Interview | Zoe Cuthbert : 22 ans, un van et des coupes du monde

Par Léo Kervran -

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Interview | Zoe Cuthbert : 22 ans, un van et des coupes du monde

Les coupes du monde de XC, c’est cher et c’est loin, encore plus quand on n’a pas d’équipe et qu’on vient de l’autre côté de la planète. Mais pour Zoe Cuthbert, ce n’est pas une raison pour se résigner. A seulement 22 ans, l’Australienne est la seule pilote du plateau à vivre dans un van pour passer la saison en Europe et courir au plus haut niveau. Nous l’avons rencontrée aux Gets pour parler de son parcours, qui inclut également des coupes du monde d’enduro, du 4X et un passage par les Crankworx (liste non exhaustive). Coup d’œil dans son monde, celui des privateers en XC :

Bonjour Zoe, pour commencer tu peux nous raconter qui tu es et comment tu as fait tes premiers tours de roues à vélo ?

Je suis une pilote australienne et je viens de Canberra, la capitale inconnue (rires). Quand j’avais six ans, ma mère m’a emmenée à une course pour enfants, elle faisait la « course des adultes » et il y en avait une pour les enfants en même temps. J’ai perdu ma chaîne et je suis arrivée bonne dernière mais je lui ai tout de suite demandé de m’inscrire à la suivante pour que je puisse courir à nouveau et je suis plus ou moins tombée amoureuse de tout ça à ce moment.

J’ai toujours été très tournée vers la compétition, j’ai commencé à suivre mes propres programmes d’entraînement à 10 ans et j’ai toujours voulu viser plus haut, aller sur des courses plus importantes. Pendant longtemps mon grand objectif c’était les championnats nationaux, je faisais toutes les coupes nationales. Après je suis allée à l’étranger, ensuite aux championnats du monde et maintenant sur le circuit de coupe du monde. J’ai toujours été à la recherche de l’étape suivante et j’adore ça.

Puisque tu parles de compétition, tu cours principalement en XC mais tu as aussi participé à plusieurs coupes du monde d’enduro cette saison, tu as couru en 4X l’année dernière à Val di Sole… Tu passes facilement d’une discipline à l’autre ?

Oui, j’aime juste vraiment faire du vélo. J’ai fait de la piste et de la route, j’ai fait du bike-polo pendant un moment, je suis aussi la championne nationale australienne de pump track par un tas de circonstances très aléatoires (rires), j’ai fait de la descente pour les championnats nationaux cette année… J’aime vraiment faire du vélo et la compétition, et j’ai beaucoup d’amis qui font beaucoup de disciplines différentes donc ils me font découvrir d’autres choses. L’année dernière je suis venue [en Europe] avec mon vélo de XC et je ne pouvais pas passer six mois sans faire d’enduro, alors j’ai aussi pris mon enduro et j’ai participé aux deux dernières EWS. J’ai adoré alors j’ai décidé de les faire cette année, celles que je pouvais caser dans le calendrier XC. Au final, ça a fini par être toutes les EWS sauf deux je crois…

Et ça a l’air de marcher ! La dernière fois que tu as fait une coupe du monde d’enduro et une coupe du monde de XC la semaine d’après, ça s’est très bien passé, ton premier top 5 de l’année (à Lenzerheide, après l’EDR de Finale Ligure).

J’espère que c’est ça le secret (rires) ! J’en ai fait une la semaine dernière, alors j’espère que ce sera pareil pour ce week-end… J’aime beaucoup Les Gets en plus, je sais que ce n’est pas le parcours qui plaît le plus mais je ne sais pas, je m’y sens bien.

D’ailleurs, qu’est-ce que tu as pensé de Loudenvielle ?

J’adore, c’est l’un de mes endroits préférés pour rider, probablement dans le monde entier. J’aime vraiment ce style de terrain raide et meuble, et puis c’est super beau dans les montagnes.

A quoi ressemblent les trails chez toi ?

Un peu de tout… En Australie on n’a pas vraiment de bikeparks, on n’a qu’un seul télésiège, donc beaucoup de XC, mais j’essaye de trouver des pistes « illégales » qui sont un peu plus brutes et naturelles, un peu plus comme l’Europe, au lieu d’être construites par l’homme. Le terrain est très varié, en Tasmanie c’est assez humide, près de chez moi, c’est super sec et poussiéreux, donc on trouve un peu de tout.

Ces dernières années, tout le monde dit que le XC devient de plus en plus technique et on voit des pilotes qui réussissent à être performants en XC et en enduro comme Hattie Harden. Même de manière générale, il y a plus souvent des passerelles entre les disciplines. Est-ce tu penses que c’est quelque chose que les gens devraient faire plus souvent ?

Oui, je pense vraiment. Enfin, d’autres auront une opinion différente, mais à mon avis, c’est une très bonne chose de mélanger un peu tout. Beaucoup de gens s’entraînent sur la route ce qui fonctionne aussi, ou en CX… Je pense que faire une autre discipline permet de t’entraîner tout en restant motivé et en développant des compétences sur lesquelles tu ne te serais peut-être pas concentré autrement, et je pense que l’enduro m’a beaucoup aidée pour ma puissance et ma technique, c’est juste un bon moyen de faire une grosse journée de vélo dans un style différent de celui du XC.

Tu aimerais essayer autre chose ?

Oui, j’aimerais vraiment faire du cyclo-cross et aussi du XC Eliminator, je pense que ce serait assez drôle. C’est un peu triste, c’est probablement en train de mourir un peu comme le 4X. Mais ça reste fun !

Tu disais que tu étais déjà en Europe l’année dernière, c’était la première fois pour toi ? La coupe du monde est plutôt centrée sur l’Europe, donc venant d’Australie, c’est un voyage assez important, tu viens et tu vis la moitié de l’année en Europe.

Oui mais c’est bien parce qu’on a l’été éternel ! On rentre à la maison et c’est l’été, on revient et c’est l’été… Mais ça veut dire que la plupart des gens de l’hémisphère sud passent la moitié de leur vie à voyager tant qu’ils ou elles font de la compétition, ça peut être vraiment cool et amusant mais aussi super mouvementé et c’est difficile d’être constamment en mouvement pendant si longtemps.

L’année dernière, tu vivais déjà dans un van ?

Non, l’année dernière j’étais avec mes parents et nous étions logés dans différents endroits. Quand ils sont partis, j’avais une voiture de location et je dormais chez des gens. Il y a eu quelques semaines où j’ai dormi dans la voiture, mais ça s’est arrangé, j’avais un coéquipier qui est venu pour un moment et on a voyagé ensemble.

Donc cette année c’est le saut dans le grand bain, toute la saison toute seule ?

Oui, c’est ce que j’aime faire mais je parle tout le temps à mes parents, ils restent éveillés et regardent toutes mes courses même si c’est 2 heures du matin [en Australie] et qu’il n’y a que le live timing. Il y a beaucoup d’autres Australiens de mon âge qui voyagent ici donc j’ai beaucoup d’amis, on est de l’autre côté du monde mais j’ai aussi l’impression que les coupes du monde rassemblent tous mes amis et c’est presque comme une petite famille de vététistes, un petit monde dans un grand monde.

 

Pourquoi le choix du van ? Vu de l’extérieur, ce n’est pas le plus facile pour courir en coupe du monde.

J’ai beaucoup d’amis qui l’ont fait pour l’enduro l’année dernière et ça m’a semblé être un bon moyen… C’est beaucoup plus abordable que de louer une voiture et de payer pour l’hébergement, surtout quand on voyage seul, et ça permet d’avoir un chez-soi quand on se déplace tout le temps, on a toujours le van qui donne l’impression d’être chez soi et c’est super sympa. C’était vraiment une courbe d’apprentissage, de vivre dans le van toute seule et d’apprendre à tout faire, réparer l’évier, apprendre à conduire une grosse voiture… Je l’ai même embourbé une fois ! Il s’est passé tellement de choses folles, c’est vraiment un bon développement personnel qui va très vite, oui.

Comment tu fais dans cette situation pour concilier la charge d’entraînement avec toutes les contraintes qui vont avec le fait de vivre seule dans un van ?

Il y a beaucoup d’organisation préalable, si je sais que c’est une grosse journée d’entraînement, je vais m’assurer que j’ai rempli le van d’eau et de carburant avant, que mes vélos fonctionnent parce que je sais que je serai super fatiguée en rentrant. Il y a aussi beaucoup de « gestion », comme essayer constamment de trouver un endroit où garer le van, comment réparer mes vélos, comment acheter de la nourriture, se déplacer en ville… Mais une fois que tu as l’état d’esprit, que tu admets que tu dois passer un peu plus de temps à tout préparer que d’habitude, ça marche.

On voit souvent du contenu autour des pilotes indépendants en DH ou en enduro mais il y en a aussi en XC et on en parle moins. Qu’est-ce que ça fait de courir la coupe du monde de XC en tant que pilote indépendante, sans équipe ?

Oui, c’est vrai que c’est moins courant en XC. C’est difficile dans le sens où tu vois beaucoup d’équipes et tu vois tout le soutien qu’elles ont, même le soutien technique, alors que pour moi, la plupart du temps, je dois demander à des étrangers ou à des gens de me passer mes bidons. C’est un contraste énorme mais en même temps, tout le monde est super accueillant pour les privés, ça t’oblige à te faire des amis et à rencontrer de nouvelles personnes… Tellement de gens sont prêts à aider, c’est juste un petit effort supplémentaire pour y arriver. Et je pense que les privés sont en train de devenir beaucoup plus connus, la championne du monde en ce moment est aussi une pilote privée d’Océanie (la Néo-Zélandaise Samara Maxwell, qui a depuis rejoint le Rockrider Ford Racing Team) et on est tous très excités par tout ce qui nous arrive.

Est-ce que tu penses que ça changerait beaucoup de choses pour toi d’avoir le soutien d’une équipe ? Ou tu as trouvé ton équilibre et tu ne changerais rien ?

Non, j’adore voyager dans un van et ça a été une expérience incroyable, mais en termes de performance, c’est un bon moyen d’aller sur les courses mais ce n’est probablement pas optimal. Je vais vraiment essayer de trouver plus de soutien pour l’année prochaine, je recommanderais absolument de voyager dans un van si c’est la seule option mais je pense qu’il y a une raison pour laquelle peu de gens le font.

Il vaut mieux faire la coupe du monde dans un van que de rester à la maison, en somme.

Oui, exactement ! Tu dois faire en sorte d’y être d’une manière ou d’une autre.

Et en tant que pilote indépendante, comment tu fais pour financer toute la saison, surtout en venant d’Australie quand tout se passe en Europe ?

Alors, j’ai quelques partenaires mais surtout je travaille. Pendant le Covid on ne pouvait pas quitter l’Australie alors j’ai beaucoup travaillé, comme graphiste et trail builder. Donc quand je suis à la maison je suis sur les trails et quand je peux travailler à distance je fais du graphisme. Et en plus j’ai créé une marque de vêtement pour aider à financer tout ça.

J’allais y venir. Comment tu en es venue à lancer Rapt Apparel ?

L’année dernière quelqu’un m’a dit en plaisantant à moitié que je devrais vendre des t-shirts, j’ai pris la chose au mot et j’ai passé toute l’année dernière à planifier. J’aime tout ce qui est design et mode et j’aime créer des choses donc ça m’a semblé être un défi sympa. Je n’avais pas réalisé à quel point ça allait être du travail mais encore une fois, c’est une bonne courbe d’apprentissage et c’est super cool. Et à Val di Sole, j’ai vu que tout le monde était dans une équipe et je me suis dit que je voulais en avoir une, alors on a décidé de monter notre propre équipe, Rapt Factory Racing, avec un groupe d’amis qui vivent aussi dans leurs vans pour faire de l’enduro. C’est assez marrant de dire que je sponsorise mes amis, mais oui, ça a été très drôle et un bon apprentissage.

Pour des Européens qui rentrent à la maison entre chaque course ce que tu fais est inspirant, est-ce que tu l’as aussi à l’esprit ?

Absolument, je pense que le vélo peut être quelque chose d’assez égoïste dans la mesure où tu sais que toute ta carrière est celle d’un athlète et je pense que c’est quelque chose que beaucoup de mes amis qui l’ont fait ont eu du mal, trouver un moyen de rendre la pareille. Pour moi, le vélo est la façon dont je peux rendre la pareille à la communauté et si je peux inspirer les gens et leur montrer qu’ils peuvent le faire, alors c’est une bonne chose. Chaque fois que je rencontre quelqu’un qui me dit que je l’ai aidé d’une manière ou d’une autre ou que je l’ai inspiré, ça rend ma semaine absolument géniale. J’adorerais pouvoir donner plus et essayer d’aider plus de gens à se lancer dans ce sport parce que je trouve que c’est super cool.

Ça arrive souvent que des gens te remercient ?

Oui, un peu, des gens qui m’envoient des messages gentils, des choses comme ça. Je pense que la plupart des gens dans ce sport sont très inspirants donc que c’est un très bon sport pour essayer d’encourager les jeunes riders. Et c’est un sport dominé par les hommes donc je pense que les filles admirent les autres filles qui roulent ou font de la compétition. De plus en plus de filles s’y mettent et s’entraident vraiment, il y a une super communauté de personnes qui sont juste contentes de faire du vélo.

Et dans l’autre sens, est-ce que tu admires quelqu’un ?

Oui, beaucoup, j’ai clairement beaucoup de modèles. Récemment, Caroline Buchanan m’a beaucoup inspirée, elle vient d’Australie, et parler avec elle de la façon dont elle fait tout et de la façon dont elle rend service à la communauté était génial. Mais je pense aussi à beaucoup d’autres pilotes privés, on s’entraide beaucoup. C’est déjà assez difficile d’être un pilote privé et quand tu voyages avec eux et que tu sais tout le travail qu’ils ou elles doivent faire pour faire leur propre course et qu’ils viennent t’aider en te passant tes bidons ou en nettoyant ton vélo, je trouve ça vraiment inspirant et je m’efforce toujours d’être capable de rendre la pareille de la même façon.

Pour suivre les aventures de Zoe : @flyingraccoononabike

ParLéo Kervran