Découverte | Priorat : des crampons dans les vignes

Par Olivier Béart -

  • Nature

Découverte | Priorat : des crampons dans les vignes

Vous connaissez Salou, son tourisme de masse, ses buildings et ses plages bondées ? C’est justement tout ce que vous détestez ? Alors, Vojo vous emmène à quelques kilomètres de là seulement, dans l’arrière pays, à la découverte de la merveilleuse région viticole espagnole du Priorat. Singletracks, paysages à couper le souffle, villages authentiques : un coin secret qui ne demande qu’à être découvert !

Cela ne dira peut-être rien à nos amis français, mais nous avons en Belgique un groupe humoristique bien connu (les « Gauf au suc ») qui a dédié une chanson à Salou et à ses plages où « y a des Belges partout, partout, partout« . Sous ses airs légers, cette chanson est une satire du tourisme de masse qui a défiguré certaines parties de l’Espagne, dont Salou en particulier. Pourtant, à quelques kilomètres de là, se trouve un véritable petit paradis méconnu : le Priorat.

Vous ne connaissez pas ? Rassurez-vous, avant d’y aller cet hiver, nous n’en avions jamais entendu parler non plus. Mais quelques mots comme « vin », « montagne », « villages oubliés » ou « gastronomie authentique » ont suffi pour nous convaincre d’enfourcher notre vélo et de prendre notre appareil photo !

Celui qui a soufflé ces mots dans nos oreilles, c’est Vincent Gugliemi. Belge, la petite quarantaine, il a redécouvert le VTT il y a peu et il a de suite eu envie de partager avec d’autres sa passion ainsi que tout ce qu’elle a pu lui apporter. Enfant, il venait ici avec sa famille, dans un petit appartement dans lequel ils avaient mis toutes leurs économies. C’est donc tout naturellement que le rapprochement s’est fait entre sa passion du VTT et cette région du Priorat qu’il a eu envie d’arpenter à vélo et de faire découvrir à d’autres par le biais de voyages mêlant VTT, dégustation de vins et gastronomie, qu’il commence à organiser avec sa structure « Evasion VTT ».

Même s’il connaît le coin depuis longtemps, Vincent a tenu à s’entourer de deux guides locaux, David et Monica. Eux aussi sont passionnés par leur terroir et ils ont la même envie de partage et de découverte. Comme il s’agit d’une première pour eux, ils ont convié votre serviteur pour tester les voyages et tours de découverte qu’ils proposeront dès ce printemps 2022.

Face à tant de passion, de motivation et face à un programme si alléchant, nous n’avons pas résisté. Et nous n’avons pas été déçus. On vous embarque !

Jour 1 : Falset et les mines de Bellmunt

Située entre 200 et 700 mètres d’altitude, la région du Priorat a en quelque sorte la forme d’un grand fer à cheval, avec un rempart de falaises et de petites montagnes tout autour. Si le soleil baigne la côte même en plein hiver, les vallées et le relief du Priorat sont régulièrement embrumés en début de journée. Et cela fait durer le suspense avant que les premiers paysages majestueux se dévoilent à nous.

Le rendez-vous est donné à Falset, la capitale du Priorat, où habitent nos guides David et Monica. Ils ne parlent pas français, un petit peu anglais, et pourtant le contact passe immédiatement grâce à leurs sourires, leurs gestes et leurs visages expressifs qui respirent la passion pour leur région et pour le VTT. En cas de besoin, Vincent joue l’interprète.

Ici, plus qu’en Espagne, on est en Catalogne et les locaux en sont très fiers. Les drapeaux catalans sont présents un peu partout dans les villes et les villages. Ils sont là même sur les vélos de nos guides !

Longtemps oublié des touristes, le Priorat est en plein développement de ce côté. Mais pas question de tourisme de masse. Ici, on mise sur le tourisme nature et durable. Sur le tourisme sportif aussi, avec l’escalade, la randonnée pédestre et le VTT qui prend une place de plus en plus grande dans l’écosystème local.

La renaissance du Priorat vient aussi de sa gastronomie et de ses vignobles. Ravagé par le Phylloxera à la fin du 19e siècle, le Priorat a vécu une période extrêmement difficile pendant presque un siècle, avec un important exode rural. Grâce à la volonté de quelques producteurs et à la création de coopératives mettant en avant la qualité des produits avant la quantité, le Priorat s’est petit à petit relevé jusqu’à devenir aujourd’hui un des terroirs viticoles les plus prestigieux d’Espagne. Il s’agit aussi de la seule région viticole d’Espagne, avec le Rioja, à bénéficier d’une dénomination d’origine contrôlée (l’équivalent de l’AOC français).

Au cœur de l’hiver, les vignes dorment et les quelques raisins restant ça et là sont recroquevillés et en train de retourner à la terre. Mais même brunies par le froid, ces vignes qui recouvrent le paysage participent à l’atmosphère mystérieuse et presque magique de cette première matinée sous la brume.

Puisque les vues sont bouchées par la brume et le froid piquant, pourquoi ne pas descendre sous terre chercher un peu de chaleur et découvrir une autre richesse locale qui a permis au Priorat de garder la tête hors de l’eau dans les périodes les plus difficiles : le plomb. Bellmunt en est la capitale et, en plus de l’ancien village ouvrier, la mine a été transformée en musée et se visite.

Même s’il n’est plus en odeur de sainteté aujourd’hui car on s’est rendu compte que son utilisation pouvait avoir des conséquences sur la santé, ce métal abondant et facile à travailler a apporté beaucoup à cette région sur le plan économique, alors que son agriculture était en crise. Il a aussi été à l’origine du développement urbanistique de certains villages, comme Bellmunt, où on trouve également des coopératives agricoles et vinicoles, dont beaucoup sont encore en activité aujourd’hui.

Un des grands intérêts de la mine de Bellmunt, fermée depuis les années 70, c’est qu’il s’agit d’une des rares où il est encore possible de descendre pour visiter les galeries. Mieux que n’importe quel musée ou film, s’enfoncer sous terre est le meilleur moyen de se rendre compte du quotidien des ouvriers qui travaillaient ici, et de la manière dont était extraite la galène, le minerai duquel on extrait le plomb. Et encore, ici, on ne descend qu’à une trentaine de mètres sous terre, quand les mineurs descendaient exploiter des veines jusqu’à 1500m de profondeur ! La chaleur est déjà nettement perceptible dans les galeries visitables, alors on imagine à peine ce que cela devait être plus bas.

A notre sortie, la brume s’est levée et les paysages se dévoilent enfin. Wow !

Entre le bleu intense du ciel, toute la gamme des teintes jaune/orange/rouge des feuilles de vigne humides qui scintillent au soleil, le sol gris/ocre et la verdure des arbres, c’est une véritable explosion de couleurs qui nous prend par les sentiments et qui nous fait immédiatement tomber amoureux de cette région.

Côté VTT, on a majoritairement eu du chemin large jusqu’ici pour se mettre en jambes, mais on en prend tellement plein la vue que ce n’est pas désagréable car cela permet de pleinement profiter du cadre dans lequel on évolue.

Rassurez-vous, il y a aussi du singletrack dans le coin !

Après avoir laissé derrière nous les vignes, une fois dans la forêt, on s’enfonce dans quelques magnifiques petites traces ludiques et sinueuses à flanc de colline…

… avant de terminer ce premier ride par une descente bien cassante et rocailleuse comme on les aime quand on va dans un pays du Sud !

Pour le ride à proprement parler, c’en est déjà terminé pour cette première journée/matinée… car nous avons d’autres grandes richesses de la région à découvrir : sa gastronomie et son vin. Au restaurant « El Celler de l’Aspic », on en prend aussi plein la vue et les papilles avec des recettes qui mettent merveilleusement en avant les ingrédients locaux comme les champignons, le canard ou encore les poires et coings.

On mange tard en Espagne et notre boucle à vélo du matin avait déjà bien entamé l’après-midi. Comme nous sommes en plein cœur de l’hiver, il fait déjà noir quand nous arrivons à la cave coopérative de Falset pour y goûter quelques productions locales. En vins… mais pas seulement.

Le produit phare et le plus typique ici, c’est le « Vermut 1912 », un vermouth traditionnel dont la recette inclut une infusion secrète d’herbes et une maturation dans des cuves en bois vieilles de plus de 100 ans. Et hop, encore une claque pour les sens avec des notes d’épices et d’aromates qui s’entrechoquent partout dans la bouche et qui nous laissent littéralement sans voix.

On serait bien encore restés des heures à écouter notre hôte passionné et passionnant, et à déguster tous les vins de la cave, mais à un moment, il faut être raisonnable car il reste encore pas mal d’heures de selle et de belles choses à découvrir les jours suivants. Quoi qu’il en soit, le ton est donné et cette première journée nous a déjà conquis.

Jour 2 : les falaises de Siurana

Cette fois, dès les petites heures du matin, le soleil brille et nous accompagne dès nos premiers tours de roues.

Ce n’est pas plus mal car ça commence fort, avec une longue ascension de près d’une heure pour relier le village de Cornudella De Monsant, où nous avons laissé les voitures, et le village de Prades, situé sur les plateaux d’altitude qui bordent le Priorat. Une fois de plus, les paysages sont là, toujours plus beaux au fur et à mesure qu’on grimpe, pour récompenser notre effort physique.

Une fois à Prades, on en profite pour faire une petite halte, boire un café sur la magnifique place carrée du village… et manger un « bocadillo », littéralement un « petit bout » comme ils disent ici, à savoir un sandwich garni de choses simples mais savoureuses (tomates, oeufs, charcuterie,…) qui aide à tenir en milieu de matinée quand on commence à avoir une petite faim.

Plein d’énergie, on repart de Prades en direction du petit village de Siurana, où nous sommes attendus pour une visite. Il reste un peu d’ascension…

… mais surtout de magnifiques portions de descente sur un chemin certes larges, mais incroyablement rocailleux et varié.

Allez, on vous remet encore quelques images parce qu’il était vraiment trop bien celui-là !

Et à la sortie, vous savez quoi ? Eh oui, vous l’aurez compris en regardant cette photo : une nouvelle claque.

Encerclé de falaises et lui-même niché sur un éperon rocheux, le petit village de Siurana jouit d’un cadre absolument exceptionnel. Surtout connu pour l’escalade (c’est un spot de renommée mondiale), il devient aussi de plus en plus un haut lieu de la randonnée pédestre et du VTT.

Complètement mort et presque abandonné il y a 20 ans à peine, ce village revit grâce au tourisme. Et on comprend vite pourquoi quand on le visite ! Ses vieilles pierres ont énormément de charme, mais surtout on découvre de nouvelles vues époustouflantes à chaque coin de rue.

A la pointe du village, on découvre le clou du spectacle : la vue sur le barrage de Siurana, qui sert à la fois de réserve d’eau pour la production d’électricité. Et qui est d’ailleurs à un niveau plutôt bas pour l’hiver car la région a connu plusieurs périodes de sécheresse consécutives ces dernier temps.

Il y a aussi une légende à Siurana ! La voici : « Siurana fut le dernier foyer de résistance musulmane du territoire aujourd’hui appelé Catalogne. Après la chute de Tortosa et Miravet, Siurana continuait à résister. Les rochers de la Gritella et son important château coupaient le passage et faisait de ce lieu un endroit presque infranchissable. Malgré tout, le futur de Siurana était décidé. La légende raconte que juste avant la défaite, la fille du vali (gouverneur) de Siurana, la belle Abdelazia, plutôt que de se voir captive des chrétiens,  apparut sur un superbe cheval blanc et se dirigea très rapidement vers la falaise au pied du mur du château. C’est là que l’animal fit un saut impressionnant et, ensemble, ils disparurent mortellement dans le vide. Les incrédules trouvèrent la marque du fer du cheval de la reine dans la roche, comme preuve du dernier élan du corsaire pour emmener Abdelazia vers l’immortalité. »

Pour notre part, nous allons choisir une autre voie, moins risquée, pour descendre. Quoique !

Ce singletrack d’anthologie qui doit nous ramener vers Cornudella est plutôt du genre velu !

Que les moins aguerris se rassurent, il existe des alternatives. Mais pour les amoureux de technique, de passages trialisants dans les rochers et de virages en épingle, c’est un must absolu ! Et tout passe avec un bon vélo de XC… avec idéalement une tige de selle télescopique tout de même.

Ça sent la fin, avec un soleil qui décline déjà dans cette après-midi bien avancée. Nous n’avons pas fait énormément de kilomètres (une trentaine), mais c’était plutôt dense, et surtout nous avons eu de nombreuses raisons de nous arrêter.

Et comme la veille, ce n’est pas fini ! Car le VTT n’est qu’une partie du plaisir, et nous avons une nouvelle dégustation qui nous attend. Cette fois, pas de cave coopérative mais un producteur indépendant, la maison Alvarez Duran, dont le propriétaire n’est autre que l’actuel président de l’appellation Priorat.

Quand nous arrivons, les derniers rayons de soleil baignent Porrera, le village encerclé de vignes où se trouve le domaine Alvarez Duran.

Immédiatement, le maître de chai nous emmène au cœur des vignes de la propriété pour voir et mieux comprendre le terroir si particulier qui doit beaucoup au sol unique fait d’ardoises chargée de minerais ferreux (llicorella) et de quartz. Côté cépages, on retrouve essentiellement du Grenache (Garnacha) et du Carignan (Cariñena) ainsi que d’anciennes vignes à faible rendement. Il y a aussi un peu de Cabernet Sauvignon, de Syrah et de Merlot.

Même si la région est surtout connue pour ses vins rouges, notre hôte sort de son coffre, comme d’un chapeau magique, une bouteille d’un blanc à la robe couleur beurre, aux arômes riches sans être lourds et avec quelques notes d’agrumes rafraichissantes. Le temps est suspendu…

Une fois encore, l’expérience se prolonge par un magnifique moment de partage et de dégustation des autres vins du domaine, combinés à quelques fromages, olives, noisettes et amandes (d’autres richesses locales) pour profiter encore mieux des saveurs des belles bouteilles qui nous sont offertes à la dégustation. Mais aujourd’hui encore, nous allons rester raisonnables car il reste une journée de découverte au programme.

Jour 3 : l’escalier de dieu

Pour cette troisième journée, nous voilà au cœur du parc naturel de la Serra de Monsant, au monastère « Cartoixa d’Escaladei ». Avant de partir rouler, impossible de ne pas commencer par une petite visite de ce lieu unique, qui n’est autre que la première implantation de moines chartreux hors de France au XIIe siècle.

Complètement en ruine il y a quelques années encore, le site est en pleine rénovation. Il reste du travail, mais déjà à l’heure actuelle les nombreuses parties rénovées méritent le voyage.

Ce monastère a connu des périodes fastes et a représenté une énorme puissance politique et économique dans la région pendant près de sept siècles, avant que les suites de la révolution libérale mettent fin à l’activité du monastère et que les terres soient réquisitionnées. Après plus d’un siècle de déclin, il revit aujourd’hui.

Son nom, ce monastère le tire d’une légende. Qui raconte que, lorsque le roi Alphonse le Chaste a décidé de donner un terrain à l’Ordre des Chartreux afin qu’ils puissent y construire un monastère et que La Grande Chartreuse a envoyé des moines pour trouver l’endroit le plus approprié à leurs besoins, ils ont trouvé un berger qui leur a dit que dans un rêve, il a vu des anges monter au ciel par des escaliers accrochés à la falaise. Les moines ont interprété cela comme un signe de Dieu et ont décidé de construire ce qui est devenu la chartreuse Notre-Dame de Scala Dei, qui signifie « escalier vers Dieu ».

Cet « escalier vers Dieu » va aussi nous servir de fil rouge dans notre sortie du jour dans le parc naturel de la Serra de Monsant.

Au menu du jour, à nouveau une première longue ascension pour prendre de la hauteur en direction du village de La Morera de Montsant, avant de redescendre sur le monastère par quelques trails dont David et Monica ont le secret.

L’ascension est longue et irrégulière, avec des passages plus calmes, mais aussi quelques murs aux pourcentages vertigineux.

Plus que jamais, la pause pour le traditionnel bocadillo est indispensable pour refaire les réserves !

Arrivés au sommet, on profite de la vue du pied des impressionnantes falaises de la Serra.

Une fois à la Morrera, le spectacle est total !

Les nuages qui recouvrent encore une partie de la vallée tombent littéralement hors du Priorat comme une cascade, dans un spectacle comme nous en avons rarement vu !

Les yeux encore écarquillés, on s’élance dans la descente où, normalement, on devrait aussi se régaler.

David et Monica ne nous ont pas menti ! Le début met directement dans le bain avec de vieux sentiers au sol recouvert de pierres blanches dans lequel se reflète le soleil.

Place ensuite à une lente plongée dans la forêt sur des trails plus naturels, mais toujours particulièrement adaptés au VTT.

Le granit au sol procure un grip parfait, et même s’il y a quelques pierres saillantes, les rochers sont souvent plutôt arrondis, ce qui aide à se faire plaisir sans avoir trop peur des conséquences en cas de crash.

Enfin, on s’enfonce dans une vallée ombragée et humide qui contraste énormément avec les paysages plus arides du début.

L’impression d’avoir traversé plusieurs mondes en un seul trail est encore renforcée quand, sur la fin, on se retrouve plongé dans les vignes après un énième changement de décor.

Et devinez où on a terminé la sortie ? Bon, d’accord, ce n’était pas très difficile ! Eh oui, il y a aussi une cave prestigieuse dans le village de Scala Dei !

Un dernier pour la route…

Et déjà il est temps pour nous de dire au revoir à cette magnifique région du Priorat. Au revoir car nous y reviendrons ! Et nous espérons aussi que nous vous avons donné envie d’y aller car, croyez-nous, vous ne serez pas déçus !

Si vous avez envie de découvrir cette région au mieux, tant pour les aspects VTT que pour le vin et la gastronomie, Vincent et sa structure Evasions VTT vous proposent un séjour de 6 jours et 6 nuits, guidé par David et Monica, avec dégustations et repas de terroir. De quoi vous permettre de découvrir par vous-même les lieux… de manière encore plus poussée que nous ! Prochains séjour prévus : début avril et fin octobre/début novembre. Plus d’infos : https://evasionsvtt.be/priorat/

Plus d’infos sur la région sur le site de l’office du tourisme du Priorat : https://www.turismepriorat.org/fr

ParOlivier Béart