Opinion | Roc d’Azur : chef d’œuvre en péril ?
Par Olivier Béart -
Prix élevé, bouchons, couacs d’organisation,… Les critiques sur le Roc d’Azur ne sont pas neuves, mais elles ont semblé cette année prendre une autre dimension. Interpellés également par le phénomène, que nous avons pu constater sur place, il nous a paru utile de faire le point.
Les discussions que nous avons pu avoir avec nos lecteurs sur notre stand, les réactions suscitées par notre article critique par rapport au Roc Enduro et le nombre de likes, commentaires et partages (notamment par certains grands noms du VTT) recueillis par le post Facebook initié par un Titouan Perrin-Ganier, surpris lui-même du buzz (voir image ci-dessus), sont autant de marqueurs de l’éloignement du Roc par rapport aux attentes d’une frange importante des bikers. Si le public – et les marques – continuent pour le moment de répondre présent, le colosse Roc d’Azur doit rester attentif et éviter que ses pieds ne deviennent d’argile sans qu’il s’en rende compte.
Qui dit événement de masse dit aussi contraintes énormes qu’aucune autre organisation VTT en France ne rencontre à pareille échelle
D’un côté, le Roc d’Azur est unique. Magique. Un véritable monument sans nul autre pareil qui regroupe tant la masse des pratiquants que les meilleurs pilotes et la plupart des marques du marché. Ce cocktail, saupoudré d’une bonne dose de soleil et de l’indéniable force marketing d’ASO, sont les ingrédients majeurs de la recette du succès rencontré par le Roc d’Azur. Mais qui dit événement de masse dit aussi contraintes énormes qu’aucune autre organisation VTT en France ne rencontre à pareille échelle. La sécurité, surtout dans le contexte récent, est le premier exemple qui vient en tête ; que ce soit à l’entrée de la base nature de Fréjus où il faut désormais montrer patte blanche, ou encore sur le circuit (traversée des routes, postes de secours, etc).
Tout cela a bien évidemment un coût, qui se répercute au niveau des inscriptions, qui comptent parmi les plus chères dans le petit monde du VTT. ASO, organisateur du Tour de France et d’autres épreuves de renom, est aussi une société commerciale qui entend faire des bénéfices avec cette manifestation. En soi, ce n’est absolument pas un problème et cela ne semble pas freiner les participants. Mais cela crée chez les bikers des attentes élevées. Logique : quand on va dans un 3 étoiles et qu’on y met le prix, on s’attend à manger autre chose qu’au kebab du coin.
Là où le bât blesse nous semble-t-il, c’est quand la professionnalisation et la rigueur organisationnelle finissent, petit à petit, presque insidieusement, par prendre le pas sur la passion. Le VTT n’est pas un sport spectacle comme le foot ou l’athlétisme. C’est avant tout un sport de pratiquants. Et pour les séduire, il ne faut pas oublier les fondamentaux, c’est à dire la qualité des parcours, des ravitaillements, de l’accueil,… En un mot : ne pas perdre de vue que ce qui compte avant tout, c’est l’expérience utilisateur.
Quand il paie un certain prix et qu’il participe à une épreuve organisée par une entreprise aussi prestigieuse qu’ASO dont l’organisation d’événements est le métier, un biker s’attend à trouver autre chose que quelques biscuits secs à un ravitaillement dévalisé par ceux qui sont passés avant lui. Il s’attend à ne pas se retrouver nez à nez avec une autre épreuve, avec tous les risques que cela comporte. Il s’attend à ce que tous les acteurs soient correctement briefés afin d’éviter de petits couacs d’orientation à répétition. Il s’attend aussi et surtout à ce que des soucis pointés depuis des années soient réglés une fois pour toute. Après 7 ans d’organisation, ASO n’a plus droit à l’excuse aux yeux de beaucoup.
Soyons clairs et répétons-le, ces critiques ne s’adressent absolument pas à des personnes en particulier car chacun sent que les acteurs présents sur place se démènent pour faire les choses au mieux. Elles s’adressent encore moins aux bénévoles qui, chaque année, mettent tout leur coeur à soutenir cette belle organisation. Ils sont d’ailleurs un trésor précieux qui mériterait sans doute plus d’attention, surtout quand on nous rapporte que sur certaines épreuves, aucun sandwich ou paquet repas n’avait été prévu pour eux alors qu’ils étaient à leur poste bien au-delà du temps de midi. Ce sont aussi eux qui sont en première ligne quand il faut expliquer qu’il n’y a pas assez d’eau pour tout le monde à un ravitaillement. Dans ce contexte, viendront-ils encore à l’avenir ? Nous savons que certains se posent la question. Rogner sur ces postes n’est pas une option. Les parcours eux-mêmes, ainsi que les clubs locaux mis à contribution pour l’entretien et la création des pistes, mériteraient aussi des moyens nettement plus conséquents qu’à l’heure actuelle. Car c’est la base même de l’édifice. Sans sentiers de qualité, pas de plaisir. Pas de plaisir, pas de participants. Pas de participants, pas de Roc.
A nos yeux, l’alerte est sérieuse et mérite une remise en question du côté d’ASO. Dans un monde du VTT en pleine mutation, on a déjà vu des géants vaciller, comme le salon Eurobike qui faisait figure de référence il y a quelques années encore et qui est aujourd’hui contraint de changer de date pour tenter de se sauver. Comparaison n’est pas raison et le Roc d’Azur garde de nombreux atouts spécifiques, comme la présence conjointe d’un événement de masse et d’un salon grand public, mais c’est un indicateur. L’impossibilité de faire décoller les épreuves sœurs (Roc des Alpes – aujourd’hui abandonné – et Roc d’Ardenne) sont aussi des signaux d’alerte qui doivent inciter à la réflexion.
Le Roc d’Azur est un chef d’œuvre qui doit continuer à vivre car le milieu du VTT dans son ensemble, et Français en particulier, a besoin de lui. Le Roc n’est pas étranger au succès de notre sport et à sa bonne santé dans l’Hexagone, sans oublier les retombées positives qu’il occasionne pour l’économie locale. La critique est facile et l’art est difficile, nous le savons. Mais quand elle est constructive, elle peut aider à avancer. Espérons que ce soit le cas.