Impression d’Ardenne : échappée dans la vallée de l’Amblève

Par Pierre Pauquay -

  • Nature

Impression d’Ardenne : échappée dans la vallée de l’Amblève

En ce mois de décembre, les hommes se calfeutrent dans leurs chaumières. Dehors, les oiseaux ne chantent plus, les dernières aiguilles des mélèzes virevoltent dans un ciel gris. La nature se met en léthargie mais il n’y a pas de relâche pour le vététiste belge qui se lance, tête baissée au vent, sur les sentiers détrempés. En hiver, l’Ardenne se découvre de la plus belle manière qui soit en VTT.

Décembre : le froid, la pluie et les premières neiges recouvrent le vieux massif ardennais. Bravant le mauvais temps, Vojo a suivi trois jeunes gars sur des traces qui cassent cette image que l’on se fait de la Belgique, ce plat pays qu’a si bien chanté Jacques Brel. Dans sa chanson universelle, le Grand Jacques aurait oublié la partie sud du pays. Celui des rivières bondissantes, des vallées obscures et des villages endormis par l’hiver naissant.

Ce plat pays qui est également le mien pourrait alors offrir aux vététistes de magnifiques échappées vers des paysages sauvages empreints de mystères…

Vallée encaissée, eau pure et forêt clairsemée de hêtres et de chênes, la vallée de l’Amblève ouvre en grand son livre d’images.

Tableau d’Ardenne

Tôt le matin, la sente s’ouvre face à nous. Nous partons sur ces chemins de l’Amblève où chantent les légendes et l’histoire du pays. Gilles, Valentin et Hugo roulent sur le sentier balisé du GR® 571, un grand itinéraire de randonnée.

Et ils s’en écarteront vers des traces moins connues pour rejoindre ici et là celles de l’Enduro de l’Amblève, assurément l’une des épreuves les plus exigeantes du calendrier belge. A ce titre, au mois de mai, Vojo avait édité un superbe portfolio sur la course.

Les pluies incessantes ont inondé le terrain. Les arbres suintent, les sentiers ruissellent et l’humidité nous transperce le corps. Sur la crête, le vent nous glace. Vite, nous suivons le chemin qui nous mène vers le GR.

J’aime cette saison humide qui sied bien à l’Ardenne où la brume, le plafond bas brise les formes et les contours de toutes choses. Dans l’ouate, les trois jeunes enduristes longent un ancien chemin, le seul accès au village voisin de Rahier et de son église : ils roulent sur un sentier séculaire qu’empruntaient les femmes et les hommes quand la route n’existait pas… Si le massif s’est ouvert grâce à l’arrivée du chemin de fer, autrefois l’Ardenne comme d’autres régions difficiles d’accès, vivait isolée.

Si l’on doit citer une montagne, celle du « Mont de Thiers » pourrait bien s’en approcher. Il est vrai que la colline forme un vrai sommet, tout en douceur et arrondi. Et pour y accéder, il va falloir grimper !

Avec difficulté, nous roulons sur le sentier gorgé d’eau. Sur la crête, la petite route à gauche mène à Meuville, un des nombreux hameaux isolés que l’on découvrira sur ce bel itinéraire. Le chemin reste en hauteur et contourne la colline. Face à nous, le paysage qui se dévoile est sublime.

L’Amblève et la Lienne ont formé ici deux vallées profondes que l’on va rejoindre rapidement. Un virage et nous descendons du mont vers le village de Xhierfomont. La descente, suivant une nouvelle fois les traces du GR, pentue et technique, se faufile entre les troncs de conifères.

Dur comme le roc

Le costaud se construit face au vent et sur le roc : un Philippe Gilbert, champion routier du pays, tourne loin des projecteurs sur les routes brillantes de pluie, un Martin Maes remonte et redescend pour recommencer, encore et encore à s’entraîner quelle que soit la température, sur les traces de la vallée. Ici, les descentes sont courtes et se comparent à l’esprit belge, modeste.

Mais gare à celui qui ose s’y frotter. Si les pentes demeurent brèves, elles se montrent rapides et exigeantes. Dans l’ombre de la grande forêt, l’enduriste belge fourbit ses armes. Quand il sort du bois, il ne se plaint pas des conditions météo. Il laisse derrière lui les rumeurs et les bruits de tous ceux qui maudissent le crachin et enflamme le chrono.

Dans la forêt, les éléments, une nouvelle fois, se déchainent : bourrasque et grésille ajoutent de la difficulté à ce parcours exigeant.. Les racines, les feuilles mortes décident de la trajectoire si on ne malmène pas la machine. Gilles, Valentin et Hugo se battent pour garder la bonne adhérence et le bon cap. La vaillante troupe descend vers le vieux moulin.

A l’époque, il moulait la farine des villages aux alentours, formant le ban de Lorcé. Sous la bâtisse coule le pouhon de Bru. Son nom entre dans l’histoire dès le Ier siècle après J.-C. quand Pline l’Ancien décrivit les Fontes acidi. À cette époque, les légions s’y arrêtaient pour s’y désaltérer avant de rejoindre bien plus haut, le camp à « Panssîre », situé sur la lande que l’équipe rejoindra plus tard…

Au sommet du village, l’itinéraire bascule et plonge vers le vallon qui nous entraîne dans l’univers sauvage de l’Ardenne. Le Bois Royal est une ode à la vie sauvage : au détour d’une épingle, les cerfs et biches sont surpris dans leur déplacement en harde. L’image que l’on a ancrée, celle des grandes forêts sombres d’épicéas, se substitue ici à une vision clairsemée. Dans cette hêtraie à luzule, sur le chemin arboré des hauts fûts de hêtres, nous rejoignons l’Amblève qui trace son sillon à travers la vieille montagne ardennaise. Depuis la nuit des temps, la pierre et l’eau s’y sont heurtées, dessinant des vallées encaissées et des grottes profondes.

Après s’être perdue dans le massif sombre de la forêt, l’Amblève se casse ici aux
« Fonds de Quareux ». Ces rocs parsemant le lit de la rivière ont des allures d’immenses galets qu’un géant se serait amusé à jeter dans l’Amblève…

Ruisseau d’argent

 

Sur l’autre rive se déploient les spéciales de l’Enduro de l’Amblève : le Ninglinspo, ce ruisseau enchanteur nous sert de fil d’Ariane pour ces traces de légendes.

Le chemin caillouteux grimpe franchement : au point de vue Drouet, l’endroit est magnifique.

Le chemin devient sentier et s’il est quelque chose que cet itinéraire n’aime pas, c’est la ligne droite ! Il y a même une sorte d’ivresse à se prendre au jeu à suivre les tours et détours du single se faufilant entre les rochers.

En Ardenne, l’émerveillement ne se lit pas devant un paysage de grande montagne mais se construit dans l’imaginaire de cette forêt profonde.

« Tous les pays qui n’ont plus de légendes seront condamnés à mourir de froid ».
Patrice de La Tour du Pin – La Quête de Joie

Sans bruit, les trois amis traversent ce monde féérique des elfes, des gnomes et des lutins, fait de troncs torsadés, de racines enlaçant les rochers. Et ces petits êtres ont été espiègles en jetant devant les roues des rocs et des marches : le VTT devient cette machine de rêve pour rouler dans un songe.

Le merveilleux se poursuit quand nous rejoignons la Chefna, un vrai torrent, avec sa pente de plus de 7%. Le murmure de l’eau bondissant sur les rochers et les galets évoque une part de mystère, accentuée par l’inscription, « mine d’or » ! Des hommes ont rêvé de vies de richesse grâce à ce ruisseau aurifère : nous imaginons les orpailleurs venus chercher de l’or sur les hauteurs du talus que longe le sentier. Nous entendons au loin le chant d’un coucou ; plus près, un couple de buses plane au-dessus de nous : la nature est bienveillante… A la sortie du bois, le Chefna coule toujours furieusement au milieu des herbes hautes.

Des landes humides

Ville-aux-Bois s’est établi dans une large clairière. Dans ces hameaux perdus, les conditions de vie jusque dans les années cinquante étaient particulièrement difficiles où l’on vivait en autarcie, où l’on partageait ensemble les moments de joie, de durs labeurs et de malheurs. Pour gagner un peu de bien-être, les hommes et les ovins vivaient ensemble, dans la maison basse. Les soirées, les habitants retrouvaient la chaleur de vivre autour du fourneau en fonte qui rougeoyait sous la cheminée, en écoutant les récits légendaires des anciens… Ce monde a bel et bien disparu mais l’âme du hameau est encore bien présente.

Au sommet, la Vecquée court sur les crêtes, rien d’étonnant à cela. Au Moyen-Âge, il valait mieux parcourir ce « chemin de l’évêque » sur les landes, plus sûr et moins sujet à des embuscades de brigands. Malheur à celui qui voyageait alors en pleine forêt ou dans les fonds de vallée.

Plus loin, nous traversons une ancienne zone franche, la « Porallée », terre située entre les principautés de Liège et de Stavelot. Les roues s’enfoncent dans la tourbe, cette zone de fagne renaît grâce au projet LIFE qui vise à restaurer ces milieux humides.

Il y a trois ans, les épicéas barraient toujours l’horizon. En ce début d’hiver, le paysage a retrouvé son état originel, tel celui qui se présentait aux voyageurs du XVIIIe siècle. Nous roulons à côté de la réserve naturelle du « Panssîre » où les chevaux s’enfonçaient jusqu’à la panse : nos pneus s’engloutissent dans une drôle de mélasse, composée de boue et de terre tourbeuse. A près de 550 m d’altitude, le climat se montre plus rude qu’ailleurs.

Une croix isolée et nous quittons le haut plateau. La descente débute, elle va nous mener sur les rives de la Lienne. Dans les bois, le parfum des pins sylvestres se mêle à l’humus. À l’orée des bois, le soleil de la fin de journée éclaire enfin la rivière et révèle le paysage merveilleux de cette Ardenne, ce pays qui est le nôtre.

Carnet pratique

  • Ce récit a emprunté en grande partie la trace du GR® 571, entre les villages de Chevron et de Nonceveux en province de Liège et celle de la variante menant vers le GR 15. Il est accessible en VTT : quelques portages seront néanmoins nécessaires.
  • Enduro de l’Amblève : retenez bien la date. La course se déroulera le samedi 9 mai 2020.
  • www.endurocup.be
  • http://randobang.blogspot.com

ParPierre Pauquay