Découverte | Le Panorama Bike, au firmament du VTT
Par Pierre Pauquay -

A la fin du mois d’août se déroulaient dans le Valais les Championnats du Monde de VTT. Si Crans-Montana et Zermatt ont accueilli les épreuves de XC, dans le Haut-Valais, le village de Bellwald était réservé aux manches d’enduro. Il nous semblait opportun d’aller découvrir cette région du Haut-Valais en sillonnant, par la même occasion, un tout nouvel itinéraire, le Panorama Bike.
Venir en Suisse sans prendre le train perd de sa saveur, comme peut l’être une fondue sans gruyère ou vacherin ! Ainsi, depuis Brig, nous le prenons pour rejoindre le Grimselpass, col frontière entre le canton du Valais et celui de Berne. Pour atteindre l’itinéraire du Panorama Bike, il faut prendre de la hauteur ! Depuis la gare d’Oberwald, il nous faudra également monter dans le car postal qui va gravir vaillamment les lacets abrupts du Grimsel.
Des sentiers historiques
Ce matin, au col, des particules de neige perlent sur nos vestes et une fine pellicule de givre et de rosée recouvre l’alpage. La brume s’accroche sur les flancs de l’adret. L’altitude de 2160 m nous fait claquer les dents alors qu’à Brig, nous ressentions cette dolce vita. En partant du lac, nous sommes dans un nuage : les contours de la belle montagne qui nous ceinture se diffusent dans l’ouate.
Ce parcours autour du col est l’héritage de ces sentiers muletiers qu’empruntaient les montagnards pour rejoindre à pied les vallées plus douces et accueillantes comme celles d’Interlaken. Le sentier en balcon offre une vue sur l’enfilade de la vallée de Conches (ou Gommertal), créée par le Rhône qui prend sa source au glacier éponyme, située près du Furkapass. Sa profondeur est telle que nous avons des difficultés à distinguer son fond où coule le fleuve naissant.
Les alpages fleuris et les vaches se succèdent au fil des épingles du col. Si l’altitude est le domaine de la caillasse et des torrents, plus bas, la vallée de Conches est contrastée avec ses versants très verts : les forêts se perdent à l’infini sur ces flancs extrêmement pentus. Depuis l’alpage de Gämschfax, la descente est interminable, très rapide et peu technique. Selon Laura de Promotion Valais, des aménagements vont être encore nécessaires cette année afin de proposer un itinéraire plus affiné, plus acéré pour une pratique plus engagée.
C’est aussi cela, la Suisse : des villages construits à flanc de montagne, à une époque où le tourisme était inconnu.
À Ulrichen, la route descend en suivant les courbes des virages et elle nous porte dans le bas de la vallée de Conches. Las, alors que l’on se croyait tiré d’affaire, sur l’autre versant se présente le défi du jour : la montée ardue jusqu’aux terrasses de Moosmatte. L’effort est récompensé quand un très beau trail sillonne la montagne et pique vers Reckingen, village situé sur les coteaux plein sud et lieu de notre première étape.
L’âme paysanne
Le lendemain, la pluie nous accompagne et elle pose des gouttelettes sur les blés des prés. Les petites fermes et les champs ont formé des paysages humanisés des plus apaisants. L’âme du pays de Conches, aussi précieuse que ses panoramas, est née de la longue présence de l’homme dans le paysage. Elle est restée fidèle à sa vocation agricole et n’a pas succombé aux sirènes du tourisme.
A Ernen débute la côte vers l’Alp Frid, une ascension digne d’un col redoutable. Nous sommes en prise, tout le temps. Sur le bitume, la fraîcheur de la forêt de mélèzes nous fait quelque peu oublier la difficulté de cette longue ascension où l’on se sent seul au monde. Plus nous montons, plus les conditions météo se dégradent. Contrairement aux cols fréquentés, ces petites passes où l’on roule sur de la grenaille ouvrent vers des perspectives inconnues. Comme cette vallée de Rappetal qui est un véritable joyau.
La piste vers la vallée perdue est la porte ouverte aux entrailles de la terre où tout n’est que chaos de roches et de ravins...
Nous baignons dans l’univers des barres rocheuses et des couloirs de pierre. La piste vers la vallée perdue est la porte ouverte aux entrailles de la terre où tout n’est que chaos de roches et de ravins : un paysage dessiné de main de maître par les glaciers disparus. Quelle différence d’ambiance avec les alpages riants de la vallée de Conches !
Bellwald, îlot de vie
L’itinéraire du Panorama Bike est suisse jusqu’au bout des ongles puisqu’un tout petit téléphérique nous porte vers Bellwald, notre étape du jour. Là, on rejoint le village disposé en terrasse.
C’est aussi cela, la Suisse : des villages construits à flanc de montagne, à une époque où le tourisme était inconnu. Les habitants vivaient en autarcie et produisaient tout ce dont ils avaient besoin pour subsister. En hiver, ils s’établissaient en basse altitude et en été ils montaient dans les hameaux d’alpage. À l’aube du XXe siècle, la montagne s’est équipée de câbles en acier et de téléphériques pour faciliter la montée des premiers touristes venus découvrir le panorama à portée de main. Les paysans sont devenus hôteliers, les champs ont été reconvertis en pistes de ski, et les chalets d’alpage ont été transformés en habitation de villégiature. Face à nous, ils s’égrènent sur les pentes abruptes illuminées par le soleil couchant, révélant ce beau pays du Haut-Valais.
Ce village se donne des airs de bout du monde. Pourtant c’est ici que se déroulaient les manches d’enduro. Vincent se prête quelque peu au jeu en découvrant le bike park tandis que je profite du confort de l’hôtel. Le lendemain, un très beau singletrack nous fait redescendre sur notre lieu de la veille, au pied de la passerelle.
Villages du XVIe siècle
À la sortie du village de Fürgangen-Bellwald, cette longue passerelle suspendue, le Goms Bridge, jetée 90 m au-dessus des gorges du Rhône, nous porte sur l’autre versant à Ernen. Le centre du village, en pans de bois, est l’un des plus anciens de Suisse : on y découvre une fresque de Tell datant du XVIe siècle. Au Moyen Âge, les voleurs y étaient jugés devant la Cour de Justice ; certains étaient condamnés à la prison, marqués au fer rouge sur l’épaule et d’autres mis au pilori. Le village demeurait au XIXe siècle, avant l’ouverture de la nouvelle route du Furka située sur l’autre versant, le passage obligé des voyageurs. Excentré par rapport à la voie principale, le village a été préservé et a gardé tout son charme d’antan, grâce notamment à ces petits jardins parsemés çà et là qui ont empêché toute nouvelle construction adjacente. Des édifices remarquables bordent la place dont la Tellenhaus, la maison de Guillaume Tell.
La vallée cachée des regards
La route s’aventure maintenant vers le fond du Binntal. Le paysage, d’abord ouvert avec ses flancs paisibles de prairies, se ferme de plus en plus. En hiver, depuis des siècles, la vallée était coupée du monde extérieur. Il fallut attendre les années 1960 et la construction d’un tunnel pour la voir enfin désenclavée. Pour notre part, nous empruntons plutôt l’ancienne route taillée dans la roche et en équilibre au-dessus des gorges insondables. À la sortie, voici Binn, cette perle située au bout de la haute vallée : un écrin pour la richesse de ses roches, attirant les cristalliers du monde entier. À la fin du XIXe siècle, Binn s’ouvrit aux touristes.
Dans le village, l’Hôtel Ofenhorn représente la Belle Époque, quand les premiers voyageurs anglais arrivaient par la malle-poste. L’un d’eux, Winston Churchill, venait régulièrement s’y ressourcer. On peut le comprendre en découvrant l’harmonie du lieu et le calme qui y règne.
Des 3000 et 4000 m comme étendards
Depuis le village, nous franchissons le pont en pierre qui s’intègre parfaitement à l’arrière-plan des maisons en pans de bois : en route pour cette étape reine qui va passer par le col de Saflisch, situé à 2563 mètres d’altitude.
Dans la longue vallée du Saflischtal, le chemin s’ouvre vers les hauteurs. Cet itinéraire n’est pas bien compliqué mais il est, en soi, une des plus belles représentations du Binntal. Quel plaisir que de remonter à vélo cette vallée riche de sa faune et de sa flore ! À l’aube ou en fin de journée, les bouquetins montrent leurs museaux.
Peu après les bergeries, le vallon est comme écrasé par les formidables escarpements du Wasenhorn (3246 m) et du Bortelhorn (3193 m).
Au fil de la montée, la piste carrossable devient ténue. A l’entame du col, les lacets du sentier sinuent dans l’alpage et nous permettent de rester sur le vélo. Le versant ensoleillé donne envie de s’arrêter, de profiter du panorama qui se présente face à nous où émergent les 4 000 m du Valais et de l’Oberland. Un virage à droite, et nous piquons cette fois via un chemin bien caillouteux vers le village panoramique de Ried.
Pays de paradoxe
En roulant sur le chemin ceinturé de pins maritimes, on constate que le Valais est un territoire de paradoxes. Paradoxe dans sa culture, latine au sud et alémanique au nord. Paradoxe dans son climat, avec la plaine qui atteint en précipitation péniblement les 500 mm par an alors que ses sommets se noient sous les fortes pluies et orages.
Ces phénoménales quantités d’eau en altitude, véritable or bleu pour les cultures d’en bas, sont depuis des siècles transportées par des canaux improbables, ces bisses. Nous suivons l’un d’eux pour rejoindre enfin Brig. Le sentier est remarquable, étroit mais très rapide. De loin, il donne l’impression de flirter avec le vide. Les raccards qui parsèment les champs illustrent une dernière fois le riche patrimoine du Haut-Valais. La série de sommets de 4 000 m, en toile de fond, forme comme des rubis étincelants au soleil, et leurs glaciers barrent l’horizon ; le spectacle est exceptionnel. Le Panorama Bike s’est immiscé dans une des plus belles images des Alpes, intemporelle et immuable comme tous ces villages en pan de bois de la vallée de Conches, qui a préservé toute la tradition de cette civilisation agropastorale.
- Carnet pratique
L’itinéraire Panorama Bike (81) est à voir sur le site
https://schweizmobil.ch/fr/suisse-a-vtt/itineraire-81 - Infos générales
Pour organiser votre séjour
www.valais.ch
www.valais.ch/fr/explorer/inspirations/vtt/le-sejour-ideal-pour-les-passionnes-de-vtt