Par Paul Humbert -

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Dans le petit mais très riche milieu du VTT francophone, il n’est pas bien difficile de rencontrer des personnes talentueuses, intéressantes et passionnées. Mais certaines sortent du lot. Aujourd’hui, nous avons tourné notre objectif vers une personne dont vous avez déjà lu le nom d’innombrables fois et dont vous connaissez les images : Jérémie Reuiller. Il fait partie de ceux qui mettent, avec talent, le VTT en avant et en images. Photographe de formation, il a fait ses classes dans la presse VTT avant de voler de ses propres ailes. Il s’est ensuite tourné vers la vidéo et sa progression s’est faite en parallèle de celle de l’enduro et de Jérôme Clementz, qu’il suit depuis plusieurs saisons. Curieux et passionné, il nous parle de son métier, de son matériel et de ce qui donne un « plus » à ses images. Rencontre.

Nous connaissons tes images, mais comment as-tu débuté dans ce métier ?

J’ai suivi une formation de 4 ans dans une école de photos à Saint-Dié-des-Vosges où j’ai décroché un Bac Pro. Je ne sais pas trop pourquoi je me suis lancé là dedans, je n’avais pas eu de révélation ou de déclic. J’avais envie de faire des choses concrètes. L’aspect extérieur, l’image et le sport me permettaient de concilier une activité professionnelle avec un loisir. J’ai grandi à Orbey, près de Colmar, et j’ai fait du vélo toute mon enfance. En minime puis en cadet, j’ai participé aux TRJV et je faisais des courses en Alsace. J’avais un poster de Nicolas Vouilloz, j’étais fan et j’adorais ce milieu.

Dans l’ombre des plus grands sportifs, on trouve souvent un photographe. Ici, Jérémie met Julien Absalon et son intervieweur dans la boîte.

Pendant ma formation, alors que tous les autres élèves choisissaient des sujets variés, moi je proposais uniquement des sujets en rapport avec le vélo. C’était la mode des flashs déportés dans les photos de sport, je prenais exemple sur celles de Dom Daher. Je ne faisais que ça, j’avais des mètres et des mètres de câbles pour shooter mes modèles de l’époque qu’étaient mes frangins, Richard Delaunay ou Christopher Hatton.

La première couverture de magazine signée Jérémie Reuiller

J’ai continué ma formation à Paris pour faire un BTS photo. Je voulais voir autre chose que des montagnes. J’étais également prêt à faire autre chose comme du studio ou du travail dans des boîtes de prod. J’ai fait des images studio pour les catalogues Fly et j’ai compris que ça ne me faisait pas envie. Je devais réaliser mon BTS en alternance et j’ai contacté la rédaction de Vélotoutterrain-Ride it. Pour des raisons administratives, cela n’a pas pu se faire et j’ai continué mon travail en studio. Au bout de trois mois, Ride it m’a appelé pour me proposer un travail à plein temps. J’ai réfléchi une semaine et j’ai finalement arrêté ma formation pour travailler comme photographe, reporter et journaliste. À l’époque, j’étais très en phase avec la mouvance « freeride ». Je m’inspirais des photos publiées dans le magazine Dirt ou même chez BigBike.

« Cette photo de Jérôme Clementz en Nouvelle-Zélande a marqué un tournant pour moi. C’est ma photo la plus publiée. »

Ce n’est plus le métier que tu exerces aujourd’hui…

J’ai appris les bases de la photo à l’école mais j’ai appris à travailler chez eux. J’ai rencontré beaucoup de monde sur les salons, pendant des voyages et des reportages. Ils m’ont mis en place dans le milieu du vélo. J’y ai passé quatre ans. Les modes évoluent mais j’ai continué à utiliser mes flashs sur les shootings et les photos de vélos statiques. Je les oubliais pendant les événements et les reportages. Au bout de ces quatre années, je n’avais plus envie de vivre à Paris et une autre chose m’embêtait vraiment, je ne parlais pas un mot d’anglais. J’avais également le sentiment de ne plus appendre quotidiennement, j’avais l’impression d’aller bosser et je n’avais pas envie de rentrer dans une routine à 25 ans. J’aurais continué d’apprendre mais je voulais voir autre chose. Je suis parti une année en Australie.

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Ça a marqué un tournant pour toi ?

Je suis parti cette année là en voyage avec Jérôme Clementz en Islande et nous avons fait des photos. Le reportage a super bien marché, il a été diffusé dans une dizaine de magazines différents. Plus tard, Jérôme m’a rejoint en Australie, nous avons voyagé ensemble pendant plusieurs semaines et nous sommes arrivés en Nouvelle-Zélande. Là encore, notre reportage a super bien marché en France, en Allemagne, aux Etats-Unis, au Portugal et dans bien d’autres pays. Il se passait vraiment quelque chose.

jeremie-reuillier-interview-2016-vojo-paul-humbert-20Jérôme commençait à avoir une grosse notoriété et il me permettait de diffuser mes images. Au moment de la création des EWS, j’ai shooté pour lui toute la saison. C’est à ce moment que j’ai commencé la vidéo.

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Un tout autre métier ?

Jérôme souhaitait une couverture vidéo de ses courses et je me suis acheté un Canon 5D mk3. Ma toute première vidéo « officielle » a été l’épisode 1 de la série « 12 month 12 stories » que nous avons réalisé cette année là. Elle a super bien marché et ça nous a motivés. Nous avons passé une année 2013 intense que Jérôme a conclu avec son titre de champion du Monde d’enduro. La série a mieux marché qu’on l’imaginait. À cette époque, réaliser entre 50 et 100 000 vues, c’était vraiment pas mal. Il y avait également moins de vidéos.

jeremie-reuillier-interview-2016-vojo-paul-humbert-16L’apprentissage de la vidéo s’est fait relativement facilement. J’avais des bases de photo et j’ai regardé beaucoup de tutoriels. Le plus dur, ça a été le montage. J’ai mis 2 ou 3 mois à maîtriser Premiere Pro.

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Pourquoi n’y a-t-il pas eu de saison 2 ?

Nous pensions avoir un petit peu fait le tour. Plus de monde était présent sur le créneau et sur les courses, filmer et prendre des photos n’était vraiment pas évident. Sur un même passage de Jérôme, j’avais un appareil photo, un autre boîtier pour la vidéo et une caméra GoPro accrochée quelque part. En 2014, Jérôme s’est blessé et j’ai commencé à travailler pour d’autres marques et avec d’autres pilotes.

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À quoi ressemble un week-end de course pour toi ?

Pour une course d’enduro (EWS), il faut compter une après-midi de repérage, deux jours d’entraînement et deux jours de course. Pendant 5 jours, il faut se lever tôt et travailler tard. Habituellement, je me réveille vers 6 heures et je me couche vers minuit. Le soir après la course, je me couche habituellement entre 4 et 6 heures du matin. Il est important d’envoyer rapidement les images à tous les pilotes, marques et partenaires.

Jérémie au Chili. Photo : Sven Martin

Sur les courses, on se déplace à vélo sur les spéciales. Il faut être bien organisé avec parfois très peu d’informations. C’est assez stressant, il ne faut surtout pas se louper. Sur 6 spéciales, il faut faire des choix et on ne peut habituellement qu’en shooter 4. C’est tout de même excitant et c’est ce que j’aime. Aucune course n’est identique et c’est ce qui fait le charme de ce sport. Nous sommes un petit cercle de photographes qui couvre toute la série EWS et l’ambiance est bonne. Il faut être prêt à beaucoup se déplacer et à dépenser énormément d’argent pour 3 jours de boulot. Sur une course, je suis à fond dans ma bulle et je crois qu’il ne faut pas trop me parler ! Aujourd’hui, je ne fais plus que de la photo sur les EWS.

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Quel matériel utilises-tu ?

J’ai toujours deux boîtiers photos. À la fois pour la sécurité et pour l’efficacité. Quand il fait froid, qu’il neige ou qu’il pleuve, il ne faut pas hésiter à sortir son boitier à 4 ou 5000 euros. Avec deux boitiers, j’arrive aussi à prendre plusieurs images sur un même passage. Si le champ est dégagé avant un virage, je réalise une première série au téléobjectif avant de basculer sur mon autre boitier équipé d’un grand angle pour le virage qui arrive. J’utilise parfois des télécommandes. il est primordial de proposer des photos différentes.

jeremie-reuillier-interview-2016-vojo-paul-humbert-23Mon boitier principal est un Canon 1DX et j’ai un 5D Mark3 en second boitier. Côté objectifs, j’ai un fisheye de 15mm, un grand angle 17-40mm, un 24-105 et un 70-200mm. Le tout en série L Canon. J’utilise parfois le 50mm pour les portraits ou le lifestyle.

jeremie-reuillier-interview-2016-vojo-paul-humbert-6En vidéo, je ne travaille pas que dans le milieu du vélo. Je travaille pour d’autres types de prestataires et je réalise leur communication et leurs publicités. Ça me permet de faire d’autres choses pendant la saison « morte ». Aujourd’hui j’ai une activité divisée pour moitié entre la photo et la vidéo.

jeremie-reuillier-interview-2016-vojo-paul-humbert-11Quand j’ai commencé à filmer, je n’avais qu’un boitier photo, un micro Rode, une carte 32g et un slider de 70cm. Entre-temps, j’ai pas mal investi et j’ai aujourd’hui près de 30.000 euros de matériel. Je filme avec une Sony FS700 et j’ai de nombreux rails. J’ai un Dji Ronin qui m’est aujourd’hui indispensable. C’est un stabilisateur gyroscopique. Trois petits moteurs compensent mes mouvements, je peux marcher, courir et obtenir une image proche de la perfection. Il pèse tout de même plus de 10 kilos. J’ai également un drone et ma licence de pilote depuis peu pour faire cela dans les règles.

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Quand on travaille, il faut également un très bon ordinateur avec un grand écran. Les demandes de vidéos en 4K augmentent et la 5K arrive.

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La technologie évolue très vite…

Au début, j’ai acheté un pied vidéo le plus léger possible mais au final ça tremblait. Maintenant, je préfère du lourd pour plus de qualité. J’essaye de produire des images aussi soignées que possible et tant pis si je dois porter très lourd au milieu des bois. Les marques sont de plus en plus sensibles à la qualité des images et à la propreté du résultat. C’est parfois moins le cas pour les pilotes qui vont chercher une image qui va vite.

jeremie-reuillier-interview-2016-vojo-paul-humbert-15Avant, un stabilisateur Ronin coutait plus de 5000 euros et était réservé aux grosses productions. Aujourd’hui c’est bien plus accessible. La mode en vidéo tient beaucoup au matériel qui est utilisé. On l’a très bien vu avec l’arrivée massive des drones (qui n’est pas sans poser des problèmes). Il faut saisir les nouveautés et ne jamais se laisser dépasser.

Comment anticipes-tu l’avenir ?

Les EWS me permettent de travailler toute l’année avec des marques de l’industrie du vélo. Je shoote leurs pilotes en photo sur les EWS et je réalise d’autres prestations le reste de l’année. Je travaille beaucoup avec Lapierre ou BMC. Mon but est de sortir des choses que tout le monde ne peut pas faire. Je souhaite monter dans le niveau de mes prestations.

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J’ai créé ma société Ill Prod avec une idée derrière la tête : développer un ensemble de savoir-faire. Je souhaite travailler avec d’autres personnes qui apporteront d’autres compétences comme le motion design, le drone, la photo ou la vidéo. Ill Prod permet de proposer une prestation complète de qualité. J’aime toucher un peu à tout mais la vidéo c’est plein de métiers mis bout à bout. Ces prestations s’adresseront dans un premier temps aux projets hors vélo car ces vidéos se « périment » moins vite. Dans notre sport, il y a plein de bons créateurs et faire une vidéo fun, qui va vite avec un bon feeling, cela demande un peu moins de savoir-faire et cela marche très bien. 

Une image forte des EWS 2015 aux USA (décès de will Olson) quand tous les riders rentrent…

Le travail derrière les photos et vidéos n’est pas reconnu à sa juste valeur dans notre sport ?

Les gens font très bien la différence entre une bonne et une mauvaise photo/vidéo. Ce qui marche sur internet, ce sont des vidéos bien réalisées qui portent un message ou un sentiment de fun. Parfois, de très belles vidéos ne vont pas marcher car elles sont uniquement « belles ». Ce qui marche vraiment, c’est du buzz, des vidéos de 15 secondes ou des caméras embarquées avec un crash et un rider qui se relève en criant. Cela va accumuler plus de vues qu’une vidéo qui aura nécessité deux jours de tournage avec des plans de drone. Il faut pourtant différencier les choses et choisir son style. Je préfère me concentrer sur des vidéos qui seront peut-être moins vues mais qui seront bien plus qualitatives et plus structurées. On n’est jamais frustré car il y a toujours d’autres choses à faire et des nouveaux segments à explorer.

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Qui sont tes photographes préférés ?

J’adore le regard de Gary Perkin. Depuis toujours, j’aime vraiment ses images qui traduisent une véritable réflexion. Il y a un angle et toujours un petit quelque chose derrière. Il y a plein de bons photographes de VTT mais lui, en plus d’être bon, il a un regard. Dans le VTT, j’aime également le travail de Sterling Lorence.

Jeremie_Reuiller_Copyright_OBeart_Vojomag-10Dans un autre univers, j’adore le travail du photographe animalier Vincent Munier. Il a tout compris, il arrive à isoler son idée dans ses photos. Il arrive à montrer ce qu’il souhaite. Il se débarrasse des parasites en poussant parfois le concept à l’extrême. Quand j’étais à l’école, je l’ai contacté pour faire un stage, il m’a répondu 6 mois plus tard quand il rentrait d’Antarctique en m’expliquant qu’il n’était pas vraiment en mesure de prendre un stagiaire.

Et tes vidéastes préférés ?

C’est plus récent pour moi, je traine énormément sur Vimeo. Je regarde beaucoup de vidéos de vélos mais j’ai tendance à cibler. Je regarde beaucoup de productions de marques, des vidéos corporates, des courts métrages ou des vidéos d’entreprise. Je regarde aussi ce qui se fait dans l’univers du vin, l’histoire des cépages…

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Dans le milieu du vélo, j’aime le travail d’Anthill Film, de Joey Schusler ou de Sebastien Montaz. Ce dernier attrape les sujets sur le vif, on a l’impression d’y être. Il travaille l’émotion, c’est très important. Dans une vidéo, il n’y a pas que l’image, il y a aussi le traitement de l’image, le son. Le travail est très long quand on fait les choses bien.

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Le voyage fait partie de ton travail, quelles sont les destinations qui t’ont marqué ?

J’ai adoré l’Islande, ce voyage a été le début de quelque chose, j’en garde un très très bon souvenir. L’année dernière, nous sommes partis en Indonésie avec Jérôme et notre film et nos photos ont très bien marché. Le magazine Singletrack m’a même remis le prix de la plus belle image publiée dans le magazine.

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Et avec tout ça, trouves-tu le temps de faire du vélo ?

Oui, j’en fais un peu moins depuis quelques années mais je viens de m’acheter un nouveau vélo et ça m’a re-motivé. Une sortie type pour moi c’est monter jusqu’à une ferme auberge pour le repas et descendre avec un ou deux arrêts dans d’autres fermes-auberges pour boire un coup (rire).

jeremie-reuillier-interview-2016-vojo-paul-humbert-12Le fait de pratiquer le sport influence évidemment mon travail. Quelqu’un qui ne pratique pas aura un autre regard, son travail ne sera pas moins bon mais il n’aura pas le regard qui parlera aux pratiquants. Pour faire de bonnes images, il faut être passionné.

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Quel conseils donnerais-tu à quelqu’un qui aimerait se lancer sur tes traces ? 

Il faut passer pas mal de temps dans les fermes-auberges (rire). Quand on commence en vidéo, il ne faut pas se baser uniquement sur son matériel et les dernières technologies. Le plus important, c’est d’avoir des idées. Un super joujou ne fait pas tout. Il faut regarder beaucoup d’images et s’inspirer d’autres univers, d’autres sports et particulièrement les sports de glisse qui ont souvent un temps d’avance. Evidemment, il faut beaucoup pratiquer. De gros jumps ne font pas une bonne vidéo, il faut essayer de construire quelque chose et même si c’est moins impressionnant il faut vivre la vidéo et plonger dans son écran.

Vous pourrez retrouver les images de Jérémie Reuiller sur Vojomag.com tout au long de la saison des EWS et en savoir plus sur son travail en visitant son site : www.reuiller.com

ParPaul Humbert