Interview | Loïc Bruni : 2019, un début de saison de rêve

Par Olivier Béart -

  • Sport

Interview | Loïc Bruni : 2019, un début de saison de rêve

A l’occasion d’un déplacement en Espagne pour rencontrer sa compagne Malène Degn (à qui nous consacrerons bientôt un article complet), nous avons eu l’occasion de croiser Loïc Bruni et d’échanger quelques mots avec lui à propos de son très bon début de saison 2019. Ses sensations, son nouveau vélo, la suite de la saison : entre deux courses, le champion du monde se confie.

Vojo : Loïc, si je ne me trompe pas, c’est ton meilleur début de saison depuis très, très longtemps, non ?

Loïc Bruni : « C’est clair ! C’est la première fois que je gagne la manche d’ouverture alors que cela faisait trois saisons que je galèrais au début. »

Pourquoi ? Tu as une explication ?

« La première fois c’est parce que c’était ma première course avec le maillot de champion du monde sur les épaules. En plus c’était à Lourdes, en France, et avec le nouveau team. Grosse pression ! Résultat je m’en prends une bonne en finale. Mais je gagne la 2e manche après donc je me suis vite relancé. La deuxième fois, on a eu la tempête en finale. J’étais vénère car c’était annoncé depuis plusieurs jours et l’horaire n’avait pas été modifié. C’est râlant de ne pas pouvoir défendre ses chances. L’an dernier, je pense que j’étais trop chaud, trop bien, trop confiant. Je savais que j’étais mieux que jamais, mais j’étais trop impatient d’en découdre. Résultat : j’ai fait 6 virages et puis bam je me déboîte le coude. »

Et cette fois-ci ? Qu’est-ce qui a fait la différence à Maribor en 2019 ?

« Je pense que c’est la sagesse, tout simplement. Je ne connaissais pas la piste, donc j’ai abordé le week-end de manière à la fois relax et concentrée. J’ai pris le temps de bien repérer, j’ai été hyper prudent sur le premier run pour ne pas refaire comme en 2018, puis je me suis lâché. Mais de façon très contrôlée tout en me laissant porter. C’était vraiment agréable comme sensation. Même si ça ne veut pas tout dire, j’ai vu aux entraînements chronométrés que j’étais rapide sans forcer.

Comment as-tu ressenti ton run en finale ?

Tout en maîtrise. En qualif il y a eu de la pluie et j’ai galéré, mais pour la finale c’est redevenu bien sec. J’ai pu prendre mes lignes, j’étais bien maître du vélo mais pas survolté. Je pense que c’est ce qu’il fallait sur cette piste. »

Tu dirais que c’est une nouvelle façon de gagner pour toi ?

« Oui et non. Je pense en effet que c’est la première fois que je gagne en me disant que je n’ai pas roulé le plus vite possible mais le plus justement possible. J’étais posé, bien dans mes traces, mais sans avoir vraiment l’impression d’aller hyper vite, alors qu’au final, c’était le cas. C’est une leçon, et je suis super content de gagner en roulant comme je sais le faire et pas nécessairement comme je veux le faire, si tu saisis la nuance. Par contre, j’avais déjà eu un peu ces sensations à Mont-Ste-Anne l’an dernier. À Lenzerheide aussi, où j’ai roulé en gestion, car j’ai vu les autres favoris se sortir de la course sur des erreurs petites ou grosses. Mais je sens en effet que j’évolue dans ma manière d’aborder les courses. Et donc de les gagner aussi, comme ici. »

Et ton nouveau vélo avec ses fameuses roues différenciées (27,5 derrière et 29 devant), en « reverse mullet » comme disent les américains, on peut en parler ? 

« Oui, bien sûr ! C’est clair que je me sens super bien dessus. Ca faisait deux ans que Laurent (Delorme, team manager de l’équipe Specialized Gravity) faisait du lobbying auprès de l’UCI pour retirer cette règle interdisant les roues différenciées. C’était un truc venant de la route, rien à voir avec la DH ou l’enduro. D’autres teams ont embrayé, l’UCI a écouté et c’est une bonne chose. »

Sinon, tu allais rouler en 29 ? 

« Oui. Specialized est clairement pro 29″ et cela a en effet des avantages. Mais cela ne convient pas à tous les styles de pilotages, dont le mien. On avait déjà fait des tests 27/29 car c’est assez facile à faire sur un 27 adapté pour dégrossir les choses. J’avais bien aimé le grip devant, la stabilité, le confort de pilotage, mais avec un arrière qui reste joueur, facile à placer et qui tape pas dans le cul en position d’attaque. En plus, je dois dire que ce changement de règlement et les tests que nous avons faits m’ont rapproché des ingénieurs chez Specialized. Avant, on commençait à être limite en froid. Ils n’étaient pas de mauvaise volonté mais j’avais l’impression qu’ils ne comprenaient pas ce qu’on essayait de leur dire. Là, ils sont venus sur le terrain, ils ont vu le travail qu’on faisait avec l’équipe, les mesures de Jack, mon mécano, et ils ont embrayé avec nous en se souvenant aussi que cela avait déjà été fait en 24/26 sur le BigHit. Le fait que Maes ait gagné en EWS avec cette solution un peu avant le début de la saison DH a achevé de nous convaincre que c’était bien exploitable aussi en course. Au final, ça a l’air de plutôt bien marcher en DH aussi ! 

Là, tu penses avoir trouvé vraiment quelque chose d’idéal pour toi ?

« Oui, clairement. C’est devenu un vélo de rider, plus juste d’ingénieur. La base du vélo que je roule actuellement était déjà là, mais toute la mise au point, on peut vraiment dire que cela a été un super travail d’équipe entre la marque et nous. Tout le monde est descendu sur le terrain, on a limé des pistes, peaufiné les réglages, et je peux dire que pour la première fois j’ai vraiment un vélo qui n’est pas juste adapté mais fait pour moi, vu que le précédent Demo existait déjà quand j’ai rejoint l’équipe. Ce qui ne m’a pas empêché de gagner avec, mais ici c’est encore un échelon plus haut et un tournant dans la relation avec Specialized. »

Et pour le rider lambda, qui veut un vélo de DH pour s’amuser ou pour rouler au niveau régional/national ?

« Je pense que oui, au contraire du tout 29″ qui est pour moi exploitable pour quelques riders seulement, comme Loris ou Amaury. Mais ce n’est pas fun. C’est efficace si on a le pilotage qui va avec mais pour se faire plaisir un minimum, le 27 reste devant et le 27/29 est un super compromis qui sera, je pense, exploitable par beaucoup de monde. C’est facile de tirer des bunny-up’s, de le faire glisser, de tourner, tout en ayant un peu plus de sécurité. Cela dit je pense qu’au niveau des vélos de série, l’avenir est à des châssis adaptables car dans un domaine aussi pointu que la descente, le meilleur châssis sera celui que chaque rider pourra adapter à ses besoins, en 27, 27/29 ou 29, en changeant seulement quelques pièces ou quelques composants sur le cadre. »

Bon, maintenant, place à Fort William, un tracé qui n’est pas parmi ceux qui te conviennent le mieux…

« C’est vrai que ce n’est pas ouf pour moi. Je n’ai jamais vraiment concrétisé, ma meilleure place c’est 5 pour le moment. La piste est bizarre et me demande beaucoup de réflexion. Je ne peux pas me laisser glisser dessus simplement, me laisser emporter par la musique. C’est une piste très physique et je pense que j’étais encore un peu juste de ce côté les années précédentes. Cet hiver j’ai abordé les choses autrement. J’habite désormais avec Malène (Degn, un des grands espoirs féminin en XC, NDLR) dans un appartement en Espagne et j’ai vécu un peu comme elle, en faisant le métier. Ici, je me prépare en faisant plus du long, de la route, en vue de Fort William. Je sens que ça commence à payer et comme je sens aussi que le mode d’emploi du tracé de Fort William commence à rentrer dans ma petite tête, je me dis que ça pourrait bien le faire cette année ! On verra bien… »

Photos : Keno Derleyn et Olivier Béart pour Vojo – Bartek Wolinski pour Red Bull

ParOlivier Béart