Interview | Amaury Pierron : pause goûter

Par Paul Humbert -

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Interview | Amaury Pierron : pause goûter

Amaury Pierron est incontestablement la révélation de la descente française de ces dernières années. Evidemment, les plus fins observateurs auront su déceler les prémices de cette explosion aux yeux du grand public il y a déjà quelques années, mais l’homme est depuis devenu incontournable. Vainqueur du général de la coupe du Monde 2018, deuxième en 2019, plus rien ne peut l’arrêter. Notre collaborateur et photographe Keno Derleyn a marqué une pause pour s’entretenir avec lui, avec l’aimable contribution de Greg Minnaar, Tahnee Seagrave et de son meilleur ennemi, Loïc Bruni. Rien que ça. 

On a profité du printemps 2020 bien chamboulé pour discuter avec Amaury.

 

 

Quel est ton premier souvenir sur deux roues avec une plaque ?

Ahah ! Je m’étais démonté, c’était à Thiers. Déjà ce n’était pas ouvert pour les minimes et je me suis inscrit en cadet. Au premier run, je tombe. Au 2ème run, je tombe, je me fume et je me casse le poignet. Ces débuts étaient catastrophiques. 

Quel souvenir as-tu de ta première victoire ? 

C’était en régional. Je ne me souviens pas des détails, mais je me souviens que j’ai toujours eu l’esprit de compétition. L’envie de battre les autres, mais surtout l’envie de donner le meilleur de moi-même. Cette ambition est restée la même, le niveau a progressé. Evidemment, en gagnant cette première régionale, j’étais loin de m’imaginer pouvoir gagner une world cup. 

Qu’a changé ton transfert vers ton équipe actuelle (Commencal / Muc-off), la société des frères Ruffin ? 

Mon année 2017 a été compliquée. J’étais dans une plus petite structure, je travaillais à côté et j’avais moins de moyens pour régler tous les petits détails. La différence avec une structure professionnelle est considérable. Les mécanos sont salariés, ils bossent toute l’année sur nos vélos et tout le monde est pro autour de toi. En même temps, l’ambiance est restée très familiale. Je suis arrivé au milieu des pros comme un jeune poulain qui devait faire ses preuves. Passer d’une toute petite structure, à une moyenne avec Pich (actuellement Commencal / 100%) puis à une grosse avec les Riding Addiction (la société propriétaire de l’équipe), c’est une différence considérable. On fait énormément de tests, on roule beaucoup à l’inter-saison et toutes mes attentes sont comblées. Ça a été un gros déclic pour moi.

 

 

En 2018, tu signes 3 victoires de suite, est-ce que tu réalises que tu changes de dimension ? 

Non, il n’y a pas eu d’euphorie, a part sur la ligne d’arrivée (rire). Le but était de rester concentré, sur chaque nouvelle course, toujours garder cet objectif de bien faire, et tout s’enchainait bien. Mais c’est vraiment à la fin de saison que je me suis rendu compte de ce qui s’était passé, et là oui l’euphorie a pris le dessus.

Avec du recul, comment évalues-tu l’apport de ton team ? 

Ces victoires, je les dois à 50% au team. J’ai pu me concentrer sur mon sport à 100%, je m’entraîne le matin et l’après-midi, et ma voix est plus écoutée pour la conception et le développement du vélo. Tout le monde veut que ça marche. J’ai pu développer une vrai relation avec Arthur Quet (ingénieur vélo chez Commencal, avec un gros passé dans la suspension) et obtenir ce que je voulais sur le vélo. Il marche à la perfection et ça me met dans un super état d’esprit. Du coup, je chute moins et je suis dans une véritable spirale positive.

 

 

Quelle attention donnes-tu à ton vélo ? 

C’est sûr que si ton vélo ne marche pas, tu peux rouler aussi vite que tu veux, ça ne suffira pas. Le vélo doit te correspondre, avec les bons réglages, associés à la bonne piste. On ne cherche pas notre limite, ni celle du vélo, on joue avec les limites de la piste. Je donne un maximum de ressenti à l’ingénieur qui traduit ça techniquement. Il y a un gros travail qu’on effectue ensemble.

 

 

On se souvient bien de la coupe du Monde aux Gets, tu gagnes ta 5ème coupe du Monde devant le public français, c’était incroyable…

Pour moi, c’était un week-end compliqué. La semaine d’avant, c’était Vallnord et je n’avais pas fait les résultats espérés. Toute l’équipe avait à coeur de bien faire aux Gets. On a tous travaillé dans ce sens-là. Dès la reconnaissance à pied, tu vois tout le public français qui est déjà là et tu te dis « je ne suis pas là pour faire 2ème ». Après, ça se construit, repérage par repérage. On « monte le puzzle » comme disent les anglais. À ce moment-là on se vaut un peu tous et il faut étudier les meilleures trajectoires, tester les meilleurs réglages. Chaque détail a son importance, ça se joue au centième. Le public français a été tellement incroyable… ça nous a tous poussé set on s’est retrouvé sà 3 petits frenchies sur le podium !

Et la finale de la coupe du Monde 2019 à Snowshoe où le général te glisse entre les doigts…

Déjà avant le run final, c’était un week-end sacrement intense. Tu sais bien que tu n’es pas là pour faire une course normale, le but évidemment était de remporter le général face à Loïc Bruni. Là, ça demande une énorme concentration, minimiser les efforts inutiles, maximiser tous les points, c’est vraiment un week-end tendu.

Sur la première partie je fais un run très solide mais après sur la partie relance, je sens que j’ai les jambes molles, je perds du temps. La 3e partie est à nouveau solide, mais à la sortie du pierrier je fais des erreurs et je suis à la  limites de la chute. Je déclipse pour attaquer la dernière relance a plat et là je me dis « c’est fini ». Une course se gagne quand tout est parfait, mais il y a Pompon (Myriam Nicole) qui est là, qui m’attend avec un mégaphone et qui crie « allez, allez, allez » et là je repars à fond, je donne tout jusqu’à la ligne d’arrivée. Malgré mon avance au chrono, je me dis « ça ne va pas le faire », mais finalement, tout le monde bute dessus. Il tient aussi après le run de Loïc, puis vient le run de Danny (Hart) et il explose tout le monde dans le dernier pierrier. Il mérite sa victoire, et Loïc remporte le général.

En tant qu’athlète de haut-niveau, comment te prépares-tu ? 

C’est mon métier, je travaille énormément le physique. Avec le team, on se retrouve presque tous les mois pour faire du volume en descente et beaucoup de test pour valider les choix techniques pour les courses. Après il y a aussi la partie media qui demande du temps, faire plaisir à tous ses sponsors. En ce moment, tout le monde demande son post Instagram, c’est normal vu qu’on n’a pas de course pour les représenter mais c’est sans doute la partie du boulot que je préfère le moins.

Mais c’est vraiment un des plus beaux métiers du monde. Pour avoir pratiqué d’autre sports en compétition, je réalise que la descente est vraiment cool, on est des gentils.

 

 

Justement, difficile de ne plus en parler du tout, comment s’est passé ton confinement ? 

Mine de rien je me suis pas mal entraîné. Heureusement, sinon je serais obèse vu ce que je mange. Mon confinement s’est bien passé, j’étais avec ma copine (Pasquine Vandermouten, athlète en XC), on s’entraine beaucoup ensemble. On vit d’amour, d’entrainements et de gâteaux.

 

 

Comment tu adaptes ton entrainement, alors qu’il n’y pas de date précise pour le retour à la compétition ?

La première période était difficile, la compétition me manque. Mais par la suite, j’ai trouvé mon rythme avec ma copine, on se motive mutuellement. J’ai pris le temps de travailler sur mes points faibles, j’ai fait ce que je n’ai jamais le temps de faire. Sincèrement, je l’ai bien vécu et je suis toujours très motivé pour la suite.

 

 

On t’a vu tourner dans la websérie de Brendan Fairclough, dans un épisode en Afrique du Sud, c’était comment ? 

C’était incroyable ! Brendog, tu le vois dans tellement de vidéos, il est tellement stylé et j’avais la pression au maximum. Qu’est-ce que je pourrais bien faire avec lui, j’ai beaucoup moins de style !? Je me suis donné à fond. C’étaient trois jours de tournage avec une super ambiance, une super équipe, je me suis régalé et le résultat est juste magnifique.

Comment tu te vois dans 10 ans ?

J’espère le même que maintenant, mais devant Loïc Bruni (hahahhahahah).

 

 

Tes deux frères roulent également en coupe du Monde de DH, et tu as une famille soudée dont tu es très proche. Quelle est ta relation avec eux ? 

Déjà à mes débuts, sans mes parents ça n’aurait été pas possible. Ils nous emmenaient à chaque course, rien que pour nous. Mon père faisait la mécanique, ma mère s’occupait de nos estomacs. On a de la chance d’avoir nos parents qui aiment la nature, le sport. Ça nous a vraiment permis de faire la compétition à un haut niveau. Ils viennent toujours nous voir et nous encourager, mais on ne mélange pas compétition et famille. Ils ne sont pas là pour nous conseiller.

Avec mes 2 frères, c’est pareil, on échange un peu plus sur les courses, mais on n’a pas de rituels tous ensemble. On fait vraiment chacun nos vies, autant sur les courses qu’à la maison.

Qui sont les compétiteurs qui t’impressionnent ?

Ken Roczen en moto. Il a failli perdre son bras après une chute et il a gardé une motivation de malade. Il a travaillé très dur, et maintenant il gagne encore des courses, et en plus il a vraiment du style. Je l’admire beaucoup.

Pendant ma carrière, il y a des gens que j’ai toujours admiré et qui m’ont aidé. Je pense à Morgane Charre qui a été championne du monde. Elle a toujours cru en moi et me disait « rien n’est impossible ». Ça aide. Il y a Loris Vergier aussi qui me battait à chaque course en cadet. Il m’a vraiment obligé à me sortir les doigts pour le titiller. D’abord les écarts étaient de 8 secondes, puis 5, puis 2… Loïc Bruni aussi, il a cru en moi. Par exemple, au départ de Val di Sole 2017, il me dit « tu roules trop bien, crois en toi » et je finis 2ème.

C’est vraiment des personnes que j’admirais et qui m’ont dit les bonnes choses au bon moment. Ils m’ont vraiment aidé à croire en moi.

On connaît ta passion pour les gouters. Qu’est-ce que tu préfères : être champion du Monde et ne plus manger de sucre, ou le contraire ?

Je préfère manger du sucre toute ma vie et finir 20 fois deuxième (rires) ! J’espère qu’avec le karma, je gagne au moins une fois…(rire).

Ils parlent d’Amaury : 

Loïc Bruni 

Les points forts : Son plus gros point fort, c’est cette faculté à pouvoir rouler tout le long d’un run de course à l’extrême limite, sur le fil, en faisant peu de fautes. Ce n’est pas toujours les runs les plus propres, mais c’est très très solide, et, surtout, c’est des runs imbattables.

Point faible : Même si on sait qu’il va faire un bon truc, il ne se place jamais en leader. Il dit toujours que ça va pas, que ça avance pas, et puis le jour de la course,  il met la misère à tout le monde ! Il est encore pire que moi encore ! (hahahah)

Une question : Serais-tu prêt à remettre ton titre du général 2018 pour pouvoir rejouer la finale entre nous 2 de Snowshoe 2019 ? Toi tu refais ton run… et moi aussi ?

La réponse d’Amaury : Il part loin là….de toute façon je n’ai rien à perdre, je vais regagner d’autres titres. Donc oui, je refais la course, et je gagne : je vais te niquer Loïc (rire).

Tahnee Seagrave :

Les points forts : Il est capable d’être à 110 pourcents dans ses runs : il donne tout là où ça compte, tout lâcher, « on the line ».

Point faible: Le Nutella (ahahah).

Une question : Tu as toujours cru que t’allais gagner une coupe du Monde ou c’est en gagnant que tu as compris que tu pouvais en gagner plus ? 

La réponse d’Amaury  : Il y a quelques années jamais j’aurais cru ça, mais au fur et à mesure tu te rapproches de cet objectif, tu commences à y croire. Et quand tu en gagnes une, ça te débloque pour la suite.

La question bonus : T’arrives à faire un « no hand » ? 

La réponse d’Amaury :  Oh la garce, elle dit ça parce qu’elle y arrive. Moi j’arrive juste à faire un pauvre « one hand », j’aurais tellement l’impression de perdre totalement le contrôle.

Greg Minnaar: 

Les points forts : Je vois Amaury Pierron comme un pilote super consciencieux, qui travaille dur pour être le meilleur possible. J’admire les pilotes comme lui qui sont sérieux en course, mais une fois la course terminée, ils se détendent et s’amusent, profitant de l’atmosphère qui les entoure. Sur le vélo, il est tout simplement RAPIDE. Il sait maintenir un rythme intense du début à la fin. J’imagine qu’il est capable mentalement de se concentrer à fond sur le vélo, puis est capable de tout relâcher lorsque c’est terminé. J’aime dire qu’il faut pouvoir tout désactiver pour s’activer à nouveau, et il le fait très bien. Et peut-être que, venant des « fermes » de Californie, il a juste cette force brute. (ndlr : Amaury aime dire que chez lui, à Brioude (43), c’est la Californie).

Point faible : il n’a pas trop de points faibles en fait.

Une question : Je veux savoir comment Amaury est capable de se faufiler hors de l’hôtel de son équipe à 2h du matin, de revenir avant 6h du matin, et ce, sans que le reste de l’équipe ne s’en rende compte…

La réponse d’Amaury : Ahahah ! C’est simple, tu fais simplement semblant de dormir, puis tu sors le plus discrètement possible… mais en général on fait ça avec toute l’équipe , c’est pas les derniers pour la fête !

Chris Kilmurray (entraineur de Tahnee Seagrave, Thomas Estaque, Greg Callaghan…) :

Les points forts : Ça se voit tout de suite que c’est un bosseur. Sur une semaine de coupe du Monde, chaque détail est étudié sur la piste, chaque trajectoire, sur le vélo aussi, il bosse beaucoup. Il y a aussi un gros travail en amont physiquement, techniquement et aussi sur le vélo. Tout est très préparé, mais il arrive aussi à se détendre, s’amuser à coté et c’est très important ça aussi.

Points faibles :  il n’y en a pas beaucoup, je suis sa carrière depuis 2014, ou 2015, il a su toujours s’améliorer, mais en tant qu’entraineur pointilleux, je vois des points où il peut encore s’améliorer : des tout petit points, au niveau de la position, mais clairement il a déjà toutes les qualités d’un athlète de très haut niveau. Ce qui serait intéressant, c’est de le voir sur des pistes beaucoup plus lentes et très raide, bien différentes de ce qu’on a sur les Coupes du Monde actuellement. Sur les pistes actuelles, son 29 pouces et son style de pilotage sont taillés pour ça. J’aimerais voir comment il s’adapterait sur cet autre genre de piste. Mais à mes yeux, son seul point faible, c’est les tartines au chocolat et trop trainer avec la « chill zone » (rire).

Une question : Quelle genre de pistes et de terrains tu voudrais voir en coupe du monde les prochaines années ? 

La réponse d’Amaury : Tu prends un champ, avec l’inclinaison parfaite ni trop raide, ni trop plat), tu passes un tracteur avec une herse, une terre style « terreau », arrosage automatique, ultra rapide, avec pleins de sauts. Une piste de motocross quoi, mais entretenue : s’il vous plait, l’UCI, faites quelque chose (rire).

Texte et photos : Keno Derleyn 

ParPaul Humbert