Découverte | La Gleize, rencontre de deux mondes

Par Pierre Pauquay -

  • Nature

Découverte | La Gleize, rencontre de deux mondes

Au printemps, les classiques cyclistes ardennaises battent leur plein. L’air brûlait et le chaudron de la Gleize se ravivait… Chaque année en cette période, ce paisible village connaît le passage de la course Liège-Bastogne-Liège. Dans la côte du Rosier, peut-être la plus belle de toutes, les forcenés du bitume jettent toutes leurs forces dans la bataille pour s’envoler vers une échappée, seul ou avec des compagnons de route. Pendant ce temps, sur les chemins, un petit groupe de vététistes voit les choses autrement. Découverte.

 

 

Loin de cette agitation, sur nos machines à crampons, Hugo, Daniel et moi-même allons nous mouvoir dans la forêt, sur une magnifique trace, à la rencontre de nos frères de la route.

Une envolée qui débute de la place du village où trône un énorme char Tigre Royal, remémorant que la Gleize a connu un tout autre feu que celui des feux de la rampe des coureurs d’aujourd’hui.

Guerre et paix

En décembre 1944, lors de l’offensive des Ardennes, la Division SS du Kampfgruppe Peiper, bloquée par les Américains, détruisit le village. Deux fermes plus loin, le paysage se découvre et rompt la monotonie du plat pays chanté par Jacques Brel.

Il y a quelques années, j’ai posé mon sac dans ce coin d’Ardenne, une région qui se marque par des contrastes forts entre un hiver rude et froid et un printemps qui foisonne de vie. Et cette région attire le regard du vététiste. Vallée encaissée, eau pure et forêt clairsemée de hêtres et de chênes, celle de l’Amblève ouvre en grand son livre d’images.

Tôt ce matin, la sente s’ouvre face à nous : nous partons sur ces chemins où chantent les légendes et l’histoire du pays. Du village, nous déboulons sur la route menant vers la ferme de la Vaux Renard. Dans la côte vers Monceau, les fleurs inondent de couleurs le vallon où les papillons et les insectes se délectent.

Casse-patte et chausse-trappe

Nous roulons sur la trace d’un parcours de X-country. Le sentier s’élève, rude et implacable. Côtes sur chemin ou sur route, en Ardenne, c’est le même combat. Des forts pourcentages à vous faire déchirer les poumons. Dans Liège, les 260 km comptabilisent, de côtes en côtes, plus de 4000 m de dénivelé, dignes d’une étape montagneuse au Tour de France. Mais les hommes les plus forts ne sortent pas souvent du bois et se révèlent plutôt dans les dernières pentes, quand la course approche les quartiers plus chauds de Saint-Nicolas, dans la banlieue liégeoise, là où s’exprime la ferveur méditerranéenne et pas le cœur sombre de l’Ardenne.

Au sommet, après 300 m de dénivelé à l’arraché, du village si bien nommé de Brume, l’itinéraire bascule et plonge dans une forêt qui nous entraîne dans l’univers de l’Ardenne.

Nous filons et apercevons à travers les fûts des épicéas le beau lac de Coo, si bleu en ce mois d’avril. Le bois de Stalons est une ode à la vie sauvage : au hasard d’une rencontre, nous apercevons les cerfs et biches se déplaçant en hardes. Sur le chemin arboré de hêtres, nous rejoignons l’Amblève qui dessine un sillon à travers le vieux massif ardennais. Depuis la nuit des temps, la pierre et l’eau s’y sont heurtées, creusant des vallées encaissées qu’apprécient les enduristes du coin : Ninglinspo, Chefna sont leur terrain de légendes.

Tandis que nous nous reposons sur les rives de la rivière, les routiers en fin de matinée filent vers Bastogne pour un baroud de 260 km… Après les courses rapides comme Milan-San-Remo ou Paris-Roubaix, leur rythme est différent. Les plus petits développements, obligatoires pour passer les bosses, s’enchaînent aux plus gros, nécessaires pour rouler vite dans les fonds des vallées : un terrain idéal pour les puncheurs, les coureurs au gros cœur. Pourtant, durs au mal et la tâche, les Flamands ne s’y retrouvent pas dans Liège, la latine. Comme si le gris des pavés des monts de Flandre et le noir de la poussière à Roubaix leur étaient réservés.

Aux alentours des bocages de Wérimont, nous entendons au loin le chant d’un coucou avant de traverser un gué.

Plus près de nous, un couple de buses plane au-dessus de nous : la nature nous salue et est bienveillante… Tout comme le sentier, sinuant entre les jeux de lumière du bois de conifères menant vers le Roannay. Dans la prairie, le ruisseau coule au milieu des herbes hautes : nous entendons sa musique, lancinante et avons l’impression de rouler ailleurs, dans un songe de montagne. Sur la colline en face, les hameaux se dispersent dans le paysage : nous choisissons la trace vers Roanne, Heilrimont et Exbomont, perchés tout là-haut, en cul-de-sac.

Du hameau, nous descendons sur une route granuleuse que les coureurs abordent à tombeau ouvert. Eux n’ont pour freins que des patins sur jante, nous, des plaquettes sur des disques de 180 et 200 mm. Et je pense à Lucien Aimar, le plus grand descendeur de tous les temps – selon Philippe Bordas dans son ouvrage Forcenés – qui descendait en ondulant, chaussé de boyaux de soie, à 130 km/h. Sans casque intégral ou quelconque protection : nous étions en 1960… En enduro comme en DH, les trompe-la-mort ont changé de monture, mais le corps est encore ce gouvernail qui décide de la bonne trajectoire.

La trace grimpe dans le bois où la chaleur fait perler le front de gouttes de sueur. L’été a joué son premier acte mais il n’en a pas toujours été ainsi. Je me rappelle – étant gamin – voir Bernard Hinault affronter une tempête de neige. En ce 24 avril 1980, le Blaireau remportait la Doyenne avec plus de 9 minutes d’avance. Cette année-là, seuls 21 rescapés sortirent de cet enfer. Le Breton laissera dans cette aventure une phalange de doigt gelée…

Alors que nous approchons d’Andrimont, nous entendons le bruit caractéristique de la course qui approche : coups de klaxons, odeur de barbecue, c’est un peu la kermesse du jour. Les gens affluent le long de la côte et vont porter leurs champions vers le sommet. Le moment est court mais quand le peloton arrive, le sifflement des pneus et le cliquetis des dérailleurs ne sont que murmure dans la forêt. Les coureurs s’observent et le temps semble suspendu. Il annonce le combat de titans qui se produira 50 km plus loin, du côté de la Roche aux Faucons quand le Luxembourgeois Bob Jungels filera vers son premier grand sacre.

La couleur des maillots des coureurs n’est pas belle, on la préfère en noir et blanc…

La meute partie, tout redevient si vite calme : nous retrouvons la solitude des lieux et filons maintenant sur la magnifique trace entre les villages de Cour et de Borgoumont.

L’ancien sanatorium de Borgoumont fut à l’époque un haut lieu pour soulager les blessés de la Grande Guerre et les tuberculeux. Sa forme en cercle lui confère un aspect panoramique majestueux de la Belle Epoque.

Dans la forêt, le parfum des pins sylvestres se mêle à celui des fleurs des mélèzes.

À l’orée, le soleil de la fin de journée éclaire La Gleize et révèle le paysage merveilleux de cette Ardenne, lieu de lutte et de joie pour tous les amoureux du vélo.

Carnet pratique

  • La Gleize est un village situé en province de Liège, sur la route de l’Amblève, entre Remouchamps et Trois-Ponts.
  • A La Gleize il existe 4 circuits balisés. Nous vous conseillons de cumuler le rouge (LG VTT 3, 17 km) puis le vert (LG VTT, 20 km) que l’on suivra au retour du rouge, au sommet de la côte peu après la Venne.
  • Le départ des itinéraires s’effectue place de l’Eglise où se situe le musée December 1944.
  • La carte de ces itinéraires est en vente à l’office de tourisme de Stoumont ou à la boulangerie Burotte.
  • www.december44.com

ParPierre Pauquay