Découverte | Les baroudeurs sans frontières : la Transmaurienne Vanoise en mode ultra

Par Pierre Pauquay -

  • Nature

Découverte | Les baroudeurs sans frontières : la Transmaurienne Vanoise en mode ultra

Depuis plus de 30 ans, la Transmaurienne Vanoise offre aux concurrents un des plus beaux raids d’Europe en sillonnant les portes du Parc National de la Vanoise. Pour 2021, l’épreuve va se décliner en mode ultra, une épreuve marathon hors normes qui se déroulera entre France et Italie. En guise de préambule, Vojo était de la partie pour ce premier tour de roue de l’extrême…

Ludovic Valentin, l’organisateur de la Transmaurienne Vanoise, m’en avait fait l’écho : sa course prendrait une autre dimension si elle se déclinait en mode « ultra ». Un projet où les chiffres s’envolent : 280 km pour 11000 m de dénivelé à effectuer en 50 heures ! Pour une telle aventure, Ludovic ne pouvait lancer les adeptes de l’effort extrême sur des sentiers hasardeux sans en connaître leur cheminement. C’est ainsi qu’il eut, cet été, l’idée de rassembler quelques ambassadeurs de la Transmaurienne Vanoise, vététistes de Savoie et autres journalistes pour une expédition de trois jours à travers les montagnes de la Savoie et du Piémont. Une sorte de test grandeur nature pour connaître la faisabilité et la pertinence de cet « ultra », prévu l’an prochain. Vojo en fut de la partie…

Une trace connue

Si nombre de sentiers courent dans la montagne, la recherche d’itinéraires possibles à VTT requiert une bonne connaissance du terrain. On ne peut pas se fier aux traces des GPS éditées sur le net et autres GR qui sont dessinés sur les cartes IGN. On doit y aller, on doit se lancer pour jauger de la pertinence d’un passage d’un col à vélo ou d’une descente dans un versant abrupt.

En fin de matinée, la petite troupe s’élance d’Aussois pour un premier baroud jusqu’à la frontière italienne, au refuge du Mont Cenis. A gauche comme à droite, les montagnes de la Vanoise sont des barrières de granit et de glacier et ferment la Maurienne. Notre échappatoire passera par le haut de la vallée. Pour les premiers kilomètres, la trace est connue, puisant ses gènes dans la Transmaurienne Vanoise qui en a fait son succès.

Pour la suite, la grande aventure nous attendra vers l’Italie : cet ultra transfrontalier doit passer de la Haute-Maurienne au Piémont, entre Suza et Bardonecchia. Sur la carte, la distance nous semble effrayante : ce marathon est une chevauchée fantastique à effectuer en duo, longue de 280 km, que l’on doit boucler dans un temps imparti de maximum 50 heures. Cela sera-t-il jouable ? L’aventure que nous allons vivre va sans doute nous apporter un élément de réponse…

En ce mois de juillet, la chaleur et la sécheresse écrasent comme une chape de plomb la montagne. Le revêtement du chemin n’est que béton : en bon dernier de la troupe, je navigue à l’estime dans un nuage de poussière. A toute vitesse nous descendons dans la vallée pour rejoindre le joli « Chemin du Petit Bonheur », un tracé qui permet de relier à pied ou à vélo les villages. Il sillonne la haute vallée, entre roc et ravin et ne cesse de grimper, par paliers.

Un monde minéral

Alors que la journée est à peine entamée, les jambes me brûlent sur le tronçon menant au hameau minéral d’Ecot. Les murs comme le sentier qui le traverse sont en pierre. Les toits en lauzes sont faiblement pentus : en hiver, ils retiennent la neige qui servait alors d’isolant thermique.

Ecot est l’exemple même de l’adaptation de l’habitat face aux rigoureux hivers. Situé à 2027 mètres, il était le plus haut village de France jusqu’à sa désertion, en 1968.

A cette date, les hommes et les bêtes vivaient simplement dans un espace réduit, contrastant avec le flot de touristes qui envahit les lieux en ce mois de juillet 2020. Dans le single vers Bonneval-sur-Arc, la force fait place à la dextérité où l’on doit faire preuve de courtoisie : une politesse de partage du chemin qui n’est pas toujours bien perçue par certains randonneurs…

Retour à Bonneval-sur-Arc où l’on effectue une petite incursion dans la belle vallée perpendiculaire d’Avérolle. Nos roues nous mènent près de Vincendières où le temps est suspendu. Le hameau semble sans vie : tout est devenu immuable comme les rochers qui le ceinturent.

Nous touchons ici un certain paradis, avec comme jardin extraordinaire des espaces sans fin. Si le village s’est vidé de ses habitants, autrefois, les passeurs et les contrebandiers descendaient de là-haut, de la Blanche Fleur et y venaient se réchauffer.

A 2000 m d’altitude, les derniers mélèzes tentent de s’accrocher sur la pente. Face à nous, une sente sinue et permet de rejoindre le refuge d’Avérole. Nous ne nous y rendrons pas et prenons plutôt la trace, sur l’autre rive du torrent. Sur le sentier, les seuls bruits qui se répercutent sont ceux du torrent et des pierres qui roulent devant nos roues. La partie est une nouvelle fois ardue. En fin de journée, sur le sentier en balcon près de la Lombarde, les corps sont fatigués…

Lac d’émeraude

A cette sente succède une longue ascension, à toucher les nuages qui s’étirent en filandres sur le lac du Mont Cenis. Nous roulons sans doute sur l’ancienne route menant vers les forts qui défendaient la frontière de la Savoie, faisant partie du royaume de Piémont-Sardaigne.

Nous pensons également à ces voyageurs d’une autre époque qui empruntaient, bardés de sacs en toile, cet itinéraire historique menant vers la plaine du Pô et le sud. Le sel, porté à dos d’ânes, franchissait les cols, versants italiens, et descendait vers la Maurienne tandis que le fromage de la vallée transitait en sens inverse… Et les chapelles, croix qui s’égrènent le long du parcours, témoignent de l’importance de la religion pour ces passeurs qui se sentaient ainsi protégés par la foi divine face à l’hostilité de la nature.

Enfin le lac. Sa magnifique couleur fait oublier son origine artificielle. Inauguré en 1970, il renferme la sixième réserve d’eau de France. Sur la piste d’alpage menant au refuge du Petit-Cenis, un courant d’air frais couche les herbes hautes : le foehn vient de traverser les cols de l’Italie et s’engouffre dans la vallée. Demain le temps sera mauvais, foi de Savoyard…

Le soir, dans le refuge, nous nous sommes enfin rencontrés tous les dix. Dans la journée, on a cheminé trop longtemps, seul, enfermé dans son propre silence, interrompu par le souffle de sa respiration. Une communauté se crée, solide, devant ce simple plat de saucisses de diots et de polenta, la spécialité du refuge. On découvre que l’on appartient à un groupe, quelles que soient nos origines. Cette unité sera importante pour la suite de l’aventure.

Les montagnes perdues du Piémont

A l’aube du 21 juillet, une nouvelle journée débute, une nouvelle vie commence. On savoure la présence de l’autre roulant à nos côtés. Une lumière diffuse éclaire le lac : le soleil se lève quand on entre en Italie alors qu’en Savoie, le temps va vite virer à l’orage.

Au Mont Cenis, les hommes ont cassé la montagne, ont creusé des chemins carrossables pour porter haut les bouches des canons. Et la guerre s’est portée ici à 2100 m d’altitude quand s’affrontèrent les armes françaises et italiennes lors de la Bataille des Alpes fin juin 1940.

Toute la rigueur militaire se retrouve sur ces chemins dans les nuages. Tout y est parfaitement aligné : les cailloux et dalles forment une voie de géants. On roule sur ces chemins où tant d’hommes ont souffert pour les construire et les défendre…

Ce versant du Piémont est la forêt vierge des Alpes et tranche avec le côté français, accueillant et qui ouvre ses bras aux pâturages. Côté italien, sa verticalité et la dense végétation empêchent toute activité humaine. Seuls quelques sentiers subsistent : on s’y lance à travers les fourrés. Ils épousent les besoins des hommes et vont de sources en fontaines et joignent les villages les uns aux autres quand la route n’existait pas. Dans ces petits royaumes isolés, on y naissait, on s’y mariait et on y mourait.

Le sentier, source de vie

Je découvre ces sentiers ancestraux : j’éprouverais même une joie puérile à porter ma machine sur le dos, à marquer de mon passage un territoire que nul vététiste, j’aimerais le croire, n’avait encore jamais parcouru. Les racines nous enveloppent, les lianes cachent le ciel et je me sens perdu… Rien d’inquiétant cependant. Si le sentier devient improbable, le GPS est notre balise : l’appareil fait le boulot et il nous empêche de connaître ce sentiment d’être loin de tout.

Dans les éboulis, on se regarde avec un grand sourire. On est tous semblables dans l’effort. Cet élan, ce courage communicatif vous hisse le VTT sur le dos au devant du sentier improbable. La technologie aide mais une carte IGN nous aurait donné une vue globale de tout le versant dans lequel on se bat.

A la sortie du village de San Colombano, la petite troupe se sépare. Les plus costauds poursuivront la route pour explorer celle du Cole dell’Argentera… Pour notre part, nous longeons à trois la rivière Dora di Bardonecchia qui nous mène en droite ligne vers le village éponyme.

Les amis arrivent bien plus tard : ils n’auront pas la force d’effectuer la boucle prévue entre Oulx et Bardonecchia. On jette l’éponge, tant pis pour le cumul de dénivelé qui ne dépassera pas les 3000 mètres : un chiffre conséquent, mais qui ne suffira pas à combler le dénivelé prévu de l’ultra pour ces deux premières journées…

Retour en terre savoyarde

Le lendemain, dernier jour de notre aventure, le retour en France doit passer par le col de la Roue. Dans les lacets de la piste carrossable, l’équipe s’étire selon les ressources et forces que chacun aurait pu garder.

A l’arrache et au courage on s’élève à 2600 mètres d’altitude. Le col est magnifique, entouré de montagnes ciselées.

En basculant sur l’autre versant, on retrouve cette montagne de Savoie moins austère, mais aussi plus humanisée. Thierry prend la tête et nous montre ses singles vers Fréjus et la Norma : c’est beau, on oublierait presque les efforts du matin et de la veille.

La dégringolade se poursuit, magnifique jusqu’au pied d’un des forts du complexe défensif de l’Eisseillon, le Victor-Emmanuel, soit près de 1000 m plus bas.

Je roule dans le dédale de cet exceptionnel fort qui devait barrer la route des troupes françaises et leur interdire le passage vers Turin, la capitale piémontaise. Ironie de l’histoire, ces forts ne tirèrent jamais un seul coup de feu : en 1860, la Savoie devint française et les ouvrages n’étaient plus tournés du bon côté…

En fin d’après-midi, cette plongée dans la vallée de l’Arc me fait suer des gouttes : j’ai l’impression d’être venu d’un autre monde, de là-haut, pour me retrouver dans une cuvette où l’air est chaud et caniculaire. Vite, j’enclenche le petit plateau pour remonter en altitude vers Aussois où le raid portera les concurrents vers les lacs du Plan d’Amont et d’Aval. Une dernière boucle qui devrait clôturer ce raid hors normes.

La recherche du bon itinéraire nous aura pris du temps et aura entamé nos réserves : les trois journées ne nous ont pas permis de terminer la totalité de l’ultra. Dès le départ, mes humbles prétentions ne pouvaient pas honorablement boucler le raid en trois jours. Les plus costauds se sont battus et n’auront pas pu aller au-delà des 280 km. Si l’on supprime certains tronçons de portage du côté du Piémont, l’itinéraire sera exceptionnel, point de doute là-dessus : l’ultra atteint ici des extrêmes, tant au niveau des paysages rencontrés que de la résistance humaine.

L’effort exigé durant les jours et les nuits dépasserait-il nos capacités physiques ? Selon Saint-Exupéry, « seul l’inconnu épouvante les hommes, mais pour quiconque l’affronte, il n’est déjà plus inconnu ». A ce titre, certains marathoniens peuvent soulever la montagne selon leur propre volonté et courage. Mais cette dernière ne se laissera pas facilement gagner par la grâce d’un tel exploit.

Carnet pratique

ParPierre Pauquay