Confinement | Entretien avec Michel Hutsebaut et Pierre Lebreton (KMC-Orbea)

Par Olivier Béart -

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Confinement | Entretien avec Michel Hutsebaut et Pierre Lebreton (KMC-Orbea)

La planète entière est à l’arrêt ou presque à cause de la pandémie de coronavirus, et le monde du sport n’échappe pas à la règle. Nous avons choisi de nous intéresser au staff d’un des principaux teams du circuit VTT XC : KMC-Orbea. Internationale, avec des coureurs de 5 nationalités différentes, l’équipe a ses racines bien ancrées en France puisqu’elle est dirigée de main de maître par Michel Hutsebaut, épaulé par Pierre Lebreton pour les aspects sportifs. Nous leur avons tendu le micro pour voir comment ils vivent ces moments si particuliers, comment ils continuent de gérer l’équipe à distance et comment ils voient l’avenir.

Tous deux confinés chez eux alors qu’à cette période, ils ont normalement recommencé à courir aux quatre coins de l’Europe et du monde pour aller de course en course, Michel Hutsebaut et Pierre Lebreton ont pris le temps de répondre à nos questions sur la vie d’une équipe en cette période de crise inédite.

Pierre Lebreton, directeur sportif

Vojo : Pierre, tu t’occupes des aspects sportifs du team, de la gestion des coureurs (Victor Koretzky, Malène Degn, Annie Last, Thomas Litscher et Milan Vader pour rappel), de la coordination de la préparation des pilotes. Comment gères-tu la situation actuelle avec les membres de l’équipe et les coureurs en particulier ?

Pierre Lebreton : C’est un peu comme dans n’importe quelle petite entreprise, mais avec une dimension familiale en plus, vu le temps qu’on passe ensemble habituellement. Le team dans son ensemble, cela représente tout de même une vingtaine de personnes, mais qui sont plus que juste des collègues vu que nous avons l’habitude de vivre ensemble quasiment 24h/24 plusieurs semaines par an, et vu que nous vivons ensemble les émotions très intenses de la course. On s’appelle beaucoup. Début mars, cela a d’abord été pour gérer du pratico-pratique, revoir les plannings, s’assurer que tout le monde était bien rentré à la maison. Mais maintenant c’est plus de la discussion et du soutien. On pense aux gens malades, on discute de nos familles, de nos quotidiens, on prend des nouvelles. On se soutient aussi pour faire notre petite part du boulot en restant chez nous car face au virus nous sommes tout petits, et de simples citoyens qui doivent suivre les règles.

Où sont les coureurs actuellement, comment vont-ils et comment restez-vous en contact ? 

Tous les coureurs sont dans leurs pays d’origine. Bien entourés et en bonne santé pour tout le monde actuellement. On croise les doigts. Jusque maintenant, nous avons surtout eu des contacts individuels, même si on a un groupe WhatsApp de l’équipe où il y a beaucoup de messages. Mais on n’a pas encore mis en place de vidéo à 19/20 personnes, avec le staff complet. On va essayer de le faire car ça nous manque tous de ne pas nous voir, même si on va devoir creuser un peu pour trouver la bonne solution technique.

L’équipe au grand complet, en mars 2019, à l’occasion d’une « fête du pull moche ».

Quel message fais-tu passer aux coureurs et comment fais-tu pour garder la motivation dans les troupes ?

Dans l’équipe nous sommes tous motivés par la poursuite d’objectifs, les coureurs les premiers. Le plaisir doit naître déjà dans processus de préparation lui-même et dans le sentiment qu’on le maîtrise un minimum. Toutes ces choses ont souffert du contexte de crise et je m’attache à les rétablir. Au début du confinement, au-delà des consignes de sécurité, sur le plan sportif le mot d’ordre a été : considérez qu’on est le 5 novembre. Les coureurs doivent commencer par se reposer, et ensuite suivre un entrainement fondamental qui va leur permettre de bien repartir lorsqu’on saura exactement quand les compétitions reprennent. Ensuite, il faut éclairer un peu le chemin à suivre : avec l’annulation de la première manche de coupe du monde à Nove Mesto et du championnat du monde à Albstadt, on sait maintenant qu’on n’a pas d’objectif avant Vallnord début juillet, même s’il y a des chances aussi que cette manche n’ait pas lieu. En tant qu’entraineur, on dit qu’il faut programmer les choses en partant de l’objectif final. Sachant qu’il faut compter 4 semaines pour s’affûter et être prêt à courir si la base est bonne, depuis ces annulations majeures nous sommes en capacité de programmer convenablement les 8 prochaines semaines au moins.

L’annulation des Jeux Olympiques, comment a-t-elle été vécue par les coureurs qui, pour beaucoup, étaient déjà sélectionnés ou avaient de grandes chances d’y participer ?

Cela a été perçu avec des sentiments très troubles d’après ce que j’ai constaté. Le jour de l’annonce, j’en ai discuté avec chacun individuellement. D’un côté tout le monde comprend, car au niveau sociétal c’est la meilleure décision. Mais dans le même cerveau on peut se dire qu’on comprend pour la collectivité, mais on peut aussi avoir une petite partie de sa tête qui regrette de voir le rêve qui s’envole, de voir l’incertitude qui revient quant à savoir si la sélection sera maintenue ou non. D’un côté on s’auto-interdit de s’apitoyer car il y a bien plus grave actuellement dans le monde, mais c’est aussi très humain d’avoir des sentiments individuels.
Il faut faire face à ces contradictions qui n’en sont finalement pas, et c’est mon rôle d’encadrement de les aider dans ces moments-là.

Du côté des sorties, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne dans l’équipe, vu que les règles de confinement ne sont pas les mêmes dans tous les pays…

Effectivement, il n’y a que en France qu’on ne peut pas sortir pour s’entraîner à vélo et il n’y a donc que Victor Koretzky qui ne peut pas sortir. Je ne juge pas mais je constate. A noter que même si l’Angleterre a mis longtemps a réagir, Annie Last est aussi dans un contexte réglementé pour son entrainement. Les autres, en Suisse, en Hollande, au Danemark, restent assez libres de sortir à vélo. Mais ils ne s’en réjouissent pas et n’en « profitent » pas vraiment. Ils font attention et n’abusent pas. Chacun suit en tout cas à la lettre les directives. Une fois encore on est tout petits face à ce virus et c’est important de se montrer citoyen responsable et aussi de montrer l’exemple. Les coureurs n’ont pas vraiment « peur » d’être malade mais c’est par respect envers les autres et par solidarité qu’ils se fixent eux-mêmes certaines règles souvent plus strictes.

Nos coureurs ne sont pas des champions égocentriques qui ne vont penser qu’à s’entraîner, à prendre un avantage sur les autres en cette période. Ils ont surtout pensé aux autres, à comment ils pouvaient, à leur toute petite échelle, aider et montrer l’exemple.

Tu parles de la valeur d’exemple des coureurs, et aussi de l’importance de ne pas en faire trop en ce moment. Il y a eu des consignes qui ont été données en ce sens ?

Oui et non. En fait il n’y a pas eu besoin de dire grand chose. Je m’en doutais mais j’ai été heureux de voir que nos coureurs ne sont pas des champions égocentriques qui ne vont penser qu’à s’entraîner, à prendre un avantage sur les autres en cette période. Ils ont surtout pensé aux autres, à comment ils pouvaient, à leur toute petite échelle, aider et montrer l’exemple. Cela s’est fait naturellement et on n’a pas eu besoin de leur dire de ne pas faire des sorties de 300km et d’éviter de les mettre sur Strava. Ceux qui peuvent sortir le font, mais de manière très raisonnable et réfléchie.

On évite aussi de passer 5 heures sur le home-trainer…

Oui, en effet. Je suis un adepte du home-trainer pourtant ! Pendant longtemps, j’ai été coureur tout en ayant un job à côté alors, pour m’entraîner je n’avais pas trop le choix, j’en ai bouffé du rouleau. Mais pas n’importe comment. Je me réjouis de voir que plein de monde découvre ou redécouvre l’intérêt de ce type de séance indoor, mais il ne faut pas perdre de vue les écueils ! Quand je vois des gars faire de très longues séances avec beaucoup d’intensité en même temps, certains voient les performances, les records, moi je pense à la température du corps qui monte, le cœur qui a une surcharge de travail, la sudation qui augmente, et certains risques associés. Plutôt que de faire 4h de home-trainer, mieux vaut passer 1h à lire un bon livre d’entraînement qui va permettre de tirer pleinement profit d’une séance d’1h ensuite ! A ce sujet, je tiens à saluer l’initiative de la FFC qui a mis sur son site d’excellents plans d’entraînement indoor pour aider les sportifs confirmés ou non à passer cette période de confinement en restant actif.

Une chose est sûre : quand cela va reprendre, ce sera de manière très dense. Il faut s’y préparer. On va encore courir après le Roc d’Azur, et même probablement jusqu’en novembre en France.

Comment vois-tu la reprise ? 

Au début il y avait beaucoup de flou, c’est normal et compréhensible, mais depuis l’annulation de Nove-Mesto, des Worlds et des JO, on sait maintenant qu’on doit se tourner vers un deuxième cap. On ne sait pas encore exactement quand et comment cela va recommencer, mais on a quand même un petit point à fixer à l’horizon. Cela peut changer, on reste attentifs et on s’adaptera, mais comme on le sent actuellement, on se dit qu’on pourrait reprendre au milieu ou à la fin de l’été. Une chose est sûre : quand cela va reprendre, ce sera de manière très dense. Il faut s’y préparer. On va encore courir après le Roc d’Azur, et même probablement jusqu’en novembre en France. Nous restons tous des humains, il faudra mettre des limites et respecter le physique des coureurs, mais nous ferons le maximum pour être présents sur un maximum d’événements. C’est le moins qu’on puisse faire pour soutenir les organisations, souvent constituées de passionnés et de beaucoup de bénévoles, et qui ont été bien malmenées ces derniers temps. Sans eux, nous ne sommes rien et ils ne sont rien sans nous, les équipes. Ce n’est pas la Ligue 1 de foot ou le Tour, les moyens sont limités. On doit donc plus que jamais s’entraider, se serrer les coudes pour essayer de passer cette tempête en limitant les dégâts.

Sur le plan sportif, tu penses qu’il est souhaitable de refaire « comme avant » ou justement tu espères que cette crise pourra amener des changements ?

Je suis quelqu’un d’optimiste, j’espère que cette crise nous amènera tous à évaluer les priorités et à repenser notre sport pour le rendre encore meilleur. Pourquoi pas une remise en question de l’affectation de certains moyens, par exemple. En France, faut-il encore partir aussi loin pour faire des stages, ou plutôt soutenir l’organisation de plus de courses UCI pour que nos coureurs aient plus de possibilités de marquer des points sans devoir faire des milliers de kilomètres ? On parlait aussi du home-trainer qu’on a redécouvert avec le confinement, et qui peut-être un bel outil pour s’acclimater à la chaleur. C’est un exemple d’alternative économique et écologique à de lointains stages ponctuels. En tant que team international nous voyageons énormément, c’est un des domaines que nous pouvons repenser.

Michel Hutsebaut, manager de l’équipe

Nous avons parlé des aspects sportifs avec Pierre, et des contacts avec les coureurs. De ton côté, as-tu eu des contacts avec les sponsors et comment garder le lien avec eux en ce moment ?

Pour dire vrai, j’ai eu assez peu de contacts avec nos sponsors jusqu’à présent. Nous nous sommes envoyés des petits mots de soutien, plus comme des amis que comme des relations d’affaires, mais nous n’avons pas parlé « business ». Il y a bien plus important en ce moment et même au niveau de leurs affaires, ils ont des choses bien plus prioritaires à gérer, je n’ai pas voulu les déranger. C’est donc plutôt au niveau des réseaux sociaux que nous essayons de leur apporter notre soutien, en continuant de transmettre notre passion, et en continuant à faire honneur à nos partenaires en cette période. C’est peu de chose, mais c’est notre rôle et nous essayons de le tenir au mieux.

On a des contrats qui vont au-delà de 2020 donc on a une certaine sécurité, mais si nos partenaires ont des soucis financiers, on ne pourra pas échapper à la réalité des chiffres.

Et la reprise, comment la vois-tu ? Tu crains de devoir faire face à de grosses difficultés ?

Oui, je me pose des questions, c’est légitime. Personne n’a jamais vécu cela, c’est une situation inédite, on va vers l’inconnu. Mais on n’aura pas le choix, il va falloir gérer, s’adapter et rebondir. On a des contrats qui vont au-delà de 2020 donc on a une certaine sécurité, mais si nos partenaires ont des soucis financiers, on ne pourra pas échapper à la réalité des chiffres. J’ai confiance en nos sponsors, ce n’est pas la question, et ils auront toujours besoin de nous pour communiquer. Nous sommes dans une discipline de pratiquants et nos sponsors sont des entreprises du secteur, des marques de vélos et des équipementiers qui ont besoin de partenariats avec des teams pour montrer leurs produits. Mais c’est une problématique tellement large que notre sort, petite équipe que nous sommes, va dépendre de décisions prises bien plus haut, à l’échelle de la société toute entière. Cela dit, à notre échelle, nous allons mettre en place tout ce qu’il faut pour bien repartir et assurer la pérennité de l’équipe. Nous avons une longue expérience, c’est le moment de la mettre pleinement à profit !

Pierre évoquait le fait de courir jusqu’en novembre. C’est aussi quelque chose que tu envisages ?

C’est dur de se projeter sur un calendrier, mais oui c’est aussi comme cela que j’imagine que cela va se passer. Il y a eu des annulations pures et simples de certaines courses, mais aussi fort heureusement des reports, comme pour les coupes de France, et nous aurons à cœur d’y être pour soutenir les organisateurs et leur montrer qu’on est à leurs côtés. On est comme des écureuils en ce moment, on met nos billes de côté et se préparant à une fin de saison très dense. Je me dis aussi que si on reprend cet été, on pourrait voir des courses UCI HC qui viennent combler des trous, comme à la période des JO. Je pense par exemple à la course d’Houffalize prévue cet été.

Au-delà du monde de la compétition, penses-tu que le secteur du vélo peut être un des moteurs de la reprise ? 

Oui, il y a des secteurs pour lesquels ce sera beaucoup plus dur, qui ne se relèveront pas, mais je pense et j’espère que ce ne sera pas le cas pour le vélo. Beaucoup de personnes ont redécouvert le vélo comme mode de déplacement ces dernières années, et la crise actuelle a encore accéléré les choses dans pas mal de pays. J’ai été marchand de vélos pendant 25 ans, et si je l’étais encore aujourd’hui, malgré le contexte, je pense que j’aurais des raisons de rester optimiste. Je ne sais pas si cela va changer beaucoup pour le monde de la compétition et pour des équipes VTT comme nous, mais je ne peux que me réjouir du boom actuel du secteur du deux-roues, car le côté sportif du vélo a aussi le vent en poupe et est un sport dont la pratique est restée autorisée dans de nombreux pays malgré la pandémie.

As-tu des espoirs par rapport à l’après-crise, un message que tu aimerais faire entendre ?

Oui : si cette période difficile peut amener plus de dialogue entre tous les acteurs, ce serait une bonne chose. Là aussi, je suis optimiste car j’ai reçu récemment des messages et des appels de personnes de la FFC et de l’UCI dont je n’avais jamais entendu parler pour demander notre avis, nous poser des questions avant de prendre des décisions. Dommage que ce ne soit pas arrivé plus tôt, mais c’est tout de même un signe très encourageant. J’espère qu’on continuera à être consultés et qu’il va y avoir un vrai changement des mentalités. Je ne dis pas qu’il faut faire tout ce qu’on dit ou que je détiens la vérité absolue mais par contre je suis convaincu qu’ensemble on est plus forts et qu’il n’y a que comme cela qu’on parviendra à se relever après cette période très compliquée. On doit se serrer les coudes, tous, nous n’avons pas d’autre choix.

Photos : Keno Derleyn, Pierre Lebreton, Fred Machabert
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