Balance slackline : dans les coulisses du projet avec Kenny Belaey

Par Olivier Béart -

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Balance slackline : dans les coulisses du projet avec Kenny Belaey

Quand le Belge Kenny Belaey, 9 fois champion du Monde de trial, se lance un défi, c’est toujours un événement. Le dernier en date, sorte de projet « ultime » pour l’athlète de 32 ans : rouler entre deux pitons rocheux sur une slackline, une simple sangle tendue d’à peine 5cm de large pour 18m de long, suspendue dans le vide à 118m de hauteur. Le résultat, c’est une vidéo à couper le souffle, que nous vous avons montrée il y a quelques jours et que vous pouvez revoir simplement en cliquant sur la première image ci-dessous. Aujourd’hui, Kenny Belaey et son équipe nous dévoilent les coulisses de l’aventure. Interview.

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Kenny, explique-nous d’où te vient cette idée complètement folle ?
En 2012, j’ai enregistré une vidéo vtt et bike trial à ParadiSki sur un téléférique. A ce moment, ils m’ont demandé ce que j’aimerais faire d’autre d’encore plus fou. Et j’ai répondu : rouler sur une slackline tendue entre deux rochers. Rétrospectivement, je me dis que j’ai eu une grande gueule en disant cela… (rires)

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Quelle a été ta préparation ? Depuis quand t’entraines-tu, où, comment,…
J’ai demandé à Elephant Slacklines quelques conseils et, sur recommandation de Lukas Irmler, j’ai acheté un kit de base. A la maison, j’ai accroché la slackline entre mes deux véhicules pour essayer. Dès ma première tentative, j’ai compris que cela allait être très dur et je me suis dit « dans quel pétrin je suis allé me mettre » ! Par la suite, j’ai commencé à mettre la slackline entre des arbres et même dans le jardin de mon voisin où j’ai même construit une plateforme de 9m pour m’habituer à la hauteur. J’ai travaillé sur ce projet pendant environ un an, dont trois mois d’entraînement intensif sur la slackline.

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Qu’est-ce qui était le plus difficile, le plus gros défi ?
Vous n’allez peut-être pas me croire, mais j’ai vraiment le vertige ! Réussir à le dominer a été le premier défi. En m’entraînant beaucoup et en poussant mon corps et mon esprit jusqu’aux limites, j’ai réussi à passer au-delà de cette peur. Tous les entraînements sur la Lowline, située à un mètre du sol, se sont très bien passés. J’ai progressé rapidement et j’ai pensé que tout était au point. Mais le vrai challenge est arrivé avec les montagnes. Faire ce numéro sur une slackline suspendue dans le vide à 2700m d’altitude, le tout à 6h du matin, c’était vraiment de la folie. Quand j’ai mis ma roue avant sur la slackline dans les Alpes pour la première fois, j’ai directement pensé à une seule chose : c’est impossible ! Mais grâce à mon expérience, à mon caractère et aussi à l’idée que j’ai eue de me donner plus de temps pour y arriver, tout a fini par se dérouler presque comme prévu. Même si, rétrospectivement, je peux dire que ce projet est sans aucun doute le plus gros challenge que je me suis jamais fixé.

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Comment as-tu trouvé le lieu où tu as posé la slackline pour ce défi ?
Je suis sponsorisé par Paradiski, un domaine été/hiver qui regroupe Peisey Vallandry, Les Arcs et La Plagne. Au début de l’été, après la fonte des neiges, je suis monté dans les montagnes avec Lukas Irmler, un expert allemand de la slackline et aussi de la sécurité, pour trouver LE rocher. Après deux jours de repérages, nous étions désespérés. Nous ne parvenions pas à trouver de localisation adaptée.

Soit ce n’était pas assez haut, soit c’était trop court, soit ça coinçait au niveau de la sécurité,…

Bref, il y avait toujours quelque chose qui ne convenait pas. Mais, le troisième jour, nous avons trouvé le bon endroit. En fait, quand nous sommes arrivés au glacier de La Plagne, nous avons demandé à l’opérateur du téléphérique s’il connaissait un ensemble de rochers avec un trou de 18 à 20m entre-eux. Directement, il nous a montré La Roche Fendue à quelques centaines de mètres de là à peine. Après 45 minutes de marche et d’escalade avec toute l’équipe à travers les résidus de neige et les rochers, j’ai pu voir la mine réjouie de Lukas qui m’a dit « Kenny, this is THE spot, man! ». Et tout ce que je me suis dit c’est « mon Dieu, non! » : Ce rocher est à 120m du sol et j’étais déjà mal en me tenant simplement sur le bord alors impossible de m’imaginer rouler là bas. Mais après 30 minutes de discussion, j’ai mis mes appréhensions de côté, j’ai regardé encore une fois l’endroit depuis le bord de la falaise et j’ai dit « ok, on le fait ici ». C’est à ce moment que le travail a vraiment commencé.

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Qui s’est occupé de ta sécurité ?
Lukas Irmler et Bernd Hassman, qui sont deux spécialistes de la slackline sponsorisés par Adidas, comme moi. Chaque jour, je leur envoyais des photos et nous étions en contact permanent les uns avec les autres. Ils sont tous les deux Allemands et des experts dans leur domaine. Je voulais vraiment m’entourer des meilleurs car sans cela je n’aurais jamais pu réussir. Je tiens vraiment à les remercier pour leur travail, mais aussi pour leur coaching mental.

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Quels sont les risques avec ce type de tentative ?
Ma plus grande crainte était de tomber sur les deux derniers mètres et de m’écraser contre les rochers. J’ai eu des insomnies en y pensant car j’étais vraiment convaincu qu’il y avait de grandes chances que cela arrive. J’étais tellement persuadé du danger que nous avons finalement placé des matelas sur la falaise. Mais le plus amusant dans l’histoire, c’est que je ne suis jamais tombé à cet endroit et que je ne les ai jamais touchés ! Par contre, nous avons dû faire face à des problèmes bien plus importants. Cette histoire du rocher, c’était juste dans ma tête…

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La technique a aussi une place particulière. Peux-tu nous en dire plus ? As-tu utilisé un vélo particulier ou des équipements spéciaux ?
J’avais ce projet en tête depuis des années et j’avais déjà les idées assez claires sur ce dont j’avais besoin. Mais le fait est qu’il y a énormément de nouvelles questions qui surgissent dès qu’on commence réellement. Je suis d’abord allé dans un magasin d’alpinisme à Gand pour acheter les meilleurs et les plus solides des harnais, des cordes et des mousquetons. Ils ont été plutôt surpris quand je leur ai dit que c’était pour rouler à vélo sur une slackline tendue dans les Alpes. Ensuite, j’ai choisi de rouler mon vélo d’enduro car cela a plus de sens dans ce genre de paysages, mais aussi parce que dans la vidéo, il y a toute une intro quand je viens du glacier, pour laquelle l’enduro est plus adapté. Puis, je suis un vttiste. Le trial est ma discipline de coeur, mais j’aime élargir mes horizons et rouler d’autres machines. Pour revenir à la préparation, au-delà du matériel, c’est plutôt la relation avec Lukas qui m’a permis de garantir ma sécurité. Chaque fois que j’avais une idée, je l’appelais et il pointait directement les problèmes potentiels. Par exemple, il est apparu que certains éléments du vélo pouvaient être des éléments très dangereux dans ces circonstances en cas de chute.

Par exemple, il s’est avéré que les disques de freins auraient pu couper la slackline en tombant !

J’ai donc retiré les protections de disques de ma moto de trial pour les mettre sur mon vélo ! J’ai aussi essayé au-moins 5 paires de pneus… avant de me rendre compte que la première était la plus adaptée. Evidemment ! (rires)

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Il y a eu aussi beaucoup de préparation sur le site de la traversée… et le tournage de la vidéo a aussi été une aventure !
Oui, il a d’abord fallu acheminer tout le matériel jusqu’à l’endroit du shooting. Au total, nous avons dû faire environ 50km et 4000m de dénivelé avec le matériel chargé à dos d’âne ! Ca aussi c’était une fameuse aventure ! Puis, nous avons passé 6 jours à tourner le reste des séquences de la vidéo dans les montagnes aux alentours. Comme le thème de la vidéo est « Balance », je ne voulais pas spécialement de la vitesse, mais rouler dans des endroits où personne n’a probablement jamais roulé dans un style très trialisant. Je voulais que tout cela soit fait avant car le risque de blessure était réel sur la slackline et il fallait que tout le reste soit dans la boîte avant de s’attaquer au clou du spectacle. Rien que pour la partie slackline, cela nous a pris 4 jours supplémentaires. Il a d’abord fallu tout préparer. Puis, je me suis vite rendu compte que je n’y arriverais pas dans ces conditions.

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Tu n’as donc pas réussi du premier coup…
Non ! J’étais tellement sûr de moi sur la lowline dans mon jardin, à 1 mètre du sol, que je pensais y arriver du premier coup. En principe, la règle est qu’il faut être capable de faire le double de la distance sur une lowline. Mais une fois sur place, je me suis rendu compte que je devais tout reprendre de zéro et tout réapprendre. Le cerveau doit s’habituer, et pour cela il faut du temps. Malheureusement, nous n’en avions pas tant que cela car il faut composer avec plein de facteurs : le vent pour le drone, la lumière qui ne laisse que de 6 à 11h du matin pour rouler, la fatigue, l’altitude,…

Je dois avoir fait environ 80 tentatives, avec tout ce que cela implique d’attente avant chaque nouvelle traversée

Car je devais attendre que la ligne soit vérifiée, réparée. Finalement, après plusieurs jours d’essais infructueux lors du premier séjour, je me suis accordé 2 semaines de pause avant de revenir en pleine forme physique et mentale. Là, j’avais prévu 6 jours complets pour y arriver. J’étais stressé car il y a tellement de monde et de partenaires impliqués dans ce projet. Puis c’est aussi mon rêve ! Le premier jour, il a plu. Le deuxième, je suis de nouveau tombé au-moins 10 fois. Mais le troisième jour, avec des conditions météo parfaites, j’y suis enfin arrivé !

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As-tu souffert physiquement ? Tu t’es blessé ?
J’ai pas mal gambergé et je m’imaginais des scénarios un peu catastrophe, comme par exemple tomber et me retrouver accroché à la ligne de vie avec mon cintre venant taper mon visage, me laissant inconscient suspendu dans le vide. La méthode pour me sécuriser ainsi que mon vélo, avec un câble extensible, s’est avérée tout de suite être la bonne, mais même avec ce dispositif, tomber n’était jamais agréable. Mon corps tout entier était secoué et après quelques chutes, j’avais l’impression qu’un camion m’était passé dessus ! J’ai dû passer entre les mains du kiné très souvent pour remettre mon dos en place. Mon vélo a pas mal souffert également. Il a cogné assez durement les rochers, et je me souviens aussi avoir touché la falaise assez durement au-moins 5 fois. Heureusement, j’étais bien protégé. Je me suis aussi retrouvé avec la jambe coincée dans ma ligne de vie. J’avais très mal et je n’arrivais plus trop à marcher mais avec la pression du timing je me suis forcé à continuer.

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Quel a été le moment le plus difficile durant la traversée ?
Croyez-moi, chaque seconde sur la slackline est un moment difficile. Chaque mètre donne un feeling différent parce que la ligne bouge en permanence et tout change autour de moi car je n’avais pas de point de référence. A la maison, lors des entraînements, je pouvais me focaliser sur le sol et voir précisément comment la ligne bougeait. Mais à 120m du sol, vous n’avez aucune idée précise et vous devez vous fier uniquement à vos sensations et à votre expérience. Pour être honnête, c’est un énorme challenge, autant physiquement que mentalement.

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Quelles sensations as-tu éprouvées quand tu y es arrivé ?
Il n’y a pas de mots pour décrire cette sensation. D’abord, je n’y croyais pas, notamment parce que j’étais très fatigué et, avec la pression qui se relâche d’un coup, tu te dis « est-ce que je suis vraiment bien ici, de l’autre côté ». Quand vous commencez la traversée, cela prend quelques secondes pour arriver au plus haut niveau de concentration. Après cela, il faut le maintenir pendant les quelque 30 secondes que dure la traversée, et on ne sort pas de cet état d’un seul coup. Je pensais que j’allais crier comme un fou, mais en fait ça n’a pas été le cas. J’étais plutôt calme mais, une fois que j’ai réalisé que j’avais réussi, je me suis senti incroyablement heureux. J’ai toujours ce souvenir très clairement en tête et je ressens toujours cette émotion en y pensant.

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C’est vraiment l’aboutissement d’un long travail…
Oui, exactement. C’est un peu comme un championnat du Monde. Mes proches, mon équipe et moi n’avons presque parlé que de cela pendant un an ; 12 mois pendant lesquels je n’ai pensé et travaillé qu’à un seul projet. C’était tellement fou que je n’ai pas vraiment eu l’occasion de m’entraîner pour les compétitions de trial. Mais au final tout s’est super bien déroulé de ce côté là aussi, puisque je termine 3e aux championnats du Monde à Andorre. Bref, je suis un homme heureux.

Après un tel exploit, quel sera ton prochain projet ?
Mmmmh, j’aimerais bien être le premier homme à rouler à vélo sur la lune. Vous ne trouvez pas que ça pourrait être sympa ? (rires)

Pour (re)voir le film « Balance », rendez-vous dans notre rubrique vidéo : www.vojomag.com/video/kenny-belaey-balance

Le projet Balance en quelques chiffres et « facts » :

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La vidéo du making-of  :

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Les photos du reportage sont de Nathan Polis pour RedBull. 

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