Interview : Kathy Sessler, la maman du Syndicate

Par Christophe Bortels -

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Interview : Kathy Sessler, la maman du Syndicate

Elle dirige le plus prestigieux team de descente du monde, mais on sait moins qu’elle a elle-même été pilote professionnelle puis doublure pour les cascades dans une célèbre série télé américaine. VojoMag a rencontré Kathy Sessler, la fantasque team manager du Santa Cruz Syndicate, à Finale Ligure, à la veille de la finale des Enduro World Series. La Californienne nous parle de son incroyable carrière, de son job, et évidemment de ses trois illustres pilotes : Steve Peat, Greg Minnaar et Josh Bryceland.

Salut Kathy ! Tout d’abord, que faisais-tu avant d’être team manager du Santa Cruz Syndicate et qu’est-ce qui t’a mené à cette fonction ?
En fait j’ai commencé la descente en compétition en 1989, puis j’ai participé à mes premiers championnats du monde en 1992, où j’ai décroché l’argent en vétérans (35 ans et +, ndlr). C’était à Bromont, au Canada, sur un vélo tout rigide ! J’ai roulé en tant que pro pendant 7 ans, avec notamment une médaille d’or aux Worlds en 1996, et puis pendant 3 ans j’ai été doublure cascade pour les filles dans une célèbre série TV avec des policiers à vélo qui s’appelait Pacific Blue. C’était super fun ! J’ai ensuite donné un coup de main à Jeff Steber de chez Intense pour gérer un petit team, puis Darren, un de mes anciens co-équipiers, a lancé le team Intense Tyre Systems, qui pour je ne sais quelle raison roulait sur des vélos Santa Cruz. C’est à cette occasion que j’ai pour la première fois rencontré Rob Roskopp, le créateur et propriétaire de Santa Cruz. C’était en 2002, et on a géré ça ensemble pendant 2 ans avant que Darren ne décide de se retirer de la structure. Mais Rob Roskopp adorait le team, alors il m’a demandé d’en reprendre la charge. C’est comme ça qu’est né le Santa Cruz Syndicate, il y a dix ans !

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Est-ce que tu peux nous expliquer en quoi le Syndicate est différent des autres teams ?
Il y a une philosophie particulière, et elle vient de Rob Roskopp. C’est un vrai passionné de descente, du coup il choisit des pilotes qui sont prêts à faire un très long bout de chemin avec nous. Voilà pourquoi Steve Peat vient de terminer sa 9e année avec nous, et Greg Minnaar et Josh Bryceland leur 7e année ! Et leur contrat a encore été prolongé pour plusieurs années… L’honnêteté et la loyauté sont des valeurs essentielles aux yeux de Rob, en réalité il veut construire une famille plutôt qu’un team. Et moi je suis la maman ! Mon job, c’est donc de créer une atmosphère familiale et de limiter au maximum les tracas : je fais la lessive, je cuisine, j’organise les voyages, etc. Le but c’est qu’ils puissent se concentrer sur leur objectif : être super rapides sur un vélo de descente !

Tu es la seule « team manageuse » du circuit, comment se passent les relations avec tes confrères masculins ?
Nous sommes tous amis ! On est quasi tous passés par la compétition avant de devenir team manager, et on se connaissait déjà avant. Nigel Page par exemple, qui s’occupe actuellement du team CRC, était mon pilote chez Intense. Un jour il s’est blessé assez sérieusement, et au lieu de l’envoyer chez lui en Angleterre, on l’a ramené chez moi, où il est resté deux mois pour que je m’occupe de lui ! Les relations sont donc vraiment excellentes, c’est aussi une grande famille, on s’échange des recettes de cuisine, on donne un coup de main quand il faut… Il y a quelques mois, un de mes pilotes avait un souci de santé et notre kiné n’était pas présent, alors je suis allée demander à Dan Brown s’il pouvait me « prêter » le kiné du team Atherton, et il a accepté.

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Est-ce qu’il y a de la place pour un nouveau pilote dans le Syndicate ?
Absolument, mais je ne sais pas quand il va se révéler ! Ce ne sera pas n’importe qui, il faut qu’il ait quelque chose de spécial et qu’il plaise à Rob Roskopp. On ne l’a donc pas encore trouvé, mais on cherche… Pour le moment on a trois pilotes d’âges différents, ce serait bien d’avoir un petit nouveau pour que le cycle continue et que la tradition se perpétue.

Justement, comment s’est passé le recrutement des trois pilotes actuels ?
A l’époque du team Intense Tyre Systems, nous étions une petite structure avec un budget limité et des pilotes de niveau moyen. Ensuite ça a évolué et notre premier « top pilote » a été Nathan Rennie qui a fait du super bon boulot pour nous. Et puis en 2006, Rob Roskopp m’a dit : « Je veux Steve Peat ! » C’était déjà une légende… Je n’en revenais pas, je lui ai demandé : « Tu es sérieux ? Tu te rends compte de ce que tu vas devoir payer ?! On a les moyens de faire ça ? » Rob adorait Steve Peat, il le trouvait tellement talentueux, mais aussi humble et gentil.
Concernant Greg Minnaar, l’élément déclencheur c’était pendant les Championnats du Monde à Fort William, en 2007. Greg a chuté, il s’est cassé l’omoplate, il est remonté sur son vélo et il a terminé 4e ! Rob Roskopp a vu ça, et il m’a dit : « Ce type a un sens de la compétition incroyable, je le veux ! »
Quant à Josh Bryceland, il était à l’époque l’un des nombreux jeunes élèves de Steve Peat en Angleterre. Un jour, alors que j’étais de passage à Santa Cruz, Rob Roskopp me montre une vidéo. C’était Josh sur des jumps. « Regarde ce gosse ! », me dit Rob. « Personne ne pilote un bike comme ça ! Il nous le faut dans le team ! » Et voilà… C’était à chaque fois des coups de coeur de Rob !

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Deux victoires en Coupe du Monde et la première place au général, une médaille d’argent aux Championnats du Monde… Tu t’attendais à une si belle saison 2014 de la part de Josh Bryceland ?
On attendait ça depuis très longtemps ! D’ailleurs on ne pensait pas que ça mettrait tant de temps… (rires) Avant Leogang, je savais qu’il allait gagner. Parfois c’est comme ça, je sens les choses… C’était comme une voix qui me disait : « Josh va gagner, Josh va gagner. » La veille, j’étais au téléphone avec Rob Roskopp qui appelait pour prendre des nouvelles du team, et je lui ai dit : « Tiens au fait, demain Josh va gagner. » Il m’a demandé de ne pas dire ça, que ça allait porter malheur. Ce à quoi j’ai répondu : « Non, ça ne lui portera pas malheur, ça va arriver, c’est tout, je te le dis. » Et c’est arrivé ! Josh gagne, Greg est deuxième, c’était fou…
Après sa deuxième victoire, à Windham, je suis allé le voir dans sa chambre en lui disant que c’était dingue. « C’est tellement bizarre ! », m’a-t-il répondu. Parce que c’était une nouvelle victoire, alors qu’on avait fait le même job que d’habitude. Et en plus il prenait la tête du classement général…
Quand j’ai étalé les maillots pour y épingler les numéros à Méribel, pour la finale de la Coupe du Monde, je me suis dit « Waouw ! » J’avais sous les yeux le maillot distinctif du leader du classement général, la manche aux couleurs de l’Union Jack du champion d’Angleterre, et le maillot de champion du Monde de Greg… C’était fantastique !

Comment expliquer ce changement chez Josh, est-ce qu’il y a eu un déclic ?
D’une certaine façon, rien n’a changé. Comme je le disais, il avait fait le job comme d’habitude. Mais ce qui a sans doute joué, c’est que tout ce qu’il a fait avec son entraîneur depuis des années a petit à petit commencé à porter ses fruits. Ce sont les dividendes de l’investissement ! Mais oui, il y a peut-être eu un déclic dans son esprit depuis qu’il a goûté à la victoire. A Mont-Ste-Anne, il a terminé à une très belle 2e place, et j’étais super contente. Et puis j’ai vu la déception sur son visage, et j’ai compris que pour lui la deuxième place n’était plus satisfaisante…

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Est-ce que tu penses que Steve Peat va un jour arrêter le vélo ?
Probablement jamais ! Je lui ai posé la question, et il m’a répondu qu’il ne savait pas… Il fait encore toutes les manches de Coupe du Monde de descente, des enduros. Il est toujours aussi passionné, il adore la compétition !

Si je te demandais de pointer une qualité et un défaut pour chacun de tes trois pilotes, ce serait quoi ?
Commençons par Josh. Ce que j’admire le plus chez lui, c’est qu’il est très terre-à-terre, très authentique. Il s’en fout de ce que les gens pensent de lui, et ça peu de personnes en sont capables. Par contre parfois il ne respecte pas mes règles, alors je lui crie dessus, puis on s’excuse, on s’embrasse et c’est fini !
Pour Steve, je dirais que c’est quelqu’un de très gentil et de très attentionné. Mais il est très occupé, je pense qu’il devrait apprendre à pouvoir dire non et à respirer un peu…
Quant à Greg, ce qui est le plus impressionnant c’est le pouvoir de son esprit, sa capacité à élever son « niveau de jeu » dans certaines situations. Et puis on ne le sait pas toujours, mais c’est vraiment le mec le plus fun du team ! Pourtant Josh et Steve se débrouillent pas mal aussi ! Et le défaut de Greg, euh… Pour être honnête, je suis vraiment incapable de lui en trouver un…

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Là on est à Finale Ligure, en Italie, où se déroule la finale des Enduro World Series. Pourquoi venir sur ce type d’épreuves avec le team ?
Tu as remarqué la Méditerranée juste là ?! (rires) J’adore l’Italie ! Plus sérieusement, c’est super chouette de se lancer dans l’enduro. Mes pilotes sont relax, ils s’amusent, et l’organisation est excellente. Cette année avec la blessure de Greg ça n’a pas été possible, mais on fera plus de manches des Enduro World Series l’an prochain, c’est certain. Ce n’est en tout cas pas incompatible avec la saison de descente. La Nouvelle-Zélande sera sans doute au programme, Steve ira en Irlande, Steve et Greg en Ecosse, tout le monde à Finale Ligure, et peut-être encore l’une ou l’autre au milieu de tout ça.

Tu as toujours un appareil photo à la main, c’est une passion ou c’est uniquement pour le boulot ?
C’est une passion ! J’adore prendre des photos ! Je les utilise pour les comptes rendus de course, parfois j’en envoie aux journalistes s’ils en ont besoin. Les photographes n’apprécient pas toujours ça, mais après tout je suis là pour promouvoir mon team…

Est-ce que tu roules encore à vélo de temps en temps ?
Oui, mais uniquement pour le fun évidemment. Je roule avec un Blur LT de 2008 aux couleurs du Syndicate, mais là il faut que je change, et je ne sais pas encore quel modèle je vais choisir. Maintenant que la saison est terminée, je vais pouvoir y réfléchir… Je n’ai même encore jamais essayé les nouvelles tailles de roues ! Je suis super impatiente de tester ça !

ParChristophe Bortels