Découverte | Carnet de voyage en Haute Maurienne : sur les traces d’Hannibal en gravel

Par Pierre Pauquay -

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Découverte | Carnet de voyage en Haute Maurienne : sur les traces d’Hannibal en gravel

Une légende hante les montagnes de la Haute Maurienne depuis des siècles. Hannibal serait passé avec son armée d’éléphants par l’un des cols de la vallée et l’aurait menée vers la plaine pour s’emparer de Rome, la cité millénaire… Ce carnet de voyage part sur les traces supposées du général carthaginois.

En ce jour d’octobre, la lumière d’automne mêlée au ciel azur italien, le plus beau du monde dit-on, magnifie la montagne de la Haute Maurienne et du Piémont, tout proche. À Bessans comme à Bonneval-sur-Arc, les volets des auberges sont clos.

Dans les alpages, le seul bruit est celui du vent couchant les rares herbes rases. Il a remplacé celui du tintamarre des cloches des vaches qui rythmaient l’estive. Les bêtes sont redescendues et se calfeutrent déjà comme les hommes qui attendent un hiver pouvant survenir à tout moment. En cette période, nous pouvons ressentir cette atmosphère de crépuscule d’automne et profiter des derniers grands beaux jours.

Si de nos jours le village s’est vidé de ses habitants, autrefois, les cloches de l’église sonnaient celles du courage. Elle a guidé les passeurs et les contrebandiers qui descendaient de la Blanche Fleur...

Depuis Bessans, la visite de la vallée d’Avérole, située à quelques kilomètres à l’est, est tentante… L’itinéraire mène à Vincendières où le temps est suspendu. En automne, le hameau semble sans vie : hommes et bêtes ont quitté les lieux pour éviter d’y passer l’hiver. Tout est devenu immuable, comme les rochers qui le ceinturent. Mais les conditions dantesques nous pousseront à revenir dans la vallée pour effectuer d’autres prises de vue de paysage, près d’un an plus tard, en ce mois de juin.

Face à la Blanche Fleur

En ce début de printemps, nous roulons cette fois avec Damien, graveliste de la région. Il nous mène sur la route pour atteindre Avérole. On touche là un certain paradis avec, comme jardin extraordinaire, des espaces sans fin. Ce secteur du massif de la Bessanèse a d’ailleurs servi de décor pour le film Belle et Sébastien. Si de nos jours le village s’est vidé de ses habitants, autrefois, les cloches de l’église sonnaient celles du courage.

Elle a guidé les passeurs et les contrebandiers qui descendaient de la Blanche Fleur, l’ancien nom de la Pointe du Charbonnel. Ils affrontaient l’inconnu, le domaine de la haute montagne avec leurs bardas sur le dos, les godillots plongés dans la neige.

Et ils passaient, quel que soit le climat, pour amener des denrées rares comme le sel, alors lourdement taxé par le poids de la gabelle. Plus loin, il est impossible de passer de ce côté à vélo : un demi-tour est nécessaire pour découvrir la vallée de la Haute Maurienne.

Hameau minéral

Au bout de la vallée, l’itinéraire rejoint L’Écot. Sur la piste carrossable y menant, le pourcentage s’envole. Dans le hameau, les ruelles étroites et les lauzes recouvrent une toiture faiblement pentue. Elle retient la neige qui servait alors d’isolant thermique : l’Écot est l’exemple même de l’adaptation de l’habitat face aux longs hivers. Situé à 2 027 m, il était le plus haut village de France jusqu’à sa désertion en 1968.

À cette altitude, les conditions extrêmes imposaient d’utiliser ce que l’on trouvait sur place : de la pierre, et presque rien d’autre…

À cette date, les hommes et les bêtes vivaient ensemble dans un espace réduit : un mode de vie agropastoral qui s’éteignit avec l’avènement du tourisme hivernal. Si les hommes sont partis, le décor n’a guère changé…

À l’image de cette Haute Maurienne préservée où les Alpes ont trouvé une de ses plus belles expressions. On peut poursuivre cette recherche d’authenticité jusqu’à la limite autorisée à VTT, à la porte du Parc national de la Vanoise. Dans la montagne gambadent les bouquetins, ces grands ongulés si peu farouches de nos jours, mais qui se comptaient à la création du Parc en 1963 sur les doigts d’une main.

Espace de beauté et de liberté

Les sommets semblent se perdre dans le ciel. La Dent Parrachée (3 684 m), le Dôme de Chasseforêt (3 586 m) et la Grande Casse (3 855 m) sont les échines de la Vanoise. Sur le chemin, les quelques chalets restaurés succèdent à ceux séculaires en pierre. L’aspect bucolique du paysage ne doit pas cacher la dure vie d’autrefois en haute montagne.

À cette altitude, les conditions extrêmes imposaient d’utiliser ce que l’on trouvait sur place : de la pierre, et presque rien d’autre… Si l’assemblage se faisait sans mortier, on posait les rares poutres disponibles en bois pour assurer de la souplesse à la structure. Et on montait des tas de pierre pour casser, ou du moins dévier, la coulée de neige…

Un courant d’air frais couche cependant les herbes hautes : le foehn vient de traverser les cols de l’Italie et s’engouffre dans la vallée : demain le temps sera mauvais, foi de Savoyard. Et c’est vers ce versant que l’on se lancera sur le Petit-Cenis, sur les traces des éléphants…

Des éléphants dans un monde cristallin

Mais quel col a donc franchi Hannibal, en 218 avant J.-C., pour prendre à revers les armées de Rome ? La question divise les historiens depuis des siècles, mais la passe du Clapier pourrait bien être la clé… Facile d’accès pour les voyageurs, elle le sera jusqu’au VIIIe siècle de notre ère quand un éboulement, versant italien, lui fera perdre son rôle de passage principal entre les Alpes et la plaine du Pô.

Pour cette découverte, Terry, jeune enduriste de la région, sera notre guide. Dès Lanslebourg, la randonnée emprunte un de ces sentiers historiques où l’on peut s’imaginer dans la peau d’un voyageur d’une autre époque empruntant la route qui le conduit vers le Sud. Le sel, porté à dos d’ânes, franchissait le versant italien et descendait vers la Maurienne, tandis que le fromage de la vallée française transitait en sens inverse. Les chapelles, les croix qui s’égrènent le long du parcours témoignent de l’importance de la religion pour ces passeurs, qui se sentaient ainsi protégés par la foi divine face à l’hostilité de la nature… Et sur cette route, nombre de voyageurs se faisaient « ramasser »… Les habitants de Lanslebourg, des « Marrons », conduisaient ces ramasses, des sortes de luges et descendaient en dix minutes les pentes du col.

Une route construite à la pioche

Voici le lac du Mont-Cenis. Sa magnifique couleur en fait oublier son origine artificielle. Inauguré en 1970, il renferme la sixième réserve d’eau de France. Le col Clapier abandonné, le transit des marchandises passa dès lors par la route du Mont-Cenis. Construite dès 1806 sous Napoléon Ier, elle fut un ouvrage d’art remarquable. 3 000 ouvriers se tuèrent à la tâche durant dix ans pour aménager la montagne et dessiner la première route carrossable des Alpes. En complément de la voie, l’empereur fit établir une vingtaine de refuges entre Suse et Lanslebourg, hébergeant les 75 cantonniers qui devaient assurer l’entretien de la route.

Les forts, sentinelles du vide

Le tour du lac permet de récupérer quelque peu, même si, ici, il n’y a rien de vraiment plat. Le chemin grimpe à toucher les nuages, étirés en filandres sur le lac du Mont-Cenis. Il s’agit sans doute de l’ancien accès menant aux forts qui défendaient alors la frontière de la Savoie, faisant partie du royaume de Piémont-Sardaigne, face à… la France. Un sentier étroit et quelque peu aérien permet d’atteindre le fort de Ronce.

À la moitié du XIXe siècle, dans un contexte de tensions diplomatiques, le tout nouveau royaume d’Italie défendit âprement ses frontières. Tout autour du lac du Mont-Cenis, un système de défense empêcha toute velléité française. Renforcé dans les années 1930, il fut légué à la France lors du traité de Paris en 1947.

Des canons portés en altitude

Les hommes ont cassé la montagne, ont creusé des chemins carrossables pour porter haut les bouches des canons. Et la guerre s’est déroulée ici, à 2 100 m d’altitude, quand s’affrontèrent les armées françaises et italiennes lors de la bataille des Alpes, fin juin 1940. La rigueur militaire se retrouve sur ces chemins dans les nuages. Tout y est parfaitement aligné : les cailloux et les dalles forment une voie de géants. On roule sur ces chemins où tant d’hommes ont souffert pour les construire et les défendre…

Le versant du Piémont est la forêt vierge des Alpes, et il détonne avec le côté français, accueillant, qui ouvre ses bras aux pâturages. L’itinéraire ne bascule pas vers l’Italie mais se dirige vers le refuge du Petit Mont Cenis. Sur la piste d’alpage menant au havre du soir, un courant d’air frais couche les herbes hautes : le foehn vient de traverser les cols de l’Italie et s’engouffre dans la vallée.

La clé du col Clapier

Le soir, dans le refuge, Igor et Clovis accueillent avec bienveillance les randonneurs. Dans la salle bardée de bois, une communauté se crée, solide, devant ce simple plat de diots et de polenta, la spécialité du refuge. Au Petit Cenis, il n’y a pas de réseau, rien que le bruit du torrent, le cri des marmottes et celui des oiseaux. Les nuages entourent l’abri et dansent tout autour. En contrebas, l’ouate étouffe le lac. Cette étape est le luxe d’une vie simple.

Le lendemain, l’itinéraire rejoint les traces de l’armée d’Hannibal, soit 40 000 hommes et 37 éléphants. Le col du Petit Mont Cenis est atteint. De l’autre côté, le vallon d’Ambin s’ouvre au vététiste, tandis que, sur la gauche, une piste s’échappe vers le col Clapier, là où serait passée l’armée carthaginoise.

Il s’en dégage une impression inquiétante, minérale. La trace, qui descend vers Le Planay s’avère difficile, réservée aux VTT enduro.

La descente s’effectue entre rocs lacérés et racines émergeantes. Au pied du torrent, les difficultés s’atténuent, et un chemin plus débonnaire rejoint Saint-Pierre d’Extravache.

La plus ancienne église de Savoie veille depuis plus de mille ans sur Bramans, le village situé à l’entrée de la Haute Maurienne. Le « chemin du Petit Bonheur » va remonter, au gré des paliers successifs la vallée. En deux jours, la montagne aura levé le voile sur le mystère du général fantôme.

Infos pratiques

  • La Haute Maurienne Vanoise dispose de plusieurs circuits VTT. Les adeptes de cross-country n’auront que l’embarras du choix sur des parcours d’altitude qui allient technicité et beauté du paysage (soit 29 parcours pour 325 km !). Pour ce reportage, nous nous sommes basés sur le parcours 18 partant vers Avérole et le 21 (Le Criou) partant de Bonneval sur-Arc, direction Écot, tout à fait accessible en gravel… La partie dédiée au Mont-Cenis a emprunté en partie le parcours 13 avant de bifurquer au col du Petit-Mont-Cenis vers le parcours 40 noir enduro (Crosta Brava) piquant vers Bramans où l’on rejoint le Chemin du Petit Bonheur (balisage jaune). Les traces GPX de tous ces circuits sont téléchargeables.
  • A noter que la région dispose également de tracés dédiés aux gravel : nous y reviendrons…

Infos touristiques

  • Office du Tourisme de Haute-Maurienne-Vanoise
  • 6 Rue Napoléon, 73480 Lanslebourg-Mont-Cenis
  • www.haute-maurienne-vanoise.com
  • Vous pourrez y compulser la carte VTT
  • www.haute-maurienne-vanoise.com/activites-et-loisirs-ete/le-velo/les-parcours-vtt/

 

Par  Pierre Pauquay