Découverte | Stoneman Arduenna : 176km balisés dans l’Est de la Belgique

Par Pierre Pauquay -

  • Nature

Découverte | Stoneman Arduenna : 176km balisés dans l’Est de la Belgique

En avant-première, Vojo est allé à la rencontre du Stoneman Arduenna qui déroule ses traces dans les Cantons de l’Est, territoire germanophone de la Belgique. Une mise en bouche des plus enrichissantes avant le défi que va relever Olivier Béart de la rédaction, ce 4 juillet, jour de l’inauguration officielle, pour vous relater son aventure au bout de 176 km de souffrance.

L’anecdote mérite d’être soulignée : le Stoneman pose d’habitude ses jalons dans le massif prestigieux et exigeant des Alpes. Aux pays alpins succède cette fois… la Belgique. Une incongruité quand on connaît l’image que l’on se fait du plat pays, aussi plate qu’une crêpe de Bruges. Une image tronquée quand on aborde les sentiers de ce coin d’Ardenne, aux confins du royaume : les Cantons de l’Est. Et on rit moins de ce plat pays quand on lit les chiffres du Stoneman Arduenna : 176 km pour 3250 m de dénivelé positif. Pas étonnant à ce que les coureurs belges tiennent la dragée haute face à leur condisciple des Alpes…

700 m, qui dit mieux ?

L’impatience était palpable : l’envie d’affronter les sentiers du Stoneman me donnait des fourmis aux jambes. A la sortie du confinement, toute une équipe avait la mission de baliser 176 km, rappelle mon ami Dany Heck, le Monsieur VTT de l’Agence du Tourisme des Cantons de l’Est. Plaquettes, autocollants quadrillent depuis quelques jours toute la région du Stoneman, une gageure que l’équipe a bouclée in extremis avant l’inauguration ce 4 juillet. En guise de préambule, à quelques jours du lancement officiel durant lequel Olivier tentera de relever le défi des 176 km, plus humblement, j’ai suivi Dany sur une partie de l’itinéraire : il n’est pas peu fier de m’emmener sur les traces qui forgent le caractère du trophée du Stoneman.

Depuis quelques saisons, la fagne ressemble à la garrigue. En ce 25 juin, la température atteint des records alors qu’ici, d’habitude, les aurores sont froides et les herbes hautes se perlent de gouttes de rosée.

 

Le Signal de Botrange est le sommet de la Belgique : 693 m. L’humour ou cette faculté à ne pas se prendre au sérieux a poussé les Belges à construire une petite tour : en une volée de marches, il est possible de rejoindre la cote maximale de ce géant : 700 m d’altitude ! Une cote qui peut prêter à sourire aux montagnards, mais nos « montagnes » d’Ardenne n’ont pas à rougir face aux sommets plus prestigieux car leur élévation se mesure plutôt en émotions. Comme nous allons nous en rendre compte sur les singles entre le Signal de Botrange et la vallée de l’Our, à la porte de l’Allemagne.

Petit mais grand dans sa diversité

Les Cantons de l’Est, petite région d’un petit pays, peuvent se targuer de posséder des paysages très variés. En quelques tours de roues, on peut passer d’un plateau de landes à des vallées encaissées. A notre gauche défile la fagne : il est faux de croire que le haut plateau fagnard est un milieu demeuré à l’état naturel.

Dès le Moyen Âge, les populations des villages qui se sont développés autour du haut plateau commencèrent à y exercer des pratiques agropastorales : pâturage, extraction de tourbe, récolte de litière pour les étables, déboisement, sont autant d’activités qui contribuèrent à la formation de la lande. Au XIXe siècle, l’introduction massive de l’épicéa, une espèce qui n’existait pas naturellement dans nos régions, bouleversa à son tour le paysage fagnard.

Le contraste est saisissant quand nous plongeons dans l’une de ses forêts peu après Ovifat, non sans passer par la seule piste de ski alpin digne de ce nom en Belgique… Au chemin succède un single très rapide sinuant dans la pessière. Le bruit des pneus et celui des freins empêchent d’entendre les remous du Bayehon. En contrebas, le ruisseau prend aussi de la vitesse quand il entre dans la vallée étroite et en devient même un vrai torrent de montagne.

À un croisement, nous le laissons partir dans sa fureur de vivre où il ira mourir dans les eaux de la Warche, quelques kilomètres plus bas. Pour notre part, nous roulons sur une des rares routes qu’emprunte le Stoneman : elle nous permet de passer dans une autre vallée, celle où trône un château moyenâgeux. Suspendu entre ciel et terre sur son éperon rocheux, Reinhardstein se fond dans son paysage forestier.

Le temps de la fenaison

A Robertville, les haies vives, les prés de fauche rythment notre vitesse : nous roulons dans un autre paysage, ne correspondant guère à l’image que l’on se fait de l’Ardenne recouverte de forêts : ici tout n’est que foisonnement de baies et de champs fleuris. Je profite de la relance de mon Santa Cruz Chamelon pour titiller Dany et accélérer le rythme. Tout au long de ces grandes prairies, il faut profiter des chemins rectilignes pour augmenter quelque peu la moyenne : boucler les 170 km du Stoneman en une journée, voire deux est loin d’être une sinécure…

C’est le temps de la fenaison à Weywertz… Les odeurs du foin coupé embaument le chemin ! En ce jour, la nature se montre généreuse, confirmée par le nombre de passereaux qui volent dans le ciel pur de ce début d’été. Via un chemin agréable, nous rejoignons le Vieux Moulin, un endroit magique où coule paresseusement le ruisseau à travers la prairie. Les fermes, pas bien grosses, sont lovées dans les dépressions des vallons et s’intègrent au paysage. Au sommet de la côte, des milans planent et chassent au-dessus de la campagne de Weywertz, parsemée de zones humides et de bosquets.

Les haies subliment le chemin qui suit la ligne de crête : le panorama vers le village permet de distinguer toute la région. Le Stoneman est une immersion dans ce pays attachant que sont les Cantons de l’Est.

Les longues clôtures courent dans le paysage et rappellent les images d’Ecosse : le paysage près de la Vennbahn est magnifique et confirme la douceur de vivre qui s’en dégage. Une douce torpeur que nous retrouvons sur les rives de l’Amel. En contrebas, la Warche a tracé un cheminement naturel avec de jolis méandres se propageant sur la prairie.

Explosion de la nature

Au bout de l’horizon apparaissent les rives du lac de Bütgenbach. Nous plongeons dans un autre décor, à défaut de ne pas avoir le temps de barboter dans ces eaux si séduisantes : criques, bras du lac ou prés de fauche, comme celui de la Réserve naturelle de la Holzwarche qui possède des plantes endémiques des Alpes, tel le fenouil ou la centaurée noire. Avec le ciel azur se reflétant sur l’étendue miroir de Butgenbach, la lumière est sublime. Parfois, le chemin se substitue à un single qui court à travers des prés humides.

A un petit ponton, la végétation luxuriante recouvre la trace, comme si son temps était compté. Ici, près du haut plateau, la belle saison est courte et éphémère. Tout comme les moustiques, taons qui farandolent autour de nous. Près du ruisseau, l’itinéraire se fraye un passage à travers les aulnes glutineux et les bouleaux des Carpates, espèces pionnières de la forêt naturelle. Dany me lance, alors que je me gratte les avant-bras, démangés par une réaction urticante : « Le Stoneman Arduenna est la rencontre de la forêt et de l’eau : et comme tu peux le voir, on roule dans des milieux très sauvages… » Il est vrai que la trace entre dans un décor magnifique, sauvage, à l’image cette Arduiena sylva, la grande forêt que Jules César avait décrite et crainte dans sa Guerre des Gaules.

Sentier de coureurs de bois

Près d’Honsfled, la plaine de Bullange se divise en vallons perdus. L’accès semble gardé secret : il faut faire preuve de coureur de bois pour rejoindre cette vallée, classée réserve naturelle. Pour y parvenir, l’itinéraire se tortille entre les sapins et les hêtres. Le chemin ne cesse de descendre et nous mène aux confins du pays, à la lisière de l’Allemagne. La forêt, dense, adoucit les bruits et nous fait entrer dans un monde secret. Caché des regards, le vallon fait la joie des VTTistes solitaires et les contrebandiers d’alors…

Nous dévalons le vallon pour aller à la rencontre d’une faune et d’une flore exceptionnelles. Quelle profusion de vie se rencontre le long du ruisseau. Et cette descente ne semble jamais finir… Sur la droite, nous découvrons un site de castor, alors qu’une cigogne noire vole avec grâce au-dessus de la canopée. Plus nous nous enfonçons dans la vallée, plus les bruits s’atténuent et se feutrent dans les broussailles.

Le chant des oiseaux et celui du ruisseau, seuls, vont désormais nous accompagner. Ce sentier sauvage est constellé de fleurs, les papillons virevoltent autour de nous. Ruisseaux, associations de prairies de fauche et de forêts mixtes apportent une biodiversité à la vallée perdue : le Stoneman nous offre ce sentier du bonheur.

Protégée des vents dominants par son encaissement, la petite vallée est chaude : on se croirait sur un chemin du Sud. Alors que je me crois presque arrivé au pied de la l’Our, en face, une côte se lance vers le ciel : abrupte et redoutable, elle m’arrache les poumons. Dany me précise qu’elle n’est qu’un hors d’oeuvre pour toutes les autres qui sillonnent la vallée de l’Our. L’obtention du trophée se jouera certainement ici, sur les contreforts de la vallée encaissée. Mais au sommet, quel plaisir d’admirer le paysage. La vue qui s’étend au-delà de la frontière n’est qu’une succession de collines et de vallées encaissées : l’Eifel, cet autre massif forestier, prend le relais de l’Ardenne.

A Herresbach, le paysage forestier se substitue à un large panorama fait de prairies : les fonds de vallées humides et les escarpements ont rejeté sur les hauteurs ces zones cultivables. D’abord entourée d’épicéas, la descente se faufile entre les genêts. A l’approche de Schönberg, une soixantaine de kilomètres du Stoneman se boucle : sans être crosseur dans l’âme et féru de compétition, la moyenne n’a pas excédé les 15 km/h. Soit 4 heures d’effort sur un petit aperçu du tracé. Dany insiste : « Je t’ai amené sur la partie la moins exigeante et le profil était plutôt descendant… ». Ah bon, pourtant mes jambes brulent déjà… Il restera pourtant encore 116 km aux marathoniens pour boucler l’entièreté du Stoneman. La totalité du parcours me semble alors tout à coup un fameux défi à affronter face aux dénivelés et face à soi-même.

En final, le chemin se dirige vers le sud pour rejoindre un autre vallon. Le Grossweberbach dessine ses méandres dans la prairie fauchée : il sera mon fil d’Ariane pour rejoindre la large vallée de l’Our, baignée par cette belle lumière d’une fin de journée d’été qui révèle le paysage merveilleux des Cantons de l’Est, lieu de joie et de défi pour tous les amoureux de l’effort ultime.

Carnet pratique

  • Le concept est né il y a une dizaine d’années dans les Dolomites et est décliné depuis aux Alpes suisses, autrichiennes, en Allemagne et en Ardenne belge. Créé par Roland Stauder, marathonien de VTT, le Stoneman est un fameux défi pour les marathoniens ! Au coeur des Cantons de l’Est, vous vous lancez seul sur un itinéraire balisé en un, deux ou trois jours. Au final, votre temps est enregistré en tant que « finisher » officiel sur le portail du Stoneman, suivant la carte que l’on doit poinçonner en des lieux de contrôle. Si vous réussissez le parcours du Stoneman en un jour, vous remporterez le trophée d’or. Si vous surmontez l’épreuve par étapes en deux ou trois jours, vous aurez mérité le trophée d’argent ou de bronze. Au départ, vous recevrez un Starter Pack, variant de 29 à 69 € (T-shirt, maillots, trophée et autre…).
  • https://www.ostbelgien.eu/fr/velo/stoneman-arduenna
  • VTT dans les Cantons de l’Est
    https://www.ostbelgien.eu/de/fahrrad/mountainbike

ParPierre Pauquay