tout le monde pour aborder le retour vers Spa, via les fagnes…

Les traces du lendemain seront identiques à celles de la veille. Nous nous rabattons cette fois sur le parcours le plus court de 50 km, coupant une nouvelle fois les fagnes où nous passons à près de 700 m d’altitude !

Une altitude qui pourrait faire sourire les montagnards. Mais ce haut plateau reçoit en premier et de plein front les pluies océaniques. La fagne est arrosée abondamment : on y enregistre deux fois plus de précipitations que dans la vallée de la Meuse. En roulant, malgré la canicule et une sécheresse en devenir, nous nous rendons compte que l’eau est partout : elle glougloute sous nos roues, est emprisonnée dans les sphaignes et coule dans les fossés.

En quelques kilomètres, nous aurons côtoyé un autre monde, au crépuscule de la glaciation. Cette fois nous remontons à contre-courant la Hoëgne : elle sera notre fil d’Ariane pour le retour.

Tout aussi sauvage, le ruisseau donne du fil à retordre au sentier qui tente de le longer. Mousse, racines empêchent parfois les crampons des pneus d’accrocher. Plus haut, nous quittons le sentier, heureux d’avoir suivi une sacrée petite rivière !

Avec ce bivouac aménagé sur les rives du lac, nous avons un peu humé le souffle de l’aventure. Cette petite odyssée de deux jours a séduit : le raid nous a ouvert les images d’une nature sauvage et nous a permis de découvrir des chemins et sentiers parfois secrets des Cantons de l’Est.

Bonne nouvelle : s’il s’agissait d’une première, le 5 Lakes Raid est appelé à se répéter ! Et il semble avoir toutes les cartes en mains pour devenir une référence sur le créneau très intéressant mais largement sous-exploité des raids qui misent plus sur l’aventure et le partage de bons moments que sur un quelconque aspect compétitif.

Plus d’infos : www.5-lakes-raid.be

ParPierre Pauquay