Alps Epic 2025 : récit d’une semaine victorieuse
Par Rémi Groslambert -

Dix ans déjà que l’Alps Epic sillonne les Hautes-Alpes, et l’édition 2025 n’a pas dérogé à la règle : cinq jours d’immersion totale entre cimes alpines, sentiers sauvages et chaleur écrasante. De Puy-Saint-Vincent à Montgenèvre en passant par Saint-Chaffrey, l’épreuve a une nouvelle fois rassemblé une belle densité de pilotes sur des parcours aussi exigeants que sublimes. Rémi Groslambert, spécialiste français du marathon, s’est frotté à cette 10e édition au parfum de défi personnel et de préparation millimétrée à deux semaines du championnat de France. Voici son récit, entre gestion, stratégie et (très) gros dénivelés :
Pour la 10e année consécutive, l’Alps Epic se tenait au cœur des Hautes-Alpes du 21 au 25 juin. Course par étapes de cinq jours, elle fait la part belle au vrai vélo de montagne. Parcours sauvages, alpestres, engagés, l’Alps Epic est une des plus belles épreuves VTT en France. Cette année, elle fait étape à Puy-Saint-Vincent, puis Saint-Chaffrey et enfin Montgenèvre. Chaque étape compte entre 49 et 63 Km pour 2000 à 2500 m de dénivelé positif. Petite particularité pour cette édition, l’épreuve est classée UCI S2, ce qui lui donne une envergure encore plus importante que les autres années. Cette labellisation UCI permet d’attirer des pilotes d’autres pays et donne une dimension internationale à l’événement. Du côté de la rédac, nous avons envoyé Rémi, notre spécialiste du XC Marathon afin de participer à cette 10e édition, il revient sur sa (victorieuse) semaine de course :
Arrivé la veille du départ à Puy-Saint-Vincent, je constate que la chaleur écrasante est également présente, même en altitude. Il va falloir s’adapter au mieux cette semaine. Par chance, je suis en plein bloc d’entraînement à la chaleur et je commence à être plutôt bien acclimaté.
J’ai dû adapter légèrement mon matériel pour cette épreuve. Les longues montées raides des Hautes-Alpes imposent un plateau de 32 dents, contre 34 ou 36 habituellement. Le parcours est technique et parfois engagé, il faut également de bons pneus solides. J’opte pour une mousse anti-pincement dans le pneu arrière. Idéalement, j’aurais couru cet Alps Epic avec mon Trek Supercaliber tout-suspendu mais je ne peux pas me permettre de changer de vélo à une semaine du championnat de France. Je vais devoir sortir mon meilleur pilotage pour espérer ne pas perdre trop de temps… et rester en vie sur mon semi-rigide. En fin de préparation pour le championnat, j’arrive légèrement entamé sur cette épreuve de 5 jours. Il va falloir être malin pour espérer ne pas perdre pied en fin de semaine. La gestion sera de mise.
Samedi matin, nous retrouvons Laurent et Sébastien, les deux organisateurs mais également mes deux arbitres UCI préférés, Carole et Dédé. Le départ est donné depuis Puy-Saint-Vincent 1400. Quatre montées sont au programme aujourd’hui, dont les deux dernières particulièrement corsées. Je ne sais pas trop comment me placer par rapport à mes adversaires.
Dans les premières ascensions de la journée, nous nous retrouvons dans le petit groupe de tête avec Tristan Arioli et Damien Portet. Je fais un peu l’élastique en montée mais rentre à chaque fois en descente. Dans la deuxième longue ascension, Tristan prend quelques hectomètres qui seront comblés dans la descente. Au gré d’une petite erreur d’orientation de notre part, Ewen Astegiano et Damien recollent au pied de la dernière montée. Près de 10 km irréguliers et en plein cagnard nous séparent du sommet, ça va être la guerre.
Voyant Baptiste et sa caméra, c’est l’opportunité rêvée pour placer une petite attaque avant le ravitaillement, je donne tout pour les caméras et creuse un petit écart. Je peux ensuite gérer mon effort et ma navigation jusqu’à l’arrivée.
Je m’impose donc et revêts le maillot jaune de leader, une nouveauté pour moi et je dois dire que c’était plutôt inattendu. Le tracé était magnifique aujourd’hui, très sauvage, nous n’avons pas croisé grand-monde.
Le deuxième jour est une étape de transition qui nous amène à Saint-Chaffrey. Après une rapide montée roulante, nous empruntons une magnifique descente sur Vallouise. C’est un single naturel en bord de ruisseau, avec du grip, de la bonne terre, des racines, un pur régal. Nous arrivons une fois de plus à quatre au pied de la deuxième difficulté. Il semblerait que nous n’allons pas nous lâcher de toute la semaine. La deuxième montée est très exigeante et ses pentes raides nous imposent de descendre du vélo régulièrement.
Tristan prend une nouvelle fois les devants mais cette fois je garde le contact visuel. Nous ferons la quasi totalité de l’étape ensemble. C’est pratique de se retrouver à deux : j’ouvre la route et donne les trajectoires en descente tandis que Tristan surveille la trace GPS pour ne pas faire d’erreur. Je lui dois quelques rappels in extremis qui m’ont évité de sacrés détours. L’Alps Epic est une épreuve de raid en montagne qui nécessite de naviguer obligatoirement avec la trace GPS. Pour nous marathoniens habitués à se fier uniquement au balisage, c’est un peu déconcertant au début. Une fois l’habitude adoptée, ça ne pose plus de soucis mais il faut rester vigilant constamment. C’est une autre façon de piloter, tout aussi intéressante. De toute manière, la règle est la même pour tout le monde. Dans la dernière ascension sur les hauteurs de Briançon, Tristan lâche un peu de lest. Je peux gérer ma fin de course sans y laisser trop de forces. Nous terminons par une superbe descente dans le bike-park de Serre Chevalier, de quoi se faire plaisir et lâcher les freins pour rallier l’arrivée.
C’est une deuxième victoire dans la besace mais la journée à été éprouvante avec ces pentes très raides, notamment lors de la terrible montée des Vigneaux. Le soleil écrasant n’a pas facilité la partie également.
Au menu du jour 3 : une magnifique boucle dans la vallée du Lautaret avec seulement deux ascensions, mais quelles ascensions ! La journée commence par une montée de 16 km et 1300m de dénivelé positif en direction du col de l’Eychauda. La première partie est roulante et nous permet de nous isoler avec Tristan, une fois de plus. La seconde moitié est un enfer avec des pourcentages très élevés pendant un long moment. Je m’accroche et fais le yo-yo mais ça n’est pas évident. Je prends les commandes dans la descente mais Tristan s’accroche bien. Nous voilà dans la vallée, sur un long faux-plat montant en direction du col du Lautaret. Nous avons le vent de face et apprécions réellement d’être deux pour se relayer.
Dans la remontée vers le col du Lautaret, j’essaye de faire la différence mais Tristan colle à ma roue et je n’ai pas les meilleures sensations. Je fais l’effort pour rentrer en tête sur le magnifique chemin du Roi. C’est un single joueur à flanc de montagne qui parcourt toute la vallée. Le tracé est superbe et la vue à couper le souffle. J’essaye de mettre du rythme pour pousser Tristan à la faute dans les parties techniques. J’arrive à creuser un écart sur une erreur de sa part. C’est le moment de mettre toutes les forces qu’il me reste même si je n’ai plus beaucoup d’énergie. Je profite de la dernière descente pour gagner quelques secondes. La dernière partie plate est une formalité et je peux rallier l’arrivée en tête une troisième fois d’affilée. Je termine satisfait mais rincé. Il va falloir optimiser la récupération pour demain.
Le quatrième jour marque une transition depuis Saint-Chaffrey jusqu’à Montgenèvre avec deux belles grimpettes au programme : le col de Buffère et la montée de Montgenèvre. Tristan, alors deuxième au général, m’attaque dès le pied de la montée de 15 km. Je décide de ne pas suivre et de prendre mon rythme pour ne pas risquer d’exploser en fin d’étape. Je maintiens l’écart sous les 30 secondes pendant un moment.
Nous prenons ensuite la terrible route du col du Granon puis la longue piste cassante qui mène au col de Buffère. Tristan creuse l’écart peu à peu pour basculer avec 2 minutes d’avance. Dans la descente, je ne suis pas efficace. Je ne fais pas de faute mais je ne suis pas rapide et n’arrive pas à combler l’écart. Je dois gérer le matériel et éviter la crevaison. C’est une descente magnifique, très naturelle, jonchée de cailloux et de dalles qui la rendent très technique. La somptueuse vallée de Névache se parcourt à plus de 40 km/h.
Nous voici au pied de la montée de Montgenèvre et le soleil commence à taper. Je prends mon rythme et cherche Tristan du regard à chaque épingle. Arrivé dans la station, j’aperçois enfin Tristan à 45 secondes devant moi, j’ai bien limité la casse mais je serai trop juste pour la victoire d’étape aujourd’hui. J’assure la dernière boucle sur les hauteurs de Montgenèvre pour maintenir l’écart sans laisser trop de forces pour demain. Tristan gagne l’étape, victoire méritée au regard de son début de semaine.
La 5e et dernière étape sera un calvaire pour moi, j’ai très mal récupéré pendant la nuit et je n’ai pas réussi à manger suffisamment le matin. J’active le mode survie pour essayer de sauver le classement général. Damien, frustré du déroulé de l’étape de la veille, part fort dès le pied de la montée. Je m’accroche pour ne pas montrer que je suis moins en forme aujourd’hui. Je cède à mi-hauteur et laisse partir Damien et Tristan. Je bascule avec Ewen mais perd le contact en descente. Je suis en difficulté dans tous les domaines aujourd’hui, je n’arrive pas à mettre de rythme techniquement. Cerise sur le gâteau, je perds mon bidon, juste après le ravitaillement, je dois donc parcourir plus d’une heure sans eau.
Je traîne ma souffrance jusqu’au dernier col et bascule dans la descente Bike Park sur Montgenèvre. Il n’y a plus qu’à assurer jusqu’à la ligne d’arrivée.
Je retombe sur Ewen dans la magnifique deuxième ascension vers le fort Vauban, sur les hauteurs de Briançon. Une erreur de parcours me fait encore perdre un peu de temps. Je suis à 5 minutes de la tête au pied de la dernière ascension, cela devient critique. Je suis au plus mal physiquement et j’avais seulement 8 minutes d’avance au classement général. Je fais la montée à ma façon, en gérant mon rythme avec mon capteur de puissance pour limiter les pertes et encore une fois ne pas risquer l’implosion. Je reprends Ewen en train d’exploser comme un pop-corn. Sur le haut de la montée, c’est le soulagement, j’aperçois enfin la tête de course. Je fais un pointage et me voilà à 3’30. Si je gère bien le haut de la montée, ça devrait le faire. La dernière partie est magnifique, nous sommes sur un plateau d’altitude dans un décor lunaire. C’est une vaste étendue de cailloux désertique, avec de petits lacs, c’est magnifique. Je traîne ma souffrance jusqu’au dernier col et bascule dans la descente Bike Park sur Montgenèvre qui nous ramène jusqu’à l’arrivée. Il n’y a plus qu’à assurer jusqu’à la ligne d’arrivée.
Quel soulagement lorsque je passe la ligne. Je concède seulement 3 minutes sur Damien qui a fait une superbe étape, Tristan est 2ème. Je remporte le classement général de l’Alps Epic, ma troisième victoire sur une course UCI. Il est temps de profiter et de relâcher enfin la pression devenue pesante ces deux derniers jours. Je dois remercier Tristan et son père qui m’ont aidé sur la logistique et les ravitaillements cette semaine sans quoi ma course n’aurait pas été la même… Un bon ravitaillement d’arrivée, une bonne pizza et ça va déjà mieux.
Une bonne semaine passée au cœur des Hautes-Alpes dans des paysages incroyables. Cinq jours de pur VTT partagés avec les copains. L’Alps Epic est maintenant une épreuve incontournable du calendrier VTT français. Elle se distingue par ses parcours montagneux, techniques et difficiles. Rares sont les courses qui permettent de découvrir les Alpes comme le fait l’Alps Epic. Les Hautes-Alpes ne déçoivent jamais, les trois villes-étapes de cette édition étaient magnifiques. Chaque année le tracé change. On peut noter des étapes autour de Vars ou d’Embrun les années précédentes par exemple. Attention, cette course est loin d’être abordable, il faut tout de même un certain niveau physique pour parvenir à ses fins sur cette épreuve. Un minimum de bagage technique est également recommandé. Je conseillerais également d’adapter son matériel à du vrai vélo de montagne.
Je tiens également à remercier les organisateurs et tous les bénévoles sans qui cet événement ne serait pas possible. Chapeau à tous les participants car arriver au bout de ces cinq jours n’est pas une tâche facile !
Pour plus d’informations : https://www.alpsepic.com