Découverte | Modestie et noblesse : la Champagne en gravel

Par Pierre Pauquay -

  • Nature

Découverte | Modestie et noblesse : la Champagne en gravel

L’effervescence de son nom, symbole de joie et d’élégance, se retrouve dans les paysages de Champagne que l’on découvre en gravel. A la fois teintée de modestie quand on se plait à rouler sur ses sentiers secrets ou empreinte de noblesse quand on parcourt les chemins de craies des vignobles, la Champagne est une terre multiple.

Novembre n’a pas failli. Un grand rideau s’est abattu sur les lacs de Champagne, cachant une lumière qui ne peut percer les nuages bas. Dans nos lignes, nous avons l’habitude de présenter des destinations où les reliefs lacérés impriment des récits dithyrambique.

Cependant, notre manie à chercher la pente laisse passer sous silence des régions dotées d’un relief plus doux, mais si attachantes quand on prend le temps de percer ses secrets à vélo.

Ici, la plaine rassure et émeut. Elle rassure quand on roule sans contrainte sur les larges chemins forestiers à perte de vue : des voies royales pour nos gravels, et qui émeut quand nous verrons les grues cendrées se poser et se reposer de leur long voyage à travers l’Europe.

Le pays mystérieux 

Nous parcourons la forêt du Temple qui s’étendait des rives de la Seine jusqu’à celles de la Marne. Elle est restée intacte depuis près de 800 ans quand en 1255, ce grand massif de 1000 hectares fut pris en charge par l’ordre des Templiers. Au XIIIe siècle, un lent travail de défrichement débuta par les Templiers et les Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem qui s’installèrent dans le massif forestier. Les chevaliers du Christ y développèrent toute une économie basée sur la pisciculture, la sylviculture et l’exploitation minière. Sur notre route, les étangs et la toponymie des lieux témoignent de ce passé.

Malgré les fortes pluies de la veille, le chemin est stable et se substitue à la voie verte qui longe le lac. Ces paysages sont le résultat de la main de l’homme. Le lac d’Orient est l’un des quatre lacs-réservoirs créés dans les années 1960 pour protéger le bassin parisien des grandes crues de la Seine et de la Marne. Ces grandes étendues d’eau artificielles, parmi les plus importantes d’Europe, sont devenues un sanctuaire pour l’avifaune des vasières et des roselières. La Réserve Nationale de la Forêt d’Orient couvre ainsi 1560 hectares d’espaces lacustres, forestiers et de landes arbustives.

Nous nous dirigeons vers un poste d’observation : j’espère voir les grues. Chance ! Nous observons au loin l’arrivée de ces premiers échassiers. Leur formation bruyante en V annonce la grisaille et l’hiver naissant. Les grues cendrées, venant des contrées de l’Europe du Nord, migrent vers le sud pour éviter les hivers rigoureux de la Scandinavie. Elles suivent un couloir immuable, large de 200 km, passant au sud du massif ardennais pour rejoindre les lacs de Champagne. Ces grands échassiers voyagent par milliers et ils y effectuent une escale. Ce dortoir offre un lieu humide et un champ visuel dégagé pour anticiper tout danger. Et un matin de novembre, les grues quitteront leur refuge pour continuer leur périple sur des milliers de kilomètres et rejoindre la lagune de Gallocarta en Espagne, ou pousser encore plus loin vers l’Afrique du Nord et le Soudan.

Le chemin longe la presqu’île de la Petite Italie pour rejoindre la voie verte à Géraudot. Alors que le couchant illumine le lac de ses plus belles tonalités, nous rejoignons Lusigny-sur-Barse puis Mesnil-Saint-Père jusque avant qu’une pluie torrentielle ne vienne s’abattre sur la lagune.

La lumière de Renoir

Le lendemain, la brume cache les villages de Champagne qui s’étirent paresseusement au bord de l’eau, entrecoupés de rideaux de peupliers : l’un d’eux mérite qu’on s’y arrête. Essoyes est la patrie de l’illustre peintre Auguste Renoir. L’artiste y venait séjourner tous les étés. Aux alentours, la campagne fut source d’inspiration pour le Maître. L’évolution de la ruralité depuis la fin du siècle dernier et la fin du pastoralisme ont fait place à la reforestation.

Avec un peu d’imagination, il suffit de se représenter les champs et les vergers qui ont disparu depuis. Renoir peignait de touches les effets éphémères de lumière et les reflets de l’eau, jetant les bases de l’impressionnisme, en compagnie d’autres artistes (Monet, Piassaro, Sisly ou Manet). La lumière nacrée si chère à Renoir nous enveloppe le long de la rivière comme à Loches-sur-Ource.

Il a peint cette vie simple, faite de petits bonheurs. Les habitants d’Essoyes étaient les modèles vivants de Renoir, le peintre de la vie heureuse. Les pique-niques au bord de l’eau se succédaient à la pêche où l’on apprenait à regarder, à aimer les gestes simples de la campagne. Ce que nous faisons en roulant en gravel sur ces chemins qui relient les villages de la côte de Barse : cette balade de fin de saison à la campagne prend une saveur de plénitude.

Il est agréable d’aborder le rythme de cette vie heureuse, de rouler sans objectif de performance. L’artiste rentrait dans le décor, « Moi, j’aime les tableaux qui me donnent envie de me balader dedans… ». Les paysages qui se dévoilent devant nos roues sont ceux que Renoir a peints. Si nous ne profitons plus des couleurs ensoleillées du paysage en été et de ces touches de bouquets de fleurs des champs qu’illustrent ses tableaux, nous retrouvons en cet automne le côté paisible d’une campagne bucolique.

Chemins blancs

Vincent, Matis et Auguste gravissent les coteaux de la Côte de Bar : le gravel s’invite sur ces chemins blancs qui parcourent les coteaux du sud champenois. Les Hutchinson Touareg fusent sur ce revêtement idéal. Les chemins épousent le relief et farandolent entre les collines : l’image d’une Toscane et des Strada Bianche est comparable à cette belle Champagne.

La découverte de grands panoramas est au bout d’un sommet, d’une côte où trône parfois une cadole, faite de pierres sèches. Cette cabane était utilisée par les vignerons qui venaient se protéger de la chaleur de l’été ou des intempéries.

Petit paradis

Les coteaux de la Champagne s’étendent de Reims au nord jusqu’à Troyes : ces vignoble sont parmi les plus grands d’Europe. Vers le milieu du XIIe siècle, à Bar-sur-Aube, Troyes ou Provins se développèrent les foires de Champagne où se rencontraient les marchands flamands et italiens, la région se situant sur cet axe commercial. Le succès de ces foires était assuré par les comtes de Champagne qui promettaient aux marchands sécurité et privilèges : ces cités ont gardé jusqu’à nos jours leur caractère médiéval.

Mais la Champagne n’a pas toujours été ce pays de cocagne : pour survivre, les paysans ont dû s’adapter aux calamité. Ainsi, en 1770, une bonne partie des ceps furent anéantis par le phylloxéra. Ils n’eurent d’autre choix que de se tourner vers la culture du seigle puis de celle du blé : cette reconversion a transformé le paysage champenois que l’on rencontre ici et là.

Pour ce dernier jour, Vincent me mène au nord du département de l’Aube, à Villenauxe-la-Grande où l’on retrouve sur un petit territoire tout le microcosme de la Champagne : vignobles, coteaux, vallons encaissés et bois. En voyant la grandeur de l’église, la belle pierre semble avoir été réservée à sa construction comme à celle des grandes demeures. Pour construire leurs maisons, les villageois se contentèrent de ce qu’ils trouvaient sur place en abondance, le bois. Et ils bourraient les interstices des colombages de terre et de paille. Tandis que la craie servait de crépi.

Les crêtes, battues par les vents et impropres à la vigne, ont été épargnées et ont gardé leur forêt. Au vu de l’important dénivelé qu’elles offrent, il nous tarde d’explorer en gravel ces pentes taillées à la serpe. Au dessus du village, les versants se couvrent de magnifiques forêts de feuillus. Vincent m’emmène en Val de Noxe, du nom d’un ruisseau espiègle se cachant des regards.

Les sentiers, parfois techniques, participent au plaisir de rouler en gravel, celui de retrouver les automatismes des vieux briscards de l’ère pionnière du VTT. L’absence de suspension, la minceur des pneus et la position, nez dans le guidon, nous imposent de contourner les pierres calcaires, les racines glissantes et de ne pas les enrober comme de coutume avec nos VTT actuels.

En fin de journée, le soleil déclinant dessine sur les cépages de belles couleurs, profitant encore au maximum des bienfaits de son rayonnement. Ici, le ciel caressant la terre nous a apporté le bonheur d’avoir vécu en ces jours de novembre de belles randonnées à travers une Champagne éternelle.

Carnet pratique

ParPierre Pauquay