EWS – Interview | Martin Maes suspendu : « Une négligence qui me coûte cher »

Par Olivier Béart -

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EWS – Interview | Martin Maes suspendu : « Une négligence qui me coûte cher »

Enorme coup de tonnerre dans le monde de l’enduro : Martin Maes, actuel leader du championnat EWS, vient d’annoncer avoir écopé d’une suspension de 90 jours suite à deux contrôles positifs consécutifs à ses victoires en Nouvelle-Zélande et en Australie. Sonné mais pas KO, il nous a reçus avec un épais dossier en main pour nous expliquer en détails la situation. Une démarche de transparence qui vise à montrer son intégrité et que tout contrôle positif n’est pas nécessairement synonyme de triche ou de dopage. Tout commence à l’autre bout du monde avec une blessure à la jambe qui s’infecte…

Tout a commencé en mars juste avant le début de la saison EWS 2019. Cela faisait des années que Sven Martin, photographe bien connu dans le milieu, nous invitait au NZ Enduro qu’il organise. On avait prévu d’être dans le coin avec le team, ça avait l’air top, façon mini Trans-Provence. Bref, une bonne préparation avant les premières manches EWS en Nouvelle-Zélande et en Tasmanie. Le premier jour de course, le vendredi, sur l’Ile du Sud, il faisait très mauvais. C’était rocailleux et glissant. A un moment, je loupe ma pédale et j’entaille mon tibia. Dit comme cela, ça a l’air tout bête, mais la plaie était profonde et sale. J’ai suis donc allé la montrer au médecin de l’organisation, qui a décidé immédiatement de me faire plusieurs points de suture après avoir nettoyé la plaie.

Malgré tout, 48h plus tard, la situation empire, c’est bien cela ?

Oui. Le samedi je n’ai pas roulé, c’était déjà douloureux, mais c’est pendant la nuit du samedi au dimanche que les choses ont empiré. En me levant, je me sentais mal, je ne savais plus poser le pied par terre et ma jambe était gonflée tout autour de la blessure. J’ai compris de suite que quelque chose n’allait pas et que j’avais peut-être attrapé une bactérie ou quelque chose du genre en me blessant dans la jungle. Je suis donc retourné voir le docteur Jerram et son équipe, qui m’ont immédiatement dit que c’était sérieux. En me retirant les fils, ils ont vu que c’était fortement infecté et, après avoir nettoyé à nouveau la plaie, ils m’ont prescrit des antibiotiques à forte dose, ainsi qu’un adjuvant pour aider à supporter le traitement et ses effets secondaires. C’est, m’a-t-on dit, la procédure habituelle pour ce genre de traitement, du moins en Nouvelle-Zélande. On m’a dit aussi que si cela ne fonctionnait pas, il faudrait m’hospitaliser pour couper plus largement les tissus autour de la plaie afin de l’assainir.

Et c’est au niveau de ce traitement de l’infection que se situe le problème ?

En effet. Ce n’est pas l’antibiotique, mais l’autre substance, le Probénécide. Mark Maurissen, mon mécano et manager, et moi-même avons directement demandé si ces substances n’étaient pas interdites et le Dr Jerram, ainsi que ses collègues qu’il a pris la peine de consulter, ont bien confirmé la prescription, s’agissant manifestement d’une pratique habituelle chez eux. Mais en fait, ce que le Dr Jerram ignorait à ce stade, c’est que le Probénécide a été déjà utilisé comme agent masquant par le passé (un produit dont l’action est de fausser les résultats de tests en cachant la prise d’autres substances, NDLR) et est, à ce titre, interdit. Hélas, nous n’avons pas pris le soin de vérifier cela par nous-mêmes vu l’urgence de la situation et la gravité de l’état de ma blessure.

Ensuite, que s’est-il passé ?

Pendant une semaine, j’ai été vraiment mal, je n’ai pas pu m’entraîner, mais la blessure était stable. Ensuite, mon état s’est amélioré et, même si je n’étais pas dans les meilleures conditions, j’ai pu prendre le départ du premier EWS en Nouvelle-Zélande en étant quasiment guéri. Finalement, je l’ai emporté et, fort logiquement, je suis passé au contrôle. Là, j’ai déclaré spontanément et très naïvement que j’avais dû prendre des antibiotiques pour me soigner. Une semaine plus tard, en Tasmanie, j’ai aussi gagné et j’ai un deuxième contrôle, où j’ai signalé également la prise du traitement, même s’il s’était terminé entre-temps. J’apprendrai par la suite que tous les deux se sont avérés positifs. Par contre, le 3e contrôle après ma victoire à l’EWS Madère est négatif, ce qui montre bien que le résultat des deux premiers était lié à la prise du traitement en question.

En tant que coureur, je pense aux blessures, je suis préparé aux conséquences d’une grosse chute, à traverser un passage à vide,… mais je ne pensais jamais vivre pareille situation dans ma vie.

Quand as-tu appris qu’il y avait un souci avec les deux premiers contrôles ?

Le 21 mai. J’ai reçu un appel téléphonique de l’UCI dont je me souviendrai toute ma vie. Enfin, du moins le début car l’info était tellement incroyable pour moi que j’avais peine à écouter et à comprendre ce qui se passait. J’étais sonné, KO. En tant que coureur, je pense aux blessures, je suis préparé aux conséquences d’une grosse chute, à traverser un passage à vide,… mais je ne pensais jamais vivre pareille situation dans ma vie. J’ai ressenti un profond sentiment d’incompréhension et de vide, car je ne comprenais pas du tout d’où cela pouvait venir. Je n’ai même pas fait le lien directement avec ma blessure et avec les médicaments que j’avais pris en Nouvelle-Zélande, c’était déjà tellement loin…

Comment as-tu réalisé ce qui se passait ?

C’est Mark Maurissen, mon manager, qui m’a appelé et qui m’a reparlé des deux médicaments. Là, je suis rentré de suite chez moi et j’ai retrouvé les deux flacons qui étaient encore au fond d’un de mes sacs. Sur le moment, j’ai été soulagé un bref instant car je me suis dit que je savais ce qui s’était passé, que j’allais pouvoir l’expliquer et que tout cela allait s’arrêter car il s’agissait très clairement de soigner une blessure. Aidé de mon entourage, j’ai monté un dossier complet qui est celui que je vous montre ici, en totale transparence, et qui a été utilisé pour expliquer les circonstances exactes à l’UCI.

Tu espérais que cela allait permettre d’éteindre les poursuites, mais cela n’a pas été le cas.

Oui, je l’espérais, mais si l’UCI a bien entendu notre argumentaire, elle a surtout retenu un de ses principes de base qui est qu’un athlète est entièrement responsable des substances qu’il ingère. Ce que je comprends. Le cyclisme a été tellement marqué par différentes affaires que maintenant, ils se montrent très fermes et ne veulent créer aucune brèche dans laquelle des tricheurs pourraient s’engouffrer. Ils ont raison. Mais je ne peux pas nier que c’est difficile à encaisser.

Quelles sont très exactement les conséquences pour toi ?

L’UCI a retenu l’absence d’antécédents (j’ai eu 10 contrôles négatifs dans ma carrière) et aussi les circonstances bien particulières ainsi que les raisons médicales du traitement et j’écope de 90 jours de suspension, soit la plus petite sanction possible. Mais je perds mes deux victoires en Nouvelle-Zélande et Tasmanie (pas Madère, puisque le contrôle était bien négatif) et je vais aussi louper les prochaines manches. La suspension court à partir du 13 mai. Sportivement, c’est donc un très gros coup. Mais cela décuple ma motivation pour revenir encore plus fort ensuite.

Je n’en veux à personne. Il n’y a pas eu l’intention de nuire. Par contre, nous n’aurions pas dû faire confiance, nous aurions dû vérifier. Et je me dis que dans notre sport, même s’il se professionnalise de plus en plus, nous sommes encore trop amateurs et naïfs à de nombreux égards.

Tu en veux à certaines personnes ?

Non, absolument pas. Le médecin du NZ enduro m’a soigné, il a fait son job. Dès qu’il a appris pour les contrôles, il a écrit une longue lettre expliquant tous les détails et reconnaissant que c’était lui qui m’avait prescrit ce traitement. Quant à Mark Maurissen, qui était avec moi sur place, il n’est pas médecin. Personne n’a eu l’intention de nuire. Par contre, nous n’aurions pas dû faire confiance, nous aurions dû vérifier. Et je me dis que dans notre sport, même s’il se professionnalise de plus en plus, nous sommes encore trop amateurs et naïfs à de nombreux égards.

Que veux-tu dire ?

Le rapprochement entre les EWS et l’UCI est une très bonne chose et j’ai toujours été de ceux qui réclamaient plus de contrôles sur les courses. Mais en pratique, je dois constater que nous n’avons pas réellement été informés et formés sur tout ce que cela impliquait. Dans ce cadre là, je me rends compte aujourd’hui à mes dépens qu’on ne peut plus juste arriver sur les courses et faire du vélo. Il faut penser à énormément d’autres aspects, et je crois malheureusement qu’à ce stade, aucun team et aucun pilote n’est réellement prêt et donc à l’abri d’une expérience comme la mienne.

Tu espères que ton cas pourrait aider d’autres ?

Oui, c’est une petite lueur d’espoir. Car il faut quand même aller loin dans le raisonnement pour se dire que je n’aurais pas dû faire confiance à plusieurs médecins alors qu’ils étaient en train de me soigner. Je sais aujourd’hui que j’aurais dû re-vérifier par moi-même avec le team si un des produits prescrits n’était pas sur la liste des produits interdits. J’ai fait une erreur, et elle me coûte cher, mais maintenant je sais que c’est cela les exigences du sport professionnel aujourd’hui.

Qu’est-ce qui est le plus dur pour toi aujourd’hui ?

J’espère que cette affaire ne va pas causer de tort au sport ou à d’autres. Je ne veux pas cela, et c’est ce à quoi je pense le plus. Le doute de certains sera aussi certainement une des choses les plus difficiles à gérer pour moi. J’ai toujours voulu tout bien faire, dans les règles, avec éthique, et si des personnes se mettent à douter de mes performances passées ou futures, ce sera difficile à accepter.

Je serai en Italie pour répondre à toutes les questions que les autres pilotes, les spectateurs et les médias pourraient poser, car mon dossier est clair comme de l’eau de roche et je n’ai rien à cacher.

Il paraît que tu seras en Italie, sur la prochaine manche EWS, comme spectateur, mais tu seras là…

Oui, j’y serai. Je ne peux pas aller dans le paddock, mais je serai parmi le public. Je serai là pour répondre à toutes les questions que les autres pilotes, les spectateurs et les médias pourraient poser, car mon dossier est clair comme de l’eau de roche et je n’ai rien à cacher. En plus, l’UCI y organise justement un séminaire sur la politique anti-dopage. J’aimerais y être présent et j’espère pouvoir y prendre brièvement la parole pour parler de mon cas afin que d’autres puissent en tirer quelques enseignements.

Comment vois-tu la suite et quels sont tes projets à ton retour ?

Je vais essayer d’encaisser tout cela au mieux. Là, je suis frustré de ne pas pouvoir continuer à me battre pour le titre alors que j’étais si bien parti, si motivé, si confiant sur le vélo. C’est un coup d’arrêt mais je pense que cela va me rendre encore plus fort et je vais revenir plus motivé que jamais. Comme j’étais en tête du général EWS, j’avais fait une croix sur la DH cette saison, mais ici cela change la donne et le championnat du monde de DH revient dans le viseur. Aller chercher ce maillot arc-en-ciel dont j’ai été si proche l’an dernier, ce serait une belle façon de conclure la saison 2019 sur une bonne note…

Commentaire, par Olivier Béart, rédacteur en chef de Vojo

S’il y a bien une personne, un nom que nous ne nous attendions pas à retrouver dans une telle affaire, c’est bien celui de Martin Maes. Et pourtant, c’est bien de lui qu’il s’agit ici. Martin, c’est le jeune prodige que tout le monde connaît depuis des années en Belgique, le gars que le succès n’a pas changé, toujours aussi accessible, souriant et heureux de rouler avec ses amis et sur ses bons vieux trails belges.

Quand on entend « contrôle positif », on pense immédiatement à dopage, et on se dit « oh non, pas lui, il n’a pas fait ça ». Puis, on en apprend un peu plus sur le fond de l’affaire et on se rend compte qu’un contrôle positif, cela peut cacher une réalité complexe et cela peut aussi partir d’un tout petit détail comme une coupure de quelques centimètres suivie d’un traitement médical certes efficace mais qui fait involontairement passer les voyants au rouge.

Impossible aussi de ne pas penser au cas de Richie Rude, qui fait justement son retour en EWS ce week-end en Italie après avoir purgé une suspension de 8 mois suite à un contrôle positif lors de l’EWS des Montagnes du Caroux à Olargues en 2018. Pourtant, en mettant tout sentiment de côté, on se rend vite compte que les deux cas n’ont que peu de chose en commun, notamment parce qu’on se retrouve, du côté de l’Américain, avec une très brève et vague explication de « bidon emprunté à un autre coureur », et de l’autre le Belge qui s’explique en toute transparence avec un dossier aussi épais que clair et précis, dont nous avons pu consulter l’ensemble des pièces.

Difficile aussi de ne pas rebondir sur les paroles de Martin Maes quand il parle d’amateurisme et de la fin d’une certaine insouciance. Désormais, le vtt enduro entre dans une nouvelle ère où le professionnalisme de haut niveau sera non seulement la clé du succès mais aussi la condition sine qua non pour pouvoir simplement exercer au plus haut niveau en tant que team ou coureur. La lutte contre le dopage est à ce prix. Martin Maes le paie cash, mais sur le principe, comment reprocher à l’UCI d’être ferme ? Reste qu’on pourrait aussi peut-être attendre de sa part, ainsi que des EWS, qu’ils puissent éventuellement fournir un peu plus d’aide aux pratiquants de ce sport émergent qu’est l’enduro et aux structures plus modestes qui composent le paddock EWS afin d’éviter que des cas visiblement malheureux comme celui-ci viennent entacher inutilement l’image de notre sport. Et donnent de l’eau au moulin de ceux qui croient au « tous pourris » et au « tous dopés ». Ce qui est dangereux car c’est en mettant tout le monde dans le même sac que les vraies brebis galeuses ont le plus de chance de réussir à se fondre dans la masse et à passer entre les mailles du filet.

ParOlivier Béart