Découverte | Aloueta Cycles : « Tu ne deviens pas cadreur en une semaine »

Par Léo Kervran -

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Découverte | Aloueta Cycles : « Tu ne deviens pas cadreur en une semaine »

Vive les garages ! Sans eux, le monde du vélo serait sûrement bien différent aujourd’hui tant ils ont vu naître de marques et de projets en tout genre. Aujourd’hui, on vous emmène dans celui d’Aloueta, une toute jeune marque installée sur les hauteurs de Chambéry qui propose déjà de très belles choses. Rencontre, visite et petite prise en main :

L’histoire d’Aloueta, c’est celle de deux frères passionnés de vélo depuis longtemps, Julien et Nicolas. Le scénario est tellement classique et connu que ça ferait presque sourire de l’entendre une fois de plus mais c’est la réalité : il y a quelques années de ça, Julien, alors ingénieur en mécanique, ne se plaît pas dans son travail et décide de le quitter. On est en 2017 et au mois de novembre, l’homme prend la direction de Copenhague pour une semaine de stage chez oTm.

Bien connue des artisans vélos, cette marque est celle d’un français, Tom, installé au Danemark depuis de nombreuses années. Au-delà de son activité d’artisan qui conçoit aussi bien des vélos que des outils pour le vélo, il est devenu l’une des références en Europe dans le mentorat et l’apprentissage de la fabrication de vélos en acier.

« En une semaine, on ne devient pasfabricant de vélo », nous explique Julien, « mais c’est ça qui m’a donné la motivation pour continuer. »

Le projet Aloueta est lancé et pendant 2 ans, Julien se fait la main sur des essais, des vélos pour la famille, les amis… S’équipe en machines aussi, de façon à pouvoir être autonome depuis la découpe des tubes jusqu’au montage du vélo.

L’aventure Aloueta prend un nouveau virage en 2020 : tandis que Julien (à droite ci-dessus) continue à travailler à côté, Nicolas (à gauche), qui aidait déjà son frère, bascule à 100 % sur le projet après avoir suivi la formation dispensée par Edelbikes à Grenoble.

Encore un an de perfectionnement et la société est officiellement créée en octobre 2021. Sur le papier, c’est donc tout récent mais dans les faits, les deux hommes ont déjà un peu d’expérience. « On a pris notre temps, on voulait que tout soit parfait dès le 1er vélo » confient-ils.

Bien que vététiste de cœur, Aloueta ne se limite pas aux vélos à gros pneus. Route, VTT, gravel, tout est envisageable comme l’attestent ces deux réalisations « maison », imaginées pour deux éditions du célèbre Concours de Machine de l’association des artisans du cycle.

En 2021, le thème imposé était celui de « la sortie tout-terrain montagnarde entre amis : partir rouler 2-3 jours en toute autonomie dans un milieu de moyenne voire haute montagne ». Interprété par Aloueta, cela donne un VTT tout-rigide généreusement équipé en supports de bagages, et avec un cintre inédit qui peut se démonter rapidement pour passer dans le train.

2 ans plus tôt, c’était Paris-Brest-Paris et la poésie qui étaient à l’honneur. Le règlement de l’épreuve indiquait en effet que la (fausse) commande émanait de « Mr Rêveur ou Mme Rêveuse ».

D’ailleurs, chez Aloueta, on ne trouve aucun modèle catalogue ou de série. La marque préfère travailler sur mesure, en VTT comme en route. Julien et Nicolas se sont même construit leur propre vélo à étude posturale, qui n’est toutefois pas utilisé à chaque fois :« En VTT, les clients ont souvent déjà une idée de la géométrie et on ne fait pas systématiquement d’étude posturale. En route en revanche, les gens sont plus à la recherche de sur-mesure à l’ancienne et là, le support est vraiment utile une fois qu’on a bien cerné la personne et sa pratique », détaille Nicolas.

Le sur-mesure, ce n’est pas qu’une histoire de cotes et dimensions, c’est aussi donner une personnalité au vélo. Prendre le temps d’apprendre à connaître le ou la commanditaire du projet, c’est ce qui fera toute la différence entre un vélo de série et un modèle unique.

Ensuite, on passe à la fabrication ! Il faut compter environ une semaine pour un cadre hors peinture et la première étape, c’est bien sûr le choix des tubes. Aloueta travaille principalement avec deux nuances, de l’acier Reynolds pour le triangle avant et de l’acier Dedaccia pour le triangle arrière. L’intérêt ? Tirer parti des spécialités de chaque fabricant.

En effet, il n’y a pas que sur la taille des tubes qu’on peut jouer pour influencer le comportement du vélo. Chaque type d’acier a des caractéristiques propres et chez Aloueta, on recherche en premier lieu de la solidité pour le triangle avant mais de la souplesse pour le triangle arrière, de façon à offrir du confort malgré l’absence de suspension. Pour le tout-suspendu, la porte n’est pas complètement fermée mais ce n’est pas la priorité de la marque.

Ensuite, c’est grugeage (découpage) et cintrage lorsque c’est nécessaire, pour les bases ou les haubans par exemple. Si on n’est pas surpris de découvrir quelques gabarits faits maison, d’autres outils sont plus étonnants, comme ce support ultra-spécifique (mais bel et bien vendu comme tel) pour la mise en forme des bases.

Une fois les tubes choisis et apprêtés, il s’agit de donner naissance pour de bon au cadre. Chez Aloueta, on ne fait de soudage mais du soudo-brasage. Kézako ? Contrairement à la soudure, où l’on fait fondre les tubes concernés en plus de l’éventuel métal d’apport, le soudo-brasage n’affecte pas les tubes. D’une certaine façon, cette technique s’apparente presque à un collage, avec un alliage à base de laiton ou d’argent (suivant les endroits) en guise de colle !

Moins utilisé que le soudage TIG, le soudo-brasage a pourtant des avantages : le procédé monte moins haut en température donc il sollicite moins les tubes, et permet ainsi de travailler avec des épaisseurs plus fines. Il nécessite aussi moins de préparation et comme les tubes sont intacts sous le cordon, on peut réparer plus facilement. Pour autant, aucun souci à se faire sur la solidité de l’opération : Aloueta a envoyé un cadre en laboratoire pour le faire tester selon la norme ISO 4210 (relatives aux exigences de sécurité de nos vélos) et il a passé l’épreuve avec succès.

Tant qu’on en est à parler de cadre, notons qu’Aloueta peut installer des passages en interne guidés si c’est prévu dans la commande. Oui, c’est possible même sur de l’acier ! On voit plus généralement cette « technologie » sur des cadres haut de gamme en carbone car c’est là où c’est le plus facile à mettre en place, avec un surpoids minime, mais c’est aussi tout à fait réalisable avec les autres matériaux. Ici, Aloueta utilise de fins tubes en acier inoxydable qui sont insérés dans le cadre puis fixés à leurs extrémités, là encore en soudo-brasage.

Enfin, il ne reste plus qu’à s’occuper de la finition. Nicolas et Julien font actuellement des tests avec un rendu « brut », où l’acier est simplement poncé puis vernis mais la plupart du temps, les vélos Aloueta sont peints. C’est la seule opération qui n’est pas faite dans le garage, mais le vélo ne traverse pas l’Europe pour autant, ni même la France : l’opération est sous-traitée à Annecy, à moins de 50 km, chez Magic Peinture.

Ces derniers maîtrisent en particulier la peinture à la poudre époxy cuite et sont capables de faire deux couleurs différentes sur le vélo, alors que la plupart des marques qui utilisent cette technique se limitent à un teint uni. Résultat, il n’y a aucun sticker sur les réalisations Aloueta, toutes les inscriptions sont peintes !

Et sur le terrain, ça donne quoi ? Avec leur passé de compétiteurs en enduro et leur terrain de jeu varié et technique, Nicolas et Julien n’ont pas peur d’aller jouer du côté des concepts (très) modernes lorsqu’on les laisse libres de toute contrainte et ça se sent.

Le temps d’une sortie, on les a accompagnés sur les sentiers de la chaîne de l’Epine, juste derrière l’atelier. Entre nos jambes et sous nos mains, ce très joli 120 mm à cheval entre le XC pour l’équipement et l’enduro pour la géométrie (65° d’angle de direction, 478 mm de reach). C’est donc ça, le downcountry ?

On a découvert un vélo idéalement taillé pour ce terrain, suffisamment léger pour la montée (souvent raide et longue ici) mais très stable pour la descente. Il lui faut un peu de vitesse pour devenir vivant, les faux-plats ne sont pas sa tasse de thé mais dès que c’est acquis, c’est un régal à piloter.

Il nous a aussi bluffés dans la (grosse) pente, sur de vraies descentes enduro. Le vélo est très stable et on a atteint la limite des freins bien avant celle du cadre. Rapide, fuyante et raide, la piste serait pourtant déjà piégeuse avec un tout-suspendu conçu pour ce terrain mais ce petit semi-rigide en 120 mm fait mieux que s’en sortir, il donne réellement du plaisir à son pilote.

Chaque Aloueta étant conçu sur mesure, on ne peut pas forcément extrapoler ce caractère à tous les vélos auxquels Julien et Nicolas donneront naissance mais cette petite expérience nous a en tout cas largement convaincus de leurs talents de cadreur. Et avec cette finition qui met en valeur le soudo-brasage, on s’approche presque de l’œuvre d’art…

Le milieu du cycle est un terreau très fertile pour les petits artisans et c’est toujours avec plaisir qu’on les met en avant lorsqu’il y a de belles choses à raconter. Avec leur technique de fabrication qui sort un peu de l’ordinaire, leur finition de tout premier ordre et leur joli caractère sur les sentiers, les vélos Aloueta ont tout pour séduire et on a passé une excellente journée à découvrir le travail de Julien et Nicolas.

Plus d’informations : aloueta-cycles.com

ParLéo Kervran