La Cyclerie : l’art de la seconde main

Par Pierre Pauquay -

  • Tech

La Cyclerie : l’art de la seconde main

A Liège, la passion anime trois jeunes gars qui ont cette fibre de l’ancien, de ces machines chromées, de ces cadres en acier, chargés d’histoire. Gilles, Thomas et Yves se rassemblent toutes les semaines dans un vieux hangar pour faire revivre la légende, afin que ces vieilles gloires puissent encore rouler. La roue tourne mais ces vélos restent et resteront pour toujours éternels.

 

Dans le quartier populaire d’Outremeuse à Liège, on retrouve cette ambiance propre à certaines œuvres du romancier Georges Simenon, l’enfant du pays né rue Léopold, le 13 février 1903. Les échoppes et les bistrots donnent encore vie à ce vieux quartier où les maisons se serrent et affrontent le temps qui passe. Là, dans la rue de la Commune où pourrait apparaître le commissaire Maigret, un ancien entrepôt ne paie pas de mine. Sous la jolie devanture, j’entre dans un antre où travaillent Gilles, Thomas et Yves qui se sont associés pour créer la Cyclerie. Je suis accueilli par les trois amis.

Et là, j’écarquille les yeux. Sous la vieille charpente pendent de vieux vélos qui ont affronté les affres du temps, les chemins, les pavés d’antan et les routes du monde. D’autres ont perdu leur apparat et sont cadres nus, prêts à retrouver une nouvelle jeunesse.

La Cyclerie sent bon le vintage…

Je ne suis pas entré dans un magasin quelconque mais dans une fabrique de rêve. Amoureux du vélo et du VTT, je touche les vieux dérailleurs Campagnolo Record ou Shimano XTR de première génération, les pédaliers Stronglight, les moyeux Miche…

De vieux plateaux, poignées de freins ou dérailleurs retrouvent une nouvelle vie. 

D’anciens composants de qualité qui ont de la valeur et qui ne méritent pas de prendre la direction de la poubelle. La simplicité de cette mécanique se réapproprie le chemin ! Tout ce stock de pièces ne demande qu’à être remonté sur un des cadres restaurés. Car la Cyclerie c’est cela, une entreprise durable où la seconde main est sa raison d’être.

Des pièces à l’infini

Le neuf n’a pas la cote à l’atelier. « Acheter un vélo implique des conséquences sociales et environnementales… », nous précise Gilles. Le stock de cadres vélo en seconde main est énorme et demeure le fond de commerce de la Cyclerie : il s’agit de redonner vie à d’anciennes gloires, que ce soient des machines de route, des VTT ou des vélos de voyage.

A partir de cadres désossés, les 3 amis oeuvrent et créent. « Nous les montons au plus proche de l’original ou choisissons des composants fiables et de qualité pour élaborer une nouvelle machine. » Le travail de l’artisan se joue sur du long terme.

Gilles me présente une des ses plus belles restaurations, un Sunn chromé, de la grande époque de la firme de Saint-Gaudens. Il me donne envie d’enfourcher un de ces VTT qui me faisaient autrefois rêver. Sa ligne, simple et racée est étonnement moderne, mais quelle classe il s’en dégage… Seule la position sur le bike pourrait faire frémir un enduriste…

Comment ne pas oublier l’époque des Sunn chromés ? Vojo est tombé sous le charme de cette très belle restauration.

Vélos de voyage

Bianchi, Gios, ou Flandria : ces vélos portent la légende. Ils ont écrit des pages magnifiques sur l’histoire de la course. Outre ces anciennes gloires que restaurent les trois amis, de simples vélos connaissent une nouvelle vie à la Cyclerie. L’atelier permet à tout un chacun de se procurer un vélo bon marché.

Thomas n’est pas peu fier de nous montrer sa dernière randonneuse, reconstituée à partir de pièces de seconde main…

L’imagination n’a pas de limite : Yves a expérimenté, à base d’un cadre quelconque, un magnifique bike pour faire des courses au marché… Alors que Thomas soude sur le cadre des oeillets pour porte-paquets ou garde-boues : le Bikepacking et le voyage à vélo sont, par nature, une des raisons d’être de la Cyclerie. « Pour nous, le vélo est avant tout un moyen de transport, que ce soit pour se déplacer au quotidien ou pour voyager… » Gilles me montre par ailleurs de belles sacoches anglaises Restrap que la Cyclerie distribue.

D’un simple cadre route, naît un Gravel ou une randonneuse, à la fois unique et original.

Ce vélo de bikepacking, imaginé et conçu par les trois amis est prêt à affronter les pistes du monde. La roue ne cesse pas de tourner pour ces vélos remis à neuf…

So vintage

La Cyclerie sent bon l’odeur du vieux caoutchouc et de l’huile. Des effluves qui ravivent de suite de ma mémoire l’ambiance de ces magasins de ma jeunesse où ateliers et boutiques ne faisaient qu’un. Quel contraste avec les grandes enseignes d’aujourd’hui et ses (trop) propres ateliers aseptisés et la présentation de vélos comme s’il s’agissait de produits de luxe.

L’envie d’avoir un beau vélo provient de l’enfance : qui n’a jamais rêvé d’un Gary Fisher, d’un Klein, d’un De Rosa ou d’un Gios ?

Gios, Pinarello : des noms de légende qui tapissent les murs de l’atelier.

Un beau cadre acier passe les décennies sans plier, quel avenir peut-on donner aux cadres en carbone de grande production. Garderont-ils la même valeur quelques années plus tard ? Si le neuf est attirant, le vieux reste beau, pourvu que l’on ait l’ivresse de rouler… Certains cultivent cet art du beau en acquérant à la Cyclerie son vélo de rêve, si possible équipé en Campagnolo, la haute couture du vélo comme Leica l’est à la photographie. Ou d’un Shimano XTR, de première génération.

Le dernier cadreur…

Tandis que Gilles et Yves sont à l’atelier de mécanique, Thomas soude et brase des cadres : il est l’héritier des vélos Armand Deroy, une des marques qui foisonnaient alors dans le pays de Liège, une région autrefois marquée par une importante production et un savoir-faire, comme celui exercé jadis dans la ville de Saint-Etienne. Qui se souvient des marques FN ou Gillet ?

Depuis la disparition des marques Diamond et Viper (qui n’avaient d’ailleurs plus grand chose d’artisanal), Thomas représente, à notre connaissance, le seul artisan qui perpétue la tradition liégeoise du deux roues. Et en terme de roues, Gilles en monte artisanalement, à base de moyeux Hope, par exemple, indestructible ! selon lui…

La Cyclerie entretient la mémoire du vélo. Les VTT de trail, d’enduro ou de X-country proviennent tous de ces vieux bikes. Ils sont les héritiers bodybuildés de ces petites reines. Et rouler dessus prolonge le rêve, même si l’on n’est pas toujours bien posé dessus…

J’ai joué le jeu et ai apporté un vélo Merckx à l’atelier. Ce vieux briscard des années 1980 en est ressorti ragaillardi, doté de son cadre en Columbus Brain, de son pédalier triple Stronglight, de ses moyeux Dura-Ace, de sa nouvelle guidoline anglaise, de ses jantes Mavic en Dural. Et le coût de cette restauration n’a rien de prohibitif. Je paye le travail de l’artisan et les coûts des pièces de seconde main mais pas le capital… Dehors, j’ai fusé avec et j’étais plus heureux de parcourir avec lui des kilomètres sur les monts d’Ardenne que sur n’importe quel autre vélo en carbone. Le craquement de la selle Brooks, le frottement de la chaîne sur le dérailleur avant non indexé ou le ding ding de la sonnette ont ravivé les sons disparus. Charme, vous avez dit charme ? La Cyclerie est une belle remontée dans le temps.

ParPierre Pauquay