BH-Wallonie MTB Team, l’année de l’éclosion

Par Olivier Béart -

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BH-Wallonie MTB Team, l’année de l’éclosion

« Au commencement il n’y avait rien », une citation empruntée à la bible pour illustrer la situation du VTT wallon voici dix ans, moment choisi pour lancer une équipe regroupant quelques jeunes coureurs talentueux. Trop souvent livrés à eux-mêmes auparavant, ils recevaient l’occasion de découvrir le haut niveau et tenter de s’y frayer un chemin. Aujourd’hui, le Team BH occupe une place prépondérante et dominante sur la scène belge en tant que seule équipe labellisée UCI ; reconnue au niveau international comme structure de formation capable de lancer des jeunes au plus haut niveau. Une belle histoire dont Joël Grégoire, de la Fédération Cycliste Wallonie Bruxelles, va vous dévoiler les secrets et les recettes dans cette chronique vécue au plus près de l’action.

A la tête de ce projet pas si fou que ça, Brice Scholtes, le coach, qui a su amener sa vision du recrutement, de la formation et du haut niveau. D’abord coureur au sein de la première mouture, il a été propulsé très tôt dans un rôle multiple de team manager, recruteur, coach, souvent copain aussi. « Un membre du groupe à part entière, explique Arne Janssens. Il fonctionne avec nous et pour nous. S’il y a un problème, c’est lui qui le règle. On n’a pas de questions ou de problèmes à se poser, tout est toujours clair. » Chef d’orchestre et homme à tout faire, il endosse sans doute le rôle de 3 personnes au sein d’un team de premier plan. Mais là se situent aussi d’autres caractéristiques du groupe : rester attaché à la base et s’adapter aux réalités du terrain.

Longtemps figure de proue du VTT francophone, Sébastien Carabin avait très tôt rejoint le projet débuté avec Merida ; convaincu de l’opportunité qui s’offrait alors. Sous contrat avec l’Adeps (organisme public s’occupant du sport en Wallonie), il se trouvait dans une bonne dynamique. « Le team m’a permis de vivre de ma passion ! Outre un programme intéressant, j’y trouvais un coté familial qui me convenait. Au fil des ans, c’est la seule équipe en Belgique qui a résisté et qui offre quelque chose de pro. » Dans un rôle de pionnier, de chef de file, « Seba » a su apporter au team son expérience et son investissement, modèle des jeunes malgré lui. Désormais tourné vers le VTT Marathon, le X-Terra et le trail, il cède le flambeau, heureux de voir que « son » team a acquis la crédibilité sans y perdre son âme.

En 2016, Emeline Detilleux rejoignait le projet Merida, suivi un an plus tard par les 3 garçons, Pierre de Froidmont, Clément Horny et Arne Janssens. Tous sont déjà passés par la case Team Wallonie VTT Jeunesse, estimant suivre une voie logique dans leur évolution en ayant l’opportunité d’allier ambition et sécurité dans un groupe rassurant, avec le temps nécessaire pour progresser. « Nous nous retrouvons souvent ensemble, confirme Emeline. Nous sommes tous contents d’être là, on se tire tous vers le haut. » Une notion de force collective que l’on retrouve dans chacun des discours. Inattendu ? Remarquable, surtout dans une discipline cataloguée individuelle.

Sur le plan strictement sportif, le travail s’effectue autant sur le terrain qu’en dehors. Lors des reconnaissances de parcours, les coureurs partagent, échangent leurs impressions. « Chacun apporte ses points forts », confirme Emeline Detilleux. La technique d’un Clément Horny (photo gauche) profite à ses pairs, même si Julia Grégoire avoue se fier aux indications et à l’expérience de son aînée, autre preuve du rôle d’exemple qui s’instaure naturellement.

En amont, l’échange et la discussion prévalent toujours au moment de dessiner le programme de chacun, fixer les objectifs et les pics de forme. Parfois remédier au problème, expliquer les contre-performances. « Quand tout se passe bien, c’est forcément facile. Quand ça ne marche pas et qu’on n’est pas content, il faut chercher les raisons et trouver la solution pour s’adapter, se perfectionner, » souligne le coach. Jongler entre le prestige d’une épreuve, les points UCI à aller chercher où ils se trouvent, sans oublier l’ancrage belge et wallon, tout un art qui se chiffre en heures de selle, de réflexion et de PC !

Cette implication de chacun rejaillit sur l’esprit du team qui semble fonctionner en parfaite symbiose, tant au niveau des coureurs que du staff, des mécanos et des kinés hyper pros et surtout intégrés à la philosophie générale. « J’ai besoin de ce contact, explique Arne Janssens. C’est Loïc ou Pierre-Yves, pas ‘le soigneur’ ! Nous n’avons jamais de disputes, ni entre nous, ni avec le staff. On discute, on s’arrange. Nous ne sommes pas que collègues ou copains de classe, c’est une relation privilégiée. Parfois, après une semaine ensemble, c’est dur de se séparer. »

On imagine pourtant qu’une semaine ou plus – 3 semaines en Turquie au mois de février – pour une ou deux courses de maximum deux heures, oblige à cohabiter de longues journées, peu importe le moral, peu importe le temps. « Dans une famille aussi, on vit ensemble mais on n’est pas toujours tous de bonne humeur. Il y a des moments où on doit rester seul, il faut respecter cela quand on cohabite. Quand il y a un absent cela se remarque, lorsqu’on se retrouve à deux, l’échange est différent, plus intime, » poursuit Arne.

Et si cela peut paraître bateau, la complémentarité dans la vie ressurgit positivement sur la performance sportive. Ainsi les deux filles, Julia et Emeline, entretiennent-elles une vraie amitié. « J’avais toujours dit que j’attendais une fille de plus dans l’équipe, sourit Emeline. Le courant passe bien et nous pouvons désormais rouler, nous entraîneur à deux, là où ce n’était pas évident seule avec des garçons. » Appliquées et ambitieuses, elles ont chacune conquis un maillot de Championne de Belgique (Dames Juniors et Elites) à quelques minutes d’intervalle, aussi heureuses pour l’autre que pour elle-même.

Une grande complicité unit également Pierre de Froidmont, désormais leader de cette jeune génération, et Arne Janssens. Une relation qui les nourrit l’un et l’autre, sur le vélo et en dehors. « Quand tu veux prétendre arriver haut, les moments bas sont aussi… très bas. C’est important de pouvoir partager avec quelqu’un qui comprend ce qu’on ressent. Nos caractères différents constituent une autre force : Pierre m’apporte par son calme, son organisation, moi je l’influence plus par mon côté aventureux. »

Et lorsque toutes les planètes s’alignent ou presque, le team BH-Wallonie réussit de grandes choses, à l’instar du Championnat de Belgique. « C’est parfois difficile de passer toute une semaine à préparer un moment où tout peut se jouer sur quelques secondes. Mais c’est tellement beau quand ça marche d’éprouver le sentiment qu’on a tout fait pour que cela soit parfait », souligne Brice Scholtes. Dans la pluie et le vent d’Houffalize, ce sont trois titres qui sont tombés dans l’escarcelle des troupes de Brice Scholtes avec Julia, Emeline (sacrée chez les Elites aux dépens de Githa Michiels) et Arne.

Seul Pierre a dû se satisfaire de la 3e marche du podium. « Bien sûr, j’aurais voulu gagner, j’étais donc déçu de ma course. Mais en prenant du recul, j’ai regardé la situation d’ensemble et j’ai participé à cette excellente atmosphère, J’étais réellement content pour les autres, heureux qu’ils aient récolté les fruits de leur travail. Il faut savoir apprécier cela. » Et on apprécie effectivement cette attitude, de Froidmont est assurément un grand monsieur, qui volera dorénavant sous d’autres cieux, puisqu’il rejoindra le team KMC-Orbea en 2022.

La notion d’exemple ou de modèle revient souvent dans les conversations, internes et externes à l’équipe. Pierre donne plus de détails : « Sébastien (Carabin) m’a beaucoup apporté. Malgré son caractère simple et discret, j’ai beaucoup appris en observant. » Un rôle qu’il endosse désormais pour les plus jeunes, à l’image d’Emeline, écolée par Alice Pirard en son temps et désormais figure féminine de référence. Comme le team dans son ensemble. « Quand on arrive au départ d’une course chez nous, on est reconnus. Un team avec le même équipement, un staff omniprésent dans la zone technique, c’est un exemple pour les jeunes », juge Arne. « C’est sympa de voir des gens s’identifier, donner envie aux plus jeunes de faire comme nous », complète Emeline.

Visiblement, la structure de formation dépasse le seul cadre sportif si l’on en juge par la conscience qu’ont ses coureurs de l’opportunité qu’ils ont reçue et donc de leur mission d’exemple, de transmettre la passion pour leur sport. Car ils l’avouent, ils sont soignés aux petits oignons par un encadrement où chacun dépasse largement son profil de fonction. Un kiné qui est aussi ostéopathe dont les soins dépassent largement le massage de récupération : rechercher la douleur, manipuler, soulager… Tout en jouant un rôle primordial de confident, parfois psychologue. Le même prépare aussi les bidons et se poste au ravito sur les courses ! Un mécanicien amoureux de mécanique, méticuleux, limite maniaque, avec les vélos des coureurs. Le moindre détail est vérifié, la plus petite imperfection lui saute aux yeux. Lui aussi endosse la veste de confident et, primordial, d’ambianceur du groupe : focus pendant une course mais capable de dérider même les plus réservés avant ou après. A l’image de Brice Scholtes, l’homme-orchestre, son staff rapproché se montre également multifonctions.

Si le team a su grandir, gagner en crédibilité et visibilité, forger des résultats, c’est aussi parce qu’il a su s’attirer des partenaires, les fidéliser et ainsi recevoir des propositions là où il fallait demander au départ. Outre les autorités subsidiantes que sont la Fédération Cycliste Wallonie Bruxelles et l’Adeps, l’équipe déroule une longue liste de sponsors de choix. Les vélos – BH qui a relayé Merida – les fourches, les pneus, les groupes, l’huile mais aussi les casques, les lunettes, les vêtements, les boissons et produits énergétiques, l’entretien… « Nous nous sentons reconnus par des partenaires qui sont à l’écoute, qui s’adaptent à nos demandes », s’accordent les membres du team, précisant que leur chance ne réside pas seulement dans la gratuité et la fidélisation des sponsors mais aussi dans leur label de qualité, des marques de référence dans tous les domaines. D’où la volonté de remercier chaque partenaire en fonction de sa vision et de ses attentes.

Le mot « communication » est lâché, amenant les réseaux sociaux, désormais le terrain privilégié pour informer, communiquer, promouvoir, divertir. Reconnu par ses pairs pour son feeling dans le domaine, Arne y voit plusieurs missions. « Il faut sentir ce qui plait au sponsor, chaque marque a sa stratégie, à nous de nous adapter. Sachant que désormais tout le monde poste et reposte, cela complique la tâche à su de trouver la valeur ajoutée. Même raisonnement concernant le team proprement dit, ses résultats, son actualité. « On donne une image fun de ce qu’on vit, c’est un plaisir de partager surtout quand on réussit de belles choses. » Communiquer passait voici quelques années pour une obligation ou un devoir du sportif, une tâche bien plus aisée aujourd’hui. « On passe tous de longs moments sur notre téléphone, on ne peut pas dire qu’on n’a pas le temps : on doit le prendre car cela fait aussi partie du job. »

Maintes fois évoqués, ces jeunes ne sont effectivement pas oubliés, le Team BH-Wallonie incarnant le sommet d’une pyramide qui repose désormais sur une excellente base de pratiquants au sein des clubs et du Team Wallonie VTT Jeunesse avec le soutien de Julien Soussigne notamment. Approche multidisciplinaire, stages, compétitions, implication des dirigeants, des staffs, des écoles de cyclisme et des coureurs, autant d’éléments qui ont su démontrer que le VTT wallon regorge de jeunes talents, qu’il suffit de lui donner l’ouverture pour s’exprimer. Que ce soit au TFJV (Trophée de France Jeune Vététiste) ou au Roc d’Azur, les maillots du Team Wallonie se mettent en évidence. « Là où nous devions chercher quel coureur possédait les qualités nécessaires pour intégrer le Team UCI auparavant, nous devons désormais effectuer des choix difficiles face à plusieurs éléments qui affichent un potentiel indéniable. Un choix de luxe ! », confirme Brice. Pour 2022, il a d’ores et déjà accordé sa confiance à Tim Rex, Champion de Belgique pour sa première saison chez les juniors. D’autres devraient le rejoindre d’ici peu. Bienvenue !

Sur de nombreuses épreuves, en Coupe du Monde notamment, BH-Wallonie côtoie l’équipe nationale dans un climat de saine collaboration. La plupart des coureurs troquent d’ailleurs le maillot noir et blanc BH contre la tunique belge en fonction des occasions. Sans parler des Championnats d’Europe et du Monde qui ont d’ailleurs pris un réel accent wallon ces dernières saisons. Six wallons sur neuf au Championnat d’Europe en Serbie (Novi Sad), cinq sur huit aux Mondiaux à Val di Sole. La plupart des coureurs, à l’image d’Emeline, apprécient. « cela change de routine, on retrouve d’autres gens, un coach qui a une autre vision et apporte d’autres détails par son vécu. »

Au niveau de la direction technique de Belgian Cycling, on reconnait (enfin) le travail fourni et les résultats récoltés au niveau francophone. Impliqué dans les décisions et les choix au niveau national, Brice Scholtes y voit certes une reconnaissance mais avant tout la motivation à poursuivre l’investissement entrepris au niveau de la formation « made in Wallonie ». Au lendemain du Roc d’Azur, la campagne 2022 a déjà débuté, en coulisses, surtout avec d’excellentes nouvelles pour Pierre de Froidmont qui a lié son avenir au Team Orbea. Une formation du top niveau mondial (qui doit remplacer Victor Koretzky et Milan Vader) qui va lui offrir un support et des conditions optimales pour lui permettre de s’installer au rang des ténors mondiaux. Une décision logique mais mûrement réfléchie par Pierre. « J’ai hésité car je quitte un environnement connu pour la nouveauté J’ai besoin de me sentir bien pour prester. Mais je me réjouis de côtoyer des coureurs et un staff dotés d’une autre expérience. J’ai soif d’apprendre et progresser à leur contact. » Dans la foulée, c’est Emeline Detilleux qui a été approchée par une nouvelle structure de premier plan. L’occasion pour elle aussi de découvrir un autre univers pour ses débuts chez les Elites.

Une déception pour le Team BH-Wallonie ? On pourrait le penser si l’on s’en tient au fait que les deux figures de proue s’en vont, mais il faut plutôt y voir un succès et une fierté. Une structure de formation qui réussit à envoyer deux éléments au sommet de sa discipline justifie donc pleinement sa raison d’être, sa manière de fonctionner. La récompense touche à la fois l’équipe et l’ensemble de ses partenaires. Et si la visibilité et les performances du Team devaient marquer le coup à court terme, tous savent que le travail paie, que le jeu en vaut la chandelle.

2022 incarnera donc un nouveau départ avec un effectif rajeuni qui entamera un nouveau cycle destiné à sortir les champions de demain, et d’après-demain.

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Photos : Luc Delhaye, Christophe Bortels, Cycling Media Agency

ParOlivier Béart